Chapitre 11 : L'alliance du mal
Ad avait commencé la descente de la montagne quand Kinan vint la rejoindre. Ad s'étonna de le voir seul.
- Je pensais que tu ne devais pas quitter ta nouvelle copine ?
- Ce n'est pas ma copine, protesta le dresseur. Mais elle reste ici pour interroger Geran et en savoir plus sur Odion et les Gardiens de l'Harmonie. J'ai promis que quand j'aurai récupéré mes Pokemon à Villimote, je viendrai la rejoindre.
- Parfait, fit Ad, soulagée que Kinan se soit décidé à la laisser.
- Mais je pense que tu devrais venir, toi aussi.
- C'est gentil de me faire une place dans votre charmant trou, mais non merci. Geran peut bien savoir de quoi il parle, je ne vais pas me terrer.
Sentant qu'il lui serait impossible de lui faire changer d'avis, Kinan ne revint pas dessus et ils continuèrent leur route en silence. Arrivés devant l'arène de Villimote, Ad sentit sa résolution s'effiler quelque peu. La dernière fois qu'elle avait vu sa cousine, elles s'étaient échangées des gifles, et voilà qu'elle venait lui annoncer la mort de son père. On pouvait détester quelqu'un sans pour autant vouloir lui infliger pareils maux.
- Si tu veux, je peux le faire, proposa Kinan. Je pourrai dire que monsieur Elias est venu me sauver de la Team Malware, sans te mentionner, et...
- Non, coupa Ad. C'est aimable à toi, mais j'ai toujours endossé mes responsabilités, et ça ne va pas changer aujourd'hui.
- Ce n'était pas ta faute, ce qui est arrivé.
Ad eut un sourire sans joie.
- Non ? Pourtant, si Odion est arrivé, c'était parce qu'il a été attiré par mon fichu Don. Et si Elias est mort, c'est parce qu'il m'a sauvé d'une des attaques d'Odion. Et j'ajouterai que si Elias se trouvait à New Naya à ce moment, c'est parce que tu as été enlevé par les Malware, et ça aussi, c'est de ma faute. Donc va récupérer tes Pokemon, et au passage, arrête toi à la pharmacie la plus proche pour acheter les pansements qui me seront nécessaires après que j'aurai parlé à Madison. Si elle m'attaque, même avec ses Pokemon, je ne me défendrai pas. Je mérite tout ça, et plus encore.
Ad gravit les marches de l'arène violette, sous le regard anxieux de Kinan. Elle ouvrit la lourde porte ornée de symboles, pour arriver dans un grand couloir éclairé de torches. Au fond, une autre porte, et enfin, le terrain de combat, entouré de gradins qui semblaient flotter dans les airs. La lumière était vacillante, et changeait de teinte chaque cinq secondes. Peut-être pour donner encore plus de mystère à l'endroit selon Madison. Mais pour Ad, ça ressemblait à une tentative de provoquer une crise d'épilepsie chez le challenger.
Madison Hugerson siégeait sur une espèce de trône au milieu de tous ces flashs de lumières multicolores. Ad ne l'avait plus vue depuis des années, mais elle la reconnut immédiatement. Elle n'avait guère changé. Madison avait trois ans de moins que sa cousine, donc treize ans, mais rien en elle n'indiquait qu'elle atteignait l'adolescence. De petite taille, elle avait encore son visage de petite princesse et aucune forme à l'horizon. Sa coiffure compliquée était attachée par un grand nœud papillon violet et son costume ridicule et surchargé lui donnait l'air d'une fée, avec des morceaux d'étoffes transparentes.
C'était l'une des choses qui faisaient qu'Ad n'avait que mépris pour sa cousine ; toujours ce goût pour le farfelu, le grandiloquent. Madison aimait être observée et adulée, et ne s'en cachait pas. C'était peut-être pour cela qu'elle était jalouse d'Ad, qui était née dans une famille bien plus éminente que la sienne. Madison avait toujours eu un air vague sur son visage ce qui donnait l'impression qu'elle était constamment dans la lune. Avec ses grands yeux violets, ça ajoutait encore plus à l'effet qu'elle pouvait donner. Mais ses grands yeux se rétrécirent quand la championne vit sa cousine, et son visage se crispa.
- Tiens, la fille prodige, fit Madison en jouant avec son nœud papillon. Je ne pensais pas que tu aurais le cran de revenir.
- Le cran ?
- Oui. Tu peux économiser ton souffle, Maître Narek m'a déjà prévenu de ce qui s'est passé. Le vieux Maître Balterik lui a envoyé un message.
Ad cligna des yeux, surprise par ce ton de totale indifférence dont faisait preuve une jeune fille qui venait d'apprendre le décès de son père.
- Tu es venue pour quoi ? la pressa Madison. T'excuser ?
- Oui.
- Et tu penses sérieusement que je te pardonnerai ?
- Non. Mais il fallait quand même que je le fasse.
Madison ricana.
- Tu veux que je te dise la vérité ? Je ne parlais plus à mon père depuis longtemps. Pour moi, c'était un idiot. Un idiot et il se fichait de moi. Il t'a toujours plus aimé que moi.
- C'est faux ! Protesta Ad. Oncle Elias était quelqu'un de bien, un homme bon, et je ne peux pas croire qu'il n'était pas un bon père ! Je t'interdis de le traiter d'idiot !
Madison se redressa sur son trône, ses yeux violets brillant de colère.
- Tu m'interdis ?! L'arrogance des Dialine est phénoménale. C'était mon père, je le connaissais mieux que toi, et j'ai le droit de le traiter de ce que je veux ! Non contente de me l'avoir pris de son vivant, tu veux en plus en faire ce que tu veux à sa mort ?
Ad se força à desserrer les poings et à se calmer. Elle aurait préféré que Madison soit accablée par le chagrin et dirige toute sa colère sur elle, plutôt que de souiller la mémoire d'Elias en ressortant les vieilles rancunes.
- Ecoute... Peu m'importe ce qui s'est passé entre nous, ou entre toi et ton père. J'aimais oncle Elias, et il est mort pour moi. C'est ma faute, je le sais, et j'aurai une dette à te rembourser. Je les paie toujours.
- Tu peux faire revenir mon père ? Demanda Madison. Tu peux me rendre l'amour qu'il aurait dû avoir pour moi ?
- Non.
- Alors ta dette restera à jamais impayée, conclut Madison. Va-t'en. Je n'ai rien à te dire. Profite bien de la vie que tu dois à mon père. Pour le peu que tu peux, du reste. D'après ce qu'a dit Maître Balterik, tu es en danger mortel non ? J'aimerais autant que tu sois loin de moi quand le type qui a tué mon père te fera la peau.
Ad lui fit un sourire féroce, qui déconcerta visiblement Madison.
- Tu as raison. Ce type veut me tuer. Et moi je veux sa tête. L'un de nous va obligatoirement mourir. J'imagine que qui que ce soit qui meurt, tu en seras réjouie. Tu pourras au moins te contenter de ça. Adieu cousine. Quoi qu'il arrive, je doute qu'on se revoit.
- Je pense que je survivrai, certifia Madison.
Ad quitta l'arène, un poids sur le cœur après cette conversation. Il tripla de volume lorsqu'elle dut se séparer de Kinan. Ce ne fut pas facile. Il usa de tout ce qu'il pouvait pour la convaincre de revenir à la grotte et de suivre le plan de Geran. Elle, elle essaya de le convaincre de ne pas retourner là-bas et de rester en dehors de toute cette histoire. Ce dernier lui rétorqua que si Geran n'arrivait pas à vaincre Odion, peu importe alors qui avait péri lors de cette quête, car le Prince des Ténèbres effacerait toute vie de la région.
Il ajouta que Geran aurait plus de chance de gagner s'il l'avait elle à ses côtés. Il alla même jusqu'à suggérer que le sort de Naya lui était indifférent et qu'elle était prête à sacrifier pleins de gens innocents seulement par vengeance personnelle. Quand elle quitta enfin la ville, les imprécations de Kinan derrière elle, elle se demanda si c'était vrai, si elle pouvait vraiment sacrifier toutes ces vies juste pour venger oncle Elias. Elle ne mit pas longtemps à trouver la réponse. Et elle était positive.
***
Par un ordre mental, Odion fit se poser Proscuro sur la grande place de la cité dans laquelle ils étaient arrivés. Le Prince des Ténèbres devait reconnaître qu'elle était d'une grande beauté, avec ses hautes tours d'acier scintillantes au soleil et ses lignes architecturales s'illustrant par un mélange de récent et d'ancien ; une ville qui aurait traversé les âges et qui aurait évolué tout en conservant son patrimoine d'antan. Le nom de la ville était Odipolis, et apparemment, elle était la capitale et le centre névralgique de la région Naya. À son époque, cette ville existait déjà, bien qu'ayant un autre nom. Odion l'avait laissée sans vie et purgée de tous ses habitants. Il avait hâte d'en faire de même maintenant, d'autant que le nombre d'êtres qui y vivaient était assez impressionnant. Mais avant, il avait quelque chose de précis à faire.
Il sentait une présence dans cette ville, c'était pourquoi il était venu. La même présence puante que Geran. Quelqu'un qui avait le Don. Geran, ou cette fille aux cheveux roses qu'il avait pris pour son frère ? Il n'en savait rien, vu que les deux présences étaient similaires. Généralement, même si les présences de ceux qui avaient le Don se regroupaient à peu près, elles étaient quand même différentes au sixième sens d'Odion. Mais là, ce n'était pas le cas. Les présences étaient similaires au plus haut point. Pourquoi ? Voilà un mystère de plus à élucider avant de les tuer.
Odion demanda à Mère de l'attendre ici, tandis qu'il s'engagea à travers la ville et à travers tous ces badauds qui passaient devant lui en l'ignorant totalement, si ce n'était pour jeter un regard curieux à son costume. Odion contenait avec peine l'envie de tous les tuer sur place, ces insectes méprisables. Mais il ne voulait pas que Geran ou la fille aux cheveux roses soient avertis, et aient le temps de s'échapper. Mais une fois que lui ou elle serait mort, Odion annihilerait cette ville avec plaisir.
La présence l'attira jusqu'au pied d'une immense tour ouvragée, avec la base qui ressemblait à un triangle. L'inscription à l'entrée indiquait que c'était le Centre Général du Triumvirat. Odion n'était pas resté sans s'informer de la situation politique à cette époque. Apparemment, ce Triumvirat était l'instance dirigeante de la région Naya. Odion se demandait furieusement qui de Geran ou de la fille aurait intérêt à se cacher ici de lui. Peut-être Geran avait pensé se faire des dirigeants de cette époque des alliés. Ou alors la fille aux cheveux roses était apparentée aux membres du Triumvirat.
Peu importait, après tout. Si Odion devait tuer les dirigeants de Naya en même temps que celui qui possède le Don à l'intérieur, voilà un marché qu'il l'arrangeait. Après tout, le seul dirigeant au monde, c'était lui-même. Le Prince des Ténèbres marcha très calmement jusqu'à la porte d'entrée, qu'il franchit, pour se retrouver dans une vaste pièce royale, au parquet impeccable. Il passa devant l'espèce de garde en uniforme derrière un bureau. Il s'attendait à ce qu'il l'interpelle, et Odion était prêt à l'expédier dans l'Autre Monde, mais il le surprit en disant d'un ton extrêmement servile :
- Je vous souhaite le bonjour, monseigneur. Le Premier Triumvir Dialine vous attend dans son bureau.
Odion fronça les sourcils, suspectant une ruse.
- Il m'attend ?
- Assurément, monseigneur. Par ici je vous prie.
Le garde quitta son derrière de bureau pour lui désigner le chemin. Odion le suivit avec curiosité. Qui était donc ce Premier Triumvir pour l'attendre et l'inviter jusqu'à lui ? Comment le connaissait-il ? Le garde l'amena jusqu'à une pièce minuscule. Après qu'il ait pressé un cercle lumineux, Odion sentit la pièce commencer à s'élever rapidement vers le haut. Il n'en comprit pas le mécanisme, mais voilà qui était ingénieux et bien plus rapide que les escaliers. Plus il montait, plus Odion se sentit qu'il se rapprochait de sa cible. Cette présence ornée du Don lui donnait presque la nausée. Encore une fois, il aurait été certain qu'il s'agisse de Geran, surtout d'aussi près, mais depuis la dernière fois, il n'était plus sûr de rien. Enfin, ils traversèrent un long couloir et le garde frappa à la porte qui se trouvait au bout. Il rentra et annonça :
- Monsieur, le Seigneur Odion est-là.
- Parfait, fit une voix masculine dégoulinante de hauteur. Faîtes-le rentrer.
Le garde ouvrit grand la porte et invita Odion à entrer. Encore plus perplexe, ce dernier se demanda comment ces hommes pouvaient connaître son nom. Il n'y avait qu'une seule personne dans la pièce. Ce n'était ni Geran, ni la fille aux cheveux roses, pourtant, la présence provenait de lui. Odion en fut plus perturbé que tout le reste. Il avait devant lui quelqu'un d'autre qui avait le Don, et en plus la même présence que Geran. Il ne comprenait pas. Et ce qu'il ne comprenait pas le rendait furieux. Car étant le créateur de cet Univers, il aurait dû tout comprendre. Et tout ce qu'il ne comprenait pas était une abomination qui ne devait pas exister. Sachant qu'il le regretterait ensuite car n'ayant pu interroger l'homme, Odion prépara sa Déferlante de Mort. Mais il s'arrêta quand l'homme devant lui sourit et lui dit :
- Aes Dias Ivanus, Kros Diavil Contemplatus.
Odion n'aurait pas été plus surpris si l'homme l'avait giflé. Ce qu'il venait de dire était de l'ancien langage, exclusivement utilisé à l'époque d'Odion par nul autre que les Agents du Chaos pour se reconnaître entre eux. Par ces mots, cet homme se réclamait comme l'un des Agents du Chaos. Odion retint sa Déferlante. Beaucoup de choses restaient sans réponse, mais tuer un Agent du Chaos lui était défendu. Après tout, à l'origine, il en était un lui-même. Le Seigneur Diavil n'aurait pas apprécié, et si Odion, en tant que créateur et maître de l'univers et de la mort, ne craignait rien ni personne, Diavil était le seul être vivant qu'il respectait. Odion examina l'homme plus attentivement. Il devait avoir approximativement son âge. Il avait les cheveux bruns impeccablement coiffés, et un visage noble et séduisant. Il portait un costume riche et voyant, et avait des yeux jaunes brillants. Les mêmes yeux que ceux de la fille aux cheveux roses...
- Qui êtes-vous ? demanda prudemment Odion.
- Nathan Dialine, le Premier Triumvir de Naya, Seigneur Odion, dit l'homme en s'inclinant rapidement. Tout comme vous, je sers le grand Diavil.
- Je ne suis plus un Agent du Chaos, répliqua machinalement Odion. Je ne sers que moi-même, à présent.
- Bien entendu, fit poliment Dialine. Mais nos buts restent convergents. Vous voulez la mort d'Archangeos, le maître des Gardiens de l'Harmonie. Les Agents du Chaos, que je représente à cette époque, veulent la même chose.
- Ainsi, les Agents du Chaos existent encore après cinq cent ans ?
- Bien entendu. Mais nous ne sommes plus aussi nombreux, et nous sommes passés dans la clandestinité. Nous vénérons Diavil en secret.
- Vous avez le Don, fit remarquer Odion. Et vous vous prétendez Agent du Chaos ? Quel genre d'Agent du Chaos aurait pu bénéficier des faveurs d'Archangeos ?
Nathan lui offrit un sourire énigmatique.
- Le genre qui recherche le pouvoir de s'élever au-dessus de tout le monde, Seigneur Odion. Le Don, je l'ai depuis ma naissance ; Archangeos n'a jamais fait de moi son vassal. Puis j'ai choisi moi-même la voie du Chaos. Même si le grand Diavil fronce du nez en ma présence, il s'accorde avec moi sur l'avantage que peut revêtir un de ses Agents possédant le Don des Gardiens de l'Harmonie.
- Les Gardiens de l'Harmonie sont tous morts, ainsi que leurs descendances, répliqua Odion. Le seul qui a survécu se trouve à cette époque-ci avec moi. Alors comment avez-vous pu posséder le Don à la naissance ?!
Nathan haussa les épaules.
- Je garde quelques secrets personnels me concernant, Seigneur Odion. Seul Diavil le sait. Si il juge bon de partager ses secrets avec vous, ça ne me dérangera pas, mais jusque-là, mes secrets demeureront les miens.
Odion plissa les yeux. Il n'avait pas l'habitude qu'on lui refuse quelque chose. Il leva son bras, laissant l'énergie noire de la mort le parcourir.
- Je veux des réponses, ou alors...
- Ou alors quoi ? Vous êtes totalement impuissant face à moi, Odion. Je suis doublement protégé de vos pouvoirs, à cause du Don et aussi de mon statut d'Agent. Les pouvoirs de Diavil ne peuvent se retourner contre ceux qui le servent. Vous le savez, je pense.
Odion baissa son bras. Dialine avait raison, bien sûr, mais n'empêche qu'Odion était furieux. Ceux qui osaient lui tenir tête n'étaient pas légion. Même parmi les Agents du Chaos, la peur qu'inspirait le Prince des Ténèbres était grande, et ce Dialine ne semblait aucunement le craindre. Odion se rappellerait de ça. En attendant, il demanda :
- Pourquoi m'attendiez-vous ?
- Le Seigneur Diavil savait ce que vous avez fait, cinq cent ans plus tôt, et m'a révélé quand vous reviendrez, et quelle serait votre mission. Je savais que vous finiriez par me trouver, vu que j'ai le Don, et que vous m'auriez pris pour Geran.
- Et que me voulez-vous, au juste ?
- N'est-ce pas évident ? Nous allons unir nos forces pour détruire à jamais Archangeos et les Gardiens de l'Harmonie, pour que le Chaos prospère.
Odion renifla méprisamment.
- Je n'ai besoin de l'aide de personne pour ça.
- J'en suis certain, mais vous ne connaissez pas cette époque ni comment elle fonctionne. Moi si. Je suis même l'homme le plus puissant de la région.
- Je n'ai pas besoin de connaître cette époque pour la purger de tous ses êtres vivants, répliqua Odion.
- C'est cela votre but suprême ? Tuer tout le monde ?
- Bien évidement ! Quoi d'autre ?! J'ai créé tous ces êtres vivants, car j'ai créé l'univers lui-même. Mais à présent, Mère veut que je défasse tout ce que j'ai fait, car dans la mort, tout n'est qu'un.
- C'est terriblement primaire et inutile, déclara Nathan. Au lieu d'éliminer tout le monde, n'avez-vous jamais rêvé que cette masse d'êtres s'agglutinent devant vous pour vous vénérer ? Sur qui vous allez régner une fois que vous aurez purgé la planète ?
- J'ai un devoir envers Mère. Je dois lui donner le plus de vies possibles.
- Justement ; vous lui en donnerez beaucoup si vous tuez tout le monde d'un coup. Mais vous lui en donnerez encore plus si vous laissez pleins de survivants pour les tuer peu à peu, eux et leurs descendants. La mort ne préfèrerait pas un mort par jour jusqu'à la fin des temps plutôt qu'un million d'un coup, sans plus rien après ?
Odion dut avouer qu'il n'avait jamais pensé à ça. Et étrangement, l'idée de Dialine lui plaisait. Après tout, Odion était le créateur de toute chose, et il serait normal que ces êtres inférieurs le vénèrent comme le dieu qu'il était, tandis qu'il remettrait à Mère leurs âmes durant la fin des temps !
- Laissez-moi vous aider à conquérir cette planète, poursuivit Dialine. Et alors, vous aurez le sort de tout le monde au creux de la main. Vous aurez leurs âmes et leurs vies, pour toute l'éternité.
- Et vous ? demanda Odion. Qu'est-ce que vous voulez ?
- Rien de plus que de voir prospérer le Chaos. Si vous régnez sur le monde, il en sera ainsi à jamais.
- Quel est votre plan, alors ?
- Archangeos ne va pas s'envoler. Vous aurez tout le temps de le tuer quand il se réveillera. Pour l'instant, vous devrez continuer à perpétrer des meurtres de masse à travers toute la région.
Odion sourit. Ça, il savait faire.
- Mais, poursuivit Nathan, pas n'importe comment. Vous n'attaquerez que les cibles que je vous désignerai. Vous ne tuerez que qui je vous dis de tuer. Pour contrôler les masses, il n'y a que deux options. La peur, ou l'espoir. La peur marche un moment, mais inévitablement, le peuple se soulèvera, sans plus rien craindre de la mort, pour une chance de combattre leurs oppresseurs. L'espoir, en revanche, dure bien plus longtemps.
- Je ne comprends pas, avoua Odion.
- C'est pourtant très simple. On va diviser les rôles. Vous, vous serez l'affreux personnage qui répand la peur. Et moi, je serai le héros de l'espoir. Vous allez tuer pleins de gens, à des endroits ciblés. Moi, de mon côté, j'assurerai au peuple que je ferai cesser ces meurtres mystérieux. Arrivé un moment, après beaucoup de tueries, vous arrêterez, et je ferai croire que c'est grâce à moi. Le peuple me vénèrera pour ça, et si jamais il s'avise de cesser de m'aimer, vous n'auriez qu'à aller lui rappeler ce qu'il en coûte de renier son héros.
- Je ne suis pas votre chien pour faire vos quatre volontés pour votre seul bénéfice, protesta Odion. Je pensais que c'était moi qui devais dominer ce monde !
- Et il en sera ainsi, ne vous inquiétez pas. Mais on se doit de commencer comme je l'ai dit. Faites-moi confiance, mon ami, j'ai une grande connaissance des rouages du pouvoir et de l'art de dominer les autres.
Odion était las de parler. Il ne le faisait jamais autant, pas plus que trop réfléchir de la sorte.
- J'ai besoin de tuer, dit-il. Mère exige des âmes.
Nathan secoua la tête, agacé, comme si Odion n'avait rien compris de ce qu'il avait dit.
- Bien sûr, bien sûr... Mais ne faites rien d'inconsidéré. Je me dois de tout contrôler. Tenez, il y aura, demain soir, un concert au Stade G, à quelques kilomètres d'Odipolis.
- C'est quoi, un concert ?
- Un grand rassemblement de gens qui viennent assister à un spectacle, expliqua Nathan. Cette année, c'est le Quatuor Go-Rock, des stars mondiales renommées de la musique, qui se déplace. Il y aura plein de gens, et ce sera le moment idéal pour commettre un massacre. Je suis sûr qu'après Cancrania et New Naya, vous pouvez patienter jusqu'à demain, non ?
Odion hocha la tête, morose.
- Bien, fit Nathan. Entre temps, ne vous faites pas trop remarquer.
Odion s'apprêtait à sortir quand il se souvint de quelque chose.
- Au fait, vous êtes le seul à posséder le Don, à cette époque ?
- Pourquoi me demander ça ?
- Parce qu'il y a quelqu'un d'autre. Une fille. Je l'ai senti, et je pensais qu'il s'agissait de Geran. C'est pour elle que j'ai détruit New Naya. Mais je n'ai pu la tuer, elle a reçu l'aide des pouvoirs de Geran.
Surprit, Nathan lui demanda :
- Cette fille. Comment était-elle ?
- Jeune. Cheveux roses, et les mêmes yeux que vous.
L'ébahissement se peignit sur le beau visage de Dialine, puis il éclata de rire.
- Quelle surprise ! Je n'aurai jamais pensé que quelqu'un d'aussi inutile qu'elle puisse l'avoir aussi ! Finalement, ma sœur servira à quelque chose.
- Votre sœur ?
- Oui, Adélie Dialine. Elle ignore tout du Don, des Gardiens de l'Harmonie et des Agents du Chaos. Une chose ; essayez de ne pas la tuer. Puisqu'elle possède le Don, il se peut que j'aie quelques projets pour elle...