Ch. 06 Et c'est parti... (Svetlana_16)
-Tout le monde a bien tout pris? Parce qu'on ne retournera plus jamais en arrière. Du moins, pas avant que la guerre soit finie.
Ça, je l'avais compris. Et les autres aussi, visiblement. Je fis mentalement mes adieux à tout ce que je connaissais. Il n'y avait plus grand-chose.
-Je vous rappelle: nous allons faire la route 66 dans son intégralité. Vous allez peut-être voir des morts, vous allez peut-être combattre des Pokémon sur le chemin. Qui sait, peut-être qu'on n'arrivera jamais tous les quatre à San Francisco, et si c'est le cas, je ne me le pardonnerai pas. Mais ce que je dois vous dire, c'est : ne quittez JAMAIS la route seul. Sous aucun prétexte. Aussi, chacun doit s'entraider. Pour réussir à aller jusqu'au bout de cette foutue route et réussir à être libres, il faut qu'on le fasse tous les quatre ensemble. Alors ne tentez pas de jouer les héros seul. C'est compris?
J'acquiesçai à nouveau, tout en pensant que décidément, ce Tennessee était un malade mental, mais qu'il avait quand même un bon fond. « Je ne me le pardonnerai pas »... Un truc de soldat, ça. Ou on arrive tous à destination, ou on n'arrive pas. Comme quoi, même le plus improbable peut se réaliser.
Enfin, j'espérais quand même qu'on arriverait tous les quatre sans trop de problèmes en cours de route. Mais après tout, le fou nous avait dit que la route 66 n'était pas surveillée.
Je ne faisais pas tout à fait confiance aux trois autres. J'avais trop fait confiance dans ma jeunesse pour ne pas me méfier de mes trois compagnons d'infortune. Mais je n'avais pas le choix. C'était les suivre ou risquer de mourir dans le raid qu'il nous avait annoncé. D'ailleurs... Comment il l'a su ?
-Un pour tous...
Allons bon, il se prend pour un mousquetaire, maintenant ? Je posai ma main sur la sienne, qui était étrangement chaude.
-Tous pour un.
Puis ce fut le départ. Commençait un long voyage vers la liberté, ou la mort.
Nous avions à peine fait un kilomètre, nous voyions encore derrière la célèbre Chicago, que des bruits d'explosion se firent entendre.
Le raid avait commencé.
J'espérais que nous ne ferions pas de mauvaises rencontre, du moins pas tout de suite, car les explosions m'avaient déprimée au plus haut point.
Pendant que nous avancions, j'ai laissé mes pensées vagabonder un peu. Elles sont allées vers feu mes Pokémon, tués par leurs enfoirés de congénères. Les humains, au moins, ils sont solidaires.
Je songeai aux modifications que mes amis avaient subies. Mon Evoli était insensible aux balles, et mon Roserade... Mon père était persuadé qu'il avait raté son coup. Il voulait faire évoluer Rozbouton directement en Roserade. Ça n'avait pas marché, du moins pas comme il l'avait prévu. Il est communément acquis que les Rozbouton évoluent quand ils aiment leur dresseur. Eh bien Roselia a fait la même chose. Heureusement, parce que je n'ai jamais réussi à mettre la main sur une pierre Éclat.
Une voix féminine me tira de mes pensées :
-Eh ! Regardez là-bas !
Je levai la tête. C'était un Luxray. Il avait quelque chose d'étrange, un peu comme s'il voulait à tout prix se tuer en se cognant contre un rocher.
-Qu'est-ce qu'il a, celui-là ? demandai-je.
-On s'en moque. On s'en va avant qu'il nous voie.
-Il a l'air d'avoir un problème...
Tennessee me jeta un regard noir.
-C'est nous qui allons avoir des problèmes s'il nous voit et qu'il nous attaque.
Et voilà. Encore ce regard. Il me faisait vraiment froid dans le dos, ce gars. La vérité, c'est que j'étais absolument terrorisée par Tennessee les ¾ du temps. Surtout quand il faisait ces yeux-là.
Un de mes plus gros défauts, c'est que je suis un peu empathe. C'est-à-dire que je ressens les émotions des autres. Dans une certaine mesure seulement, mais ça reste gênant dans certaines situations. Celle-là, par exemple. Je suis presque incapable de détester un être qui souffre. J'allais devoir me débrouiller pour que ça ne nous ralentisse pas. Dur...
Nous nous sommes donc éloignés du Pokémon, qui ne faisait pas du tout attention à notre petit groupe.
Le silence fut bientôt cassé par Démétrios :
-Au fait, est-ce que quelqu'un sait COMBIEN de temps va durer ce voyage ? Parce que là, on n'a pas fait 10 kilomètres et on vient déjà de croiser une sale bête !
-Il a pas tort, approuvai-je. Tu nous as dit que la route serait déserte de Pokémon.
-Elle fait combien, la route ? 2300 miles, c'est ça ?
Tennessee restait muet.
-Ouais, à peu près, répondis-je. Mais faut aussi savoir à quelle vitesse on marche, et le temps de marche quotidien.
-Pour la vitesse, c'est facile, se moqua Ambre. Un être humain normalement constitué marche à environ 5 km/h, en mesures européennes. Donc nous aussi. À moins que tu ne sois PAS un être humain normalement constitué, Linda ?
Je n'eus pas le temps de répondre : Tennessee sortit de son silence, et visiblement d'une profonde réflexion, et nous déclara :
-Si vous vous bougez le cul, on devrait faire ça en moins de deux mois.
Bon, ben, c'est dit. La réponse satisfaisant (plus ou moins) tout le monde, nous avons conservé un silence presque parfait pendant une vingtaine de minutes.
S'il y a une chose qui m'énerve profondément, encore plus qu'Ambre, c'est bien l'inaction. Je ne supporte pas de ne rien faire, ou de marcher en silence dans un désert post-apocalyptique, pour prendre le cas présent.
C'est alors que je me rendis compte d'un détail : Ambre tremblait légèrement, et avait les yeux légèrement humides. Je bondis sur l'occasion :
-Mais, commençai-je en souriant... Ambre, tu pleures ? C'est parce que je t'ai rembarrée ? Pff...
-Quoi ? Mais non ! s'insurgea-t-elle. C'est juste que... Oh et puis merde ! T'es vraiment chiante, Linda ! Tu peux pas me foutre la paix ?
-Ah je vois. Tu penses à ce que tu as laissé derrière toi. Désolée, mais j'ai bien peur que tu ne les revoies jamais, ma pauvre, déclarai-je, sarcastique.
-Bon, les filles, ça vous dérangerait de fermer vos gueules ? nous interrompit Tennessee.
Je me tus. Mais j'étais quand même contente d'avoir troublé Ambre. Une autre victoire pour moi...
Encore une fois, ce fut Démétrios qui rompit le silence :
-Bon. Je vais finir par croire qu'on a la poisse ou que Tennessee nous a raconté des cracks, parce que si ce que je vois là-bas n'est pas un groupe de Pokémon, alors je suis un sushi frit.
Tournant notre regard vers la direction qu'il pointait du doigt, nous vîmes en effet un petit groupe formé de deux Camérupt, d'un Airmure et d'un Torterra. Ils venaient de nous apercevoir.
J'informai mes compagnons que la fuite n'étant pas envisageable, ils allaient devoir se passer de moi pour le combat inévitable qui allait s'ensuivre.
-En fait, se moqua Ambre, tu sers à rien ?
-Je n'ai pas vraiment choisi de faire route avec toi, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.
J'eus alors une sensation désagréable, qui allait malheureusement devenir familière : ennuis en approche ! Me retournant, je vis Tennessee qui s'approchait des Pokémon.
-Mais il est fou !? m'écriai-je. Seul contre quatre, ça relève de l'inconscience !!
-Eh bah va l'aider, répliqua Démétrios.
Je ne bougeai pas d'un iota, préférant retourner seule à Chicago plutôt que de mourir dévorée avec les trois autres. Finalement, Ambre me bouscula pour aller prêter main-forte au cinglé. Quant à moi, je fixai le sol pour ne pas avoir à contempler ce massacre. Je rappelle à tout hasard que je suis un peu empathe. Ce spectacle aurait probablement été trop insupportable pour moi.
-Trouillarde, me lança Démétrios au bout d'un moment.
-Je sais. Je préfère être une trouillarde vivante plutôt qu'un cadavre héroïque.
Mon interlocuteur me laissa pour aller voir si son aide était la bienvenue, ce qui n'était pas le cas puisque, le temps que nous finissions de parler, les deux autres avaient terminé le massacre...et Tennessee rangeait son appareil photo. Nous repartîmes donc, moi sous le regard noir meurtrier d'Ambre, et celle-ci sous le regard admiratif de Démétrios. Bref, un échange de regards assez dérangeant.
Je jetai un coup d'œil derrière moi. Les quatre Pokémon baignaient dans leur sang, la nuque brisée ou bien égorgés. J'eus un frisson à l'idée que j'allais voyager avec eux pendant encore longtemps. Très longtemps. Beaucoup trop longtemps. Meeeerde... Heureusement que je ne devenais pas complètement dingue à la vue du sang. J'avais une amie comme ça, elle se mettait à hurler dès que quelqu'un se coupait le doigt. Ce n'était pas mon cas.
Pour chasser l'ennui et les pensées désagréables, j'ai essayé de faire le compte de tous les Pokémon malfaisants que j'avais croisés depuis la mort de mes parents. Je recensai un Zoroark, un Luxio, un, euh... un Arbok... cinq ou six Roucoups... quelques Rondoudou et autres simili-chewing-gums... pas mal d'oiseaux de mauvais augure... plus les quatre d'aujourd'hui. J'en ai probablement oublié certains, mais je n'ai pas une mémoire de Donphan, alors ne m'en veuillez pas. De toute façon, cette liste ne sert à rien, sinon à tuer le temps.
Le regard d'Ambre commençait à réellement me faire chier.
-Dis, tu veux pas arrêter de me regarder comme ça ? m'écriai-je. J'ai l'impression que tu me reproches d'être vivante !
-Ouais, quelque chose comme ça. À quoi ça sert d'être vivante, comme tu dis, si tu te défiles dès qu'il y a un pépin ?
-L'instinct de survie, justement. Et puis, je sais pas vraiment si on peut appeler ça être vivant, avancer dans un décor pareil. J'ai plutôt l'impression d'être sur le chemin de l'Enfer...
-De toute façon, vivant, ça ne veut pas dire grand-chose, intervint Démétrios. Tiens d'ailleurs, c'est quoi pour vous, la vie ?
Tu parles d'une question ! La vie, c'est une notion carrément abstraite.
-Pour toi, c'est quoi ? lui demandai-je.
-Eh bien...la vie, c'est comme une feuille de papier. C'est à toi de décider si t'as envie de la froisser, d'y peindre une œuvre d'art, d'y calculer tes comptes ou d'en faire un avion. Mais faut juste bien en profiter, car le papier, c'est vachement éphémère par rapport à l'éternité.
-Ah je vois. Pour moi, la vie, c'est...c'est quand on est encore capable de penser correctement, d'agir, de botter le cul à ces emmerdeurs de Pokémon.
Ce n'était pas tout à fait la définition exacte, mais les mots ne sont pas mon point fort. Sauf quand il s'agit de dire une grosse connerie. Je demandai son avis à Ambre, puisque la question s'adressait à elle aussi.
-Ben...je sais pas trop. La vie, c'est...survivre pour tenir face aux Pokémon. Sans amis, sans famille, la vie ne sert à rien. Mais c'est aussi, se tenir là, fière d'être vivante, et pouvoir cracher sur tous ceux qui m'ont fait perdre le goût de vivre.
Conclusion : nous ne sommes pas ses amis (tant mieux), et le suicide lui pend au nez. Je crois que je me suis trompée sur le compte de cette fille. Elle n'est peut-être pas si conne, finalement. Enfin, ça reste à prouver.
Nous nous sommes alors tournés vers Tennessee, nous souvenant soudain de sa présence.
-Et toi ? C'est quoi la vie, pour toi ?
Il ne répondit pas, comme s'il ne nous avait pas entendus. À moins qu'il ne soit en train de réfléchir. Ou bien, cas plus probable, il n'en avait strictement rien à foutre, de la question ET de nous...