Ch. 04 Allô maman bobo
Au volant de sa voiture, Nathan regardait le paysage, les yeux mi-clos. Seule Clémenti-Ville le séparait de son ancienne maison, établie à Rosyères. Il fallait juste sortir de Mérouville, longer la Route 104 avec ses bois sombres, passer par la ville du champion Norman, et terminer la Route 102. Les bois étaient toujours un peu compliqués à passer, notamment à cause de la présence de très nombreux Pokémon, mais après, la Route 104 était agréable à traverser. Au loin, on apercevait la plage, les hautes herbes devant le sable, et énormément de dresseurs qui attendaient de potentiels adversaires. En cette période de printemps, tout le monde était habillé léger, les lunettes de soleil braquées sur le nez, chacun papotant à propos du niveau de leur Pokémon.
Rosyères est un petit village convivial où la plupart des gens se connaissent. Ce n'est pas comme la grande Mérouville, où les habitants se tamponnent sur les trottoirs sans s'excuser, où le béton a recouvert l'herbe touffue, où les cols blancs se déplacent avec leur téléphone vissé sur l'oreille. Ici, les gens se disent bonjour avec un franc sourire, on sent la rosée du matin sur tous les buissons décorant le village. Les maisons sont espacées de plusieurs mètres, le chemin de terre battue et la verdure se voient à des kilomètres à la ronde. Nathan avait grandi ici depuis ses huit ans, après un déménagement mouvementé. Sa mère voulait venir vivre ici en raison du climat très doux, un éternel printemps où les fleurs sont toujours présentes. Des Bégonias parcouraient les bords de la route, et à Rosyères, les principaux Pokémon étaient des Chinchidou et des Etourmi. Ils étaient blottis contre les fleurs, profitant du soleil. Nathan essayait de rouler bien droit, pour ne pas les toucher. Non-habitués aux voitures, les Pokémon ne bougeaient pas.
Il se gara près d'une petite maison couleur brique. Il y avait beaucoup d'arbres, principalement des palmiers, tous bien alignés, bien taillés. Nathan souffla, la symétrie du jardin lui montant déjà à la gorge. Il s'avança jusqu'à la porte et toqua. Un bruit étouffé passa.
- « Entre ! »
À peine eut-il ouvert la porte que l'odeur du Febreze Citron lui infesta les narines. Il regarda le sol et vit les carreaux blancs nettoyés à la perfection, tellement brillants qu'ils faisaient office de miroir.
- Surtout ne sors pas tes Pokémon chéri, et enlève tes chaussures !
- Gnagnagna...
Nathan retira ses converses noires, et les posa sur le tapis d'entrée.
- Et mets-les dans le placard !
Il commença à grogner, mais obéit consciencieusement. Il posa ses PokéBall sur le comptoir juxtaposant le placard encastré et pénétra dans le salon. Avant même de remarquer une présence humaine, seule la pièce principale éclatante de blancheur le saisissait. Des canapés blancs, des rideaux crème, des lampadaires en cristal, peut-être pas du vrai par contre. Un grand tapis en poils blancs reposait sous une table basse en verre. Aucune trace de poussière, aucune toile de Migalos, aucune marque de chaussures sur le sol. Madame Corwyn pourrait très bien figurer parmi ces bonnes femmes tenant un chiffon et portant des gants en latex rose tout en criant « Pour des sols propres et frais, achetez Mir ! » plaquée d'un grand sourire. Nathan se déplaça prudemment avec ses chaussettes, pour se rendre dans la cuisine d'où émanait la voix de sa mère.
- Je te laisse Maria, passe une bonne après-midi.
- Merci Charles.
Nathan ne prononçait toujours aucun mot et se contentait de regarder tout ce qui se passait autour de lui. L'attitude de sa mère, sa manie de canaliser sa détresse dans le ménage le rendait systématiquement malade. C'était toujours un cruel dilemme : l'amour puissant pour sa mère en dépit de son aversion pour l'état des lieux. Maria Corwyn ne ressemble pas tant à Nathan physiquement. Ses yeux bleus, ses longs cheveux châtains ondulés s'associent très bien à sa mâchoire carrée, seul trait la rapprochant de son fils. Ses rides sont visibles, même s'ils ne choquent en rien ou ne la vieillissent pas de trop. C'est le genre de femme qui fait dire « Ha ! Elle devait être magnifique quand elle était plus jeune ! » L'homme à côté qui s'appelle Charles a comme elle le début de la cinquantaine. Ses cheveux grisonnants, ses yeux bleus et sa grande taille étaient les seules choses que regardait Nathan à ce moment-là. En réalité, cet homme lui importait peu : c'était un ami de ses parents, surtout de son père, mais à sa disparition, il s'était rapproché de Maria. Bref, un ami de la famille qui aimait venir rendre visite.
- Bonjour Nathan, comment vas-tu ?
- Parfaitement bien, dit-il sur un ton ironique. Et vous ?
- Bien aussi. Maria, je te laisse en compagnie de ton fils.
Il déposa un baiser sur sa joue ; et s'en alla, pendant que Maria saisit le visage de son fils entre ses mains.
- Merci d'être venu Nathan ! Ça me fait vraiment plaisir de te voir.
Elle se dirigea vers une étagère de la cuisine en extirpa une tasse imbriquée dans une autre et y servit du café tout chaud.
- Merci... sourit-il, gêné. Il vient souvent le Charlie ?
Maria parut soudain timidement affectée. Elle s'assit près de son fils.
- Je crois que je le vois chaque semaine... Tout comme je vois Christine tous les mardis, ou les parents de Timéo et Serah les week-ends !
- Comment ils vont ? demanda-t-il mollement en tournant la cuillère dans son café.
- L'arène de Norman tourne très bien, y a beaucoup de petits dresseurs qui sont très prétentieux ! On en rit à table, on se dit toujours que Timéo et toi n'étiez vraiment pas comme eux. On mange chez eux ce soir.
- Les temps ont changé, maman. Les gamins aujourd'hui, je les arrête avec leur Queulorior parce qu'ils tag les murs.
Il restait là, la main figée sur la cuillère en fer, le regard perdu.
- Ton père adorait les Queulorior, il en av...
- Je veux pas entendre un mot sur lui.
Elle acquiesça en se levant prestement, et prit un chiffon.
- Ça va pas recommencer ?! s'énervait-il presque.
- Ce n'est pas ma faute si ton père est parti, inutile de me remballer.
Elle aspergea une vitre de produit et commença à laver. Nathan se leva, attrapa fermement le bras de sa mère et inspira. Elle ne bougea plus.
- Mais si tu continues à en parler, ça deviendra ta faute si je ne viens plus à la maison. Et SURTOUT, arrête de laver, ça m'insupporte.
- Lâche mon bras s'il te plaît.
Il obéit, et elle de même. Ils continuèrent à discuter calmement de ci et ça, ils mangèrent dehors dans le petit jardin au soleil. Nathan ne put sortir que Phyllali, car elle avait une bonne action sur la végétation, donc sa mère l'autorisait elle seule. Nathan ne comptait pas rester là l'après-midi, mais rentrerait le soir, pour dormir. Ils devaient de toute façon aller manger le soir chez les Lacklaye. Timéo ne serait pas là, car en plein travail sur une nouvelle affaire. Dommage pour Nathan, qui devrait se retrouver seul avec Serah.
= =
Au lieu de prendre la voiture, il décida de se rendre à pied sur la route liant Rosyères et Clémenti-Ville. Un point de rencontre qu'il n'oubliera jamais. Ses pieds foulaient les petites boules de terre, ses yeux ambre se promenaient dans les arbres. Avec ses quatre PokéBall contre lui, il se sentait bien mieux que chez sa mère, sans rien. En s'adossant à un arbre, un petit ninja avec un filet sorti d'un buisson de baies Pecha.
- En garde, vilain !
Nathan haussa les sourcils et le dévisagea, incrédule.
- ... Vilain ?
- Chut ! Moi le ninja de l'eau douce va te punir comme il se doit !
Le petit ninja sautait de gauche à droite sur ses pieds, les poings braqués devant son visage, comme les personnages de Street Fighter.
- C'est bien mignon, mais je veux pas me battre contre toi.
- Chenipan GO !
La chenille apparut. Nathan réprima un méchant sourire, puis sortit ses quatre Pokémon, Arcanin, Phyllali, Kirlia et Heledelle. Le ninja sourit de toutes ses dents de lait.
- Amène-moi ton Phyllali, que j'en fasse qu'une BOUCHAYY !
- Attaque Queue de Fer.
Phyllali effectua un très joli salto avant d'abattre sa queue métallisée sur le petit ennemi... à faible dose. Le Chenipan ne résista pas.
- Mais t'es pas rigolo-euh !
Le petit se mit à pleurer.
- Hé ho, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, je croyais que tu voulais te battre !
- Mais parce que je pensais que tu étais nul...
- Oh, merci, c'est gentil, acquiesça-t-il, vexé.
Nathan vint s'asseoir près du ninja sur le tronc d'arbre allongé sur le sol. Le petit retira sa cagoule noire et dévoila un petit blond aux yeux marrons, tout mignon.
- Mais t'as quoi, huit ans ??
- Sept ! sourit-il avec ses petites dents. T'es d'ici toi, non ?
Le grand brun observa autour de lui la nature, les Pokémon grouillant de tous les côtés.
- Effectivement.
- Je le sais parce que tu as un Kirlia et un Heledelle, et que y en a partout ici.
- Tu as un bon sens de l'observation, petit ninja, dit-il en lui ébouriffant les cheveux.
- Tu as des copains ?
Nathan sourit, pensif.
= =
Dans le passé.
Il trainait ses pieds nus dans la terre, enfonçant ses orteils en entendant le moindre bruit. Le soleil était presque couché, la nuit approchait à grand pas. Les Noarfang le regardait d'un air menaçant, mais qu'importe, il continuait d'avancer droit devant lui. Parfois, il trébuchait sur des lianes ou des pierres, se rattrapait en accrochant ses mains sur des branches. Il croyait qu'on allait le retrouver alors il courut le plus vite possible. Il ne voyait plus rien, ses mèches noires lui cachant les yeux. Il se cogna violemment et tomba à la renverse.
- Hé mais regarde où tu vas !
- Désolé.
Le petit garçon debout, châtain aux yeux bleus, lui tendit la main. Il avait une console dans l'autre.
- Tu joues à quoi ?
- À Phoenix Wright.
Il se pencha sur la console, intrigué. Le garçon en train de jouer expliqua.
- C'est un jeu où t'es avocat, et tu dois protéger des gens contre les méchants. Et moi plus tard, j'serais avocat, tu vois. Et puis j'm'appelle Timéo.
Son air assuré plut à Nathan qui se présenta à son tour. Tous les deux près d'un arbre caché, là ou personne ne pourrait les trouver, ils jouaient à la console. Timéo brisa le silence qui s'était installé.
- Pourquoi t'es là, toi ?
- On vient d'habiter à Rosyères et je veux pas.
- Pourquoi ?
- Parce que y a plus mon papa. Alors je me suis échappé. Mais j'ai pas envie d'en parler.
Timéo acquiesça d'un hochement de tête, les yeux rivés sur sa console et enchaina.
- Moi je suis là parce que mes parents m'embêtent. Ils ont plein d'argent et des fois j'aime bien voir la nature. Regarda là-bas !
Ils quittèrent les yeux de l'engin électronique et regardèrent une petite Nirondelle, le bec penché sur une baie. Timéo sortit une PokéBall, sous le « Woooow... » émerveillé de Nathan quant à la bestiole.
- T'as quoi comme Pokémon ? demanda Timéo.
- Un Caninos, et toi ?
- Un Dinoclier, et mon papa va m'offrir un Tygnon bientôt, répondit-il tout en s'approchant très doucement du Pokémon.
Timéo se retourna, et sourit à son nouvel ami avec beaucoup de complicité.
- Ça va marcher, tu vas voir !
Il siffla un son assez étrange, et le Nirondelle se retourna, intrigué. Timéo jeta la PokéBall en sautant. Nathan le regarda en pencha la tête, surpris.
- Ils font pareil à la télé !
La Ball cliqueta, et le Pokémon fut capturé en un coup. Timéo confia la console à son nouveau copain, courut, joyeux jusqu'à la grosse sphère rouge et blanche trop grande pour lui et appuya sur un bouton. Elle se rétracta. Il revint vers Nathan, tête baissée comme tous les enfants, puis lui donna la Ball et reprit la console.
- Wow... C'est pour moi ? Fallait pas !
- Si. Parce que comme ça t'es obligé de devenir mon ami ! s'exclama-t-il avec un sourire en coin.
Nathan le regarda, de plus en plus interloqué par ce garçon, puis il passa son bras sur l'épaule de Timéo en ricanant.
= =
- Moi, j'ai beau être un ninja, j'ai jamais rencontré un copain comme ça.
L'adulte sourit franchement, comme il ne l'avait pas fait depuis un moment. Son sourire s'affaiblit, alors qu'il fixait un point inconnu.
- Tu vois, ce gars dont je t'ai parlé, c'est le genre d'ami dont t'as besoin si tu veux pas devenir...
- Devenir quoi ?
Nathan se releva, triste.
- Non rien, laisse tomber.
Il s'avança vers le panneau indiquant Clémenti-Ville, les mains dans les poches de son jean. Il se retourna et fixa le petit garçon au filet.
- En tout cas, j'espère que tu as des amis, t'en auras besoin dans cette vie.
- Promis, j'en trouverais pleins !! Et t'en est un à moi maintenant !
= =
La maison Lacklaye n'est pas une maison comme les autres. C'est THE maison. Avec une grande allée menant à deux garages : l'un pour le 4x4 des parents, l'autre pour la Porsche de Serah, leur fille. C'est la maison à deux étages, la maison réservée au champion de l'arène locale, car lui seul peut se permettre de payer une telle baraque. Nathan, au bras de sa mère, se dirigeait avec un petit sourire timide vers l'entrée. Il apercevait en retrait à l'arrière de la maison, la piscine creusée dans laquelle il avait du se baigner des dizaines et des dizaines de fois avec Tim et Serah les étés scolaires.
- Puisque Timéo n'est pas là, ça sera l'occasion de papoter avec Serah ! sourit sa mère tout en avançant.
- Je la vois un peu toutes les semaines donc... répliqua-t-il.
Un Grahyena arriva en courant du jardin et commença à aboyer. La porte de la maison s'ouvrit avant même que Nathan ne puisse sonner. Elle laissa place à Norman, le champion d'arène, également maire de la ville, puis père de Timéo. Un homme important, sommes toutes. Juste derrière apparut Alizée, qui s'appuya sur l'épaule de son mari. Bien que reconnue à chaque coin de rue pour avoir été la championne de Cimetronelle, elle avait décidé de tout quitter, et de venir habiter avec Norman.
- Nathan ! Ce que ça fait plaisir de te voir ici !
- Moi aussi Norman, ça me fait plaisir, répondit-il.
- Comme je savais que tu venais, je t'ai fait ton plat préféré ! sourit Alizée.
- Poulet indien ! Oh, tu as mis la veste que je t'ai achetée !
Nathan releva la tête, alerte en entendant cette voix féminine. Une grande jeune femme, blonde, les cheveux très longs ondulés, ses yeux marrons enjolivés de beaucoup de mascara, sa bouche pulpeuse et le sourire aussi éclatant que son frère : Serah. Habillée d'une avec une robe bustier noire arrivant juste en dessous de ses fesses, et des talons aiguilles interminables, Nathan eut un sourire agacé de constater qu'elle était toujours aussi superficielle. Elle est plus jeune que Timéo de deux années. Elle l'enserra et planta ses lèvres sur sa joue.
- Tu m'as FORCÉ à l'acheter, nuance ma chère... dit-il sur un ton amusé.
- Oups, je t'ai mis du rouge à lèvres ! ricana-t-elle en l'essuyant avec son doigt manucuré. Je t'ai préparé une autre tenue ! Tu me diras ce que tu en penses !
Les deux familles rentrèrent dans la maison. Malgré le fait que d'extérieur, on croira à une maison des plus grandes stars, elle était très épurée dedans : pas de trace excessive de la richesse des parents. Tout était d'excellente qualité en revanche, tout était acheté dans des magasins inaccessibles pour Maria, par exemple. Ils tournèrent directement sur la droite pour entrer dans le salon, un salon dans les couleurs cuivrées, où une grande table en verre était déjà toute préparée : assiettes creuses dorées, verres en cristal, mais Nathan fut tout de suite attiré par l'odeur qui flottait des épices étrangères ainsi que le gros plat qui prenait un quart de la table : le fameux poulet indien.
- Oh Arceus, ça sent tellement bon Alizée !
- Je l'ai aidée !
Serah passa sa main dans le dos de Nathan qui frémit, puis elle lui retira presque langoureusement sa veste.
- Chérie, tu le gênes ! sourit Norman, amusé de l'attitude permanente de sa fille.
- Désolée papa ! Tim est pas là, alors j'en profite ! dit-elle en tapotant le nez de Nathan de son doigt.
- Seraaaaah... grommela l'intéressé.
Elle continuait de rire, tout en accrochant la veste de costume de son ami. Serah est styliste, ou du moins elle fait ses études de stylisme. Elle a déjà été remarquée par des grands du domaine, et a donc souvent l'occasion d'obtenir gratuitement des vêtements, ou des accessoires pour Pokémon. Et Nathan fait partie des privilégiés. La relation entre Serah et Nathan a toujours amusé les parents, déjà de par l'attitude très ouverte de la jeune femme, qui n'a jamais caché son attirance pour « le copain trop craquant de son frère. » En même temps, Nathan et Timéo étaient sérieusement considérés comme les playboys auprès de leurs camarades. Avec quelques autres amis, ils formaient THE bande rêvée. Timéo était le plus extraverti, celui qui souriait à chaque fille quand il passait dans son modèle de collection décapotable rouge, qui aimait draguer de tous les côtés. Nathan, et ça se ressent, était le plus en retrait du groupe : même s'il ne dépréciait pas de plaire, il cherchait une relation sérieuse. Et c'était ce caractère qui plaisait beaucoup par rapport aux autres plus vantards. Néanmoins, Nathan savait s'amuser avec Tim. D'où la possibilité d'avoir pu rencontrer Nelly, avec qui il a passé 4 ans, de ses 15 ans à 19 ans.
Chacun prit sa place et ils commencèrent à diner en riant grassement. Ils parlaient comme d'habitude de l'arène de Norman, et aujourd'hui, ils s'attardaient particulièrement sur le cas d'une jeune de onze/douze ans qui s'était mise à pleurer tellement ses nerfs étaient tendus.
- Elle m'a fait son gros caca nerveux, et Vigoroth était tellement choqué qu'il se retournait pour pas qu'elle le voit rire ! s'exclama Norman, au bord des larmes.
- Sinon Nathan, comment ça marche le boulot ? demanda Alizée pour calmer les rires. Tes Pokémon s'en sortent ?
Lui qui depuis dix minutes ne faisait qu'avaler avidement le poulet, et qui se resservait pour la troisième fois, haussa les sourcils à l'entente de son nom. Il termina sa bouchée.
- Oui, ça se passe. En ce moment c'est un peu mou, on a résolu une banale affaire de meurtre, sans plus. Ça devient lourd quand il y a pas de suspens dans notre boulot. Et oui, mes Pokémon vont très bien, ne t'en fais pas pour eux.
- Tu sais, il vaut mieux ne pas avoir trop de travail dans ton métier, ça signifie des morts et des disparus, c'est triste... déclara Norman.
- Pas faux, ajouta Maria.
Il ne répondit pas et se remit à ingurgiter son repas. Serah le regardait, lui jetant de flagrants coups d'œil.
- Tim t'a dit qu'on devait se retrouver mardi pour faire les magasins ?
Le poulet passa difficilement et il dut se racler la gorge.
- Euh... Non ? T'entends quoi par « faire les magasins » ??
- Te trouver des fringues autres que tes débardeurs noirs, tes jeans et tes converses.
- Mes converses sont très belles. Ce sont des Chuck Taylor, dit-il froidement.
- Merci je connais le modèle, chéri ! rétorqua Serah.
Il n'arrivait même pas à faire son cynique face à cette fille, trop déroutante pour lui. Norman se leva sur un air de défi et se positionna en guerrier.
- Ça te dit un petit combat, fiston ?
Il ne lui fallut pas deux secondes avec de constater l'air bougon du meilleur ami de son fils.
- Dois-je prendre ça pour un non ?
- ... Tout à fait. Tu sais que les combats, c'est pas trop mon truc.
- Tu as tort Nathan.
Ce dernier haussa les sourcils, dubitatif. Norman l'amena près de lui afin de le faire asseoir à l'écart sur le canapé, pendant que les femmes s'occupaient du reste.
- Est-ce que tu te rends compte que tu es plus puissant que mon fils, et que tes Pokémon sont très bien entraînés ?
- Je les entraîne seulement pour qu'ils gardent la forme, et en cas de conflits avec les personnes liées dans les affaires, sans plus.
- Et bien moi, je te conseille d'en faire plus. J'ai l'œil pour les gens qui ont du talent, et tu en as. Arrête de te sous-estimer, et de vouloir payer les erreurs des autres !
- Je ne paye pas les erreurs des autres ! contesta Nathan, sur la défensive.
- Si, tu refuses de tenter des choses par rapport aux erreurs de ceux qui t'entourent...
Nathan se releva, adressa un maigre sourire à Norman, et partit vers la salle à manger. L'homme soupira en regardant tristement le jeune.
= =
Pashmilla, le Pokémon de Maria, agitait sa longue queue en panache pour lisser la couverture sur le lit de Nathan. Sa chambre était restée intacte après son départ à 18 ans. Pour intégrer l'école de formation d'agents au B.I.C, il avait réservé une chambre universitaire où il avait rencontré énormément de gens. Il y avait très peu de filles dans cette école, et les seules qui y étaient, avaient un caractère bien trempé, comme Camille. La chambre de Nathan avait toujours conservé un esprit enfantin : bleue, avec beaucoup de posters, notamment de Tanguy, le champion de Rivamar, qui est l'idole de Nathan. Il avait déjà pu le rencontrer une fois alors qu'il était petit : parti en voyage en famille à Floraville, les parents avaient accepté de faire un détour pour aller à Rivamar. Tanguy avait été très gentil, très souriant et avait pris une photo avec Nathan. Cette photo était dans son appartement aujourd'hui. C'était tout ce style de souvenirs qui remontaient et lui saisissaient la gorge. Toutes ces parties de son enfance, celles qu'il avait aimées s'additionner dans sa tête et l'obnubilaient. La seule chose qu'il demandait, c'était d'aller de l'avant, mais c'était impossible. Trop de questions restaient en suspens, et Nathan ne supportait pas cette situation. Ça semblait plus facile pour lui d'enquêter sur les autres plutôt que de résoudre ses problèmes. Curieusement paradoxal pour un agent hors-pair.
Beaucoup de figurines de Pokémons dormaient tranquillement sur les étagères collées au mur, seule une lampe en forme de SuperBall au plafond éclairait la pièce. C'était une modeste chambre d'adolescent replié. La douleur lui assaillit le ventre quand il se glissa dans les draps frais, le petit lit une place impeccablement tiré troquant son grand lit deux places avec sa grosse et lourde couette blanche qu'il aimait enrouler autour de lui. Comme à son habitude, il se mit à fixer le plafond, triste de ne pas pouvoir sentir ses Pokémon contre lui.
= =
Ça faisait du bien de passer du temps avec sa mère. Nathan était en train de réparer le voile d'ombrage abritant la terrasse à l'aide d'Heledelle, qui après de longues minutes de discussion, a été tolérée.
- Si elle touche à mes plantes, elle entendra parler de moi ! grommela Maria en tapotant affectueusement l'oiseau.
- Il lui suffit de te faire un Aeropique et tu pourras plus faire grand-chose...
Heledelle lui donnait les vis et il travaillait sous le soleil écrasant. Maria l'observait, le sourire aux lèvres, une casquette vissée sur la tête.
- Il faudra que tu repasses bientôt ! sourit sa mère, les bras croisés.
- Je suis même pas parti que tu parles déjà de revenir !
Elle ricana, tranquille. Son fils était là. Il manquait des personnes, mais lui était là. C'était tout ce qui comptait à présent, et pour ça elle se sentait sereine. Tout en travaillant, il lui adressa quelques mots.
- Je suis content de savoir que tu vois du monde...
Nathan arrêta de visser avec sa perceuse et se tourna sur son échelle, de manière à voir sa mère.
- ... Tu vois, j'avais peur que tu te renfermes de plus en plus, que tu cherches à te retirer du monde extérieur. Mais au final, tu vois du monde, les parents de Tim, ce... Charles, et tout. C'est bien !
Elle prit place sur une chaise en oseille, et observa son fils. Elle sourit.
- Je suis épanouie, effectivement. Je me sens très bien, Nathan, ne te fais pas de soucis pour moi ! Tout va très bien.
« Tant mieux pour toi. » songea-t-il, envieux.
- Papa a été un bel enfoiré. Partir...
Une expression vint tordre le visage de Maria, comme si ce qu'il avait dit était un coup de poignard. Les enfants ont besoin de dire ce qu'ils pensent, et il était normal qu'il sorte ça. Nathan se pinça les lèvres, peu fier de lui, et se remit au travail. Sa mère proposa d'aller lui faire un café. Il accepta avec le plus grand des plaisirs.
Une sonnerie se fit entendre.
- Chéri, ton téléphone sonne...
- Bonjour, je suis sur une échelle, veuillez rappeler ! mima Nathan, la perceuse en main.
Maria soupira en balançant les épaules en avant, d'un air de Flagados. Elle se dirigea vers la table et prit le portable.
- C'est... (elle mit ses lunettes) Dick Nantelieu.
Nathan secoua la tête dans tous les sens, alerté.
- C'est bizarre, il sait que je suis pas de service ce week-end pourtant, si y a bien une chose sur laquelle il est fidèle, c'est les jours de repos tranquille !
Il descendit à la hâte de l'échelle, pendant qu'Heledelle lui ramenait le téléphone. Il décrocha, après s'être raclé la gorge.
- Agent en congé, bonjour.
- Corwyn.
Le ton était froid. Nathan écarquilla les yeux, surpris et pris de court. Vous savez, des fois vous prenez le combiné et vous devinez rien qu'à la voix que la personne à l'autre bout du fil est blafarde, le souffle coupé. Il comprit de suite qu'il y avait soit un problème grave au bureau, soit une affaire nécessitant l'équipe complète. Il eut le pressentiment que cette fois, ça allait être du lourd.
- Qu'est-ce qu'il y a boss ?? s'alarma Nathan.
- Tu te rappelles toi qui voulais un peu d'action ces derniers temps, par rapport aux petits meurtres qu'on a...
Le grand brun ne voyait pas trop où il voulait en venir, mais il acquiesça.
- Ben ramène-toi. Il s'est passé quelque chose de pas joli-joli vers Lavandia.