Chapitre 43 : Babil
Newton courait. Il courait à en perdre haleine. Après être tombé, il avait eu très mal à l'antérieur droit. Maintenant, il ne le sentait plus, ce membre. Il se rendait bien compte qu'il n'arrivait pas à le plier tout à fait normalement, que son galop était bancal. Cela n'avait pas d'importance, parce qu'il avait cette certitude au fond de lui : s'il s'arrêtait, il lui arriverait quelque chose d'horrible. Il décocha une ruade, pour protester contre cette boiterie. La douleur revint, quand il s'appuya trop fort sur son sabot. Mais cela ne l'empêcherait pas de repartir, toujours vers l'avant. Il avait perçu le tremblement du sol avant de partir. Il s'était senti bizarre. Son instinct avait pris le dessus et lui avait commandé de s'enfuir le plus vite possible. Alors il galoperait encore, jusqu'à ce que cette sensation de peur l'ait quitté totalement.
Il descendit le long du chemin. Il ne le reconnut même pas, alors qu'il venait de l'emprunter dans l'autre sens. D'ailleurs, il ne se souvenait plus par où il était passé. Mais après tout, ce n'était pas grave, il fallait juste qu'il s'éloignât. C'était chose faite. Le cheval enflammé ralentit progressivement. Il prit le trot et pivota sur ses antérieurs, se retournant vers le sentier qu'il venait de dévaler. Il dilata les naseaux. Aucune odeur, aucun son, à part celui du vent. Alors, il réalisa. Il était sauvé, sans aucun doute, mais il était perdu. Son humain, ses compagnons... Il ne retrouvait pas leur trace. Il fit quelques pas vers le sentier. Il avait peur de remonter, même si son instinct ne lui dictait plus son comportement. Puisqu'il ne pouvait rien faire, il entreprit de chercher à manger.
Newton relâcha ses épaules, souffla bruyamment. Son encolure descendit jusqu'à ses sabots, pour qu'il pût sentir le sol. Il marcha un peu, dans un sens, dans l'autre, jusqu'à enfin trouver la précieuse herbe qui dépassait. Il l'attrapa entre ses lèvres et la mâcha avec nonchalance. Il reproduit l'opération plusieurs fois. L'herbe était rare par ici. Quand il avait épuisé une zone, il trottait un peu pour s'éloigner et pour se détendre, aussi. La nourriture lui faisait du bien, cela l'apaisait de se laisser aller ; pourtant, il se sentait psychologiquement bancal.
Le cheval de feu connut alors un sentiment nouveau. Il se sentit seul. Avant, il avait eu plusieurs fois envie de s'enfuir au galop et d'être enfin tranquille. Mais maintenant qu'il l'avait fait, la présence des autres lui manquait. Surtout ses nouveaux compagnons, ceux-là étaient très gentils avec lui. Il réalisa qu'il se sentait bien avec eux, bien mieux qu'avec ses anciens maîtres avec lesquels il n'était finalement déjà pas si mal. Avec Vassili, il avait l'impression d'exister. Il était devenu un Pokémon, il le sentait. Il était traité au même plan que ses autres compagnons. Il n'avait plus l'impression d'être un être à part, systématiquement mis à l'écart.
Le cheval de feu mangea encore un peu. Il releva la tête, dressa les oreilles, dilata les naseaux. Ca ne sentait rien. Il manquait l'odeur des Pokémon, le bruit d'Eclair-de-Liberté et Vassili. Surtout, il manquait ce sentiment de sécurité et de bienveillance. Pour la première fois de sa vie, Newton prit une vraie décision. Il allait retrouver ses amis. Ce fut à ce moment aussi qu'il s'en rendit compte : il y avait enfin des personnes qui comptaient pour lui. En réalité, il ne savait pas pourquoi il avait envie de les retrouver. Il se sentait bien avec eux, mais pourquoi ne se serait-il pas bien senti aussi sur cette montagne ? Il hésita encore un peu... Encore une fois, il eut une révélation. Il n'avait aucun but, il suivait. S'il décidait de rester là, que ferait-il, qui suivrait-il ? Probablement rien. Alors, au moins pour s'occuper et parce qu'il savait que cela lui ferait plaisir, il se mit en route.
Newton se lança au petit trot sur les cailloux. Il avait vraiment mal à son antérieur droit. Une fois celui-ci refroidi, le remettre en mouvement lui causait une vilaine douleur. Le cheval enflammé pliait difficilement son membre abîmé. Il hennit, tenta d'appeler : « Vassili ? ». Comme il n'y eut pas de réponse, il partit. Il marchait, péniblement. Son encolure se balançait d'avant en arrière, de droite à gauche. La misère du monde semblait reposer sur ses épaules. Son pas irrégulier résonnait sur le sol dur. Parfois, il butait, à cause de sa douleur. Il poussait alors un petit son de mécontentement puis il repartait le long du chemin. Il ne savait pas où il allait, puisque son instinct l'empêchait encore de faire demi-tour par l'autre route. Régulièrement, il appelait ses compagnons, tour à tour. Le seul nom qu'il ne connaissait pas, c'était celui de la Migalos. Cela ne l'empêchait pas pour autant de crier « Galos ? ». Il lui avait semblé entendre quelque chose de ce genre pour la désigner.
Le Ponyta longea le flanc de la montagne sur une grande distance. Il aperçut une grande ombre dorée, étincelante, qui descendait du ciel. Il s'arrêta. Son antérieur valide se leva par réflexe, il était prêt à repartir dans l'autre sens. Un Stalgamin, un peu timide, sortit sa tête de derrière un rocher. Newton l'interpela :
...............- Qui ? dit-il hésitant.
...............- Là-haut, c'est l'oiseau de feu sacré, répondit-il comme si c'était l'évidence même. On ne le voit pas souvent... Tu as de la chance qu'il soit de passage quand tu es là, étranger au corps de feu !
...............- Ho-Oh... Amis allés là-bas. Comment rejoindre ?
...............- Je ne sais pas comment on peut l'atteindre, je ne l'ai jamais vu de plus près. Je ne pense pas que ce soit possible. Déjà de là, il est très impressionnant ! Quand j'ai l'occasion de l'apercevoir, je me risque à sortir un peu de ma cachette, c'est un spectacle captivant.
...............- Revoir, conclut Newton poliment.
Le cheval enflammé se surprit lui-même. Il arrivait à communiquer avec les autres Pokémon ! Cela faisait un moment qu'il arrivait à comprendre plus ou moins ses compagnons, mais il n'avait jamais pensé qu'il eût pu leur faire passer un message par la parole. Un sentiment de fierté l'envahit progressivement. Il était un vrai Pokémon ! Plusieurs fois, il s'était demandé s'il était de la même catégorie que ceux qu'il poursuivait parfois, commandé par un humain. Il savait qu'il n'était pas un de ces êtres à deux pattes. Sinon, il aurait été traité comme eux. Mais il n'était pas non plus considéré comme un Pokémon. Maintenant, il avait une réponse. Il avait découvert, en s'adressant à ce petit être de Glace, qu'il était bien l'un d'entre eux. Le fait d'avoir trouvé son identité lui faisait plaisir. Pas qu'il l'eut cherchée assidument et que ce fut un aboutissement. C'était simplement quelque chose de nouveau qui lui semblait positif.
Par contre, au niveau de la recherche de ses amis, Newton n'était pas plus avancé. Personne ne semblait savoir comment rejoindre cet oiseau de malheur. Alors, pourquoi Vaillant-Rescapé avait-il l'air si sûr de lui ? Il y avait forcément un moyen. Alors il se remit en route, toujours en claudiquant. Un Rhinoféros sortit d'une fissure, juste devant l'équidé. Celui-ci contracta la croupe, se braqua. Puis, finalement, il resta. Il se contenta de lever la tête et de placer tout son poids à l'arrière, néanmoins prêt à s'enfuir si la situation le demandait. La raison pour laquelle il avait résisté à la peur était simple : il avait la nécessité d'obtenir des renseignements.
...............- Où Ho-Oh, te plaît ?
...............- L'oiseau sacré est en haut. Il est descendu parce qu'il y a des intrus. J'espère qu'ils ne venaient pas pour le capturer. En tout cas, ils n'ont pas essayé de nous affronter directement. Ils ne sont peut-être venus que pour l'oiseau. Ils visent haut. Mais méfie-toi des humains, petit Ponyta. Comme tu boites, tu es une proie facile ! Ils risqueraient de te capturer ! Il vaudrait mieux que tu attendes que ces intrus soient redescendus, si tu veux monter !
...............- Amis à moi. Trouver eux. Où, te plaît ?
...............- Tu parles bizarrement, c'est parce que tu viens de loin ? demanda le Rhinoféros, se demandant si les Pokémon du bas n'étaient pas civilisés.
...............- Sais pas.
...............- Viens, je vais te montrer un chemin. Mais je ne m'approcherai pas de l'oiseau sacré. Il est bien trop fort, je ne veux pas entrer sur son territoire. Tu ferais mieux d'en faire autant, c'est plus sûr. Tu pourras attendre tes amis dans notre grotte...
...............- Merci. Gentil toi.
Le Rhinoféros attendait patiemment le Ponyta lorsqu'il avait du mal à monter à cause de sa douleur. Il le surveillait d'un air bienveillant, se sentant un peu responsable de lui. Il avait l'impression qu'il se devait d'aider les plus faibles, surtout quand ceux-ci ne risquaient pas de le menacer. Après tout, c'est ce que sa mère avait fait quand elle avait recueilli Akkia, la petite Phanpy, dont les parents avaient été traqués par les humains. On ne trouvait pas beaucoup de Donphan sur le Tagne, alors si, en plus, les dresseurs les capturaient tous... Cela énervait beaucoup le Rhinoféros. Il n'aimait pas qu'on s'attaquât aux habitants de sa belle montagne. Maintenant, il considérait Akkia comme sa vraie sœur. Si un seul humain s'avisait de ne toucher ne serait-ce qu'à un de ses poils, il était bien décidé à le réduire en bouillie.
Les deux Pokémon s'engouffrèrent dans un petit tunnel pour accéder à l'intérieur de la grotte. Newton se sentait en sécurité en compagnie du géant de pierre. Il arriva dans une cavité où il faisait très chaud. Il appréciait beaucoup cette température. La petite Akkia déboula de nulle part, déclenchant un écart de la part du Ponyta.
...............- Qui c'est, lui ? demanda la jeune Phanpy.
...............- Il veut rejoindre ceux qu'on a poursuivis tout à l'heure. Il boite, alors j'ai pensé qu'on pourrait l'héberger le temps qu'il retrouve ses amis.
...............- Mais, ce ne sont pas les méchants qui sont venus capturer Ho-Oh ?
...............- Même si c'est le cas, je doute que ce Ponyta y soit pour quelque chose. Je ne pouvais pas le laisser tout seul dans la montagne, quand même ! répondit le grand frère.
...............- Pas capturer. Gentils. Veulent lui fin guerre. Vassili aime.
...............- T'es marrant, toi ! commenta Akkia qui tournait déjà autour du nouveau venu.
...............- Maman ?! hurla le Rhinoféros. On a un invité qui s'est perdu !
Une voix lointaine répondit. La grande Rhinastoc arriva ensuite, un grand sourire aux lèvres, pour souhaiter la bienvenue au nouveau venu.
...............- Il était avec ceux qu'on a poursuivis, informa le Rhinoféros. Il parle difficilement, mais apparemment, ils n'étaient ni venus pour chercher des Phanpy, ni pour capturer Ho-Oh. C'est une histoire de guerre, ou je ne sais pas trop quoi.
...............- Bienvenue. Je suis désolée de t'avoir fait fuir si rapidement. Tu étais avec un humain, alors on a eu peur. J'espère que tu vas les retrouver. Ca ne te dérange pas d'être avec eux ? Tu sais, tu peux rester là si tu veux, maintenant que l'humain t'a perdu, tu es libre !
...............- Non. Amis. Sinon seul.
...............- Mais non, il y a plein de Pokémon ici, profites en pour être avec des gens comme toi, dit Akkia.
...............- Vassili moi aider. Lui aider.
...............- Tu l'aimes bien ? demanda le deuxième Rhinoféros, sans trop comprendre ce que son interlocuteur avait essayé de lui dire.
...............- Oui, gentil.
...............- Alors on va le chercher pour toi. Quand on l'aura trouvé, on viendra te prévenir pour que tu les rejoignes. Parce que je ne sais pas ce qui va se passer avec Ho-Oh, prévint Rhinastoc.
...............- Pas morts ?
...............- Non, je ne pense pas. Mais moi, je ne monte pas, je ne suis pas folle ! On va attendre qu'ils redescendent. Il n'y a pas cinquante chemins... Installe-toi, fais comme chez toi.