Chapitre 42 : Tunnel
J'ouvris les yeux. Vassili était assis à côté de moi, la tête d'Eclair-de-Liberté reposait sur ses genoux. Terreur-des-Hommes était couchée derrière notre humain, elle parlait avec le Marcacrin. Ils remarquèrent très vite que je m'étais réveillé.
...............- Ça va ? demanda notre humain.
...............- T'es vivant ! s'exclama l'Elecsprint.
...............- Bon retour dans le monde réel, continua Terreur-des-Hommes.
...............- Ne t'en fais pas, ça ne fait pas longtemps que tu es K.O., me renseigna Niryo.
Je fis un petit signe de la tête pour rassurer Vassili. Celui-ci me tendit un morceau de viande séchée, que je mâchonnai longuement. Je me sentais mal, avec un horrible mal de crâne. Si j'avais pu faire la sieste, je n'aurais pas hésité.
...............- Tu étais devant, au moment où les Gravalanch ont explosé, expliqua Terreur-des-Hommes. Si Niryo n'avait pas eu le réflexe de mettre un mur de glace, nous serions tous morts. Eclair-de-Liberté s'est aussi évanoui, il vient de se réveiller. Vassili a des énormes coupures, je les ai vues tout à l'heure. J'ai eu de la chance : je n'ai rien eu.
...............- Où sommes-nous ? demandai-je en réalisant que je ne voyais pas le ciel.
...............- L'explosion a fait une brèche dans la paroi. Nous nous sommes réfugiés ici pour échapper aux Pokémon enragés dehors. Quand ils nous ont vus rentrer, heureusement, ils ne nous ont pas poursuivis. C'est peut-être un peu trop bas de plafond pour eux... En tout cas, tu pourras remercier Vassili qui t'as tiré jusque-là, toi et Eclair-de-Liberté.
...............- Je n'y manquerai pas, répondis-je avec une ironie non feinte dans la voix.
...............- A vrai dire, commenta Niryo, je crois que nous avons eu de la chance. Il se peut grandement que cette cavité communique directement avec la grotte que nous cherchions. D'ailleurs, je me demande même si ce n'était pas la seule issue. Les humains ne l'ont jamais trouvée, le fait qu'il n'y ait pas d'entrée pourrait bien en être la raison. Quant aux Pokémon, je ne dirais pas que ce sont des gardiens, mais il est fort probable qu'ils soient la raison pour qu'aucun humain ne soit ressorti vivant d'ici. Je doute que nous n'ayons pas de nouveau affaire à eux si nous progressons dans cette grotte.
...............- Enfin, si nous voulons voir Ho-Oh, il nous faut passer par là, rappelai-je.
...............- En effet. Il nous faudra donc trouver un moyen de nous prémunir contre les Pokémon, car je doute fort que nous soyons assez puissants, même tous ensemble, pour les vaincre.
...............- Je vais y réfléchir, fais-moi confiance, rétorquai-je. Nous passerons.
...............- On n'a pas retrouvé Newton, murmura Vassili. J'espère qu'il va bien. Il boitait quand il est parti à toute allure !
Je me levai pour nous mettre en route. J'aurais bien le temps de trouver un moyen d'échapper à Rhinastoc sur le chemin. De toute façon, j'étais un adepte de l'improvisation. Je ne pus m'empêcher de penser à Obscur-Balafré qui nous aurait surement suggéré de foncer et de nous battre au cas où. Je me dis que pour l'instant, j'allais suivre ce conseil, faute de mieux. Je ne voulais surtout pas perdre de temps, alors que je sentais que nous touchions presque au but.
Il régnait dans la grotte une lueur rougeâtre, vacillante, comme celle du feu. Cela ne pouvait que nous rassurer. Il faisait de plus en plus chaud au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans la montagne, sans doute l'œuvre du Pokémon de feu. Je fus frappé par la régularité des parois. On aurait dit que la cavité avait été creusée par une énorme boule qui se serait enfoncée dans la roche. Je supposais qu'il s'agissait peut-être d'un Gravalanch ou d'un Grolem qui avait réalisé cet habitat pour Ho-Oh, à sa demande. Le chemin montait vers le sommet du Tagne. Je réalisai soudain que quand je m'étais réveillé, je n'avais pas vu d'ouverture.
...............- Par où sommes-nous entrés ?
...............- Les Rhinoféros ont condamnés l'entrée avec un Eboulement. Il nous faudra trouver une autre sortie.
...............- Voilà qui est... rassurant... commentai-je.
La discussion s'arrêta là. Tout le monde était visiblement gêné par cette intervention. Nous n'avions de plus aucun moyen de fuir si les Pokémon enragés décidaient de nous courir après à travers la grotte. Ce qui ne tarda d'ailleurs pas à arriver. J'entendis la voix caverneuse du Rhinastoc, au-dessus de nous. Je doutai que nous eussions plusieurs possibilités d'itinéraires. Il était malin : une fois notre entrée condamnée, nous étions contraints de passer par là. Il n'avait qu'à nous attendre, pas besoin pour lui de se fatiguer à venir nous chercher. Niryo s'arrêta net.
...............- Il est hors de question que nous allions à sa rencontre.
...............- Comment veux-tu faire, alors ? demandai-je. Nous sommes obligés de prendre le chemin. A moins que tu ne saches creuser dans la roche... De toute façon, nous ne pouvons pas faire demi-tour et ça m'arrange bien, car je compte voir Ho-Oh.
...............- Les morts ne voient plus, affirma Niryo.
...............- Ce n'est pas raisonnable de l'affronter face à face, continua Terreur-des-Hommes.
...............- Je ne vois pas comment faire d'autre, mettons au point une tactique de combat. Nous sommes forts.
...............- Et nous sommes à trois contre trois, s'ils n'ont pas d'autres coéquipiers. Niryo ne combat pas et Eclair-de-Liberté ne sera pas très efficace. Newton a disparu... Puis la Roche nous fait atrocement souffrir, rappela la Migalos.
...............- Nous avons Vassili, informa Eclair-de-Liberté.
...............- Nous sommes donc à quatre et demi contre trois, dis-je.
...............- Quatre et demi ? s'étonna Niryo.
...............- Tu comptes pour une moitié quand même ! C'est toi qui a fait le mur de glace tout à l'heure !
...............- Ah, je pensais que c'était pour Vassili que tu disais cela...
...............- Alors, on fait comment ? relança l'Elecsprint qui voulait changer de sujet, voyant les problèmes se profiler.
...............- On avance, affirmai-je comme si c'était une évidence.
Je me relevai, un peu tremblant. Je me sentais encore faible, les muscles et le corps douloureux à cause de l'explosion. Je devais bien avouer que le possible affrontement contre Rhinastoc me glaçait le sang. Je savais aussi pertinemment qu'il serait plus que difficile. Nous pouvions tout de même espérer gagner, je n'excluais pourtant pas que ce fût au prix de pertes. Je voulais donc me montrer optimiste afin que les autres ne reculassent pas devant le danger. Même s'il ne restait au final qu'un d'entre nous, il pourrait aller parler à Ho-Oh. Le sacrifice de ses partenaires serait alors la preuve de sa détermination, donc un argument de poids pour appuyer sa demande auprès de l'oiseau de feu. J'étais seulement déçu d'avoir à risquer ma vie loin de ma forêt, sans que personne ne sût jamais que j'œuvrais pour notre cause. J'aurais rêvé d'une fin plus glorieuse, du moins, plus remarquée. Je m'approchai d'Eclair-de-Liberté, pour lui glisser du ton le plus doux que je pusse :
...............- Fais attention si on se bat contre Rhinastoc. Tu ne peux pas lui faire mal. Reste en arrière le plus possible, ou encore mieux, cours et continue le chemin. Il faut absolument que tu dises à Ho-Oh que la forêt a besoin de lui pour arrêter la guerre.
...............- Non, non, non ! Je ne continuerai pas le chemin sans Vassili !
...............- Ne t'en fais pas pour lui – ni pour nous, au cas où tu y aurais pensé aussi. Nous te rejoindrons après. Il faut te mettre à l'abri... Pour te faire plaisir, je peux même t'assurer que si je garde Vassili avec moi, c'est que nous aurons bien besoin de lui pour gagner !
...............- Content de te l'entendre enfin dire, commenta Eclair-de-Liberté qui avait soudain retrouvé le sourire. J'irai voir Ho-Oh, si je peux, pour lui. Mais vous ferez vite, promis ?
...............- Promis, affirmai-je non sans un pincement au cœur.
Je voulais absolument qu'il n'eût aucune hésitation au moment de nous quitter si cela devait arriver. Seulement, lui promettre de le rejoindre me posait problème. J'exécrais le mensonge. Terreur-des-Hommes remarqua mon embarras et en connaissait la raison. Elle était néanmoins aussi déterminée que moi et ne dit donc rien.
Inconsciemment, nous avions tous ralenti le pas. Nous entendions de plus en plus près la voix du colosse de pierre, qui semblait fort excité. Parfois, un grand choc nous faisait sursauter : sans doute se défoulait-il contre la paroi de la grotte. A d'autres moments, l'un d'entre nous se retournait brusquement, croyant que nous étions suivis. Ce n'était heureusement pas le cas. Niryo restait derrière, très attentif à tout notre environnement. Soudain, il nous appela. En entendant mon nom, ma respiration se bloqua. Quand enfin je réalisai que ce n'était que notre ami Marcacrin, je me détendis un peu. Je me retournai. Le Pokémon poilu fouillait contre la roche avec son nez.
...............- La roche est friable ici. On doit pouvoir creuser pour passer par là. Je ne sais pas où cela mène, mais je suis au moins sûr que Rhinastoc ne peut pas s'y engouffrer. Même Terreur-des-Hommes et Eclair-de-Liberté vont devoir se faire petits.
...............- J'y vais, annonça Eclair-de-Liberté, enjoué.
Trop heureux de trouver une échappatoire, l'Elecsprint entreprit de retirer la terre de l'intérieur du boyau. Il s'y faufila, baissé au maximum. Je repliai mes ailes contre mon dos pour me glisser à mon tour dans le passage providentiel. Malgré la sensation d'être à l'étroit, je me sentais parfaitement libre : le soulagement prenait largement le dessus sur l'inconfort de la position. Nous poursuivîmes notre excavation plusieurs heures. Le boyau était obstrué par endroits seulement. Eclair-de-Liberté devait alors creuser pour nous libérer la place. Il rejetait la terre derrière lui, le suivant en faisait de même et ainsi de suite jusqu'à ce que nous soyons tous en mesure d'avancer. L'Elecsprint se plaignit plusieurs fois d'avoir mal aux pattes à cause du frottement et de l'effort musculaire. Bien que beaucoup plus petit, Niryo semblait souffrir au moins tout autant, mais lui ne dit rien. Nous dûmes cependant l'attendre plusieurs fois : il ralentissait beaucoup dès qu'il avait de la terre à dégager avec ses minuscules pattes.
Après un coude que j'eus de grandes difficultés à passer sans m'arracher une lame, le boyau s'éclaira d'une lumière rouge très intense. Je réalisai alors que Vassili, juste derrière moi, transpirait à grosses gouttes. Il régnait en effet une chaleur quasi-insupportable. La température n'avait pas cessé de s'élever depuis que nous étions entrés dans ce passage. La sortie arriva enfin, quand la chaleur était absolument étouffante. Placé derrière Eclair-de-Liberté, je voyais mal ce qui se passait dehors. Je pus seulement constater qu'il y avait une énorme cavité. Sur ses parois, des ombres dansaient. Il devait y avoir un feu, dont on entendait d'ailleurs le crépitement, assez proche. Je ne pouvais pourtant pas l'apercevoir d'où j'étais. L'Elecsprint gratta les derniers morceaux de terre qui l'empêchaient de s'extraire totalement. Il se glissa ensuite hors du trou, s'écarta un peu pour laisser passer les suivants et entreprit d'étirer ses muscles endoloris.
Je sortis la tête à mon tour. Un rapide tour d'horizon me permit de constater qu'il n'y avait aucun feu dans la salle. Les ombres dansaient toutes seules. La lumière venait de nulle part. J'étais maintenant sûr que seul Ho-Oh pouvait être à l'origine de ce tour de magie. Il y avait deux issues : une qui semblait être l'aboutissement du chemin que nous avions pris auparavant, l'autre montait vers le sommet. Alors que je m'apprêtais à avancer en toute quiétude par le passage ascendant, je perçus un léger mouvement, au coin de ma destination. Je reconnus une queue de Rhinoféros dans l'ombre vacillante. Nous étions attendus. Je fis signe à Vassili de sortir discrètement. Je m'avançai légèrement. Rhinastoc se tenait en barrage au niveau de l'autre chemin. Je signalai à Terreur-des-Hommes leur présence. Je fus plus qu'étonné qu'elle agitât ses pattes pour me proposer de courir pour n'avoir qu'un ennemi à dépasser sur les deux.
J'attrapai Niryo du plat de la lame et commençai à courir. Le Rhinoféros sentinelle s'était endormi contre la paroi, probablement lassé de nous attendre, pensant être au deuxième échelon. Si nous l'avions su, nous aurions sans doute pu passer discrètement sans le réveiller. Malheureusement, la furtivité n'avait pas été notre choix. Aussi, notre débandade réveilla le garde qui s'empressa d'appeler son chef colossal. L'esprit encore embrumé, il n'eut pas le réflexe de nous attaquer immédiatement. Il se contenta de nous courir après, nous laissant une petite avance. Le chemin montait raide. Mes muscles me brûlaient. Les Pokémon Roche, trop lourds, peinaient à nous suivre. Ils tentaient de nous arrêter en faisant trembler le sol. Cela nous gênait bien, nous devions nous accrocher entre nous, mais eux devaient ralentir pour utiliser leurs capacités. Il en résultait donc un match nul. Vassili et moi perdîmes rapidement le rythme, à cause de mon traumatisme dans mon cas, les autres durent donc nous attendre.
Un autre Rhinoféros déboula d'un carrefour. Nous prîmes le chemin montant, une nouvelle fois, suivis de près par ce dernier poursuivant. Encore frais, il allait plus vite que nous. Alors que tout jouait en sa faveur, il s'arrêta net. Rhinastoc arriva à sa suite, stoppa sa course au même endroit. Nos ennemis piétinaient sur place. Eclair-de-Liberté, dès qu'il remarqua qu'il était sauvé, s'enhardit. Il se retourna pour commencer à narguer les Pokémon Roche. Le chef fit un pas un avant, claqua le sol de son autre patte. Cela calma immédiatement les ardeurs de l'Elecsprint qui recula immédiatement d'un bond. Quand il se rendit compte que je le regardais, amusé, il eut un air penaud et revint derrière moi. J'entendis, au milieu des cris, un des Rhinoféros annoncer l'arrivée de « l'oiseau sacré ». Rhinastoc ordonna le repli. Soulagés, nous vîmes nos poursuivants s'en retourner au fond de la grotte.
Au bout du chemin, nous arrivâmes dans une espèce de cratère. Nous étions à l'air libre, mais des parois de quelques mètres de haut nous empêchaient de voir autre chose que le soleil, aveuglant, au-dessus de nous. Un grand oiseau rouge aux ailes vertes et blanches descendait de son vol. Son ombre obstruait la lumière de l'astre, comme s'il s'agissait d'une vision de rêve. Des cendres et des braises se posaient sur nous, se détachant de son plumage à chaque battement de ses puissants membres. Cela donnait l'impression qu'il brillait de mille feux, comme entouré d'étoiles. Encore plus majestueux que le Grand Gueriaigle, grâce à sa silhouette plus élancée, il dégageait une telle aura, même à plusieurs mètres de nous, que nous étions cloués sur place. Rien qu'à le voir, je savais qu'il était un Pokémon hors du commun, digne de la légende dont il était le héros. Il descendait au ralenti, ce qui lui conférait encore plus de prestance. Il approcha doucement ses serres de la terre, pour se poser avec une délicate élégance qui me surprit, pour un si grand oiseau.