Chapitre 41 : Eboulement
La route reprit, sans Neïko ni Naïma. Nous savions que Niryo devait nous attendre quelque part, mais malgré toutes nos attentions, nous ne le voyions nulle part. Finalement, dans un tournant un peu serré, une petite voix nous fit presque sursauter.
................- Bonjour ! dit le Marcacrin, que nous ne pouvions apercevoir.
................- Niryo ! s'exclama Eclair-de-Liberté sous l'effet de surprise. Tu nous amènes à la grotte de Ho-Oh ?
................- Je suis venu pour cela, en effet. Je ne suis pas sûr de vous mener à la bonne grotte, mais si ce n'est pas celle-là, alors je ne peux plus rien pour vous.
................- J'espère que tu ne te trompes pas, continua l'Elecsprint.
................- As-tu déjà entendu parler de la prophétie à propos de Ho-Oh ? demanda Terreur-des-Hommes, espérant être rassurée.
................- Oui. C'est une prophétie humaine... Elle n'existe pas chez les Pokémon.
................- Alors ce n'est pas vrai ? Tout le monde peut voir Ho-Oh ? se rassura Eclair-de-Liberté.
................- Ce n'est pas ce que j'ai dit, répondit Niryo. La science humaine est loin d'être moins bonne que la nôtre. La seule différence réside dans le fait que nous, les Pokémon de la montage, nous n'avons jamais réellement cherché à rencontrer Ho-Oh. Les humains sont très friands de tout ce qui est rare, unique, légendaire... Pour nous, que l'oiseau de feu existe ou non, cela ne change rien, alors nous ne nous en préoccupons pas plus. Il y a tellement de choses plus importantes à régler avant de s'inquiéter de lui ! Le meilleur moyen d'en savoir plus, cela reste encore d'aller voir par soi-même, non ?
................- En effet, dis-je. On se met en route ?
Ma proposition séduisit l'ensemble du groupe. Nous marchions juste derrière Niryo, dont les petites pattes s'agitaient rapidement, ce qui avait pour effet de faire se gonfler ses longs poils bruns. On aurait dit une boule de poils qui avançait par magie. Comme quand il nous avait sauvés, il parlait beaucoup, nous racontant ce qu'il avait pu apprendre durant ses voyages auprès de tous les Pokémon et humains qu'il avait rencontrés. Ses connaissances touchaient à des domaines très variés, pourtant, il nous parlait de chacun avec la même passion. Encore une fois, je le trouvais très intéressant. D'ailleurs, tout le monde était pendu à ses babines.
Rapidement, la température se mit à baisser, comme lors de notre première ascension. Nous sortîmes progressivement de nos sacs des peaux amovibles, que nous ajoutions sur notre dos. Cela gênait un peu, mais leur efficacité n'était pas à prouver. Nous avions des réserves de nourriture. De plus, Niryo connaissait suffisamment bien la zone pour trouver quelques baies et petits animaux, ce qui nous permettrait de tenir un peu plus longtemps avec ce que nous avions apporté. Nous étions très bien préparés, cette fois ! Nous profitions aussi de Newton pour allumer un feu de temps en temps, si nous arrivions à trouver assez de bois pour cela. Il me semblait que la montagne était totalement différente par rapport à la première ascension. Alors qu'elle me paraissait complètement hostile, je me rendis compte que les connaissances de Niryo et les objets humains nous faisaient supporter sans problème cet environnement. Je prenais même du plaisir à découvrir des paysages sublimes. Je comprenais mieux comment le Marcacrin pouvait être aussi passionné par son habitat.
Bientôt, les journées qui passaient se ressemblèrent toutes. Le paysage devint partout le même, dépouillé, caillouteux, la météo toujours froide. Les sentiers gravissaient des pentes infinies, redescendaient parfois pour remonter encore, inlassablement. Nous ne rencontrions jamais personne. La nourriture n'était absolument pas variée. De temps à autre, Niryo s'arrêtait pour observer plus attentivement un mur rocheux, un carrefour ou une pente un peu trop raide. Nous le regardions tous avec une lueur d'espoir dans les yeux, espérant qu'il eût enfin trouvé l'entrée dissimulée. Cependant, à chaque fois, il repartait en faisant trembler ses poils bruns. Alors qu'il analysait avec insistance un tas de cailloux, Eclair-de-Liberté osa enfin poser la question que nous avions tous en tête.
................- Tu as vu quelque chose ?
................- Non. Je suis désolé de vous donner des faux espoirs à chaque fois que je m'arrête, mais j'ai besoin de me repérer. Nous n'y sommes pas encore. D'ailleurs, j'ai dû faire un détour par rapport au chemin que je pensais emprunter. Le souvenir que j'avais de l'itinéraire était légèrement erroné, le passage que nous aurions pu prendre était un peu trop difficile pour des gens qui ne sont pas habitués à la montagne.
................- Comment fais-tu pour connaître tous ces chemins ? demanda Terreur-des-Hommes curieuse, ils se ressemblent tous pour moi.
................- Cela fait longtemps que je parcours cette montagne. J'ai découvert des tonnes de choses passionnantes ici. Tout ce que je trouve de particulier, je le garde bien précieusement en mémoire. Je prends un peu de temps tous les jours pour me remémorer ce que j'ai appris récemment, ainsi, je ne l'oublie pas ! C'est un peu comme l'entraînement pour vous : si vous vous vous arrêtez, vous régressez... Je fais attention à ne jamais m'arrêter de réfléchir. Nous tournons à droite, dit-il en désignant un petit chemin que je n'avais pas remarqué.
................- C'est impressionnant, murmurai-je.
La progression continua encore longtemps. Je sentais mes pattes en feu à force de frotter contre le sol désagréable et dur. J'appris avec étonnement que, comme l'avait suggéré Terreur-des-Hommes, nous n'étions pas arrivés loin, la dernière fois, avançant trop lentement avec la neige. Niryo nous annonça en effet, quand le jeune Elecsprint s'impatienta, que nous avions dépassé depuis quelques jours déjà la zone où il nous avait secourus. L'ascension ne semblait pourtant pas se faire plus vite !
Je me rendis vraiment compte du chemin parcouru quand nous eûmes une vue sur le nid humain en contrebas. Il paraissait si petit de là-haut. Je pus constater avec fierté le dénivelé que nous avions monté depuis le début. De notre point d'observation, nous avions une vue d'ensemble sur le chemin parcouru. Je reconnaissais enfin plus ou moins les points caractéristiques de notre itinéraire. A partir de là, nous devions progresser le long d'un mur fait d'éboulis, sur un petit sentier accidenté. Le vent ne nous facilitait pas la tâche, il nous forçait à faire des pauses régulières, lors de grandes bourrasques, sans quoi nous aurions manqué de nous envoler. Je me rassurais en me disant que nous verrions sans doute bientôt le sommet.
Newton s'arrêta, en plein milieu du sentier. Il releva les oreilles. Vassili et Eclair-de-Liberté essayèrent de l'encourager à reprendre sa progression, sans effet. Même les petites décharges électriques ne le stimulaient pas. Bientôt, il se mit à souffler bruyamment, tout en piaffant. J'observais le rythme du gonflement de son flanc s'accélérer progressivement. Le cheval de feu commença à tourner en rond sur place. Il reculait de quelques pas, la tête levée, comme si j'allais lui trancher la gorge sur le champ. Ensuite, il allait contre la paroi rocheuse, secouait l'encolure, se remettait dans l'axe de progression. Il levait les pieds, les tapait au sol puis reprenait sa marche arrière. Je lisais la peur dans ses yeux écarquillés. Le poil d'Eclair-de-Liberté se hérissa juste avant qu'il ne me prévînt :
................- Je sens un truc bizarre. Ça me fait peur ! Y a comme le sol qui tremble. Je me sens pas en sécurité...
................- Il n'a pas tort, continua Terreur-des-Hommes. Je ressens aussi comme des vibrations.
................- Je n'ai rien senti, commenta Niryo.
Les poils du Marcacrin se mirent à trembler, comme quand il marchait. Sauf qu'il était arrêté. Il me lança un regard étonné avant de poursuivre, gardant pourtant son calme :
................- Quoique... Peut-être qu'un événement inhabituel est bien en train de se produire.
................- On fait quoi ? paniqua Eclair-de-Liberté, dont la fourrure grésillait sous l'effet de l'électricité accumulée inconsciemment.
A peine eut-il fini de formuler sa question que Newton se cabra avant de s'en retourner au grand galop de là où nous venions. Nous le vîmes trébucher quelques foulées plus loin, puis rouler en boule au sol. Il donna un coup de rein pour se relever péniblement et s'élança à nouveau, le plus vite possible. Il boitait encore sous l'effet de sa chute.
J'entendis un faible cri, grave et long, qui semblait provenir de l'intérieur du flanc de la montagne. Je n'étais pas rassuré moi non plus. Eclair-de-Liberté recula de quelques pas, mais voyant que Vassili restait planté sans bouger, il s'arrêta. En face de nous, ce qui était auparavant un tas d'éboulis explosa, tel un vulgaire amas de gravier, provoquant un énorme bruit sourd. Je vis avec horreur deux énormes Gravalanch dévaler la pente roulés en boule. Ils arrivaient droit sur nous. Derrière eux, j'aperçus un Rhinastoc et deux Rhinoféros qui semblaient fort en colère. Je ne pus m'empêcher de penser qu'à côté de ces géants de pierre, notre cher Trioxhydre faisait bébé Pokémon.
Niryo tenta d'ériger un mur de glace. Ses piètres capacités ne perturbèrent même pas l'avancée des Gravalanch. Ils rebondirent simplement un peu : ils se seraient bien passés de cette secousse qui acheva de les énerver. J'attrapai le Marcacrin que je hissai sur mes épaules. Sans se poser d'autre question, nous prîmes tous les pattes à notre cou. Bien évidemment, c'était une idée ridicule : les colosses de pierres descendaient bien plus vite que nous, puisqu'ils n'avaient pas à courir, eux ! A part nous essouffler et gagner quelques secondes de vie supplémentaires, ce n'était pas de cette manière que nous nous en sortirions. Je comptais néanmoins sur le peu de temps gagné pour trouver une meilleure solution.
Une seule idée, qui ne me satisfit guère, me vint à l'esprit. Il nous fallait combattre ! Je me voyais mal me dresser sur le chemin de ces rocs infernaux... Pourtant, je préférais encore les affronter la mort de face que me faire écraser de dos. Je me retournai donc, après avoir informé Terreur-des-Hommes de mon intention. Tous les Pokémon présents firent de même, ainsi que notre humain, un peu plus tard. Notre seule chance était de former un mur pour surprendre l'adversaire. Sans attendre, j'effectuai Reflet, afin de créer un effet de masse que j'espérais effrayant. Seulement, je n'avais pas pensé à un détail primordial : les Gravalanch roulés en boule ne nous voyaient pas ! Ils ne risquaient pas de s'inquiéter de nous voir nous retourner. Quant aux Rhinoféros et évolution, ils étaient un peu loin pour l'effet de surprise...
Vassili hurla : « Toile ! Sécrétion ! Arrête-les ! Cage-Eclair ! ». Terreur-des-Hommes lança sa bave sur nos assaillants. Comme nous nous y attendions tous, l'attaque électrique se perdit l'air, dans une tentative désespérée. Par contre, les Toiles fonctionnèrent à merveille. Les Gravalanch ralentirent de beaucoup leur vitesse et finirent même, à force, par s'engluer totalement. Ils ne restèrent pas prisonniers longtemps car leurs pierres coupantes leur permirent de vite se dégager. Pour cela, ils durent évidemment ne pas rester en boule... En apercevant la foule de (faux) Insécateur en face d'eux, ils eurent un mouvement de surprise. Ils firent même trois pas en arrière. J'espérais pendant quelques secondes qu'ils s'en iraient ; ils se contentèrent de grogner sauvagement.
Les images de moi-même se lancèrent dans une Danse-Lames, de concert. Je ne pus m'empêcher de me souvenir de la dernière fois où j'avais utilisé cette capacité, malgré le caractère urgent. Cette évocation me donna du courage. Une petite pensée ironique en moi apparut. Un humain parvenait à me motiver, j'allais me battre contre des Pokémon, en équipe avec Vassili (qui venait d'ailleurs de nous permettre d'affronter nos adversaires sans mourir écrasés). Si on m'avait un jour dit que ce moment arriverait, je n'aurais pas pu y croire. J'étais prêt à frapper. Les deux colosses de pierres empêtrés dans les Toiles me regardèrent leur foncer dessus sans rien faire. Je tranchai, d'une Piqûre parfaite. Mon adversaire gémit. Malgré leur stature imposante, ils n'étaient finalement pas redoutables. Le deuxième Gravalanch ne supporta pas mieux mon attaque. Ils avaient déjà l'air prêt à s'enfuir.
J'entendis le Rhinastoc crier. Les deux Gravalanch se mirent alors à briller d'une lueur inquiétante : je reconnus immédiatement Destruction. Une matière visqueuse et gluante m'enveloppa le corps. Il me sembla voir Niryo faire apparaître un mur de glace. Je sentis alors le chaud. Un souffle violent projeta mon corps contre un autre, sans doute Eclair-de-Liberté. Ensuite, je reçus des éclats de quelque chose de dur et coupant. Je ne savais pas s'il s'agissait de rocs ou d'eau solide. Je n'eus pas mal, je n'eus pas peur. La chaleur dans mon corps s'évanouit en même temps que moi.