Chapitre 39 : Jackpot
Vassili cherchait un moyen de gagner ce qu'il appelait de l'argent, chose qui devait selon lui nous permettre d'acquérir le matériel nécessaire à l'ascension du Tagne. Isabelle le regardait du coin de l'œil pendant qu'il réfléchissait accoudé contre la table. Eclair-de-Liberté faisait encore une fois le Caninos : il s'était assis à côté de son humain et avait posé sa tête sur les genoux de son maître bien-aimé. Il avait les yeux à demi-fermés tandis qu'il léchait de temps à autre la patte de son compagnon. La décision fut prise en une heure à peine, après avoir tranché entre plusieurs propositions. Il avait choisi la plus rapide. Nous allions nous rendre sur le grand terrain où nous avions rencontré Naïma pour y livrer des combats. Il n'y eut aucun autre préparatif : une fois tous les Pokémon rentrés dans leurs Noigrumes, nous partîmes.
Dès notre arrivée, nous fûmes accueillis par un humain qui vint à notre rencontre pour nous proposer un défi. Les règles furent fixés en quelques mots : trois Pokémon chacun. Pour lui, ce fut un Linéon qui engagea le combat. Il me semblait l'avoir déjà vu dans la forêt... Ce n'était peut-être qu'une impression, due à la nostalgie de mon territoire. Cependant, je ne pus m'empêcher de me souvenir de ces pauvres Pokémon, enfermés bâillonnés dans des boîtes de métal. Protectrice-Colérique avait bien émis l'hypothèse selon laquelle ils seraient envoyés vers des terres peuplées de dresseurs. Ce lieu aurait très bien pu être celui où nous étions. J'hésitais un peu à lui parler. Il valut sans doute mieux que je ne le lui demandasse pas. S'il avait bien vécu là-bas, son sort m'aurait attristé et j'aurais pu m'en prendre à l'humain, nous attirant sans doute des ennuis. Puis nous étions là pour poursuivre notre but et pour cela, nous devions livrer des duels.
Vassili choisit Newton. Le cheval enflammé, comme à son habitude, ne commença que quand il eût pris quelques méchants coups. Cependant, il remonta bien la pente. Il plaça quelques Flammèches bien exécutées. Par contre, il avait toujours du mal à se défendre. Il envoyait des ruades, se cabrait, encore un peu effrayé par le combat. Il se fatiguait beaucoup pour un effet la plupart du temps dérisoire. Aussi, il soufflait, les naseaux dilatés, les muscles tremblants alors que son adversaire zigzaguait entre les jets de feu, toujours aussi fringant. Newton recevait de plus en plus de Coup d'Boule sans ne plus pouvoir rien faire. Un coup plus puissant que les autres le laissa effrayé. Sans réfléchir, il fit demi-tour, faillit tomber en tournant autour de ses postérieurs et décocha une ruade dans le vide. Le Linéon profita de cette erreur pour porter le coup final.
Eclair-de-Liberté prit la relève. En quelques Morsure, il envoya son adversaire au tapis. Le suivant fut un Joliflor. Pour ce combat, Vassili se décida enfin à participer. Il dirigeait correctement le Pokémon électrique qui mettait un point d'honneur à écouter les ordres. D'ailleurs, il exagérait tellement que cela le handicapait. Les paroles de son dresseur retenaient toute son attention. Du coup, quand ce dernier ne voyait pas venir un coup ou une opportunité de taper, Eclair-de-Liberté attendait l'ordre qui ne venait pas au lieu de prendre l'initiative. L'humain était de ce fait un peu dépassé par les événements. Il ne lâcha pourtant pas le morceau. A chaque frappe subie par l'Elecsprint, on aurait dit qu'il souffrait lui aussi. A chaque réussite, il se réjouissait comme s'il en était directement l'auteur. Nous remportâmes le match de justesse, aussi, Vassili décida de changer de Pokémon immédiatement pour le dernier adversaire. Il m'interrogea du regard. J'acceptai.
............- Ah non, lui, s'il n'a pas de Pokéball, il ne combat pas, annonça le dresseur.
............- Il n'en a pas, mais il est tout de même avec moi, répliqua Vassili.
............- Pas de Pokéball, pas votre Pokémon. C'est la règle.
............- Très bien. Dans ce cas...
Je regardai un peu déçu le Noigrume de Terreur-des-Hommes voler et libérer mon amie. La Migalos s'étira, prête à affronter le Goupix qui venait d'apparaître en face d'elle. Elle n'avait pas l'avantage, mais peu importait, je ne l'aurais pas eu non plus. Je me demandais pourquoi l'humain n'avait pas voulu que je prisse part au combat alors qu'avec moi il aurait été sûr d'avoir l'avantage alors qu'il ne connaissait pas la nature du dernier Pokémon de Vassili... Sans attendre, le petit renard de feu laissa s'échapper une immense gerbe de flammes en direction de Terreur-des-Hommes. Elle fit un bond sur le côté et tenta de prendre son adversaire au piège avec ses toiles. Malheureusement, ce dernier utilisa ses pouvoirs de feu pour se libérer instantanément. Il maîtrisait vraiment bien ses techniques, je devinai que c'était une sorte de botte secrète pour le dresseur.
Vassili aida Terreur-des-Hommes à utiliser efficacement ses esquives. Il lui fit aussi se servir de son pouvoir à empoisonner son adversaire. Rapidement, le Goupix se concentra sur la douleur occasionnée par ce venin. Peu à peu, il n'arrivait plus à se concentrer. Je voyais ses muscles se contracter par réflexe. Il se mit même à gémir et à fuir l'affrontement. Les blessures que lui faisait la Migalos le faisaient tellement souffrir qu'il ne voulait sous aucun prétexte avoir à en supporter d'autres. Il alla se réfugier derrière les pattes de son dresseur. Notre humain rappela Terreur-des-Hommes près de lui, alors qu'elle était prête à aller le déloger. Le Goupix disparut dans sa Pokéball et son humain se dépêcha de nous donner notre récompense avant de partir en courant dans la direction du Centre Pokémon. Chaque combattant de notre côté fut largement félicité par des caresses et Vassili me tendit la patte. J'acceptai de lui donner ma lame. Eclair-de-Liberté sautait de joie autour de nous en disant que ça n'avait pas été si facile.
Vassili nous annonça qu'il nous resterait encore beaucoup de combats à livrer pour atteindre son objectif en termes d'argent, car nous n'en gagnions pas beaucoup à chaque match. Cela de me dérangeait pas énormément, je sentais se profiler de beaux duels. Naïma arriva à notre rencontre, les pattes chargées. Elle tendit tout ce qu'elle avait à notre humain, qui la regardait étonné.
............- Tiens, je t'ai pris ça. Tu vas jamais t'en sortir sinon pour récupérer tout le fric sur cette place... T'sais, on a l'impression qu'on gagne beaucoup à chaque fois, mais au final, y a pas grand-chose !
............- C'est gentil, mais je ne peux pas accepter, ça a dû te coûter une fortune !
............- Non, non, j'ai demandé à des amis de m'aider. Ils seront trop contents de te voir partir, les cons ! T'en fais pas. Prends-le, ça me fait plaisir.
Vassili accepta finalement, toujours un peu réticent tout de même. A son tour, il avait les pattes pleines et ne savait pas où tout mettre pour le porter sans en faire tomber. Il n'arrivait pas à voir le sol, ce qui le faisait marcher bizarrement. Eclair-de-Liberté riait à côté.
............- Ah, ça te fait rire, petit chenapan ! Quand je serais tombé, je trouverais ça moins drôle !
............- Désolé, désolé, je ne voulais pas t'embêter, répondit le petit.
Notre humain prit même la peine de poser son chargement pour lui donner une caresse, signe qu'il ne lui en voulait pas. Naïma nous demanda de nous dépêcher : elle s'impatientait ! Elle insista tellement que Vassili l'interrogea. Mais il n'y avait rien, elle avait juste hâte de rentrer chez elle.
............- Tu es pressée de me voir partir, continua Vassili.
............- Non, non, pas du tout, c'est juste qu'il fait froid dehors ! Neïko va finir gelé !
La petite Osselait me lança un regard étonné.
............- Je n'ai rien... Oh non ! reprit-elle immédiatement son étonnement passé. Je sais... Naïma a encore fait une chose interdite. C'est pour ça qu'elle m'a dit de l'attendre avec Ludovic et Hugo. J'aurais dû réagir plus tôt. Je sais très bien pourtant que leurs Pokémon ne sont pas assez forts et que d'habitude je ne m'entraîne jamais avec eux.
............- Hein ? Mais qu'est-ce qu'elle a fait ? demanda Eclair-de-Liberté, curieux.
............- Elle a dû demander à un de ses amis humains que je n'aime pas. C'est un voleur ! A chaque fois, il lui donne des cadeaux qu'il a volés. Elle veut qu'on se dépêche parce qu'il y a Lamperoie sous roche... On ne peut vraiment pas la laisser toute seule celle-là !
............- Mais elle est gentille, c'était pour nous aider... continua l'Elecsprint.
............- Oui, bien sûr, mais il ne faut pas ! On risque d'avoir des ennuis après... Elle me dit toujours que ce n'est pas grave, que les gens que vole son ami sont riches et que ça ne changera rien à leur vie... Ce n'est pas une raison ! Elle m'énerve des fois. Enfin, c'est ma dresseuse, je l'aime quand même, elle est comme ça, je vais avoir du mal à la changer.
............- Alors on peut pas les prendre ?
............- Si, si, on le prend, répondis-je. Il faut qu'on se dépêche de monter sur le Tagne. Ce ne sont que des histoires humaines, ce n'est pas grave. On a ce qui nous faut, alors ça ira. Tant pis, si on a un peu moins de combats à livrer, la mission prime !
............- Enfin, Aleph-Zéro ou Vaill...
............- Vaillant-Rescapé, l'interrompis-je immédiatement.
............- Oui, oui, ne t'énerve pas. Il serait temps que tu t'habitues à vivre avec nous. Tu ne peux pas te comporter de manière immorale avec les humains parce qu'ils sont humains ! Il faut les respecter eux aussi. Vis avec eux en suivant les mêmes règles qu'avec les Pokémon, tu verras, ça se passera déjà mieux.
Vassili avait gardé son air dubitatif, mais, sans doute par nécessité, il ne fut pas très regardant et ne posa pas d'autre question. Il se rapprocha tout de même de Naïma pour lui chuchoter quelques paroles discrètement, comme s'il avait voulu cacher la mauvaise action aux Pokémon.
De retour à la tanière, Isabelle eut un air très déçu en nous voyant revenir avec les objets humains au bout d'une journée seulement. L'heure fut enfin aux adieux. J'étais très impatient de partir, car inquiet pour la nouvelle ascension. Je me doutais qu'elle risquait d'être dure et le souvenir de la précédente ne faisait qu'accentuer ma peur. Eclair-de-Liberté marchait la queue entre les jambes, me lançant des regards suppliants. Il espérait m'apitoyer pour que j'annulasse le voyage. Cela ne risquait pas d'arriver, même si moi aussi, je devais faire des efforts pour me convaincre qu'il nous fallait y aller. Les autres participants cachaient mieux leur inquiétude ; elle était pourtant sans aucun doute présente chez eux aussi.
Nous passâmes la porte, le visage grave. Naïma devait nous accompagner jusqu'à la dernière maison, lieu où Niryo nous attendrait. Isabelle embrassa sa fille et l'Osselait. Elle attrapa la patte de Vassili. Ils s'embrassèrent aussi, mais quand ils virent que je les regardais d'un air impatient, notre humain se retourna d'un coup. La mère de Naïma nous recommanda d'être tous prudents et de ne pas prendre de risque inutile. J'étais cette fois déterminé à ne rebrousser chemin sous aucun prétexte, dussè-je mourir en route alors que mes compagnons seraient déjà revenus.