Aide-toi et le ciel t'aidera de Kydra

Deux jours plus tard, dès le matin, les alentours des tanières furent bien animés. De l'intérieur, j'entendais des voix qui s'entremêlaient dehors. Les arguments étaient martelés avec force et véhémence. Il se passait encore quelque chose d'inhabituel ! Vassili et Isabelle sortirent tous deux pour s'informer. Comme Eclair-de-Liberté et Terreur-des-Hommes tenaient à les accompagner, je fis de même. Le premier ne voulait certainement pas laisser son humain tout seul. Mon amie était surtout très curieuse.

............- Ils ont dit morts dans l'incendie... et l'incendie... Accident ! C'est révoltant, affirmait un premier humain dehors.
............- Bien sûr que ça l'est ! Le petit n'a pas rêvé, pourtant, ajouta un deuxième.
............- Je suis sûr que ça les arrange bien qu'il ne puisse plus témoigner, les salauds ! reprit un autre.
............- Tu m'étonnes, recommença le deuxième. Ils auraient été obligés de faire une enquête... Et les enquêtes, avec les miliciens, ça leur fait peur. Comme ils n'ont rien à foutre de nous, que trois de moins, ça les arrangerait même, ils sont bien contents, crois-moi ! Ils auraient même été capables de le tuer eux-mêmes, le gamin.
............- Si ce n'est pas d'ailleurs le cas, supposa le premier.
............- Que se passe-t-il ? s'inquiéta Isabelle.
............- Le fils de Xavier est mort hier soir à l'hôpital. Les flics sont venus enquêter pour l'incendie, d'origine accidentelle selon eux. Un défaut électrique ou quelque chose du genre. Xavier et sa femme seraient morts brûlés ou peut-être intoxiqués, ils y réfléchissent, mais quelle différence ? Sauf que le gamin aurait dit, à l'hosto, qu'il avait peur que les miliciens reviennent avec leurs armes pour le tuer. Ses parents auraient été tués par balle, avant le départ du feu et il se serait caché pour leur échapper. Ça lui a filé des espèces de crises d'angoisse, au petit. Encore une fois, ce serait des délires dus à son état grave... Et mon cul, c'est du Roucool ; je suis le roi Johto ! Ce ne sont que des salauds, conclut une femme.

Je vis, derrière, plusieurs humains en train de pleurer. Je compris bien vite que le mort était l'enfant que Vassili avait sorti de la tanière en feu. Je ne savais pas ce qu'était « la police » mais je devinais qu'il devait s'agir d'une certaine autorité. Eclair-de-Liberté grognait à côté de son humain, qui semblait bien peiné. Je lui donnais un petit coup du revers de la lame pour qu'il arrêtât de se comporter comme un Caninos, partageant chacun des grammes d'émotion de son dresseur. Il comprit mon intention et fit un effort pour se calmer. Vassili prit la parole, cria presque pour se faire entendre :

............- Mais pourquoi vous laissez-vous faire ?
............- Dites-moi donc, qu'est-ce qu'on pourrait faire ? lui répondit un gros et vieil humain.
............- Aller voir les autorités pour vous faire entendre... ou riposter ! Vous réunir pour trouver une solution... Enfin, ne pas rester sans rien faire, au moins !
............- Les autorités n'ont rien à faire de ce que nous aurions à leur dire, répondit la femme qui avait explicité la situation quelques minutes plus tôt. Et si elles jugent que nous les embêtons trop, ne vous inquiétez pas pour elles, elles auront de quoi nous emmerder nous aussi. Quant à la riposte, référez-vous à l'article précédent : on ne ferait que leur rajouter des arguments pour nous virer de là. Les miliciens le savent, ils en profitent. Puis, honnêtement, des fois, je me demande bien si nos voisins ne sont pas satisfaits de leur « travail » : on les laisserait plutôt faire, dans le coin.
............- Ce n'est pas normal ! Vous devez vous faire entendre !
............- Mais je vous en prie, jeune Vogriate, trouvez un moyen... continua la femme.
............- Ils n'ont pas le droit d'avoir des armes à feu. Vous pourriez... réfléchit Vassili.
............- Ca fait à peine quelques jours qu'il est là, lui, et il croit qu'il peut arranger les choses avec ses solutions miracle, intervint un troisième humain tout maigre. Si c'était aussi simple, croyez-moi, on se serait débrouillés sans vous ! Alors ne croyez pas que parce que vous êtes un idéaliste de Vogra et que là-bas, on se tire dessus et tout le monde crève, que vous allez pouvoir révolutionner le monde ! Occupez-vous de votre guerre perdue d'avance avant de mettre votre nez dans les affaires des autres !
............- Mais enfin, ce n'est pas la question. Si vous ne faites rien...
............- Faites, faites... Vous verrez ! D'ailleurs, vous verrez comment ça va se terminer à Vogra. Vous reviendrez m'en parler après, si vous n'êtes pas mort, vous aussi !

D'autres humaines se mêlèrent à la conversation, la plupart pour approuver le maigrichon. Les voix s'élevaient, c'était à qui crierait le plus fort pour se faire entendre. Je les regardais, incrédule, détruire toute la motivation de Vassili, qui peinait bien à couvrir le bruit. Ils donnaient des arguments n'ayant aucun rapport avec le problème initial. Bientôt, ils se mirent à débattre sur le conflit qui avait lieu sur notre terre, puis dévièrent sur nous, les Pokémon. Certains disaient que des humains comme le nôtre devaient être bien anormaux pour arriver à nous faire la guerre. Ils affirmaient que jamais nous nous battrions de notre propre chef et que nous avions donc été influencés par des tarés, comme il devait y en avoir des tonnes à Vogra. La preuve en était que le nôtre n'osait même pas nous garder dans des Pokéball... Vassili voulait souvent intervenir, mais à chaque fois, Isabelle le retenait. Elle lui murmura quelques paroles à l'oreille. Les deux humaines prirent congé, discrètement, nous les suivîmes de près.

Eclair-de-Liberté interrogea Terreur-des-Hommes sur le chemin du retour.

............- Mais ça n'a rien à voir avec Vassili tout ça. En plus, il est pas comme ils disent. Pourquoi ils croient ça et pourquoi ils disent ça sur lui sans le connaître ?
............- Est-ce que tu te souviens de ce que te disait ton papa sur les humains ?
............- Pas trop... Il ne les aimait pas, ça, je m'en souviens.
............- Il en avait déjà côtoyé ?
............- Je ne sais pas...
............- Et Vaillant-Rescapé, que pense-t-il des humains ?
............- Maintenant, je crois que ça va mieux, le laissai-je dire sans intervenir. Mais avant, il les détestait plus que tout au monde.
............- Vaillant-Rescapé, avais-tu déjà côtoyé des humains avant Vassili ? reprit mon amie.
............- Non, répondis-je simplement, voyant trop bien où elle voulait en venir.
............- As-tu déjà entendu parler de l'histoire du Capumain à la couleur de sang ? reprit-elle après une courte pause.
............- Le méchant Pokémon qui tue tous ceux qui croisent son regard ? Oui, c'est une légende qui vient du clan des Fouinar, il me semble.
............- En effet. Qu'en penses-tu ?
............- C'est une histoire pour faire peur aux petits Pokémon pas sages, non ?
............- Non, répondis-je pour apporter ma contribution. Il existe bien des Pokémon au pelage différent, ce n'est pas une légende.
............- Crois-tu qu'un Capumain qui nait avec un poil rouge puisse avoir de tels pouvoirs et être si méchant, à cause de son pelage ?
............- J'en sais rien, moi ! commença à s'impatienter Eclair-de-Liberté, cherchant en vain dans toutes ces questions la réponse à la sienne.
............- Il n'a que la fourrure différente, déclarai-je pour accélérer la chose. Ils sont comme nous, à part ça. Quant aux humains, on m'a toujours assuré qu'ils étaient tous méchants et n'avaient aucune considération pour les Pokémon...
............- C'est faux, s'insurgea le jeune, croyant Vassili encore attaqué.
............- Et là, c'est pareil, expliqua Terreur-des-Hommes. Ils trouvent des arguments contre Vassili qui ne tiennent pas la route parce qu'il vient de Vogra. C'est plus facile que de trouver de vraies raisons. Mais ce ne sont que des idées reçues qui ressurgissent.
............- C'est méchant... déduisit Eclair-de-Liberté.

Pendant quelques secondes, je vis qu'il restait pensif. Il n'avait sans doute pas encore compris tout le but de cette conversation et cherchait à mettre ses idées au clair. Moi-même, je réfléchis quelques instants. Je savais que Terreur-des-Hommes avait parlé du Capumain à mon égard. Elle se souvenait que j'avais trouvé la réaction de Brulant-Agité absurde. Elle voulait me faire réagir en mettant en parallèle ma haine pour les humains et celle qu'impliquait cette histoire envers ces Pokémon à la couleur étonnante. Je jetai un coup d'œil discret à Naïma et Neïko, pour constater une fois de plus que, les voyant marcher côte à côte, on aurait pu les croire sœurs. Mon regard se porta ensuite sur Vassili. Il le remarqua et m'adressa un sourire tendu. Je détournais rapidement les yeux, gêné. La Migalos savait remarquablement bien parler, je le savais...

Une fois retourné à la tanière, Isabelle semblait énervée. Je l'entendis dire à Vassili que les humains d'ici étaient des trouillards et qu'il avait raison de vouloir agir. Elle fit remarquer qu'elle le trouvait très courageux. J'écoutais cette discussion banale d'une oreille distraite, tout en n'arrivant pas à détacher ma pensée de cette légende de Capumain rouge. Heureusement, Neïko vint me chercher pour jouer avec elle et Eclair-de-Liberté. Je ne me fis pas prier, content de trouver une nouvelle occupation à mon cerveau.

Le soir, quand nous rentrâmes, les humains avaient encore bu de l'alcool. Eclair-de-Liberté était complètement paniqué parce qu'il n'avait pas surveillé Vassili. Neïko dut même lui remonter le moral : il se traitait déjà d'irresponsable, incapable de s'occuper de son dresseur. L'Elecsprint finit par se laisser convaincre qu'il n'était pas aussi incompétent qu'il le pensait avant. Naïma relança le débat de la matinée alors que nous mangions.

............- Ludo m'a dit qu'on racontait des trucs sur toi, m'man, parce que tu hébergeais Vassili. Y en a qui disent qu'il va foutre la merde et que ce sera à cause de toi. J'vais leur exploser la tête s'ils s'en prennent à toi ! Il m'a même dit qu'il risquait de plus pouvoir me parler... Il m'a même dit que certains pensaient que c'était un flic ou un milicien infiltré. Il m'a conseillé de faire quand même attention. L'est trop con...
............- Laisse les dire... Tout le monde est inquiet depuis ce qui s'est passé. On a tous peur que ça continue puisqu'on laisse faire. Mais ne t'en fais pas, ils vont finir par se calmer. Je doute qu'on puisse nous tuer longtemps sans que ça fasse des remous. Une fois, ils laissent passer... Je suis d'accord, c'est déjà une de trop et ça devrait jamais arriver. J'espère quand même qu'ils réagiraient si ça devait se reproduire.
............- Et si les suivants, c'était... nous ?
............- Non. Nous, on a jamais eu de problème avec ces idiots de la milice.

Naïma baissa la tête. Elle hésitait à répondre et chercha le regard de Vassili. Isabelle le remarqua.

............- Tu as déjà provoqué d'autres dresseurs, comme tu l'as fait avec lui ?
............- Vassili n'a pas été le pire... fit-elle avec un sourire au souvenir de l'incident.
............- Qu'est-ce que t'as fait ? s'étonna Isabelle.
............- Rien... mentit très mal Naïma, pour tenter de se reprendre, n'ayant certainement pas envie de relater ses exploits.
............- Ce n'est pas grave, ne t'en fais pas. Je pense que c'est plutôt une histoire de drogue, ou quelque chose comme ça.
............- Il ne faut pas commencer à avoir peur d'eux, ajouta Vassili. C'est le meilleur cadeau que tu pourrais leur faire. Ne change rien. C'est ce que m'a toujours dit Masha... Tu peux lui faire confiance, j'aurais mis ma vie entre ses mains. N'aie pas peur de continuer à faire ce que tu crois devoir faire.
............- Ne les provoque pas trop, quand même, tempéra Isabelle.
............- J'croyais que t'étais d'accord avec Vassili, que tu pensais qu'il ne fallait pas se laisser faire, rétorqua Naïma.
............- Je ne veux pas perdre ma fille pour une connerie. Ils sont dangereux quand même. Qu'est-ce que je ferais sans toi ? Je t'aime trop.

La dernière réplique jeta un froid dans l'assistance. Vassili avait l'air d'avoir envie d'annoncer quelque chose. Il n'osait pas rompre le silence, sans doute parce que ce n'était pas du tout le moment opportun pour ce qu'il avait à dire. Il se décida finalement à parler.

............- Je pense qu'il est temps pour moi de repartir pour le Tagne. Je vais trouver de quoi me payer des vêtements chauds...
............- Tu es sûr que tu veux pas rester ? réagit Naïma au quart de tour. On a pas fini le Bandeau Choix. Puis, tu vas nous manquer à maman et moi. Les Pokémon vont manquer à Neïko, aussi...
............- Non, il faut vraiment qu'on y aille. Tu termineras le Bandeau toute seule, il ne reste plus grand-chose à faire. En plus, je ne suis pas le bienvenu dans le quartier, je ne veux pas déranger, encore moins vous nuire.
............- Je m'en fous, de ce qu'ils disent ! En plus, m'man a dit que ça leur passerait.
............- Vraiment, il le faut... hein Aleph-Zéro ?

Je n'aimais pas répondre à ce nom, mais pour le coup, c'était pour mon bien. J'acquiesçai donc, prenant l'air le plus désolé possible. Neïko me proposa donc d'aller en parler à Niryo, non sans avoir elle aussi un peu insisté pour me garder avec elle, affirmant que j'étais un excellent professeur et qu'avec moi elle pourrait sans doute réaliser le rêve qu'elle avait en commun avec sa dresseuse. Ensuite, Isabelle envoya dehors les Pokémon et Naïma : elle voulait parler de son départ à Vassili. Je restai un peu près de la tanière, en bon curieux. Elle essayait elle aussi de le retenir et je crus voir qu'ils burent encore de l'alcool. J'espérais seulement qu'il ne renoncerait pas à notre départ, auquel cas il nous serait dur de grimper sur le Tagne, privés de guide...