Chapitre 8 : L'ombre de la mort
Kinan vit toute sa courte vie défiler sous ses yeux tandis qu'il courait à travers les dédales de la base Malware en compagnie de la commandante Rocket, et qu'il était poursuivi par les tirs répétés des sbires et des canons automatiques accrochés aux angles des murs. Les tirs de ceux qui restaient invisibles partaient des pans de murs comme s'ils étaient immatériels. Ce n'était pas des balles que les Malware tiraient sur eux, non, plutôt des espèces de lasers électriques, sans doute pour les prendre vivants.
Il s'étonnait encore de ne pas avoir été touché. Pour Kelifa, il ne s'en étonnait pas, non. La Rocket avait son robuste Brutapode qui couvrait ses arrières, les lasers des Malware ne lui faisant rien. Puis Kelifa avait des mouvements tels que même sans son Brutapode, rien n'aurait pu l'atteindre. Kinan n'avait jamais vu ça. C'était à la fois merveilleux et terrifiant. Elle arrivait à tournoyer gracieusement entre les tirs pour en même temps répliquer de son propre pistolet sur leurs poursuivants et les canons visibles. Elle ne manquait que très rarement sa cible. Son Brutapode se chargeait de défoncer les murs et les portes scellées, ainsi que de provoquer le plus de grabuge possible, un rôle dans lequel il excellait. Avec tous les plafonds qu'il avait fait s'écrouler et les divers générateurs qu'il avait détruits, provoquant de grandes explosions incendiaires, Kinan s'étonna que la base tienne encore debout.
Ils avaient trouvé un des principaux générateurs durant leur fuite et l'avaient détruit, mettant hors service la plupart des armes automatiques de la base. La plupart, mais pas toutes cependant. Aussi devaient-ils parfois éviter les dalles explosives, les rayons perforateurs ou les pièces anti-gravité. Mais Kelifa semblait avoir un sixième sens qui lui permettait de repérer n'importe quel piège. Elle semblait même plus au fait que les sbires qui les poursuivaient, qui, et pas qu'une seule fois, étaient tombés dans leurs propres pièges.
Kinan avait presque envie d'éclater de rire. Malgré tout ce qui se disait sur New Naya et la base de la Team Malware, malgré leur technologie de trente ans supérieure à celle du reste du monde, voilà que deux seuls individus et un Pokemon mettaient la base sens dessus dessous depuis près d'une demi-heure sans qu'on ne puisse les arrêter. La technologie, c'était bien joli, mais quand c'était des imbéciles qui s'en servaient, ça n'avait qu'une utilité des plus limitée.
Mais Kinan commençait à se lasser de détruire les murs et les ordinateurs des Malware. Il était libre, et il devait saisir son occasion pour fuir. Il aurait bien laissé là sa compagne Rocket, libre de fuir tandis qu'elle faisait diversion en cassant tout. Mais ça n'aurait pas été très juste envers celle qui l'avait libéré de sa cellule. D'un autre côté, Kelifa ne semblait avoir aucune intention de fuir. Elle continuait inlassablement à détruire les infrastructures et même à tuer les Malware. Kinan savait que les gars de la Team Rocket n'étaient pas des tendres, mais le meurtre lui restait au travers de la gorge, même sur des Malware.
- Et si nous y allions ? Proposa sans grande conviction Kinan.
La Rocket ne lui jeta même pas un coup d'œil quand elle dit :
- Je dois détruire cette base et m'assurer que le boss Spam et ses officiers ont tous été éliminés. Je ne quitterais ce lieu que lorsque j'aurai terminé ma mission.
- Alors, je pense qu'on va se séparer maintenant. Je vous remercie de l'aide que vous m'avez apportée, mais je ne tiens pas à me retrouver embarquer dans un règlement de compte entre teams rivales.
Kelifa fit un geste méprisant de la main.
- Eh bien va. Si tu penses pouvoir sortir de la ville, et même de la base, tout seul.
Kinan savait qu'elle avait raison. Sans elle, il ne manquerait pas de marcher sur un piège, et sans armes ni Pokemon, il n'irait pas bien loin. Il jura dans sa barbe en continuant de marcher sur les pas de Kelifa. La jeune commandante Rocket avait apparemment pour objectif de se rendre jusqu'au bureau du boss. L'endroit le mieux protégé de toute la base. Enfin, en temps normal, car il n'y avait personne qui le gardait. L'explication était qu'il était vide.
- Le Boss ne vous a pas attendu on dirait, signala inutilement Kinan.
- Il n'a pas pu aller bien loin, fit Kelifa. Les Malware ont verrouillé toute la ville. Plus personne n'entre ni ne sort.
- Si les Malware ont pu la verrouiller, ils peuvent aussi la déverrouiller, dit Kinan avec logique.
- Ils auraient pu, oui, mais manque de chance pour eux, on a détruit le générateur qui gère l'ouverture de toute les portes du dôme de New Naya. Et le transparacier, ça ne se détruit pas comme ça. Spam est bloqué, et je vais le dénicher, où qu'il se terre.
***
En dépit de la gravité de la situation, Spam se surprit à sourire. Voilà que cette Rocket était en train de rire de toutes les mesures de sécurité de sa base, et que lui, Spam, le maître de cette ville, s'était enfermé lui-même dedans sans moyen de fuite. Il se trouvait sur le terrain droit de sa base, près de son appareil personnel paré à décoller. Le problème était que l'ouverture aérienne du dôme ne s'ouvrait pas. Le générateur était mort. Une situation que toutes les équations les plus brillantes et complexes n'auraient pu résoudre. Il était totalement impuissant. C'était la première fois que ça lui arrivait et ça le faisait sourire. Après tout, toute expérience de la vie était bonne à prendre.
Ainsi, cette Rocket était donc un assassin ? Mais dans ce cas, si c'était lui sa cible, pourquoi n'avait-elle pas agi quand ils étaient tous les deux dans son bureau ? Même sans arme, entraînée et forte comme elle était, elle aurait pu lui briser le cou en moins de temps qu'il le fallait pour le dire. Enfin, si Motisma ne s'était pas trouvé caché dans un des nombreux écrans de son bureau, bien sûr. Un seul geste suspect et il aurait foudroyé la Rocket. Peut-être se méfiait-elle justement d'un truc de ce genre. Une femme dangereuse et professionnelle. À ses côtés, Spyware écoutait les différents rapports de situation via son comlink. Malgré le visage constamment neutre de sa nouvelle commandante, Spam devinait que ça allait encore plus mal.
- Monsieur, la garde de l'entrée nous informe que la porte principale de la ville aurait été trouée et que trois individus ont pénétré dans l'enceinte. Selon les descriptions données, il s'agirait d'Adélie Dialine, d'Elias Hugerson, du Conseil des 4, et de l'ancien Maître Balterik. Ils ont avec eux plusieurs Pokemon et ils se dirigent vers nous.
Le sourire de Spam s'accentua.
- Eh bien, vous avez fini par l'attirer ici, la jeune Dialine, finalement. Mais si j'en crois les rumeurs sur son caractère et son tempérament, je serai plus en sécurité en me livrant directement à la Rocket qui veut ma tête.
- Monsieur, poursuivit Spyware, si ces dresseurs ont pu passer par la porte principale, nous pouvons faire de même pour fuir. Nous avons nos combinaisons d'invisibilité et nous pouvons passer devant eux sans qu'ils nous voient.
Spam secoua la tête. Une fille intelligente, cette Noémie Farron. Très loyale, très disciplinée, très pragmatique. Et plutôt jolie, de l'avis de Spam. Mais elle ne comprenait pas. À quoi bon fuir ? Toute l'œuvre de sa vie était ici. Tous ses plans, toutes ses inventions. Il ne pourrait jamais rebâtir tout ça.
- Je ne fuirais pas, commandante, dit Spam. Cette ville est ma création. Ma maison. Mais vous, vous pouvez y aller. Vous tous, en fait. Je vous libère tous de votre service.
La plupart des sbires restants ne se firent pas prier. Ils activèrent leur combinaison et prirent la fuite. Ils furent même suivis par trois commandants. Mais Spyware, ainsi que deux autres commandants et sept sbires demeurèrent avec lui.
- Nous tiendrons, monsieur, annonça Spyware en sortant tous ses Pokemon. Nous ne laisserons pas quatre dresseurs et une Rocket anéantir la première team de Naya !
Tous les autres qui étaient restés firent de même.
- Belle preuve de courage et de loyauté que vous me faites. J'en suis flatté. Mais face à Maître Balterik, tous les Pokemon que la Team Malware pourrait rassembler seraient impuissants. Ajoutez à cela un membre du Conseil des 4 et cette Rocket surentraînée, nous n'avons pas l'ombre d'une chance.
- Il reste l'autodestruction de la ville, monsieur, dit l'un des commandants. Si nous devons partir, nous ne partirons pas seul !
Spam le considéra d'un regard froid, puis claqua des doigts. Aussitôt, une trainée de foudre sortit de la mini tablette numérique qu'il gardait à sa ceinture pour passer au travers du crâne du commandant qui venait de parler. Il trembla deux secondes avant de s'écrouler, raide mort. Puis le Motisma revint à l'intérieur de l'écran numérique de la tablette de Spam.
- Une telle proposition n'est pas digne d'un Malware, fit Spam d'un ton calme. Nous agissons grâce à la logique et à la réflexion. Nous ne laissons pas nos sentiments entraver notre raison. Jamais. Nous n'allons pas condamner à mort tous les habitants de la ville dans un suicide collectif pour le simple fait d'amener nos ennemis dans la mort avec nous. Inutile. Illogique. Et cruel.
Spyware et les autres le regardèrent avec un mélange d'admiration et de crainte. Spam ne se considérait pas comme un saint. Il méprisait d'ailleurs les bonnes âmes, ceux qui donnaient sans rien demander, ou ceux qui se sacrifiaient pour les autres. Il n'accordait guère de valeur à la vie humaine, car l'humain était imparfait. Puis tuer avait l'avantage de se faire craindre. Il ne faisait pas ça pour le plaisir, mais la peur qu'il inspirait décourageait facilement l'incompétence et la trahison. Il avait fait tuer ou avait lui-même tué plusieurs hommes, dont nombre de ses propres séides qui l'avaient déçu, comme ce commandant et sa proposition insensée. Pour autant, il ne tuait jamais inutilement. Il ne faisait jamais rien inutilement. Tout en ce monde devait avoir une raison. La raison était la seule chose qui restait de la soi-disant grandeur de l'être humain. La raison avait été son guide toute sa vie. Il n'allait sûrement pas l'abandonner peu avant sa mort.
- Je vais aller parler aux dresseurs, dit enfin Spam, et essayer de me mettre sous leur protection. Balterik est un homme sensé et humaniste.
- Vous oubliez Dialine et Hugerson, protesta Spyware.
- Hugerson a son tempérament mais fera ce que Balterik lui dira de faire. Quant à la gamine Dialine, je saurai facilement faire la paix avec elle.
Mais Spam n'en était pas si sûr. Surtout quand il la vit arriver en courant, suivie par les deux adultes derrière, ses yeux jaunes brillants d'une lueur si féroce que Spam sourit à nouveau. Il venait de goûter à un autre sentiment inconnu: la peur.
***
Ad voyait, regroupés à droite de la base, une dizaine de Malware, dont la commandante Spyware, celle qui avait enlevé Kinan, ainsi qu'un homme élégant aux cheveux blonds et aux lunettes carrées, qui ne pouvait être que le Boss Spam. Son visage était assez connu dans la région Naya, plus encore que les triumvirs. Ils avaient avec eux une petite armée de Pokemon mais ils restaient là sans bouger, devant un Eclipsator posé au sol. Derrière eux, des explosions retentissaient à intervalles régulières dans la base.
Apparemment, ils s'apprêtaient à s'enfuir, mais aucun d'entre eux ne faisait le moindre geste, comme s'ils les attendaient. Tant pis, ça arrangeait bien Ad. Si Spam était là, elle pourrait facilement le menacer pour lui demander de relâcher Kinan, si ce n'était déjà fait. Et s'il lui avait fait du mal, il risquait de ne plus être aussi séduisant après qu'Ad se soit chargée de lui. Mais elle s'attendait à devoir se battre, pas à ce que les Malware lèvent les mains.
- Ils se rendent ? S'étonna Elias.
- C'est sûrement un piège, mon oncle, rétorqua Ad. On va d'abord se débarrasser de leurs Pokemon, puis de leurs gadgets, puis ensuite seulement nous écouterons ce qu'ils ont à dire.
- Pas vraiment le bon message à leur envoyer si ils veulent bien se rendre...
- Pourquoi se rendraient-ils ? Ils ont leur base tout à côté ? Ils ont bien plus d'hommes que nous. Ils...
- Ils m'ont l'air justement de ne pas avoir trop d'hommes avec eux alors qu'il s'agit de protéger leur boss.
Ad dut lui accorder ça. C'était vrai, les Malware présents n'étaient pas nombreux. Peut-être les autres étaient-ils en ce moment dans la base pour contenir ce qui était en train de s'y passer. Quelque chose qui était assez grave pour que Spam descende jusqu'à son appareil personnel pour prendre la fuite. Mais il ne le faisait pas. Pourquoi ? Spam s'avança vers eux avec un sourire amical et sans arme, mais craignant une embuscade soudaine, Ad rappela vivement son Kung-Fufu dans sa Pokeball.
Spam dut prendre ce geste comme une initiative de paix, car il s'avança encore plus, mais avant qu'il n'ait pu dire un mot, un coup de feu résonna dans la nuit. S'étant brusquement placé devant son chef, l'un de ses deux commandants présents s'effondra sans un cri, un trou rouge entre les deux yeux. Spam appuya aussitôt sur un bouton de son brassard pour qu'un champ de force vert l'entoure totalement, arrêtant les balles qui continuèrent à arriver.
Ad vit d'où provenaient ces tirs. Deux personnes arrivaient vers eux en courant, l'une bien derrière l'autre. Celui derrière était Kinan, et le cœur d'Ad se gonfla de soulagement quand elle le vit. Celle qui avait tiré était une jeune femme aux cheveux violets et portant l'uniforme noir de la Team Rocket, repérable au R rouge au centre. Cela était surprenant de voir quelqu'un de la Team Rocket dans cette ville, mais ça l'était encore plus quand Ad examina avec plus d'attention la Rocket. Elle se rendit compte qu'elle la connaissait. Et vu comment la Rocket la regarda elle, elle se rappelait d'elle aussi.
Mais elle retourna bien vite à sa cible. N'ayant plus de balles dans son pistolet, elle envoya sur Spam son Brutapode qui se mit en boule et roula pour aller plus vite. Tous les Malware firent un bond pour s'écarter tandis que Brutapode désarçonna plusieurs de leurs Pokemon, et un combat s'engagea. Oncle Elias et le Maître Balterik essayèrent de s'interposer et de ramener le calme avec l'aide de leurs Pokemon. Ad n'avait que faire des affaires entre Rocket et Malware et se précipita plutôt vers son ami. En dépit d'une envie soudaine de l'enlacer, elle se contenta de lui aggripper les épaules.
- Tu vas bien ?
- Et comment ! Je suis content de te voir ici, même si c'était inutile. Ça fait plaisir de se savoir apprécié.
Il avait dit ça avec son sourire typique Kinan, et Ad se retint de lui coller son poing dans la figure.
- C'est cette Rocket qui m'a sauvé, poursuivit Kinan. Kelifa, qu'elle s'appelle.
Ad connaissait son nom avant que Kinan ne le lui dise. Elle l'avait déjà rencontré quelque fois il y a des années, tandis qu'elle était encore une digne héritière de la maison Dialine et qu'elle était amenée par sa mère dans tous les dîners officiels. Comme elle, Kelifa était fille d'une des trois grandes familles de Naya, celle des Akenvas. C'était ainsi qu'Ad l'avait rencontrée, aux différentes réunions des deux familles. Elle devait avoir son âge, à l'époque, et Ad devait être âgée de huit ans. Qu'une telle fille de bonne famille ait décidé de porter l'habit noir de la Team Rocket la surprenait beaucoup. Enfin, elle n'était pas vraiment bien placée pour penser de telles choses non plus...
Alors qu'Elias et Balterik essayaient toujours de séparer les Malware de Kelifa, il y eut un bruit inquiétant provenant du haut du dôme. Un bruit de ferraille. Ad leva les yeux, mais avec toutes les lumières éteintes et la nuit noire, elle ne voyait pas grand-chose. Mais soudain, le bruit se mua en quelque chose de similaire à une explosion, et quelque chose traversa le dôme. Une trainée noire. Ad ne voyait rien de plus précis. Ce rayon, ou quoi que ce soit d'autre, toucha l'un des grands édifices centraux de la ville, qui aussitôt, et sous le regard médusé de toutes les personnes présentes, s'écroula sur lui-même avant de se transformer en débris, puis en poussière. Plus inquiétant encore, le dôme de transparacier lui-même était en train de se désagréger tout autour du trou que la trainée noire avait créée, laissant en quelques secondes la ville sous le déluge de la pluie.
- Im-impossible ! balbutia Spam. Rien au monde ne peut détruire le transparacier aussi vite !
Il y eut un éclair, et dans la courte fraction de lumière, Ad distingua quelque chose dans le ciel. La silhouette d'une créature volante aux larges ailes noires, et celle de son cavalier.
- C'est lui, marmonna Balterik, livide. Il se montre enfin...
Puis il se tourna vers tout le monde et s'exclama :
- Fuyez ! Aussi loin que vous le pouvez ! TOUT LE MONDE ! MAINTENANT !
Mais Ad ne parvenait pas à faire un seul pas. Elle avait son esprit comme emprisonné d'une cage de ténèbres. Elle sentait un grand froid l'envahir. Un froid qui venait de cette silhouette qui descendait du ciel. Un autre rayon noir descendit vers eux. Ad ne le vit pas à temps, mais fut au dernier moment poussée par son oncle.
- ATTENTION !
Il y eut un comme un coup de vent alors qu'Ad fut précipitée au sol. Puis celui d'une chute. Ouvrant difficilement les yeux, elle aurait préféré les garder fermer pour ne pas voir le spectacle atroce devant elle. Son oncle. Allongé par terre, ses yeux grands ouverts ne voyant plus rien. Mort. Elle entendit vaguement les Malware prendre la fuite en courant. Elle entendit les cris de Balterik, le rugissement effrayé des Pokemon et les appels désespérés de Kinan à son égard. Mais elle les entendait comme si elle avait la tête plongée sous l'eau.
Tout autour d'elle, des Pokemon, des Malware et des maisons se faisaient toucher et détruire par les traînées noires, telles du brouillard, qu'envoyait le mystérieux cavalier noir. La base elle-même fut touchée, et se transforma en poussière en quelques secondes. Tout New Naya s'effondrait et disparaissait, ses habitants fuyaient et mourraient dans le chaos le plus total. Mais tout cela n'avait aucune importance pour Ad. Plus rien n'en avait. Seul existait le visage pâle et mort d'Elias à côté du sien.
Elle n'arrivait même pas à comprendre ce qui s'était passé. Peut-être tout ceci n'était pas réel, après tout. Ou peut-être que si, et qu'un de ces rayons noirs allait la toucher et la libérer de cette noire réalité. Tant pis si son oncle s'était sacrifié pour elle ; elle n'avait même plus la force ni la volonté de se relever. Sa demi-prière fut exaucée. Un autre rayon noir, bien plus prêt celui-là, signe que la personne qui les lançait était grandement descendue, fonçait vers elle.
Elle sentit Kinan tenter de la relever, mais il dut s'écarter de la trajectoire du rayon juste avant qu'il ne la touche. Ad s'était attendu plus ou moins à ne rien sentir. Finir en une seconde, comme l'oncle Elias, sans douleur. Pourtant, ce fut bien différent. Elle fut d'abord envahit d'un froid dépassant toute imagination, toute estimation. Elle avait l'impression de s'être jetée dans une eau glacée des pôles du globe en pleine nuit. Des milliers d'aiguilles transpercèrent chaque centimètre carré de sa peau.
Puis ensuite, la douleur cessa, et alors vint l'épuisement. Comme si chacun de ses muscles s'éteignaient les uns après les autres. Une main invisible vint serrer son cœur et ses poumons, l'empêchant de respirer. Son cerveau semblait flotter dans de l'eau gelée. Peut-être était-elle bel et bien en train de mourir après tout. Peut-être que ce rayon était de puissance moindre que celui qui avait tué d'un coup d'un seul son oncle Elias, mais qu'elle le rejoindrait très bientôt.
Pourtant, elle voyait toujours, et elle entendait encore le chaos autour d'elle. Elle vit alors s'approcher une paire de bottes noires dans sa direction. Sans bouger la tête, elle leva les yeux, et vit que la créature noire et son cavalier s'étaient posés. La créature était de toute évidence un Pokemon. Il ressemblait à un Absol, mais était plus grand, plus sombre, plus poilu, et possédait une gigantesque paire d'ailes et une faux immense en guise de corne.
Quant à l'homme, il était tout de noir vêtu, son habit bordé d'or, et portant un médaillon argenté autour du cou. Il avait de longs cheveux noirs, et des yeux tellement bleus qu'ils perçaient facilement la nuit noire. Il affichait un sourire goguenard tandis qu'il s'approchait d'elle, mais quand il la vit distinctement, son expression fut celle de la stupéfaction. Apparemment, il s'attendait à voir quelqu'un d'autre.
- Qui es-tu ? Où est Geran ? Comment as-tu fait pour survivre à ma Déferlante ?
N'obtenant aucune réponse, l'homme leva la main, qui brillait d'une lueur noire. Ad ferma les yeux, prête à en finir. Mais il y eut un cri, humain ou Pokemon, Ad ne pouvait le dire. Puis des bruits de combats. Ad ne comprenait pas. D'ailleurs, elle n'entendait plus rien, maintenant. Il n'y avait plus que le noir complet, les ténèbres, et la jeune fille s'y abandonna avec reconnaissance.