Chapitre 7 : Toujours libre
Personnage narrateur : Ivy
Je ne bouge plus du moindre millimètre. Mes muscles sont tétanisés par la peur tandis que je tente de garder ma maîtrise de moi-même. Mes paupières sont closes, de manière à ne plus voir les silhouettes noires passer devant elles...
J'ai quitté la Communauté Libre au milieu de la nuit, sans dire adieu à mon amie Coxy dont je sais enfin prononcer convenablement le nom. J'avais convenablement préparé mon voyage : après avoir posé de nombreuses questions à toutes sortes de résidents, j'ai appris que la grotte de ce Jirachi n'est pas si loin que je pouvais le penser. Il semble qu'elle se trouve dans les environs de Doublonville. C'est étrange, comment se fait-il que je ne l'ai jamais vue ? J'ai pourtant parcouru toute la région en compagnie de mon Estelle !
Estelle...
La douleur monte dans mon épaule gauche, me troublant la vision alors même que je ferme les yeux. Notre amitié passée, mon amour révolu étaient-ils si puissants que je ressente chacune des blessures que tu reçois ? Est-ce la même chose pour toi ?... Estelle, j'étais pourtant certain que tu m'avais trahi. N'est-ce qu'une ruse ? Je me souviens du regard que tu m'as lancé, plus sincère qu'aucune des lueurs que j'aie vues passer dans ton bleu nuit constellé d'étoiles. Mais tu as si souvent joué la comédie par le passé !
Je ne sais plus. J'ai cru si fort en toi, et je suis passé à la haine pure en un jour à peine. Se pourrait-il que je me trompe depuis le début ? Estelle, je voudrais tant te comprendre... Comprendre la raison de tes actes, savoir si tu tenais vraiment à moi. Tant de questions que je ne me serais jamais posées hier. Est-ce plus important pour moi que de devenir Mentali ? Je ne sais pas encore, mais je tiens peut-être une piste. Pour l'instant, j'attends de voir...
Tu m'as demandé de partir vers la ville, mon Estelle. Pour l'instant, dissimulé au milieu de ces buissons, dans les effluves de ce Tadmorv dégoûtant, je suis invisible et inodore. Les Malosse passent devant moi sans me regarder. J'attends avec appréhension de voir si un petit groupe de Sbires de la Team Rocket ne va pas surgir d'un instant à l'autre sur la route de Doublonville.
Je n'ose pas encore démêler mes sentiments, de peur que tu m'aies trahi. Je ne veux pas me faire de faux espoirs alors que ce n'est peut-être qu'un banal piège pour Evoli candide. Mais je ne suis plus cet Evoli. Je suis Ivy. Et, au-delà de la vengeance ou de ma survie, je veux la vérité. Etrange comme mon discours contraste soudain avec mes pensées d'hier soir. Je ne souhaitais alors que la fuite...
Une chose est certaine, pour l'instant, je suis toujours libre. Peut-être plus pour longtemps.
J'ouvre les yeux. Les Sbires de la Team Rocket ont déserté la clairière. Autour de moi, tout est vide, vierge. Le brouillard se dissipe lentement. Se pourrait-il que ces deux évènements conjugués soient l'œuvre de mon ancienne dresseuse ?
Une tête ronde et rouge apparaît à l'envers devant moi en un clin d'œil.
-Coucou !
-Aaaaaaaaaaah !!
Je sursaute violemment et me colle contre le tronc le plus proche. Mes griffes sont sorties, prêtes à servir. Mais ce n'est plus la peine, puisque j'ai reconnu la voix –et le point noir, sur le sommet du crâne.
-Coxy ! Tu m'as fichu la trouille ! Qu'est-ce que tu fais ici ?
-Bah, tiens, les copines et moi, on a b'en r'marqué qu'tu t'étais fait la malle. Et quand on a entendu du boucan, on s'est dépêchées d'venir. Ça a payé, non ?
Ce n'est que maintenant que je remarque l'essaim gigantesque qui évolue aux abords de la clairière. Des Coxy au teint clair soignent les brûlures de leurs congénères alors que, renforcées par les épreuves qu'elles viennent de vivre, d'autres de ces bestioles se mettent à évoluer, devenant de superbes Coxyclaque. J'incline l'oreille droite en signe d'amusement.
-C'était génial. Merci, les amies.
-'Service, fait Coxy en se remettant à l'endroit, ses ailes battant si vite qu'il est impossible de les suivre des yeux. Tu peux v'nir, tu sais ? Les méchants ils s'sont barrés.
-C'est vrai ?
-Oh ça, pour sûre ! Les plus proches sont partis dans l'coin de Rosalia, et ils sont rapprochés pire qu'un essaim. S'tu veux mon avis, pars dans l'aut' direction, vers ce taudis banlieusard qu'les humains appellent Doublon-truc. C'est pas là qu'ils viendront t'chercher, j'te dis !
J'écarquille les yeux, ébahi. Bien sûr, Coxy ne peut pas comprendre les raisons de mon étonnement. Peut-être lui dirai-je tout un jour...
-J'vais suivre l'conseil. Merci, ma vieille.
-T'sais quoi ? J'crois qu't'as enfin attrapé l'accent d'chez nous ! (Elle rit de bon cœur.) T'sais, les domestiques ils vont p'us rien comprendre !!
-Tu as raison. Je garderai toujours un excellent souvenir de vous, Coxy. On reste en contact ?
-Ça roule mon coco. A plus !
-...Attends, Coxy !
Elle se retourne et me regarde avec de grands yeux surpris. Moins beaux que ceux de mon Estelle, mais mignons tout de même.
-Ouaip ?
-Dis, en toute sincérité... C'est vous qui avez déclenché la Puanteur du Tadmorv ?
-Ben non ! s'écrie-t-elle avec indignation. Nous, les Coxy, on aime trop l'pollen pour respirer des odeurs pourraves ! Vas pas t'imaginer des trucs !!
Et elle s'en va rejoindre ses compagnes qui improvisent déjà une ronde de victoire sous la lune à peine levée.
Je suis statufié. Je ne sais pas où je trouve la force de tenir debout. Timidement, comme pour tester les limites de mon corps, j'avance une patte, puis l'autre. Je me mets à courir, sans un dernier regard pour mes amies. Je me sens vide de toute énergie, si petite soit-elle. Et pourtant, je continue à avancer. Vers Doublonville. Comme l'avait dit Estelle...
Comme l'avait dit Estelle ! Mon Arceus ! Dites-moi que c'est vrai !! Oui, oh oui !
Estelle, je savais bien que tu ne pouvais pas me trahir !!
Les larmes coulent une fois de plus, traçant des sillons sur mes joues au fur et à mesure de ma progression. Estelle, comme je regrette d'avoir douté de toi ! Je ne sais pas encore pourquoi tu as fait cela, ni dans quelles circonstances tu es entrée à la Team Rocket, mais peu m'importe. Je suis si heureux de te savoir à mes côtés dans cette épreuve. Et ce, même si je ne devais jamais te revoir.
Je revois ton visage lorsque je t'ai attaquée, alors que c'était moi-même que je blessais par ce geste. Je voulais te faire comprendre que je ne voulais plus jamais que tu t'approches de moi... Comme j'ai eu tort ! Ton sang a coulé, et je suis impardonnable. Absolument impardonnable ! Je t'ai tellement fait souffrir, alors que tu as toi-même tenté de me consoler. Tu m'as sauvé ! Oh, Estelle, Estelle, fasse que je ne me sois pas trompé ! Fasse que je ne me trompe plus jamais !
Je jure de croire en toi à partir de ce jour, et ce quoi qu'il arrive. Je promets de te sauver à mon tour, si j'en avais l'occasion. Je sais qu'au-delà d'être un membre de la Team Rocket, tu es une jeune femme prometteuse au grand cœur. Je crois en toi, Estelle ! Tu peux compter sur moi ! Je promets de te sortir des griffes de cette immonde Team Rocket !... Comme j'aimerais te le faire comprendre à cet instant, revenir auprès de toi...
Je sens à nouveau l'énergie de puissance envahir chacun de mes membres et pulser au rythme de l'évolution qui m'attend. Je la contiens, mais avec un tel bonheur cette fois-ci ! Cela ne me paraît plus un fardeau. J'attendrai le matin. Tu me verras resplendir sous ma forme de lumière, mon amie, mon âme. Je veux t'offrir ce remerciement avant de te libérer.
J'ai couru longtemps, mais rapidement. Je suis déjà sur la colline, un peu au sud de Doublonville. Si je suis les recommandations d'Estelle, je dois poursuivre plein sud, vers le Bois aux Chênes. Je jette un dernier regard à la cité qui m'a vu naître et que je ne reverrai certainement plus. De loin, je vois la Tour Radio se découper sur la lune plus claire à présent. Quelque chose est accroché à son sommet... De quoi s'agit-il...?!
Des hommes patrouillent dans des rues désertes. Je lève une oreille inquiète. D'ordinaire, à cette heure-ci, elles sont noires de monde... Il se passe quelque chose... Non ! NON ! Ils portent des uniformes de Team Rocket ! Et ce drapeau, sur la tour Radio... Je distingue à présent le R rouge sur fond de ténèbres !
Estelle, je doute à nouveau. As-tu fait cela pour me tendre un piège au cœur de ma ville natale ? Non, certainement pas, puisque tu m'as conseillé d'aller à Ecorcia. Si je t'avais écoutée, au lieu de replonger dans mes souvenirs, j'aurais évité Doublonville. Tu as voulu me sauver une fois de plus...
J'ai une boule dans l'estomac. La Team Rocket est enfin de retour et s'apprête à conquérir le monde... Et si cela représente peut-être une grande joie pour toi, cela me peine. Si ces voyous contrôlent la région, qu'adviendra-t-il des Coxy ? Et des Caninos, des Cerfrousse ? Non, je ne peux pas laisser faire ça ! Je me ramasse pour bondir...
Une douleur. Vive. En plein ventre. Je m'étale sur le sol et me recroqueville. Je souffre atrocement. Sont-ce les Noigrumes qui me font cet effet ? Mais non, je ressens de la souffrance dans la joue aussi... Sur l'autre joue... Mon épaule gauche me semble éclater. Je laisse échapper un cri malgré moi. Pourtant je ne suis pas bless... Oh non !!
Estelle ! C'est elle qui doit souffrir comme ça !!
Qu'est-il arrivé à Estelle ?!
D'un bond, je suis dans la ville, slalomant entre les agents de la Team Rocket qui ne me voient même pas passer tant je suis rapide. Je saute au-dessus d'un vieux carton rempli de journaux et me faufile dans une ruelle, les yeux fermés, suivant simplement mon instinct.
Je dois protéger Estelle ! Quelqu'un est en train de lui faire du mal !
Et cela, je ne peux pas l'accepter !!
ESTELLE !