Aide-toi et le ciel t'aidera de Kydra

Eclair-de-Liberté s'insurgea violemment. Il hurlait, les poils hérissés, entouré de puissants éclairs. Il ne pouvait pas accepter de laisser Vassili ici. Pourtant, il le fallait. Déjà, j'avais trouvé que notre humain avait été lent à se rendre compte de l'évidence. Une fois qu'il avait réussi, je ne voyais pas pourquoi nous aurions dû nous retenir de l'écouter. C'était un comportement normal, nous allions ainsi sauver nos vies. Il valait mieux y avoir un seul mort plutôt que cinq. Terreur-des-Hommes avait elle aussi l'air d'être prête à s'en aller, même si je la sentais bien triste. Nous, les Pokémon de la forêt avions l'habitude de ce genre de sacrifice ô combien difficile (il l'était tout de même un peu plus quand il s'agissait de Pokémon).

Je m'apprêtais à raisonner Eclair-de-Liberté, un peu violemment s'il le fallait, au moment où une forme arrondie et brune qui dépassait légèrement du tapis blanc nous accosta. J'ignorais depuis combien de temps cet être nous espionnait, je n'avais pas remarqué qu'il était là. Un petit couloir qu'il avait tracé dans la neige en venant jusque-là était encore visible, signe que sa venue était tout de même relativement récente.

..................- Calmez-vous. Ça va aller, il ne fait pas si froid que ça ici ! Vous voulez peut-être un peu à manger, ça vous détendra... proposa-t-il en sortant quelques baies de sa fourrure brune. Vous allez quelque part ?
..................- Qui êtes-vous ? demandai-je surpris de constater qu'il pouvait y avoir de la vie sur cette montagne.
..................- Mangez avant autre chose, nous aurons tout le loisir de parler sur le chemin. Où souhaitez-vous aller ? répéta-t-il.

J'acceptai sans plus attendre la nourriture que le petit Pokémon poilu nous proposait. Jamais je n'avais mangé de baies aussi goûteuses auparavant. Mes compagnons eurent l'air d'apprécier cet instant au moins autant que moi. Nous mettions difficilement les petites boules dans nos bouches, les pattes (ou les lames) trop engourdies par le froid. Nous tremblions, lâchions ce que nous tenions, le ramassions aux prix d'une grande concentration. Notre sauveur nous laissa un peu de temps pour nous restaurer, mais il nous demanda bien vite de repartir en réitérant sa question.

..................- Nous allions chez Ho-Oh il y a quelques minutes, répondit aimablement Eclair-de-Liberté. Mais maintenant, nous voulons juste retourner en bas, sinon mon humain va mourir de froid !
..................- Il ne faut pas que vous restiez ici, vous n'êtes pas assez poilus... Mettons-nous vite en route !

J'hésitai à reposer la question de son identité, puisqu'il marchait devant, ses petites pattes couvertes par ses longs poils bruns, sans répondre à mes sollicitations précédentes. Je me demandai s'il avait envie de ne rien nous dire... Je ne voulais surtout pas le fâcher, étant donné qu'il venait sans doute de nous sauver la vie. Finalement, après quelques dizaines de mètres, il se décida à réengager la conversation de lui-même.

..................- Je suis Niryo, le Marcacrin solitaire. Ce beau paysage blanc est ma demeure. Il ne faut pas se fier à la température, vous avez peut-être froid, mais moi je suis très bien là. C'est chez vous, en bas, que je souffre beaucoup de la chaleur, raison pour laquelle je reste le plus possible perché sur ma montagne. Tu as raison, l'Elecsprint, ton humain risque de ne pas tenir longtemps, argument de plus pour nous dépêcher. Vous pourrez remercier Neïko en arrivant, sans elle, vous tourneriez encore en rond dans la neige à l'heure qu'il est !
..................- Mon humain s'appelle Vassili, c'est le plus gentil de tous, mon meilleur ami, il m'a recueilli quand mon papa est mort. Je suis Eclair-de-Liberté, c'est lui qui m'a baptisé comme ça, un nom magnifique.

Eclair-de-Liberté continua les présentations. J'étais tellement soulagé d'avoir enfin rencontré âme qui vive que je ne m'offusquai même pas, ni pour les compliments envers Vassili, ni pour le fait de l'avoir introduit en premier. Je le laissai finir, poliment, pour reprendre des considérations plus importantes.

..................- Vous connaissez Neïko ? demandai-je.
..................- Il vient souvent à la limite de la neige avec son humaine, pour s'entraîner au combat. Je l'ai affronté une ou deux fois, mais le combat, ce n'est pas vraiment ma passion. Par contre, on se voit régulièrement, je lui apporte des baies et on discute pendant ses pauses. La dresseuse me gratouille souvent le ventre, c'est très agréable. Puis elle me donne des biscuits aussi... La nourriture humaine, c'est vraiment délicieux !
..................- C'est Neïko qui vous a demandé de venir nous chercher ? repris-je avant qu'il ne partît dans une dissertation sur les repas qui risquait fort de me donner faim.
..................- En effet. Sa dresseuse était inquiète. Les humains peuvent prévoir le temps, alors quand elle a vu qu'il allait faire un peu plus frais et qu'il allait neiger, elle a eu peur que vous ayez froid. Elle a donc envoyé Neïko me trouver. Il n'est pas venu jusqu'ici parce que lui aussi supporte mal le temps qu'il fait si haut... Vous êtes tout de même inconscients d'être montés jusque-là avec un humain ! Même vous, je ne suis pas sûr que vous ayez pu y résister encore longtemps...
..................- Faut absolument qu'on aille voir Ho-Oh, expliqua Eclair-de-Liberté, pour arrêter la guerre. Si on le fait pas, je ne pourrais jamais vivre tranquillement avec Vassili. Il est bien là-haut, hein ?
..................- C'est ce qu'on raconte, en effet. Il paraît qu'il vit à la sortie d'une grotte, sur un sommet, par-là, dit-il en désignant une direction d'un geste de son gros museau.
..................- Tu l'as déjà vu ? insista le petit.
..................- Non, je n'ai aucun intérêt à le chercher, surtout qu'il n'est pas facile à trouver, à ce qu'on raconte. Ce n'est même peut-être qu'une légende... En plus, il fait chaud, dans la grotte en question.
..................- C'est loin ?
..................- C'est un peu loin, oui. Si la question pouvait se reformuler en « est ce qu'on peut y aller maintenant ? », la réponse est en effet « c'est très loin, vous ne tiendrez pas jusque-là ».
..................- Il fait toujours aussi froid ? Je veux dire, aucun humain ne peut monter ?
..................- Si bien sûr, mais il faut qu'il s'équipe un peu mieux. Quand la dresseuse de Neïko vient, elle se met une énorme peau amovible... Le tien est tout maigre ! Vous aussi, vous pouvez mettre des peaux amovibles, c'est arrivé à Neïko, parfois.
..................- Tu pourras nous y amener quand on sera prêts, s'il te plaît ? J'ai pas envie qu'on se perde encore !
..................- Il faut que j'en parle à Neïko, quand même. Mais en effet, je pourrais peut-être faire ça pour vous...

Le repas, même frugal, et le regain d'espoir réussirent à remotiver tout le groupe. La descente reprit donc avec un peu plus d'entrain que ce qu'elle n'avait commencé. Niryo parlait beaucoup, parfois peut-être un peu trop, mais au moins il nous obligeait à rester éveillé et à penser à autre chose que notre froid. Nous apprîmes, au fil de la discussion, qu'il avait vécu au sein d'un groupe de Pokémon de type Glace assez peu intéressés par le combat, puis qu'il avait décidé de partir en solitaire pour profiter de son environnement en voyageant. Je m'interrogeai sur sa faculté à discerner les différents paysages dans cette zone où tout été blanc de givre, mais je ne le fis pas remarquer à haute voix. J'essayai par contre avec insistance de comprendre comment il pouvait ne pas éprouver de manque à vivre sans combattre, en retournant la question de plusieurs façons différentes. Je fus étonné de constater qu'il semblait au contraire se sentir beaucoup mieux sans affronter d'autres Pokémon. Il avait certes l'air très serviable ; l'un n'empêchait pas l'autre. Je constatai aussi qu'il avait une masse de connaissances plus qu'importante que tous ceux que j'avais connus avant. Tout le temps qu'il ne passait pas à l'entraînement profitait à sa culture personnelle, très étendue. Ce genre de comportement restait marginal dans notre forêt, alors qu'il était monnaie courante dans son habitat. Alors que je pensais qu'il allait vite me déranger à étaler sa science, je trouvai au contraire ses propos intéressants. Tout comme mes compagnons, j'étais scotché à ses paroles que je buvais avec plaisir. Seul Vassili ne pouvait pas en profiter... Eclair-de-Liberté ne le laissait pas seul pour autant : il prenait soin de lui adresser des regards fréquents, s'inquiétant sans cesse de son état de santé.

Nous manquions beaucoup de sommeil. Niryo nous avait conseillé de dormir le moins possible, car comme Vassili et moi le craignions, nous aurions risqué de mourir de froid. A cause de la fatigue, je manquai plus d'une fois de m'endormir debout. Il en fut de même pour Vassili qui, lui, tomba vraiment dans la neige la tête la première. Il fit beaucoup rire tout le monde, même Eclair-de-Liberté dut se forcer pour le cacher. Il ne sembla pas nous en vouloir pour autant... Un peu plus tard, alors que nous faisions une pause, il annonça, alors que personne n'avait parlé (même Niryo !) depuis plusieurs minutes : « Non, pas du tout, le caillou est sec ». Nous nous regardâmes tous très étonnés de cette phrase qui semblait être une réponse. Le jeune dévisagea son humain sans comprendre. Quand les petits yeux noirs croisèrent ceux du Pokémon, Vassili eut un sursaut, puis une expression un peu gênée.

..................- J'ai rêvé, je crois... Je me suis endormi, avoua-t-il un peu penaud. Il est temps qu'on arrive... Tout à l'heure, j'ai vu passer des Helledelle. Il n'y en avait pas, n'est-ce pas ?

Nous secouâmes tous la tête négativement. Alors que je me demandais comment on pouvait se trouver dans un tel état, j'eus moi aussi une hallucination, à la pause suivante. Je me relevai seul, voyant le groupe repartir alors qu'ils restaient tous là. Terreur-des-Hommes me fit part de son expérience, tout aussi inquiétante.

..................- Vaillant-Rescapé... J'espère qu'on arrive vite, j'ai l'impression d'avoir chaud, je me sens vraiment mal. Vassili est dans un état encore pire, je le vois bien. On essaie tous de le cacher, mais on ne tiendra plus longtemps.
..................- On y est presque, nous rassura Niryo avant que je ne pusse parler. Dans quelques heures il n'y aura plus de neige, on pourra s'arrêter pour que vous dormiez. Mais pas trop longtemps quand même, il fera toujours un peu froid.

Eclair-de-Liberté ne cacha pas sa joie. Il sauta sur son humain pour lui faire comprendre la nouvelle par de grands coups de tête amicaux. Ce fut avec une joie encore plus grande que nous constatâmes qu'il ne s'était pas trompé. La neige disparut peu à peu pour laisser sa place à un sol bien dur et surtout moins froid. La marche nous avait même un peu réchauffés. Je n'avais jamais été aussi heureux de transpirer un peu.

Nous fîmes une petite pause pour dormir quelques heures, serrés contre Newton. Neïko nous attendait un peu plus en aval, avec son humaine.

..................- Arceus soit loué, Niryo vous a trouvé ! Vous seriez morts de froid là-haut.

Terreur-des-Hommes remercia chaleureusement l'Osselait pour avoir pris l'initiative de nous envoyer du secours. Je n'aimais pas avoir besoin qu'on vînt me sauver, mais il fallait bien avouer qu'il avait raison : nous lui devions la vie. Je lui adressais donc moi aussi un sourire.

..................- Naïma a eu peur pour ton humain. Elle le trouve sympa... Moi aussi, je trouve que vous êtes des adversaires plus qu'intéressants, ce serait bête que vous soyez allés gâcher votre vie comme ça. Faites plus attention la prochaine fois !
Je n'aimais guère les leçons de comportement ; je me tus cependant, n'ayant rien de très pertinent à avancer. Nous avions en effet pris bien trop de risques. Avant que je ne pusse plus réfléchir aux conséquences de nos choix, les humains commencèrent à parler eux aussi.
..................- Va pas crever, toi, j'ai besoin que tu m'apprennes des trucs, lança la jeune humaine. Puis faut bien que j'arrive à tuer ton Insécateur avant qu'il aille au paradis ! Non, mais sérieusement, vous êtes fous d'être montés par ce temps. J'y vais souvent pour endurcir Neïko, mais surtout pas avec une tempête de neige, c'est le meilleur moyen pour se perdre, sérieux ! Y a que le petit Marcacrin qui peut s'y retrouver là-dedans. Passez à la maison, on va vous faire des trucs chauds et vous allez un peu dormir, vous avez des têtes de déterrés. La Migalos a des couleurs horribles, on dirait que c'est une nouvelle espèce de chromatique...
..................- Merci, se contenta de répondre Vassili, tout aussi déboussolé que Terreur-des-Hommes.