Chapitre 33 : Grimace
Nous suivîmes Naïma dans les rues du nid humain. Neïko marchait à ses côtés, l'air joyeux. Nous apprîmes qu'il restait toujours hors de sa Pokéball, sauf avant les combats, pour ne pas que l'adversaire prît l'avantage du type. La jeune Osselait me dit, avec un petit sourire gêné :
...................- T'es fort ! On s'entraîne dur, mais tu nous as quand même battus alors que ton dresseur n'est pas très utile... Je suis désolée de t'avoir provoqué, mais tout comme mon humaine, j'ai cru que t'étais un de ces méchants.
...................- Je faisais partie d'un groupe de Pokémon qui se bat contre les humains, pour garder notre libre arbitre. Vassili n'est pas mon dresseur, on voyage ensemble, pour des raisons pratiques, c'est tout.
...................- Contre les humains ? Mais c'est insensé ! Ils sont comme les Pokémon, y en a des gentils, y en a des méchants... C'est comme si tu exterminais tous les Osselait ou tous les Insécateur... Vous êtes louches à Vogra !
...................- Non, les humains nous privent de notre liberté, ils nous réduisent en esclavage, nous nous devons de protester !
...................- T'es complètement fêlé, mon vieux ! Sans Naïma, je ne sais pas ce que je ferais en ce moment. Je t'assure qu'on est très bien avec eux... Ou alors, ceux de Vogra sont pas les mêmes qu'ici.
...................- Terreur-des-Hommes m'a dit que ce n'était pas les mêmes, en effet...
...................- Pourtant, Vassili a l'air comme Naïma... Moins doué, mais il tient à toi, comme elle tient à moi !
La conversation se termina : nous arrivions. Nous avions traversé entièrement le nid, nous étions au pied du Tagne. Nous passâmes entre de grandes constructions, grises et moches. Autour de nous, il y avait beaucoup d'humains, des enfants et des adultes. Encore une fois, ils nous dévisageaient quand nous passions à proximité. Nous nous rendîmes derrière ces bâtiments, où se trouvaient de très petites tanières. Contrairement aux autres, elles ne semblaient pas attachées à la terre. Leurs propriétaires étaient pour la plupart assis devant, ou debout au milieu du terrain. Trois enfants humains, à peu près de l'âge de Naïma, arrivèrent vers nous d'un pas nonchalant. Il y avait deux mâles et une femelle.
...................- Qui c'est lui ? demanda le premier mâle.
...................- Un ingénieur en objets tactiques, répondit Naïma.
...................- Y craint, ajouta la femelle. Tu le ramènes chez toi ?
...................- Ouais, on va discuter. Son Insécateur est une bête, il m'a torchée...
Le deuxième mâle nous lança un regard vide, comme celui de Newton. Il était peut-être un peu étonné, mais il ne dit rien. Les trois s'éloignèrent, puisque leur amie était occupée avec nous. Ils ne semblaient pas si heureux de nous voir...
Naïma entra dans une tanière et ressortit en compagnie d'une autre humaine, grande aux poils noirs et frisés, un peu grosse. Elle nous sourit bizarrement. La jeune dresseuse prit la parole pour faire les présentations. Sa mère s'appelait Isabelle. Elle invita Vassili à s'asseoir autour d'une table, quant aux Pokémon, ils resteraient manifestement debout. Elle proposa à boire à mon humain qui accepta timidement. Ils commencèrent à parler, de choses qui m'étaient totalement inconnues. Cela concernait les Pokémon, mais il s'agissait de techniques, inconnues dans la nature, qui utilisaient des objets. Neïko m'expliqua rapidement, voyant que j'étais perdu.
...................- Des fois, Naïma me fait porter des objets humains. Ils me gênent quand je me bats, mais elle me dit que cela fait du bien à mon entraînement. Par contre, d'autres fois, je porte des choses qui m'aident beaucoup. C'est le mystère des techniques humaines, mais puisque c'est censé nous aider... Ca ne fait pas mal, ajouta-t-il quand elle vit mon air dubitatif.
Naïma raconta ensuite, un peu honteuse, comment elle avait rencontré, ou plutôt agressé, Vassili.
...................- C'est quoi cette milice ? demanda Vassili étonné.
...................- Des fous, répondit Isabelle catégorique. Ils se font appeler la Milice de Libération parce qu'ils mènent des actions contre ce quartier. D'après eux, la ville n'est pas en sécurité avec nous. C'est de la connerie. Ils sont accompagnés par des Pokémon hors de leur Pokéball, un chacun, et sont extrêmement violents. Il y a déjà eu des morts... Ils nous agressent et nous tirent même dessus parfois.
...................- Personne ne fait rien ? questionna Vassili.
...................- Non. Les flics, les gens... Tout le monde, a autant peur d'eux que de nous, affirma Naïma avec dégoût. Puis, ils se foutent bien de ce qui peut nous arriver !
La discussion retourna ensuite vers le premier sujet : les objets de combat. Naïma répéta son intention de devenir dresseuse renommée. Sa mère semblait dubitative, bien qu'elle ne dît rien devant Vassili. Ce dernier s'excusa de ne pas pouvoir rester plus longtemps. Il ne voulait pas perdre de temps pour escalader ce fichu mont. Je ne pouvais que saluer une telle initiative.
Le Tagne n'était pas loin. Quelques mètres derrière les dernières tanières se trouvait le flanc que nous allions devoir escalader. Newton ressortit de Noigrume, visiblement heureux d'avoir pu s'y reposer. Les autres Pokémon regagnèrent eux aussi la liberté, conformément à ce que j'avais demandé. Nous prîmes un petit chemin de terre grimpant vers le sommet. De là où nous étions, nous ne pouvions pas l'apercevoir, ce sommet. J'étais persuadé qu'il était encore perdu dans la brume. A la tombée de la nuit, nous avions l'impression de ne pas avoir progressé. Le paysage était toujours le même : notre route sillonnant des champs, avec parfois quelques tanières isolées. La seule preuve de notre effort était le nid qui rapetissait doucement en contrebas. Nous croisâmes quelques Pokémon et de nombreux animaux froussards dans cette zone pauvre en humains et les baies n'étaient pas rares, aussi, notre repas du soir ne fut pas difficile à constituer.
Le lendemain, nous finîmes par arriver au terme du chemin. Il y avait là quelques tanières un peu moins isolées que le long de la route, mais tout de même peu nombreuses. L'une d'elle avait le toit rouge, comme les Centres Pokémon, cependant, elle n'était ni aussi clinquante, ni aussi grande. Faite de bois, elle avait bien besoin de quelques réparations. Il y avait devant elle un bâton surmonté d'une planche sur laquelle des symboles étaient tracés. Vassili nous indiqua que nous pouvions nous y arrêter. Nous entrâmes. L'intérieur était joli et un humain se trouvait assis au centre. Il nous accueillit chaleureusement. Il distribua avec générosité des œufs de Leveinard aux Pokémon. Nous apprîmes également qu'il s'agissait de la dernière habitation. Les dresseurs s'y arrêtaient pour prendre des forces avant de s'aventurer sur le flanc de la montagne. C'était un lieu de passage assez fréquenté, puisque de nombreux Pokémon rares habitaient dans cette zone presque sauvage. On pouvait même se rendre dans une grotte à partir de là, mais l'accès était déconseillé car elle était réputée dangereuse. L'humain posa quelques questions à Vassili, faisant visiblement semblant de s'intéresser à ce qu'il faisait. Cependant, les réponses qu'il obtint furent plus que succinctes et évasives, ce qui l'amena à se taire assez vite. Il avait sans doute compris que mon compagnon ne souhaitait pas s'appesantir sur ses motivations. Aucune fois il ne mentionna Ho-Oh.
Plus nous montions le long de la montagne, plus les chemins étaient sinueux et minuscules. Les nuits se refroidissaient de jour en jour et ce fut bientôt la température en journée qui devint à peine supportable. Nous croisâmes comme prévu l'entrée d'une espèce de grotte, qui semblait s'enfoncer dans le versant de la montagne. Nous vîmes également un chemin qui la contournait ; nous préférâmes donc continuer à progresser dans le froid plutôt que de risquer de se perdre dans le noir. Le parcours fut bien plus difficile à partir de ce moment. Nous nous fatiguâmes beaucoup pour progresser très doucement pendant plusieurs jours. A n'en pas douter, peu montaient ici et peu souvent. Cela n'augurait rien de bien rassurant... Heureusement, nous étions près de notre but. J'avais vraiment hâte de rencontrer ce Ho-Oh qui pourrait enfin répondre à toutes nos questions et régler nos problèmes.
Nous n'avions pas oublié de continuer de nous entraîner malgré le temps. Terreur-des-Hommes et moi conservions notre niveau, tout en peaufinant les petits détails. Vassili progressait un peu, mais le plus impressionnant était Eclair-de-Liberté. Il avait atteint un niveau plus qu'honorable depuis le début de l'ascension. Il faisait preuve d'un enthousiasme et d'une motivation remarquables pendant les phases d'entraînement. A chaque exercice réussi, il lançait un regard joyeux à son dresseur, sautillant pour lui exprimer sa joie. Le moindre signe de fierté ou de reconnaissance de la part de son humain le portait au septième ciel. Sa dévotion pour lui était totale, voulant toujours lui montrer qu'il était le meilleur. Un jour, il me fit même une annonce qui me laissa abasourdi.
...................- Je veux plus trouver Ho-Oh, lança-t-il en soupirant de lassitude, mais avec conviction.
...................- Mais enfin, il va régler tous nos problèmes ! Il va arrêter la guerre... Tu ne veux pas qu'elle se termine ? m'étonnai-je stupéfait. C'est elle qui a tué ton père.
...................- Non, j'en ai rien à faire, dit-il en se couchant. Vassili et moi, on peut faire des combats, je suis heureux avec lui. Ici, y a plus cette guerre, alors je vois pas d'intérêt à l'arrêter là-bas. Je veux rester là, faire devenir mon humain le meilleur de tous les dresseurs. Là, il fait froid, on est pas bien... En bas, près de chez Neïko, ça a l'air cool pour s'entraîner. Et je crois que vos problèmes sont les derniers soucis de Ho-Oh, vu comme il doit être peinard. On est sur une terre où on est bien, on peut se reposer, on peut jouer ! On se fatigue pour rien... Je veux pas non plus rentrer chez nous. Les Pokémon aiment pas les humains, ils seront méchants avec Vassili et puis avec moi parce que je suis son ami.
...................- Mais non, justement ! Ho-Oh va nous réconcilier... Il n'y aura plus de guerre.
...................- Il n'y aura pas d'autres dresseurs non plus, m'interrompit-il. On va s'ennuyer ! Puis je te l'ai déjà dit, la guerre n'est pas ici, on a pas besoin de l'arrêter, on a qu'à rester où on est.
...................- On ne peut abandonner notre forêt. Tu comprends, c'est chez nous, c'est notre terre. Nous sommes tous nés là-bas, nous y avons des compagnons. Ils ont besoin qu'on arrête la guerre.
...................- Moi, j'ai personne. Papa est mort. Maman a disparu. Mes amis ne valaient rien à côté de Vassili. Je veux pas y retourner, répéta-t-il catégorique.
...................- C'est important pour moi, dis-je. J'ai besoin de savoir où j'en suis. Surtout, je me suis engagé auprès des Pokémon de la forêt. Je ne peux pas les lâcher. C'est comme ça.
Newton nous regardait avec intérêt, sans pour autant avoir l'air de comprendre. Vassili, lui, tentait de se réchauffer, la tête rentrée dans sa peau amovible. Quant à Terreur-des-Hommes, elle s'était contentée de nous observer jusque-là. Elle s'approcha un peu et prit part à la conversation.
...................- Je sais, Eclair-de-Liberté, tu n'as pas d'attaches à Vogra (le fait qu'elle utilisât le nom humain me fit tressaillir). Mais nous tous sommes bien plus vieux que toi... Vaillant-Rescapé a raison. C'est notre terre et la guerre qui la ronge est notre combat. Nous nous devons d'y participer. Je comprends que tu veuilles vivre une vie normale avec Vassili. Mais tu sais, lui non plus ne veut pas abandonner sa terre. Il l'a dit en mer et même avant... Je pense honnêtement qu'il préfèrerait que tu l'aides à servir ses convictions plutôt que d'essayer de l'éloigner de ce pour quoi il se bat. Nous autres, Pokémon, ignorons les raisons profondes du conflit entre les deux clans humains... Mais je crois que c'est quelque chose d'important, au moins aux yeux de ton ami. Une fois que nous aurons rencontré Ho-Oh, je suis sûre que nous en saurons plus. Courage, tu pourras mener la vie que tu souhaites avec lui par la suite !
...................- Mais pourquoi vous risquez tous votre vie ? Quand vous serez morts, qu'est-ce que ça fera que le monde ait changé ? demanda le petit d'une voix triste. Vous allez juste m'abandonner, comme mon papa. En vous battant, vous laissez tout le monde... Je veux pas que Vassili meure aussi, je ne veux pas être tout seul encore une fois !
...................- Mais c'est notre liberté, répondis-je, un peu énervé.
...................- On en a pas besoin si c'est pour mourir... Je veux juste être tranquille.
...................- Je pense que tu devrais te fier à Vassili et à nous, conseilla Terreur-des-Hommes avec un sourire conciliant. Nous avons vu beaucoup de choses qui justifient notre combat, pour Vaillant-Rescapé et moi. Je suis persuadée que c'est pareil pour Vassili. Sans doute, en grandissant, toi aussi tu découvriras que des fois, certaines choses sont plus importantes que nos vies... Mais ne t'en fais pas, ton humain ne te laissera jamais tomber.
Eclair-de-Liberté ne répondit rien, visiblement peu convaincu. Il força un sourire et ferma les paupières pour tenter de dormir. Durant quelques heures, je doutai moi-même d'avoir raison. Peut-être était-ce lui qui avait compris... Dès que je pensais que Terreur-des-Hommes m'approuvait, je me dis que nous étions sur le bon chemin. Elle avait toujours été de bon conseil. Le fait que Vassili eût les mêmes convictions me rassurait aussi, paradoxalement.
Alors que j'espérais que nous n'étions plus qu'à quelques kilomètres du nid de l'oiseau de feu, de la neige se mit à tomber. Au départ, je crus que c'était un Pokémon qui provoquait cette chute car il n'y en avait jamais naturellement chez nous, mais il n'en était rien. Il faisait très froid... Au départ, les flocons blancs fondaient en touchant le sol. En montant un peu plus, au fil du temps, le chemin devint entièrement invisible, enfoui sous la masse d'eau solide. La nuit, nous restions alors à côté de Newton, notre unique source de chaleur. Lui aussi souffrait de la température, bien que beaucoup moins que nous. Eclair-de-Liberté grelottait contre Vassili, dont les bouts des pattes commençaient à bleuir. Nous changeâmes de rythme dès le premier jour de neige. Nous alternions marche et sommeil sur quelques heures, sous prétexte que nous risquions de geler sur place.