Chapitre 26 : Toxik
Dès les premières lueurs du jour, je m'empressai de réveiller le groupe. J'avais très mal dormi à cause du froid, j'étais donc plus que pressé de repartir. Un peu d'exercice ne pourrait que me réchauffer. Nous nous dirigeâmes vers le nid, que Vassili semblait appeler ville. Dynavolt marchait entre les cailloux, tête baissée, anormalement concentré sur le sol. Il traînait les pattes, comme les vieux Pokémon usés par le poids des années. Il trébucha même plusieurs fois, alors qu'en journée, le chemin n'était pas si difficile. Il remarqua que je l'observais depuis un moment et me lança un regard interrogateur. Je constatai avec inquiétude que ses yeux me rappelaient ceux des morts, éteints et inexpressifs.
................- Tu ne te sens pas bien ? demandai-je en masquant au mieux mon anxiété.
................- Je suis très fatigué, j'ai eu du mal à dormir. Mais ça va aller, t'inquiète pas pour moi.
................- Si tu as le moindre problème, n'hésite pas à nous le dire, tout le monde a le droit d'avoir besoin d'une pause, renchérit Terreur-des-Hommes.
Mon amie Migalos savait comme moi que le petit voulait avoir l'air d'être invincible devant son humain. Les enfants avaient plus de mal à se rendre compte de leurs limites. Nous devions donc nous assurer nous-mêmes qu'il ne se pousserait pas à bout. Notre voyage risquait d'être long et fatigant. Pour tenir la distance, nous devions gérer nos efforts.
Pour la première fois de ma vie, j'étais heureux d'approcher de la ville humaine. Si j'en croyais Protectrice-Colérique, nous ne serions pas mal accueillis ici... J'étais vraiment préoccupé par la fatigue si importante d'Eclair-de-Liberté, je me disais que nous pourrions enfin nous reposer là-bas. Au dernier moment, Vassili se ravisa. Il voulait atteindre le nid suivant afin de ne pas entrer dans celui-ci. Je m'insurgeai contre ce choix. Je lui fis constater l'état d'épuisement de son petit protégé. Ce n'eut malheureusement aucun effet sur son opinion. Il se décida tout de même à porter son Pokémon entre ses pattes. Celui-ci lui léchait timidement les mains. Vraiment, les péripéties à notre arrivée avaient eu un effet catastrophique sur ce petit, pour qu'il fût aussi fatigué... Je trouvais son état de plus en plus inquiétant, même s'il ne s'en plaignait pas.
Nous contournâmes la première ville. Vassili avait décidé de nous faire suivre les chemins humains, tout en restant à distance. Nous passions à des endroits moyennement praticables, ce qui nous faisait perdre beaucoup de temps. Eclair-de-Liberté constituait un poids trop important pour une créature aussi faible qu'un humain. Il fut déposé à terre et prié de marcher seul. A peine eut-il fait quelques pas, qu'il vacillait déjà. Il ne demanda rien, mais Terreur-des-Hommes le força à grimper sur son dos, malgré son désaccord. Après plusieurs heures de marche, nous ne voyions toujours pas notre objectif. Notre moral diminuait avec la faim qui s'ajoutait à la fatigue. Nous n'avions pas mangé depuis la veille, ayant terminé en mer notre réserve de nourriture. A bout de forces, Vassili exigea une pause. Je n'avais pas envie de m'arrêter, plus vite nous arriverions, plus tôt notre estomac cesserait de nous tirailler. Personne ne me demanda mon avis, je m'assis donc à leurs côtés. J'avais beau regarder tout autour de nous, aucune baie ne poussait dans le coin. Quel territoire hostile !
Terreur-des-Hommes alla reprendre Eclair-de-Liberté, qui s'était allongé, le museau entre ses pattes. Elle le secoua gentiment, pour qu'il ouvrît les yeux et grimpât sur son dos. Il gémit et dit d'une voix presque inaudible :
................- Terreur-des-Hommes, on peut attendre encore un peu ? J'ai mal au ventre, j'ai mal à la tête !
................- Pourquoi ne l'as-tu pas dit plus tôt ?
................- J'allais bien, avant, mentit le petit.
J'attirai l'attention de Vassili sur le malaise d'Eclair-de-Liberté. Il répondit à mon appel et posa sa patte sur la tête du petit, puis le caressa. Les poils restèrent collés au front, une fois la main retirée. Le Dynavolt était trempé de sueur. Il fixa sur moi ses yeux, dont la lueur avait encore diminué. Il voulait me parler ; il semblait trop faible pour le faire. Une première fois, ses lèvres bougèrent. Je ne parvins pas à entendre autre chose qu'un murmure plaintif. Il s'y reprit à trois fois pour se faire comprendre.
................- J'ai froid... Je te vois tout flou... Tu crois que je vais mourir ? Vassili... Qu'est-ce qu'il va faire sans moi ? Tu t'occuperas de lui, hein ?
................- Non, ne t'en fais pas. Tu survivras et c'est toi qui t'occuperas de lui jusqu'à la fin de tes jours. On va te sauver, personne ne laissera tomber. Accroche-toi !
Eclair-de-Liberté esquissa un sourire, un instant. Son visage se referma immédiatement après. On lisait parfaitement la souffrance qu'il endurait sur ses traits crispés. Il haletait, soulevant son ventre, contracté à l'extrême par la douleur, par à-coups. Il commença à trembler, couché sur le flanc. Tout son corps s'agitait, tentative désespérée pour se réchauffer. Aussitôt, Vassili retira sa peau amovible, qu'il utilisa pour le couvrir. Il l'allongea, bien emmitouflé, sur le dos du Ponyta qu'il venait de sortir. Je savais que mon humain n'arrivait pas à bien s'y prendre avec ce Pokémon, qu'il refusait de monter dessus. Pourtant, cette fois, il grimpa aussi puis caressa l'encolure du cheval enflammé en s'adressant à lui.
................- S'il te plaît, sois gentil. On doit sauver Eclair-de-Liberté, il ne va pas bien. Je sais que tu ne me comprends pas... Mais je t'en prie, il faut que tu m'aides.
................- Allez, brave Pokémon, ajoutai-je. On a besoin de toi ! Suis-moi.
Nous marchâmes le plus vite possible. Je ne pouvais pas courir, de peur de ne pas arriver à tenir jusqu'au bout si je forçais trop. De toute façon, Vassili n'aurait pas tenu sur le dos de sa monture. Je surveillais toujours l'état d'Eclair-de-Liberté, ne le quittant que très peu du regard. Au départ, je sentais qu'il me voyait. Il réagissait à mes sourires, très légèrement. Peu à peu, ses yeux devenaient vitreux et n'exprimaient plus rien. Je passai ma lame juste devant lui. Il ne bougea même pas un cil. Il continuait à trembler entre les pattes de Vassili, mais ce n'était que par réflexe. Je craignais bien qu'il ne fût plus conscient. Son dresseur me le confirma en passant une main sur son museau pour fermer ses paupières. J'avais très peur pour le petit. Les Pokémon étaient solides, mais il avait l'air de souffrir énormément. Terreur-des-Hommes essaya de me rassurer, bien qu'elle ne fût sans doute elle-même pas sereine.
................- Il est solide, il ne va pas lâcher le morceau ! Ne t'en fais pas... Les humains ont d'excellentes capacités de soin. Ils sont bien plus efficaces que nos herbes. Ils pourront sauver notre Eclair-de-Liberté, j'en suis sûre.
................- Mais pour cela, il faudrait que nous trouvions leur nid, répondis-je, énervé. On ne le voit toujours pas !
................- On va bientôt arriver, j'en suis persuadée. Puis, Vassili fait tous les efforts nécessaires pour aller le plus vite possible.
Arrivés en haut d'une colline, nous aperçûmes la ville au loin. Le reste du chemin fut parcouru dans la tension générale. Nous affichions tous un air grave. Seuls les bruits de nos pas résonnaient dans nos oreilles, parfois accompagnés de ceux d'une carapace humaine, passant au loin. Avant de pénétrer dans le nid, Vassili rentra le Ponyta dans son Noigrume, prétextant qu'il était trop gros. Terreur-des-Hommes me désigna une forme rouge, bien visible, au centre des installations. Elle reconnaissait cet endroit, il s'agissait de celui où les Pokémon étaient soignés. Enfin ! Maintenant sûrs que notre trajet touchait à sa fin, nous courûmes à travers les tanières individuelles, sous le regard étonné des autres humains. N'étaient-ils donc jamais pressés eux-mêmes ?
Enfin, la tanière au toit rouge se trouvait devant nos yeux. Terreur-des-Hommes expliqua : « Voilà le Centre Pokémon des humains ». La construction semblait très solide. Elle avait un aspect clinquant, avec ses pans vitrés qui réfléchissaient une lumière éblouissante et ses murs en matériau à l'aspect si net. On aurait dit qu'on venait de la bâtir juste pour nous. J'étais vraiment abasourdi de voir de quoi les humains étaient capables ici. Chez nous, leurs nids se rapprochaient plus des emménagements Pokémon, bien qu'ils fussent un peu plus solides. De plus, la moitié au moins avait été abîmée à cause de la guerre. En tout cas, j'étais pressé de rentrer à l'intérieur, autant pour soigner Eclair-de-Liberté que par curiosité pour une architecture aussi complexe.
Le Mur Lumière qui barrait l'entrée s'écarta de lui-même quand nous approchâmes. Terreur-des-Hommes et moi reculâmes de surprise, Vassili ne sembla pourtant pas étonné. Je remarquai tout d'abord l'odeur à l'intérieur, très spéciale. Autre chose, de plus agréable attira ensuite mon attention : un courant d'air anormalement chaud par rapport à celui de l'extérieur se fit sentir. Pourtant, je ne vis aucun Pokémon feu... Quelle était donc cette magie humaine ? Peu importait, au final, tant que c'était plaisant. Je notai également que de nombreuses personnes s'affairaient dans la construction, autour de choses étranges émettant de drôles de bruit. En y regardant de plus près, je distinguai de nombreuses Pokéball. Alors, ce qu'on racontait était vrai... Les Pokémon restaient enfermés la plupart du temps dans ces boules maudites, à partir du moment où ils côtoyaient les humains. Je me jurai de ne jamais laisser Vassili se comporter de cette manière avec mes amis.
Nous pénétrâmes dans ce « Centre Pokémon ». Encore une fois, les personnes alentour nous jetèrent des regards étonnés. Je ne comprenais pas ce que nous avions de si atypique. Vassili s'approcha d'un humain portant une peau amovible blanche. Je fus stupéfait de ne pas comprendre ce qu'il dit à cette personne. Je constatai seulement qu'il avait l'air d'hésiter dans ses propos. Il éleva aussi la voix, répétait des phrases aux mêmes sonorités... J'espérais au moins qu'on ne refusait pas de soigner Eclair-de-Liberté ! Mais comment se faisait-il que, d'un seul coup, je me retrouvais à nouveau perdu ? Les deux humains parlèrent longtemps, semblant eux aussi avoir des difficultés à communiquer entre eux. Je m'inquiétais soudain beaucoup de ce qui était en train de se passer.