Aide-toi et le ciel t'aidera de Kydra

J'avais commencé à entraîner mon humain, alors je n'abandonnerais pas. Je décidai que chaque jour, nous nous battrions au moins une heure ensemble. La séance de cette journée fut tout aussi décevante que celle de la veille. Vassili tomba à l'eau deux fois, non sans une manifestation d'agacement. Il ne me toucha jamais réellement, comme je m'y attendais. Mais au moins, il n'avait pas protesté avant de nous y mettre. A l'issue, il avait même l'air plutôt satisfait de s'être un peu défoulé. Nos affrontements nous sortaient de la triste monotonie du voyage. Il fallait dire que sur le dos de Lokhlass, nous n'avions pas beaucoup d'autres possibilités d'occupation. Ce n'était pas aussi riche pour moi qu'avec Nuit-Aveugle, mais c'était mieux que rien du tout.

Terreur-des-Hommes sortit pour son repas quotidien. J'avais attendu ce moment depuis la veille, j'étais donc plus que ravi qu'il arrivât enfin. Avant de me lancer dans mon questionnement, j'hésitai un peu, soudainement inquiet des réponses qu'elle pourrait apporter. J'en profitai pour regarder Eclair-de-Liberté faire la fête à son dresseur. Il se réjouissait de chaque caresse, chaque attention à son égard le rendait heureux. Je n'avais jamais vu de petit orphelin aussi optimiste. Il traitait Vassili à la fois comme un Pokémon, mais il le respectait aussi et écoutait toujours ses ordres, comme les traîtres de Caninos. Il gardait toujours une pleine confiance avec lui, ce que je lui enviais presque. Son insouciance me rappelait ma jeunesse. J'aurais aimé avoir aussi peu de soucis que lui en ce moment.

Je trouvais enfin le courage de rapporter à Terreur-des-Hommes les paroles de la veille. Elle ne fut pas vraiment surprise, mais elle soupira bruyamment, comme à regret.

................- Ca ne m'étonne pas. Il a raison. Les dresseurs n'ont jamais vraiment été méchants avec nous. La vie avec le mien n'avait rien à envier à celle que nous avions dans la forêt. Je lui en veux d'avoir voulu sauver sa vie. Il nous a laissés, mes parents et moi, partir, de peur des représailles. Les dresseurs, comme il te l'a dit, se sont vite indignés des utilisations des Pokémon. Je ne me souviens plus exactement, j'étais très jeune encore. J'ignore ce qu'ils faisaient de nous. Tout ce que je sais, c'est que mon ami humain nous a faits partir. Mon père n'a jamais été accepté par les Pokémon. Parce qu'il avait vécu aux côtés des humains, ils s'en méfiaient. Je l'ai très mal supporté. Ca a gâché toute mon enfance. Quand tu as laissé la vie à Vassili, je n'ai pu que penser à mon humain et moi. Ils ne sont pas tous mauvais...
................- Mais, pourquoi ne l'as-tu pas expliqué à Protectrice-Colérique ? On aurait peut-être pu s'allier avec les dresseurs...
................- J'ai voulu me venger des humains en rejoignant les Pokémon de la forêt. Surtout, je désirais plus que tout être enfin acceptée dans un groupe. J'ai tout fait pour me persuader que les hommes étaient mauvais. J'ai chassé tous les souvenirs heureux de mon enfance, alors que tout ce que j'ai vécu de joyeux était avec mon humain. Mes parents et mes amis ont vécu leurs vies en parias à cause d'eux. Mon père est mort seul, sous mes yeux. J'ignorais encore ce que voulaient les dresseurs, j'étais trop jeune pour comprendre. Je ne sais pas non plus quelles sont les valeurs des humains comme Vassili. Je n'en suis pas encore sûre, mais je pense qu'en effet, j'ai eu tort de blâmer mon dresseur. J'avais cru qu'il ne voulait se sauver que lui... Je crois maintenant qu'il souhaitait nous sauver tous.
................- Ceux qui ont fait du mal aux Pokémon les utilisaient aussi... Comment fais-tu la différence entre ces dresseurs et les autres ? Ils peuvent devenir comme eux, ils vont devenir comme eux ! Tu es complètement folle de vouloir retourner avec eux ! Ton malheur viendra bientôt si tu restes avec Vassili, parce qu'ils ne traitent pas les Pokémon comme leurs amis ! Quand ils n'ont plus besoin de nous, quand on les gêne, ils nous laissent tomber ! Une fois ne t'a-t-elle pas suffit ? hurlai-je en constatant la naïveté de Terreur-des-Hommes.
................- Je n'en sais rien, je crois que tu as tort, avoua-t-elle en soupirant.
................- Penses-tu sincèrement que Vassili est de notre côté ? répétais-je. Quand on aura vu Ho-Oh, il n'aura plus besoin de nous... Qu'est-ce que tu crois qu'il va faire après ? Il va nous laisser rentrer tous seuls ! criai-je, à bout.
Terreur-des-Hommes ne répondit rien. Elle ne voulait sans doute pas envenimer la situation. Ce jour-là, elle ne m'adressa plus la parole, me jetant des regards inquiets. Elle ne voulait pas que je me fâchasse contre elle. Elle attendit donc le lendemain pour reprendre la discussion. J'étais un peu penaud de l'avoir laissée attendre tout ce temps sans la réconforter. A chaque fois que j'avais des soucis, elle essayait de me remonter le moral. Je l'avais lâchée hier et je n'en étais pas fier, même si je pensais encore qu'elle avait tort.
................- Il semblerait qu'on puisse faire confiance à Vassili, Vaillant-Rescapé. Quand Lokhlass a parlé de Pokéball, j'ai tout de suite repensé à mon dresseur. J'espérais retrouver en Vassili l'humain que j'avais perdu plus jeune. C'est un peu bête, mais j'espère que grâce à Ho-Oh, je vais pouvoir vivre avec lui comme je l'avais fait avant. J'aimerais que tu fasses la même chose, avec moi. La vie aux côtés des humains est une expérience exceptionnelle, c'est tellement plus simple que dehors...
................- Je suis perdu, avouai-je. Je ne sais plus à quel Cré me vouer et ton avis ne me facilite pas la tâche. En acceptant Vassili, j'ai l'impression de trahir les Pokémon.
................- Ne t'en fais pas... Quand nous aurons vu Ho-Oh, il arrangera les choses. La guerre va prendre fin. Tout reviendra comme avant. Tu ne seras plus un traître.
................- Avant la guerre aussi, nous les craignions déjà, ma mère me disait toujours de me méfier des humains avant même qu'elle éclate...
................- Vous les craigniez, mais une fois capturés, nous n'étions pas malheureux. Mes parents me l'avaient assuré. Ils me disaient toujours que je n'avais pas besoin d'avoir envie de vivre dans la nature. Et ils avaient raison, au vu de la vie qu'ils ont menée ensuite. Tu ne t'es pas trompé pour autant, ajouta-t-elle voyant que je ne répondais pas. La cause que nous avons servie est la bonne, il faut que ces humains qui ne nous respectent pas s'en aillent. Il faut juste changer un peu notre manière d'agir.
................- Vivement que nous trouvions l'oiseau de feu, il saura me faire comprendre ce que je dois faire... Je n'en peux plus de cette situation.

Terreur-des-Hommes dut alléger Lokhlass en retournant dans son Noigrume après notre conversation. Je m'assis sur la carapace grise, repensant à tout ce qui venait d'être dit. Je réalisais que je ne savais rien des humains avant de rencontrer le mien. Tout ce que je pensais connaître d'eux, je l'avais appris de rumeurs, venant de Pokémon n'ayant jamais vécu avec eux. Pourtant, les sauvages combattaient tout de même des dresseurs. Parfois, leurs adversaires avaient des mines si tristes, ils étaient si soumis, que tout ce qu'on nous racontait prenait du sens. Mais aussi, il y en avait certains qui semblaient dévoués corps et âme à leur humain. Nous voyions bien que des Pokémon étaient utilisés... Enfin, Terreur-des-Hommes, plus vieille que moi, semblait dire que ça n'avait pas toujours été comme cela. Sur cette nouvelle terre que nous allions découvrir, j'aurais peut-être ma réponse. Puisque Protectrice-Colérique affirmait qu'il y avait encore des dresseurs et pas de guerre, je me ferais mon idée moi-même. Pour l'instant, je préférais oublier ces questionnements sans réponse pour me concentrer sur ce que je savais. Je devais trouver Ho-Oh. Tout comme un Kangourex avait pu me guider, l'oiseau légendaire saurait.

Je n'avais de toute façon pas d'autre choix que de me consacrer à mon but. La mer devenait mauvaise et j'avais besoin de toute ma concentration pour ne pas tomber à l'eau. Vassili s'agrippait aux pointes saillantes, ayant la même préoccupation que moi. Plus le temps passait, moins il semblait en bonne santé. Les creux étaient immenses. J'avais le sentiment d'être coincé entre des murs faits d'eau noire. Les flots se soulevaient pour nous asperger périodiquement. Pour couronner le tout, Lokhlass, qui avait l'habitude de la mer et de ses caprices, affirmait que cela risquait de durer longtemps. Pour nous rassurer, il recommença à fredonner. Seulement, cette fois, son chant, si agréable d'habitude, prenait des airs de requiem. Personne ne pleurerait notre mort ici, il fallait bien le faire par nous-mêmes. L'aimable Pokémon bleu semblait lire dans mes pensées. Il affirma avoir subi de bien pires tempêtes et assura que nous survivrions à celle-ci.

L'état de Vassili empirait. Heureusement, Lokhlass annonça que nous arrivions près de la côte. Il me semblait que je ne la distinguais pas de l'eau. En réalité, je la voyais, mais je l'avais prise pour une vague. Ce ne fut que quand je vis qu'il y avait de l'écume que je le compris. Cette mousse était produite par les vagues qui se brisaient sur les rochers. La pente n'était pas trop escarpée, mais je distinguai une zone où il vaudrait peut-être mieux nous arrêter. Cet endroit semblait bien moins dangereux. Je m'inquiétais tout de même, puisqu'il y avait là-bas des lumières étranges. Le visage blafard, Vassili demanda à Lokhlass de préférer les rochers pour accoster. Ma peur instinctive des humains m'empêchait d'être satisfait à l'idée de prendre le chemin qui pourtant paraissait le plus sûr, je ne fus donc pas déçu de cette décision. Il ne nous restait que quelques kilomètres à parcourir. J'espérais que mon humain parvînt à tenir jusque-là.

Finalement, Vassili s'agenouilla sur la coquille et vomit plusieurs fois peu après. Une secousse plus violente, accompagnée d'une gerbe d'eau lui fit perdre l'équilibre. Au dernier moment, il parvint à saisir une de mes lames. Je l'aidai à remonter alors qu'il avait déjà la taille dans l'eau. Mon arme naturelle l'avait évidemment coupé quand il l'avait serrée. Il examina la plaie à l'intérieur de sa main. Il me remercia de l'avoir retenu avec un sourire crispé par la douleur, certifiant qu'il ne m'en voulait pas pour la blessure. Il essaya d'en rire, mais n'y parvint pas. Le sel de l'eau de mer aggravait sa souffrance ; il ne s'en plaignit pas non plus. Avant d'en avoir le temps, il étouffa un cri d'horreur.

Un Lokhlass de bois, construction humaine qui leur permettait de se rendre sur l'eau, approchait à grande vitesse. Il effrayait Vassili. Mon humain n'eut pas besoin de parler que je me comprisse que s'ils nous attrapaient, ce n'était pas bon pour nous. Notre Pokémon transport fonçait vers les rochers, aidé par le courant. Seulement, les quatre jours précédents de voyage l'avaient beaucoup fatigué : il était bien plus lent que le premier jour. Essoufflé, il me lança « On va faire face, je ne peux pas les semer ! Mais ce sera bien la première fois que je me ferais attaquer par des humains... Tu es sûr qu'ils nous veulent du mal ? » Alors que Lokhlass se préparait à l'affrontement, j'interrogeai Vassili du regard. Il fut bien surpris de voir que je pensais que des hommes pussent ne pas nous attaquer. « Pour toi, c'est bon, mais moi, je n'ai pas le droit d'être là ! Pour une fois, les rôles sont inversés, je crains les hommes et tu n'as pas de soucis à te faire. »

Le faux Pokémon s'arrêta. Les humains parlèrent, mais je les comprenais beaucoup moins bien que le mien. Ils voulaient que nous nous rendissions à eux pour nous amener sur la côte. Notre réponse fut parfaitement claire. Vassili hurla : « Lokhlass, Laser Glace et fonce ! » Il sortit alors ses Noigrumes. Dynavolt apparut, toujours plein d'entrain, mais son dresseur me regardait avec inquiétude.

................- Ce n'est pas possible... Il me manque Migalos ! Le Noigrume est tombé dans l'eau !
................- C'est qui, eux ? demanda le petit, étonné.
................- Des méchants ! Utilise tes éclairs pendant que je cherche Terreur-des-Hommes !

Le chaos régnait autour de moi. Les humains hurlaient, nous menaçant. Dynavolt provoquait des lumières éblouissantes avec ses attaques. Vassili s'agitait, paniqué. Lui et moi cherchions des yeux la petite boule. Elle devait flotter, mais la mer était bien trop agitée pour l'apercevoir facilement. Comment cet idiot avait fait pour ne pas remarquer sa disparition plus tôt ? Je me demandais s'il se souciait si peu des Pokémon pour en arriver là.

J'aperçus les ailerons de deux Carvanha. Ils semblaient intrigués par un objet flottant. « Lokhlass, changement de programme, on fait un détour, ce doit être elle », annonçai-je, décidé à retrouver mon amie coûte que coûte. La belle créature bleue était débordée, elle ne parvenait pas à utiliser ses attaques en même temps qu'elle nageait. Dynavolt seul ne pouvait pas contenir les humains, surtout que ceux-ci nous menaçaient à présent avec des machines à capacités. Vassili sauta à l'eau, à mon avis autant pour échapper à la menace que pour récupérer Terreur-des-Hommes. Il n'avait sans doute pas remarqué les Carvanha. En revanche, nos poursuivants, eux, les avaient vus. Ils crièrent de sortir, lancèrent même une corde dans l'eau. Ils affirmaient que c'était de la folie, qu'on allait se tuer et que c'était inutile. Vassili les ignora. Seulement, les prédateurs trouvaient leur viande appétissante et le Noigrume bien trop intéressant pour les laisser filer. L'un deux attrapa la Pokéball improvisée dans sa gueule tout en nageant vers le large.

Soudain, l'autre Carvanha se retourna pour foncer sur Vassili. J'allais plonger à mon tour, mais Dynavolt fut plus rapide. Décidé à ne laisser personne faire de mal à son dresseur, il n'hésita pas à lancer une attaque Eclair. Il avait seulement oublié que celui qu'il protégeait serait lui aussi touché. Comme prévu, mon humain sentit la décharge. Il ordonna au Pokémon de ne plus utiliser d'attaque à distance. Il profita tout de même de l'accalmie pour saisir le Noigrume, relâché dans la précipitation. Les Carvanha se remettaient progressivement de l'assaut et se dirigeaient vers la nourriture qu'ils convoitaient : Vassili. Cette fois, je n'hésitai pas à me jeter à l'eau. L'un des humains utilisa sa machine à capacités avant que je n'atteignisse les prédateurs.

Le sang d'un Carvanha rougit alors l'eau autour de lui. L'autre, apeuré, abandonna courageusement son compagnon pour fuir dans les profondeurs océaniques. Les humains réitérèrent leur demande, nous devions nous joindre à eux. Vassili se rapprocha de leur corde, qu'il saisit de sa main indemne. Je regardai la scène étonné, tout en remontant sur Lokhlass. Pourquoi se rendait-il donc ? En passant à côté de moi, il lâcha prise. « Vite, on y va ! » lança-t-il en s'accrochant au Pokémon Eau/Glace. Nous ne nous fîmes pas prier. Plus ou moins couverts par un Laser Glace, une Cage-Eclair et une Toile de Terreur-des-Hommes enfin revenue, nous détalâmes vers les rochers, sous les hurlements de nos poursuivants.