Chapitre 23 : Surf
Le soleil se couchait sur la mer d'huile. Une vue de rêve... Je regrettais énormément que Terreur-des-Hommes fût enfermée. Non seulement elle restait à l'étroit dans son fruit inconfortable, mais elle loupait de plus ce panorama magnifique. Nous n'avions pas beaucoup de provisions, j'essayais de ne pas penser à mon ventre qui gargouillait, afin de conserver les réserves. Malheureusement, c'était bien trop difficile. Je fouillai donc dans les affaires de mon humain pour y trouver les baies cueillies auparavant. Alors, je réalisai le problème : ceux qui restaient prisonniers des Noigrumes ne pouvaient pas manger. Je me demandais, pendant toute la durée de mon repas, si on avait faim à l'intérieur de ce fruit. Je fus stupéfait de voir que Vassili pensait sans doute la même chose que moi. Il me présenta sa requête.
................- Je dois faire sortir les autres pour qu'ils mangent. Demande à Lokhlass comment on s'y prend. Ah... Demande-lui aussi s'il peut pêcher, s'il te plaît, je n'en suis pas capable et nous n'aurons jamais assez de baies pour tout le monde !
J'allais m'exécuter, mais Lokhlass parla avant.
................- Je comprends le langage humain. Il peut appeler le Dynavolt et ton amie Migalos, mais pas le Ponyta en même temps. Il n'aura qu'à le sortir après. Mais faites vite, je me fatiguerai vite avec tout ce poids !
................- Je vais essayer de lui expliquer.
................- Vous vous entendez mieux, tu le comprends toi aussi, maintenant, lança Lokhlass.
Son air narquois me fit comprendre qu'il avait prononcé cette phrase à dessein. Je ne répondis donc pas, le laissant avec ses insinuations douteuses. Je désignai les Noigrumes contenant mes amis à Vassili afin qu'il les ouvrît.
Terreur-des-Hommes apparut. Elle étira ses huit longues pattes dans un bâillement. Elle me sourit, l'air pourtant un peu tendu et engourdi. Quant à Dynavolt, il se contenta de m'adresser un signe de tête rapide et se blottit contre Vassili.
................- Tu m'as manqué, murmura-t-il en cherchant des caresses.
................- Moi, c'est l'air frais de dehors qui m'a manqué, rétorqua Terreur-des-Hommes. Mais ne t'en fais pas, Vaillant-Rescapé, je vais bien et ce n'est pas si inconfortable. Je n'y suis pas habituée, voilà tout.
Encore une fois, je me contentai d'un petit bruit pour répondre. Je connaissais cette gentille Migalos assez bien pour savoir qu'elle voulait uniquement me rassurer. Elle n'avait pas passé une bonne journée, mais elle n'en dirait rien, pour ne pas me donner raison au sujet de ces boules maudites. Lokhlass accéléra brusquement, manquant de nous faire tomber, et plongea rapidement la tête dans l'eau. Il en ressortit avec un Bargantua, qu'il nous lança. Il répéta l'opération pour nous faire parvenir un Hypotrempe. Le repas était servi pour les carnivores. Dynavolt mangeait avec appétit, collé contre Vassili. Il avait visiblement été moins affecté par son séjour dans la Pokéball que Terreur-des-Hommes. Dès qu'il eût terminé de s'empiffrer, il sauta sur la poitrine de son ami humain, qui rechignait encore à l'idée de manger un Pokémon. Il ne pensait qu'à jouer.
Je profitai de la demi-heure de liberté accordée à mon amie pour lui raconter ma journée. Je vis qu'elle regrettait de ne pas avoir profité du paysage quand je lui parlai de la vue. Elle se réjouit par contre que j'eusse entrepris d'apprendre l'art du combat à Vassili, disant que cela nous rapprocherait. Je préférais ne pas m'étendre sur le sujet ; je savais que j'allais m'énerver si je le faisais. La présence de cet humain risquait de nous diviser. Nous nous en tînmes donc à l'essentiel, aucun de nous ne voulant briser notre amitié. Je me demandais bien pourquoi elle accordait tant d'indulgence à Vassili, mais je ne voulais pas lui demander, sûr que cela déclencherait une dispute. La seule explication valable que je trouvais était qu'il m'avait accompagné pendant dix jours et encore, c'était une maigre qualité à mes yeux.
Nous passâmes donc plus de temps à parler de mes inquiétudes au sujet de la nouvelle région. Elle avait les mêmes que moi. Nous nous amusâmes à inventer toutes sortes d'histoires et de scénarios plus horribles les uns que les autres. Nous en riions ; j'avais beaucoup de plaisir à discuter avec elle. Nous nous étions rapprochés depuis les incidents de la forêt. Sa présence me rassurait, elle constituait le lien entre ma nouvelle quête et ma vie d'avant.
Elle dut retourner à la captivité, désolée de me quitter. Dynavolt souhaita uniquement retrouver rapidement la possibilité de gambader. Ce fut le tour de Ponyta de se nourrir. Vassili lui offrit des baies. Il mangeait normalement, mais restait insensible aux caresses de l'humain. Je tentai ma chance moi aussi, en lui demandant ce que ses geôliers lui avaient fait subir. Il ne m'accorda pas plus d'intérêt qu'il n'en avait eu auparavant. J'étais vexé de ne pas obtenir de meilleurs résultats que son nouveau dresseur. Je l'étais encore plus en pensant avec certitude que son état ne pouvait être dû qu'à son traitement dans sa jeunesse. Que lui avaient-ils donc fait pour qu'il ne pût pas communiquer ? Il resta néanmoins à l'air libre aussi longtemps que les autres, sujet à toutes les attentions.
................- Toi aussi, il t'intrigue ? demanda Vassili, tout en passant sa main dans la crinière de feu. Il ne te comprend pas, n'est ce pas ? Les Pokémon de ma sœur n'étaient pas comme lui. Mais maintenant, ils sont obligés de les séparer quand ils sont bébés. Ils craignent qu'ils se rebellent. Ils s'en servent pour venir à Vogra. Ici, de grands gaillards comme toi pourraient les convaincre de ne plus obéir. Alors ils les séparent des autres. Ils les dressent sans leur parler, ils ne les laissent pas s'attacher à un homme en particulier. Mais ne t'en fais pas, il n'est pas vraiment malheureux, juste un peu diminué mentalement. Mais je trouve quand même que c'est juste immonde de faire ça à un Pokémon. Tu es d'accord, hein ? Ils le privent de sa conscience, en quelque sorte. J'espère qu'il pourra un jour te parler. Il faut lui laisser le temps de devenir lui-même. Ne désespère pas !
J'acquiesçai en hochant la tête lentement. Encore une fois, Vassili me surprenait. Mais cette fois, c'était plutôt en bien. J'avais bien aimé la façon dont il venait de me parler.
Quand l'équidé fut rentré dans le Noigrume, j'avais gardé un air pensif. Je jetai un œil à Vassili. J'eus un sourire quand je vis qu'il avait exactement la même expression que moi. Il reprit la conversation.
................- Je regrette tellement... Ma sœur ne peut pas se passer... Enfin... Ne pouvait pas se passer de ses amis Pokémon. Elle a toujours su se faire comprendre. Elle et eux ne faisaient qu'un. Jamais nous n'aurions eu besoin de quoi que ce soit pour forcer leur complicité. Nous nous entendions au moins aussi bien avec eux qu'entre nous. Les rapports entre nous ont tant évolué. Avant, nous passions des heures, Masha et moi, à jouer avec Toupah. C'était il y a longtemps, même avant qu'on se rencontre. Tu connais les Baudrive ? Toupah en est... était un. Elle pouvait compter sur eux et eux sur elle. Maintenant, personne n'ose plus approcher aucun Pokémon, nulle part à Vogra. Ils ont peur de vous et le plus malheureux, c'est qu'ils ont raison. Et ce n'est pas votre faute. Mais je te jure que ce n'est pas de la mienne non plus, ni celle de ces trafiquants qui avaient ce Ponyta. Plus le conflit avance, plus la situation est catastrophique. Tout ça c'est à cause de notre fichu gouvernement. Ils sont responsables de votre guerre et de la nôtre et cette guerre est elle-même responsable de ce qui est arrivé à ce Ponyta. Ils n'avaient rien à faire des Pokémon sauvages ; ils croyaient que les leurs les protègeraient contre eux. Mais les dresseurs ne sont pas restés longtemps de leur côté...
Vassili se tut. Il ajouta la dernière phrase, qui sembla lui coûter un effort considérable, d'une voix étranglée. « Masha... Toupah... Vous avez été si courageux, vous me manquez tant... »
Mon humain eut un mouvement d'énervement. Sa peine m'affectait au moins autant que son récit. A ce moment, il semblait réellement soucieux de notre situation. Je pensais bien qu'il pouvait dire vrai, que la guerre entre humains et Pokémon ne faisaient peut-être qu'aggraver les relations pour ceux qui étaient encore forcés de cohabiter. Je trouvais les histoires de la sœur de Vassili étonnantes, surréalistes. Je voulais parler de cela à Terreur-des-Hommes dès qu'elle sortirait. Etait-ce à cause de notre désir de liberté qu'un pauvre Pokémon comme ce Ponyta se retrouvait à se comporter ainsi ou à cause des humains ? Je ne parvenais pas à me persuader de choisir l'une des deux réponses, mais je n'arrivais pas non plus à les rejeter en bloc.
Vassili resta ensuite un long moment pensif. Il avait l'air affecté, comme si tout le découragement du monde lui pesait sur les épaules. Il attendit encore un peu après avoir repris son air normal pour continuer à me donner quelques explications.
................- Je n'avais pas envie de partir. J'ai perdu déjà trop dans cette guerre, je ne veux pas encore y perdre ma patrie. Je m'en veux de les abandonner dans leurs combats, d'autant plus qu'ils sont l'espoir de mon frère. Vincent m'avait bien dit que je pourrais revenir plus tard, quand tu serais parti. Mais le sort en a décidé autrement. Encore une fois, je ne t'en veux pas... Mais je regrette qu'il en soit ainsi. J'espère seulement qu'ils ont une chance. J'ai l'impression de fuir.
Cette fois, Vassili retomba dans son mutisme pour de bon. Il ne parla plus et retrouva son air désespéré. Je trouvais cela étrange de me retrouver à écouter mon ennemi d'avant parler de ses motivations à la guerre. Il me rappelait trop moi...