Prologue : Deux traîtres
"Le vent a chassé les nuages. C'est bien."
Ainsi songeait-il, noyé dans la pénombre de cette nuit glacée d'hiver, en contemplant le firmament. Pour un soir, la lune, dame immaculée, s'était retirée dans les bras de l'obscurité, et les étoiles n'en paraissaient que plus brillantes. Au-dessus de lui, la Constellation de Rayquaza luisait entre toutes, ondoyant du nord au sud dans l'éclat des astres les plus étincelants. Cette constatation lui tira un soupir de résignation. Si seulement tu avais pu nous comprendre...
Un contact contre sa joue lui fit tourner brusquement la tête. Un instant, son coeur se souleva, plein d'espoir. Seulement, au lieu de la main tant aimée qu'il attendait, il n'aperçut qu'un flocon de neige. Avec dépit, il l'essuya d'un revers d'écharpe. Il savait bien qu'il ne tarderait pas à en recevoir d'autres. De tous les mois de janvier qu'il avait connus, celui-ci était sans conteste l'un des plus enneigés... mais il mit un point d'honneur à se défaire de celui qui lui avait fait croire à Son retour.
Il baissa machinalement les yeux vers le sol. Ses jambes minuscules étaient déjà entièrement enfoncées dans la neige. Il savait bien qu'il était inutile de vouloir s'en défaire; sous la lumière des étoiles, la clairière blanchâtre luisait de mille feux. Où qu'il aille, il trouverait le même paysage. Or, tant qu'il le pouvait, il devait rester immobile. Bientôt, Son tant aimé reviendrait auprès de lui, et il lui faudrait L'accueillir le plus rapidement possible. Car, contrairement à lui, Il n'était que trop sensible au froid.
Pestant des insultes bien choisies à propos de l'hiver, il se laissa tomber en arrière dans l'épaisse couche de neige et leva le regard vers le ciel. Au même moment, les flocons se remirent à tomber et recouvrirent son petit corps frêle d'un manteau blanc. Peut-être le froid avait-il envie de faire une victime de plus. Seulement, comment une neige anodine aurait-elle pu atteindre son coeur d'acier ?
Il attendit patiemment, sans cesser d'observer les étoiles, dont l'éclat était à nouveau gêné par plusieurs nuages insolents. A voix basse, il les nomma l'une après l'autre par leur nom secret, laissant la neige recouvrir peu à peu sa tête jusqu'à ne laisser émerger que son visage angélique. Cependant, l'inquiétude ne tarda pas à le gagner et à effacer toute autre émotion. L'heure avançait, et pourtant, Il n'était toujours pas de retour. Jamais Il n'avait mis tant de temps à revenir auprès de lui. Son coeur se serra à l'idée qu'il ait pu Lui arriver malheur.
-Pourquoi donc a-t-il fallu que tu partes par ce temps...? murmura-t-il pour lui-même.
A peine ces mots prononcés, il s'aperçut qu'il connaissait déjà la réponse. Il était parti parce qu'il le fallait. Cela faisait déjà deux mois qu'Il s'absentait chaque jour et rentrait dans cette clairière à la nuit tombée, les yeux exorbités et un frisson lui parcourant l'échine. Et, chaque soir, Il restait muet, refusant de raconter ce qu'Il avait vu. Compréhensif, il respectait ce silence, et se contentait de Le reconduire au chaud, auprès d'une tisane et d'une couverture en polaire, veillant sur Lui jusqu'à ce qu'Il sombre dans un sommeil profond. Alors, à mi-voix pour ne pas Le réveiller, il Lui murmurait des encouragements et L'assurait de son soutien, jusqu'à tomber de fatigue. Avant de se réveiller et de Le quitter pour une journée de plus.
C'était Sa mission, et il la respectait tout autant qu'il Le respectait. D'autant plus que l'échéance se rapprochait irrévocablement. L'année 2000 vivait ses premiers jours, et il était plus que temps qu'ils agissent, ensemble. Mais pour cela, Il devait commencer par trouver la route à suivre. Ensuite, le reste viendrait de lui-même. Et alors, ils n'auraient plus besoin de se séparer si longtemps...
Il se surprit à faire un voeu, ainsi noyé dans la lumière des étoiles : celui de pouvoir rester à jamais à Ses côtés. Cette constatation lui arracha un léger rire sans joie, qui résonna au milieu du silence hivernal tel un tintement de grelots. Il savait mieux que personne qu'Arceus n'avait pas le temps d'écouter les prières qu'on lui adressait. Il avait préféré donner cette charge à un autre, et elle avait fini sur ses épaules, à lui.
-C'est mon boulot d'exaucer les voeux... articula-t-il en fermant doucement les yeux. Mais à quoi cela me sert-il si je ne peux même pas réaliser les miens, de rêves...?
Un léger bruit le fit subitement sursauter. D'un bond, il se débarrassa de la neige qui l'avait recouvert et se redressa, jetant des regards furtifs aux alentours de ses prunelles emplies d'espoir. Rien. Pourtant, il lui avait bien semblé reconnaître le bruissement d'une feuille, en plein hiver... Il allait se résigner lorsqu'une puissante odeur florale s'insinua en lui, si puissante qu'elle manqua de lui faire tourner la tête, et qu'une silhouette plus frêle encore que la sienne se matérialisa lentement.
-Tu es là... murmura-t-il dans un soupir d'extase.
Il s'avança prudemment vers l'autre silhouette, prêt à l'accueillir au creux de ses bras et à reprendre le cycle sans fin qu'ils avaient initié. Il allait Le rassurer, Le conduire lentement dans la chaleur de leur grotte commune, écouter Son silence avec délectation et tenter de chasser cette brume de désespoir qui...
Il fut brusquement tiré de ses pensées lorsque la silhouette en question lui sauta dessus avec une énergie débordante qu'il n'attendait vraiment, mais alors, vraiment pas du tout.
-JIRACHIIIIIIIIIII !! hurla-t-elle dans un cri de bonheur sans nom.
-Cé... Célébi ? dit-il par pur réflexe. Mais qu'est-ce qui se passe ?!
Le Pokémon fée, le faiseur de voeux, resta interdit devant le sourire radieux de son compagnon. Le voyageur du temps, qui revenait d'ordinaire de ses expéditions marqué par l'horreur du futur qu'il avait exploré, paraissait surexcité. Le froid semblait soudain n'avoir plus aucune emprise sur lui tant sa joie le brûlait d'un feu intérieur. Le coeur de Jirachi se mit à battre plus rapidement, et cette fois, la vue de son partenaire n'était pas la seule donnée en cause.
-Tu as...
-J'ai trouvé ! Je l'ai TROUVÉ, Jirachi !
De petites étoiles, éteintes depuis trop longtemps, se rallumèrent dans ses yeux.
-Enfin... Tu es certain que c'est le bon ?
-Bien sûr !! s'écria-t-il en s'élevant dans les airs et en virevoltant au milieu des flocons. J'y ai mis le temps, mais je sais maintenant ce que nous devons faire !
-Mais... Mais alors, cela signifie que...
-Nous avons gagné, Jirachi ! NOUS Y SOMMES ARRIVÉS !!
Le Pokémon légendaire en resta un moment interdit. C'était trop beau pour être vrai. Et pourtant, il sentait que Célébi était sincère. Son partenaire était incapable de lui mentir, tant ils se connaissaient bien. Et en l'occurence, il débordait d'une telle joie que son annonce ne pouvait être que la pure vérité.
Il sentit un long soupir de soulagement lui échapper. Le plus difficile, le plus éprouvant était fait. A présent, c'était à lui de prendre le relais. Influencer la destinée des mortels, c'était sa spécialité. Et il pouvait compter sur Célébi pour le guider sans faille droit vers le meilleur choix.
A son tour, il laissa l'euphorie le gagner lorsque son partenaire lui prit la main et l'entraîna à sa suite. Mobilisant ses pouvoirs psychiques, il s'élança dans les airs et se laissa emporter dans une ronde folle. À leurs pieds, la neige fondit subitement, et des dizaines de fleurs émergèrent du sol, trouant l'immensité blanche de couleurs vives et d'odeurs enivrantes. Alors, sans prévenir, Célébi éclata d'un merveilleux rire de clochette qui acheva de faire fondre le coeur d'acier de Jirachi. Il n'avait pas été si heureux -et donc, si puissant- depuis seulement quelques mois, mais chacun de ces jours leur avait paru une éternité.
Cédant à sa joie, Jirachi rit à son tour, mêlant les grelots aux clochettes et les trilles aux chants d'oiseaux. Leurs rires n'en firent plus qu'un qui sembla décupler les pouvoirs naturels de son partenaire. Les fleurs gagnèrent du terrain sur l'hiver, noyant leur univers dans un océan de roses, de jasmin et de lavande, de violettes et de tulipes, et leur rire enfla, si fort et si joyeux qu'il s'enfonça dans toute la forêt, réveillant les Pokémon endormis et leur rendant la chaleur du printemps dont ils n'avaient déjà plus le souvenir...
6 janvier 2000.
Célébi et Jirachi entrèrent en action, prêts à bouleverser les codes de leur monde.
Quitte à faire se croiser les voies parallèles de nombreux innocents.
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Des années plus tard, achevant le bal des destinées réécrites, Jirachi se pencha au-dessus d'un œuf innocent séparé de sa mère, et lui murmura de sa voix cristalline :
"...Tu aimeras le premier être que tu verras..."