Chapitre 1 - Choix
A Léa
Les nuages déversaient leurs pleurs depuis les cieux.
Teilaste, à l'abri dans une petite chaumière, contemplait silencieusement la pluie tomber avec fracas sur le sol. Un éclair serpenta entre les montagnes qu'il voyait depuis sa fenêtre. La langue de flamme frappa un des pics des gigantesques rochers tandis que l'humidité imprégnait la petite pièce ayant pour seul meuble un matelas de toile. Une goutte d'eau traversa le plafond et tomba sur son crâne. Il semblait surpris, comme s'il découvrait cette sensation pour la première fois. Pendant ce temps, le ciel ne s'apaisait pas, sa colère se faisait plus forte encore.
Teilaste paraissait désorienté. Il quitta la fenêtre des yeux et regarda ses deux pattes. Les deux pics d'aciers qui en émergeaient lui semblaient inconnus. Il toucha son visage, suivit le contour de son museau, caressa la pointe de ses oreilles. Ce contact le fit frissonner. Il reporta son regard vers la vitre. Le contraste entre la lumière de sa chambrée et les ténèbres momentanément dispersées par la foudre faisait que le verre lui renvoyait l'image d'un Lucario qui le regardait fixement.
***
Je ne me reconnais plus.
Depuis ma récente évolution, c'est comme si mon corps avait perdu ses habitudes et ses réflexes. Je me sens plus puissant, mais je n'ai pas l'impression que ce soit mon propre sang qui traverse mes veines. Mon regard est différent. Mes pensées sont différentes.
J'ai grandi. Mais je ne suis pas vieux pour autant. Demain sera mon dernier jour en école préparatoire. Dix générations. Dix générations que j'y suis, depuis que j'en ai cinq. Cinq rotations autour de l'Astre de lumière et me voilà déjà en train de tracer mon avenir. Dix plus tard, je dois déjà choisir ce que je ferai pour le reste de mon existence. Alors que je suis totalement perdu par tous ces changements. J'espère juste que je choisirai bien... que dois-je faire ? Qui dois-je être ? Moi-même ? Mais alors qui suis-je ?
***
Teilaste vivait dans un Monde différent du nôtre, où les années étaient appelées « générations », les jours caractérisés par le « coucher » et le « lever », référant aux mouvements du Soleil, et où les saisons, semblables aux nôtres, devaient leur nom à une sorte de cycle de vie. Tout comme nous n'imaginons pas réellement leur existence, les Pokémon de cet Univers ne soupçonnaient même pas la nôtre. Cependant, ils vivaient de la même manière que nous, et de nombreuses similitudes nous auraient rapprochés si nous nous étions connus. Leur technologie n'était que peu différente de la nôtre, tout comme leur mode de vie et leurs pensées. Toutefois, ils restaient des Pokémons, et évoluaient, sans pour autant se battre, même s'ils conservaient toujours leurs instincts guerriers. Ils naissaient, se forgeaient une existence, et mouraient. Quelque soit le nombre de Mondes, le cycle de la vie s'applique à tous.
***
Il faisait grand jour. Les Pokémon oiseaux chantaient au milieu des fleurs en pleine éclosion en cette fin de Saison Rejaillissante. Faivore traversa gaiement ce petit sentier en pleine résurrection après la terrible colère du ciel de la veille. Elle n'avait pas su trouver le sommeil, et pourtant n'était pas effrayée par l'orage. Quand on a quinze générations, on sait faire la différence entre ce qui est vraiment terrifiant et une simple expression de la nature. Non, elle se demandait ce qu'elle allait dire, ce qu'elle allait faire aujourd'hui. Après une nuit de recherches, elle hésitait entre plusieurs professions qui dicteront son avenir jusqu'à sa mort. Mais elle avait finalement choisi lorsque l'étoile du jour pointait à l'horizon.
Faivore savait qu'elle serait en avance, aussi prenait-elle son temps pour se diriger vers l'école. Elle cueillit quelques fleurs qu'elle mit dans sa longue chevelure. Les légers boutons blancs émergeaient de la cascade émeraude dans une douce harmonie qui laissait croire qu'ils y avaient toujours vécu tant l'union semblait parfaite. Faivore releva lentement la tête et regarda le timide fleuve qui suintait entre le chemin de terre et les rochers abritant délicatement quelques herbes fraîches. Puis elle reprit sa marche. Elle avançait doucement, admirant les beautés que lui offrait la nature à l'apogée de sa vitalité. Fermant les yeux, elle huma le doux parfum du pollen en suspension, tandis qu'un vent léger flottant sur sa peau soulevait doucement sa robe blanche. Un Nirondelle la salua gaiement à son passage en poussant une mélodie qui s'envola vers les cieux. En bon Kirlia, Faivore ne peut s'empêcher de lui faire une petite courbette et de faire un tour sur elle-même avant de le fixer longuement avec admiration.
Soudain, l'oiseau s'envola et la nature se tut, le vent s'essouffla et les senteurs s'évaporèrent. Surprise, Faivore décida de reprendre sa route comme si de rien était, sentant que quelque chose n'allait pas. Elle tenta d'élargir son esprit, essayant de percevoir une quelconque présence, mais sa faible expérience l'en empêcha.
***
Je me sens observée. Qu'est-ce que c'est ? Je ne sens aucune présence...
Je devrai me dépêcher, je pressens quelque chose. Ah, voilà l'école !
***
Faivore s'engouffra dans le bâtiment, et jeta un rapide coup d'œil derrière elle. Il n'y avait rien. Elle n'aurait pas dû s'en faire, c'était sans doute le stress de cette journée capitale qui lui montait à la tête.
Elle entra dans le bâtiment.
Peu de temps après, Teilaste franchissait ces mêmes grilles derrière lesquelles la Kirlia s'était arrêtée. Sans savoir pourquoi, il se retourna, ne vit rien d'anormal, puis rentra.
***
- Jeunes gens...
La voix du Pharamp semblait émue. Le professeur l'était assurément.
- Après tout ces moments passés dans cette école préparatoire, il est temps pour vous de tracer votre route. Vous allez devoir choisir officiellement ce à quoi vous vous destinez. Sachez que ma pensée vous accompagne, et je vous souhaite bon courage.
Une cinquantaine de voix firent écho dans un « merci professeur ! » plein d'espoir. Bien que Teilaste fût plutôt réservé d'habitude, il se joignit tout de même au groupe. Puis tous s'alignèrent face aux représentants des écoles secondaires qui se tenaient derrière eux. C'était tous des Pokémon d'espèces différentes. Le premier d'entre eux, un Capidextre qui avait pourtant l'air sérieux, s'avança d'un pas.
- Je représente Tilnove, dit-il d'une voix monocorde, qui montrait que ce n'était pas sa première cérémonie. Nous sommes spécialisés dans le travail d'artisanat. Lesquels d'entre vous désirent se plonger dans ce type de carrière ?
Quelques-uns des élèves firent un pas en avant.
- Bien. Personne d'autre ?... Bon, suivez-moi.
Dociles, ils lui emboîtèrent le pas alors qu'il se rendait dans la pièce suivante, où ils régleraient les derniers papiers.
Puis, un à un, chacun des représentants fit son discours, qui semblait être toujours le même que le précédent. Personne ne donna de précision sur son métier, puisque tout le monde savait à quoi cela correspondait.
Teilaste écouta d'une oreille distraite ce que disaient ses aînés, réfléchissant toujours à ce qu'il devait faire. Il suivit des yeux sans réellement les regarder les contours de cette salle qu'il connaissait plus que par cœur. C'est là qu'il avait étudié depuis tous ce temps. Les tables et les chaises avaient été enlevées pour avoir plus d'espace pour la cérémonie. Les murs aux teintes ternes étaient les mêmes que d'habitude. Pourquoi auraient-ils changés ? Tout semblait uniforme dans la classe. Teilaste ne savait pas s'il était triste de quitter cet endroit familier ou heureux de prendre un nouveau départ. Quel nouveau départ, d'ailleurs ? Il reporta son attention à l'estrade où se trouvait habituellement le Pharamp, aujourd'hui remplacé par de parfais inconnus. Et il allait devoir suivre l'un d'entre eux. Il devait faire son choix entre trois métiers encore. Etrangement, bien que de nombreux représentants fussent déjà partis, il restait bon nombre d'élèves. Il faut dire que deux des professions restantes avaient pour habitude d'attirer du monde.
L'une était la « technique et technologie », qui consistait, par exemple, à trouver des moyens d'améliorer le quotidien de chacun par des processus ultrasophistiqués et des outils pour la pluparts invisibles au publique. Soit c'était la curiosité, soit le réel désir scientifique ou la passion de la mécanique qui poussait beaucoup de gens vers cette voie. Mais cela restait réservé à une élite. On pensait devenir le futur inventeur d'une énergie révolutionnaire (alors que l'énergie actuelle était presque parfaite sur tous les points), et on se retrouvait technicien de maintenance pour réparer le fournisseur de biotonium d'une simple habitation perdue dans la campagne.
L'autre possibilité à fort potentiel risquait d'avoir encore plus d'élèves. Elle était plutôt portée sur le domaine artistique, que ce soit la musique, le dessin, l'écriture, la sculpture... Ce n'était pas une profession avec un attrait particulier, mais la plupart des camarades de classe de Teilaste étaient d'une espèce qui était le plus souvent intéressé par ces moyens d'expression.
Enfin, le dernier représentant, à moitié dans l'ombre et tellement discret qu'on l'en oublierai presque, symbolisait les Combattants. Par ce mot, on n'entendait pas des soldats prêts à massacrer n'importe qui au moindre faux-pas, mais plutôt des « protecteurs ». En effet, si le continent était en paix, les énergies, illimitées et sans danger, ne suscitaient pas de conflit, et la petitesse de ce monde interdisait à elle seule quelconque guerre, tout le territoire étant uni. Mais personne n'était à l'abri d'un voleur sanguinaire ou d'un fou en soif de vengeance inexpliquée. Bien qu'ils restaient assez peu nombreux, le risque existait toujours. Et sait-on jamais, dans le cadre d'une éventuelle invasion d'un ennemi insoupçonné, des guerriers expérimentés ne seraient pas de trop. Le rôle des Combattants est donc de protéger, dans l'ombre, la population d'une éventuelle menace, et ils sont donc très appréciés. Mais la formation est épuisante, dangereuse et difficile, aussi peu de monde s'y risquait.
Le Lucario regarda tour à tour les trois Pokémon. Où aller ?
***
Le Combattant sorti des ténèbres. C'était un Cizayox dans la force de l'âge, et ses écailles de fer brillaient d'un rouge ardent. Il s'éclairci la gorge :
- Je suis spécialiste dans la pratique des armes. Sachez déjà que peu d'entre vous seront acceptés, et que ceux qui le seront le regretteront sans doute. Qui veut me rejoindre ?
Sa voix semblait empreinte de dédain. Teilaste le fixa droit dans les yeux, et vit que cet air était simulé. Ce n'était pas une proposition qu'il faisait, mais un défi qu'il lançait.
Personne ne bougea. Devant le champ de statue, l'insecte ne se débina pas. Il remit une autre couche :
- Pas de volontaire ? Bah, ici ou ailleurs... De toute façon, vous n'auriez pas fait long feu.
Teilaste riait intérieurement. Ce gars était un véritable comédien. Mais il est vrai que ses propos n'étaient pas sans fondement. Chaque génération, plus de la moitié des étudiant Combattants étaient considérés comme inaptes ou s'estropiaient avec leurs armes avant d'avoir passé deux Saisons d'entraînement, à ce que l'on disait. Il regarda les deux autres adultes sur l'estrade. Ils semblaient choqués.
Mais les propos du Cizayox lui faisaient aussi bouillir le sang. Ce mépris, qu'il savait faux, le révoltait en même temps, et ses bras inactifs ne demandaient qu'à se défouler. Il essaya de porter son attention sur les autres représentants, mais ils lui semblaient désormais inintéressants, si bien que, sans qu'il le veuille, son regard se reporta vers l'insecte rouge. Sans y prêter attention, il avança la première jambe, puis la deuxième.
- Ah, enfin, vous deux, j'ai failli attendre !, acheva le Pokémon, comme s'il savait déjà qui le rejoindrait.
Deux ?
Le Lucario tourna son regard à droite, puis à gauche. Là, il aperçu un Kirlia qui le regardait également, surpris. Ils ne s'étaient jamais remarqués auparavant.
***
Bon, ça y est, je ne peux plus reculer maintenant. Je vais donc devoir donner ma vie pour protéger celle des autres, et ayant pour seul lien avec mon passé un Kirlia que je ne connaissais même pas jusqu'à aujourd'hui. Il me regarde bizarrement, en plus... J'espère que ça va bien se passer.
***
Un Lucario comme futur camarade de classe... dire que c'en était déjà un et que je ne l'avais jamais vu. On verra comment ça se passera. En tout cas, je pense que j'ai fait le bon choix. Ce Cizayox a vraiment surpris tout le monde. Il va falloir se montrer à la hauteur maintenant.
***
Le Cizayox les tira de leur rêverie :
- Bon, suivez-moi !
Son ton avait complètement changé. Il semblait plus amical, mais autoritaire. Il se dirigea vers la porte du fond. Sans hésiter, Teilaste le suivit, précédé par Faivore.
***
Peu de temps après, Teilaste sortait silencieusement de son école. Il lui jeta un dernier regard et commença à s'éloigner. La nuit commençait à tomber, et le crépuscule s'étendait entre les arbres et les rochers.
Il venait de passer des tests qui l'avaient vidé. Sa nuit blanche et son évolution l'ayant déjà épuisé, il était surpris que le représentant l'ait considéré comme apte au combat. Mais maintenant, il avait sa route à tracer.
- Hé !
Il s'arrêta et se retourna. Le Kirlia... la Kirlia, plutôt, puisqu'apparemment il s'agissait d'une femelle, courrait pour le rattraper. Le Lucario fut surpris de voir qui lui restait de l'énergie. Elle reprit la parole une fois à sa hauteur :
- Alors comme ça, fit-elle d'une voix essoufflée, on va se retrouver dans la même école ?
- J'ai bien l'impression, oui, répondit-il, troublé par ce premier contact avec cette personne qui allait l'accompagner tant bien que mal vers son destin. Dommage qu'on ne se soit pas parlé avant...
- Ce n'est pas grave, reprit-elle, enjouée, on aura tout le temps là-bas. Et puis, on a toute la vie !
-Oui, c'est vrai, glissa-t-il dans un sourire.
Il y eu un blanc. Ils continuèrent de marcher en silence au milieu du sentier en fleurs, entourés du chant des oiseaux. Puis, elle lança :
- Bon, ben c'est ici que je te laisse. On se revoit là-bas ?
- Ok. A la prochaine... euh...
- Faivore.
- Faivore, d'accord. Moi c'est Teilaste.
- Enchantée. Elle sourit. Salut Teilaste !
- Salut...
Elle s'éclipsa rapidement, le laissant seul avec ses pensées.
***
Bon, déjà, elle est sympa, je ne serai pas tout seul. Ca aura l'air tout de suite plus plaisant, à l'école de combat. Dire que je m'inquiétais...
***
Il est gentil, ce... comment déjà ? Ah oui, Teilaste. Moi qui me méfiais de lui... J'espère qu'on s'entendra bien... Mais il faut d'abord que je réussisse là-bas. Allez, on y croit !