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Histoires indifferentes de Domino



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Informations

» Auteur : Domino - Voir le profil
» Créé le 22/02/2012 à 08:28
» Dernière mise à jour le 22/02/2012 à 08:28

» Mots-clés :   Humour   One-shot

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Une aiguille dans une botte de foin (Concours Cactus)
J'arrive pas à m'enlever tout ça de la tête. Rien. Plus j'avance, plus ça empire. J'suis planté dans mon siège, à conduire, et je vais conduire encore des kilomètres, mais j'y arriverais. Il fait cinquante degrés, je ne vois que de la terre sablonneuse à perte de vue depuis des heures, j'ai la raie des fesses en feu à force d'être assis sur ce bon dieu de siège en cuir, mais dus-je en crever, j'arriverais à ce troquet. Bon sang, il faut aussi que j'évite de quitter la route. A force, j'arrive même plus à différencier le tracé du chemin des bas-côtés…

Qui suis-je… On m'appelle Jack. Mon métier et ma vie n'ont pas d'importance. Je suis inspecteur dans une compagnie des eaux. Voyez, le truc banal, sans relief. Je me contente de vérifier que l'eau potable est bien amenée chez tout le monde. Annuellement, je vérifie aussi les compteurs d'eau chez les gens pour vérifier que tout fonctionne. Et là, je vous jure que l'eau ça ne me manque mais alors pas du tout. Déjà parce que d'entendre parler de litres, d'hectolitres, de hausse et de baisse du niveau, d'écoulements et de fuites, ça me met la vessie en vrac, mais surtout parce que j'ai emmené deux packs de bouteilles de deux litres d'eau minérale. Et que j'ai déjà utilisé la moitié d'un en six heures de route. Croyez-moi, l'eau, c'est pas ce qui me manque.

Où vais-je… C'est précisément le sujet de cette histoire, si je vous le dis, ça n'aura pas grand intérêt de continuer. Je dois rejoindre un certain bar où se trouve une certaine personne. Ça vous va ?

Je sais, j'ai l'air très convenable, et je vous emmerde aussi. J'aime pas beaucoup parler ni exprimer mes sentiments de manière générale. C'est pour ça que je voyage avec Héricendre sur le siège passager.

Une fois de plus, je sais. Je travaille à la compagnie des eaux et j'ai un Pokémon Feu. Bravo pour avoir fait le rapprochement, Einstein. N'empêche que c'est mon meilleur ami et mon fidèle compagnon depuis, pfou… le jour où je l'ai trouvé dans le jardin étant gamin. On a toujours eu une relation spéciale.

- Arrête de mordiller le siège.

Il se relève, tourne son long pif vers moi avec un sourire narquois. Il s'ennuie un peu, faut dire, tout ce temps dans la bagnole… Et encore, là, il ne saute plus sur le volant pour me faire aller dans le fossé. Si, si, c'est arrivé. Oh, c'est juste pour rire, c'est comme quand je mets de la sciure dans sa pâtée.

Ouais, on s'amuse comme on peut. En même temps, dans la compagnie des eaux, vous vous doutez qu'on s'amuse pas trop, hein. Faut bien égayer la routine quotidienne.

Y'a une sorte de rade. Je me demande si c'est pas le bar que je cherche, mais impossible, je suis au kilomètre 53, le bar que je cherche est au moins dix-vingt kilomètres plus loin. Comme j'en ai un peu ras les miches de me rincer le gosier à l'eau, je vais me prendre un petit remontant un peu plus corsé. Ça peut pas faire de mal. Héricendre me regarde avec une gueule de pub de prévention contre la cirrhose du foie, mais j'en ai rien à battre.

En trainant ma silhouette de trentenaire hors de ma caisse – bon sang mes pauvres fesses… et mes guibolles c'est pas mieux… - je reçois un SMS qui me fait grommeler. J'y réponds, mais bon sang qu'est-ce qu'elle me fait chier, celle-là. Héricendre vient à mes côtés. En envoyant ce foutu message et en relevant la tête, j'aperçus une femme un peu forte en train de porter une grosse poubelle cylindrique dehors. Elle la pose à côté de la benne. J'avance un peu sur le « parking » devant la masure qui servait de troquet. La femme avait l'air un peu latina sur les bords, je rassemblais mon courage à deux mains pour aller lui parler.

- Madame…
- Ah quoi ? Si c'est pour consommer c'est à l'intérieur, monsieur !
- … Je me doute bien…
- C'est pour quoi alors ?
- Vous connaissez cet homme ?

Je tendais la photo que j'avais sur moi.

- … c'est qui ?
- Tom Dutronc.
- Dutronc ? Connais pas. Moi c'est Opuntia. Vous ?
- Jack.
- Je connais pas de Dutronc, désolé.

Elle repartit dans son bar. Elle me rappelait un peu ma mère, cette aigreur, cette fermeté, cette nature épineuse qui l'obligeait presque contre son gré à repousser les gens qui lui adressaient la parole. Trop attachée à sa solitude, elle n'arrivait pas à maintenir des liens solides avec les gens. Je crois qu'elle m'a un peu transmis ça. Et ça doit être pour ça que j'arrive pas à nouer des liens solides avec les gens.

Et ça doit aussi être pour ça que je me suis fait autant violence pour faire tout ce voyage.

Un cri perçant retentit dans l'immensité désertique autour de nous. Héricendre me grimpe sur l'épaule, apeuré. Faut pas croire, il est chiant mais il a rien dans le slip.

Opuntia nous rejoint, intriguée elle aussi. C'est un Guériaigle qui fond sur un Seviper à quelques centaines de mètres de nous. Le rapace stoppe la créature au sol et commence à essayer de la becqueter. Mais le serpent se défend bien en mordant l'oiseau à la face et dans le cou. Guériaigle semble vouloir attraper le crâne du reptile dans son bec pour le lui briser, mais la bestiole joue de sa queue pour frapper le rapace dans les pattes. Ça marche et le monstrueux oiseau s'envole sans demander son reste, probablement sévèrement touché.

- Eh bah… C'est pas tous les jours qu'on voit ça.
- J'ai vu un truc pareil quand j'étais petit… C'était moins impressionnant. Vous avez de la bière ?
- De la bière ? Vous nous prenez pour quoi, une brasserie ? Ici on sert de la téquila ou un cocktail maison !
- Va pour le cocktail… Vu la chaleur, la Téquila, ce serait du jus de fruits pour moi.

En entrant dans le petit bar, je remarque un vieil homme au fond de la pièce. Il boit un truc fumant, ça doit être fort.

Opuntia mélangea dans un shaker des glaçons, trois centilitres de rhum ambré, trois centilitres de curaçao bleu et douze centilitres de jus d'ananas. Elle servit le tout dans un tumbler qu'elle m'avança. La mixture était d'un vert hypnotique.

- Comment ça s'appelle ?
- Je sais pas. C'est le seul truc que je sais faire. Et je discute pas, je lis.

Elle s'assied sur un tabouret et prit un livre : « Les figuiers de Barbarie » de Rachid Boudjedra. Jamais lu. Sûrement une super aventure avec des barbares amateurs de figues.

Elle ne voulait pas discuter, tant pis, j'allais gamberger un peu. Je me mis à repenser à ma jeunesse. A une scène précise, j'étais gamin et je me baladais avec mon père, et nous nous promenions près de chez nous, même que c'était un peu désertique comme ici. Je crois me rappeler que c'était un quartier un peu mal famé. Je crois aussi me rappeler que j'avais de bonnes raisons de partir de ce trou et de changer de vie pour quelque chose de plus convenable.

Avec mon père, qui était une sorte de grand connard très sympathique, comme la plupart des pères ont l'air quand on a dix-douze ans et qu'on est un petit garçon un peu naïf, avec mon père on arrive devant un arbre mort. C'est très étrange. Quelque chose s'y passe, alors avec mon père, on s'arrête et on regarde, en bons badauds. Y'a un Etourvol qui dépiaute un Abo, c'est moche. Le piaf t'évide le bordel, c'est répugnant, y'a des tripes et des viscères qui volent. J'pensais pas que ça pouvait être violent comme ça, un Etourvol, j'voyais ça comme des créatures gentilles, et je me dis alors : « Cet endroit est vraiment horrible, à tel point qu'il rend même les Pokémon affreux. »

Mon père, qui était à ma droite, me saisit l'épaule gauche et la serra affectueusement dans sa grande connasse de main. Connasse parce qu'elle était fausse, cette poignée affectueuse. Parce que ce qu'il m'a dit en serrant mon épaule, ça m'a fait mal, et ça me fait encore mal aujourd'hui, et…

Et je secoue la tête parce que j'ai pas envie de repenser à ça. J'ai un tic nerveux débile quand je repense au passé : Je me frictionne la joue. Je sais pas pourquoi je fais ça, mais je le fais toujours après avoir repensé à cette période. Une amie à moi me disait que j'avais l'air d'avoir pris un coup de poing et de me frotter pour calmer une vieille douleur dans ces moments-là. Si j'avais été tabassé, je m'en souviendrais.
Je regarde Héricendre, sur le comptoir, à côté de moi. Il me grimpe dessus et me renifle derrière les oreilles, j'aime pas ça. Je le redépose sur le comptoir et saisis mon verre pour le siroter.

- Eh ! Le Pokémon n'a pas le droit d'être posé sur le comptoir ! C'est dégoûtant !

Je regarde la grosse sur son tabouret et je secoue la tête.

- J'croyais que vous causiez pas…
- Hmph…

Je descends Héricendre du comptoir, ne voulant pas me faire éjecter. Nouvel SMS. Je grogne en lisant le contenu.

- Un souci ? demanda la tenancière, soudain bavarde (j'ai dû lui avoir fait perdre son fil dans le texte).
- Rien, seulement ma connasse de petite copine qui me harcèle pour savoir où je suis et quand je rentre… La tête qu'elle va faire quand elle saura que je vais voir un mec !

Elle haussa les sourcils et ne me dit plus rien jusqu'à l'addition, probablement parce que j'avais l'air de déconner ou de l'avoir envoyée chier. C'était pas le cas. J'adore cette nana mais qu'est-ce qu'elle m'énerve avec sa jalousie à la con. A tous les coups je vais me faire engueuler en rentrant.

Si je rentre. Parce que je sais pas exactement où ça va me mener cette histoire.

Après avoir bu mon verre, j'suis un peu assommé, mais ça va, je pouvais conduire. Un coup de flotte et me voilà légèrement dégrisé. Héricendre rejoint son siège en reniflant, attristé d'avoir été viré du comptoir.

Je repartais donc sur ma petite route chérie, toujours en quête du bar du kilomètre 68. J'étais pas très ragaillardi par mon escapade, j'étais même plus déprimé encore. La faute à ces maudits souvenirs qui me remontent.

Je me rappelle de ma mère. Déprimante et déprimée. Apparemment tout était de ma faute dans sa vie. Absolument tout. Je ne me souviens pas avoir été spécialement châtié, mais en tout cas, j'étais pas heureux, ça c'est sûr.

Est-ce que je le suis, maintenant ? Nan, te pose pas ce genre de questions. Héricendre dort. Dommage, j'aurais bien eu besoin de ses pitreries.

La route est franchement lassante et je crois que le cocktail de l'autre lunatique me reste sur le crâne.

Le monde entier est un rictus, il est impossible de savoir s'il est amusé ou ironique. Adolescent j'ai utilisé des psychotropes pour essayer de noyer mes idées noires. Ça marchait pas vraiment, mais à force d'essayer j'ai pas vu la déprime passer. Son rictus est passé d'ironique et grinçant, à sinistre et amusé.

Je crois voir la bâtisse. Merde. Merde, les souvenirs qui remontent. Le ventre qui se serre. Les sueurs froides. Putain. J'veux pas y aller. Demi-tour. J'veux même pas entrer, j'ai une boule dans la gorge, j'm'arrête pas, j'arrête pas la caisse, putain non…

L'autre hérisson de mes deux s'est réveillé, et il s'accroche au levier de vitesse. Mais qu'il est…

- Dégage ! Dégage de là !!

Il commence à le tripoter, mais quel abruti. J'suis obligé de freiner, un Héricendre qui tripote un levier de vitesse, c'est moins dix points sur le permis…

… au beau milieu du désert. Yes. Bravo, Jack. Et bravo Héricendre, sale petit psychopathe.

Me voilà obligé d'y aller. Je sais qu'il est là, je me suis renseigné. Je me frotte la joue, encore. Maudits souvenirs à la con.

J'entre. C'est genre méga glauque. Je regarde encore la photo et je surveille parmi les gens. Je flippe, c'est pas croyable. Héricendre, reste sur mon épaule. Si tu te barres au dernier moment, je t'arrache la tête.

Il est là. Ouais, c'est comme on m'avait dit, il vient boire ici tout le temps. Merde, merde, merde. Bon, j'suis venu jusqu'ici, c'est pas pour faire demi-tour. J'avance d'un pas assuré, je me présente devant lui. Il lève la tête.

Sa main serre mon épaule alors qu'Etourvol dépiaute Abo. Et puis il lâche :

- Fiston, ta mère et moi on se sépare. Et je pense pas qu'on se reverra un jour. Comprends-moi, j'ai jamais voulu ça, mais tu comprendras que dans la vie…

L'homme se met face à son fils. Il a une barbe de quelques jours, mal rasée.

- … on ne choisit pas toujours les chemins qu'on emprunte.


Cette fois j'avais choisi. Choisi de prendre un chemin, d'aller au bout et de ne pas reculer.

- Tom Dutronc ?
- … ouais…
- Je… euh, je crois que vous êtes mon père… Je suis Jack, ma mère est Francine Hardy, on vivait…
- Je… J'ai compris… c'est… c'est une joie de te revoir, fiston… Ca fait…
- Longtemps, ouais… ça… t'embête ?
- Non, non…

Mon père se lève et me fait la bise, comme un père ferait à son fils. Lorsqu'il s'éloigne de moi, je me frotte la joue et je regarde mon père, hébété. Et je prononce une phrase qui débloque en moi mille et une choses :

- Tu… Tu piques toujours autant, papa…