Chapitre 19 : Avale
Les vagues se brisaient sur la plage de sable chaud. Aucun bruit, à part celui de l'eau ne troublait ce paysage magnifique. Quelques Krabby passaient à toute allure d'un trou à un autre, ramassant un peu de nourriture quand ils le pouvaient. Ils ne se souciaient pas de nous. Des Goélise pêchaient. Ils décrivaient des cercles au-dessus de leur proie, une fois celle-ci repérée à la surface de l'eau. Puis, ils plongeaient aussi vite qu'une pierre, se laissant tomber, pour ressortir avec leur butin dans le bec. Ils se posaient enfin sur un rocher pour se délecter de leur prise. Je n'y avais pas pensé jusqu'alors, mais moi aussi, j'avais faim. Voir ces oiseaux repus me rappelait que nous n'avions pas mangé après le combat épuisant contre Malin-Fureteur et ses acolytes. Aucune baie ne poussait cependant si près de l'eau salée, à mon grand désespoir.
Un Békipan passa juste au-dessus de nos têtes. Il volait lentement et pesamment, le bec trop plein de nourriture. Vassili s'agita soudainement. Il y eut une détonation. L'oiseau s'effondra au sol, touché par une de ses capacités mortelles. Je jetai le regard le plus méchant que je le pus au meurtrier. Il ne comprenait pas mon énervement. Evidemment, je n'y avais pas pensé plus tôt. Les humains étaient des prédateurs carnivores. Ils ne mangeaient pas que des baies. Ils n'étaient pas pires que Trioxhydre, quand ils tuaient pour manger. Mon réflexe était une habitude. Quand un humain tuait, je le prenais toujours mal. Je me calmais rapidement, puisqu' «Eclair-de-Liberté » mangeait déjà. Il lui avait donné le Békipan, lui, se contentait des deux poissons contenus dans le bec. Apparemment, l'idée de manger un Pokémon lui-même le dérangeait un peu. Je me réjouissais en tout cas de le voir préférer les animaux imbéciles pour son déjeuner.
Terreur-des-Hommes arriva en plein repas. L'humain la connaissait déjà, mais « Eclair-de-Liberté » eut un mouvement de recul : il ne l'avait encore jamais vue. Il voulait préserver sa nourriture. Il emporta sa viande loin de nous, en un bond. Vassili le repoussa amicalement. « Eclair-de-Liberté » laissa échapper un grognement mais ne riposta pas pour autant. Il traitait son protecteur comme un père, son éducateur à qui il devait obéissance... et soumission. Jamais il n'aurait osé l'attaquer. Plus ils restaient ensemble, plus ce lien prenait de l'importance. Il en était déjà ainsi avant que je partisse, cela n'avait fait que s'amplifier pendant mon absence. Il lui faisait confiance et pour cela, je l'admirais. Bien que nos passés fussent extrêmement différents, pour l'instant, je n'arrivais pas me fier totalement à Vassili. Bien sûr, le Pokémon électrique était jeune, il n'avait pas eu le temps, contrairement à moi, de recevoir une éducation sur les méfaits des humains. Pour ma part, je n'arrivais pas à raisonner normalement quand il s'agissait d'eux, ma mère m'avait tant mis en garde.
Mon amie Migalos mangeait de tout. Elle avait été habituée aux baies, car la chasse était difficile en ce temps. Elle ne refusa évidemment pas la part, prise au Dynavolt, que lui tendait Vassili. Elle s'adressa à moi, pour me tenir au courant de l'avancement de nos plans.
...............- J'ai déjà parlé à Lokhlass. Il accepte de nous faire traverser tous les quatre. Il est bien le seul qui fasse encore confiance aux humains...
...............- Je l'ai toujours trouvé naïf. Il avait pourtant en partie raison. Seulement, je pense que toutes les opinions tranchées à leur sujet ont une part d'erreur.
Terreur-des-Hommes entreprit de manger en même temps qu'elle continuait.
...............- Il est gentil, ce Vassili. C'est bien le premier qui me nourrit sans que je ne demande rien !
Je ne répondis rien. Elle avait raison, bien entendu. J'étais tellement heureux d'avoir trouvé un humain comme celui-ci que je n'osais même pas répondre. J'avais honte de m'être trompé à leur sujet, pourtant, je n'arrivais pas à éliminer ma méfiance. Les considérer tous sans exception comme mes ennemis était une erreur si grande... Terreur-des-Hommes remarqua qu'elle m'avait troublé. Elle n'ajouta rien, tout simplement parce qu'elle ne le pouvait pas. Nous avions été dans le faux tous les deux depuis si longtemps. S'il y en avait un qui n'était pas troublé, c'était « Eclair-de-Liberté ». Il continuait à manger ce qui lui restait, jetant un coup d'œil bienveillant à Vassili, comme pour s'assurer qu'il n'avait pas disparu, entre chaque morceau de viande.
Un chant mélodieux se fit entendre au loin, remontant immédiatement le moral de tout le monde. Vassili regardait avec admiration l'arrivée du grand Pokémon bleu. Il était la grâce incarnée, nageant comme les oiseaux planent. La surface de l'eau se fendait devant lui, elle laissait le passage au maître des flots. Ses nageoires ne dépassaient jamais, aucun mouvement n'était perceptible. Pourtant, il écartait les eaux et progressait lentement dans la trouée qu'il créait. Son cou recourbé s'agitait doucement, comme possédé par sa merveilleuse mélodie. Chacun de ses mouvements restait en accord avec son chant envoutant, donnant l'impression d'une danse aquatique. Je l'avais déjà vu de loin, j'en avais entendu parler, mais aucun mot ne pouvait traduire assez justement son allure tant elle était incroyable. Lokhlass se laissa échouer sur le sable, avec toujours autant d'élégance. Même les vagues semblaient l'éviter, de peur de rompre l'harmonie, en se brisant sur la plage.
...............- Alors, qui sont mes passagers pour cette traversée ? Je me ferai un plaisir de vous faire visiter le plus beau de tous les endroits : la mer. Dites-moi simplement où vous souhaitez que je vous dépose. L'eau est si merveilleuse que transporter humains et Pokémon est la chose la plus agréable que je puisse faire. Partager la beauté de l'océan avec vous me remplit de joie d'avance.
...............- Nous souhaiterions tous nous rendre sur le continent de l'oiseau de feu, Ho-Oh. Peux-tu nous y déposer ? demanda Terreur-des-Hommes à celui à qui elle avait donné rendez-vous.
...............- Je transporte qui vous voulez, tant qu'il est digne de confiance. Vous l'êtes tous les quatre, j'en suis sûr. Seulement, je crains devoir faire plusieurs voyages. Le lieu que vous me demandez d'atteindre est bien loin. Nous en avons au moins pour quatre ou cinq jours sans escale. Je mourrai de fatigue avant de toucher la terre ferme si je vous transportais tous en même temps.
...............- Mais... Nous ne pouvons pas rester ici en attendant. Aucun de nous ne le peut. Déjà, nous sommes pressés et je n'ai aucune envie que nous soyons encore une fois séparés, dis-je en haussant le ton.
...............- Je n'y peux rien, noble Insécateur, répondit-il d'une voix douce. Il va falloir vous arranger. J'en suis désolé. Il ne sert à rien de t'énerver. Ma force n'en sera aucunement décuplée. Pourquoi ton dresseur ne vous transporte-t-il pas dans vos Pokéball pour le trajet ?
...............- Je ne suis le Pokémon de personne. Mes amis non plus. Nous sommes libres. De plus, il n'y a eu aucun dresseur de ce côté de la mer depuis des lustres.
...............- Mais arrête de t'énerver dès qu'on parle de Vassili, s'emporta le Dynavolt, agacé de me voir ressasser les mêmes propos.
...............- Je pense qu'Eclair-de-Liberté et moi sommes prêts à nous lier pour de bon avec cet humain, répliqua Terreur-des-Hommes. En tout cas, pour ma part, c'est le cas. J'accepterai volontiers de me réfugier dans une Pokéball, le temps de la traversée et même après.
Dynavolt semblait très excité à l'idée de monter une équipe et de faire de Vassili un dresseur. Terreur-des-Hommes voulait seulement simplifier la situation. J'étais absolument contre. Une fois que nous acceptions la captivité, nous n'étions plus vraiment des Pokémon. Les Pokéball avaient quelque chose de maléfique. Je ne voulais pas que mes amis y entrassent. Lokhlass nous observait, la Migalos et moi nous disputer. Il semblait trouver cette altercation amusante, arborant un sourire en coin. Sans doute, pour lui, n'avait-elle pas lieu d'être. Terreur-des-Hommes faisait une entière confiance à Vassili. Je tentai de lui expliquer qu'il ne s'agissait pas ici de confiance, mais d'asservissement. Elle allait se transformer en esclave. Elle le niait, mais je ne pouvais pas la croire. Elle acceptait d'être son Pokémon. Elle comparait cette situation avec Protectrice-Colérique. Cependant, notre maîtresse ne nous enfermait pourtant pas dans des boules pour se faire obéir. Je finis pourtant par me laisser convaincre. L'enthousiasme d' « Eclair-de-Liberté » n'y était pas pour rien, même si la Migalos avait trouvé le bon argument en affirmant que rien ne changerait, puisque nous lui faisions déjà confiance. Je refusais tout de même de m'y plier moi-même.
J'en avais oublié Vassili. Il nous observait parler sans pouvoir intervenir. Je m'en voulais un peu de ne pas l'avoir aidé à nous comprendre, même s'il n'avait rien à faire dans ce débat. Je lui expliquais comme je le pus notre intention. Il finit par déduire qu'il s'agissait de Pokéball. Il semblait étonné de notre demande. Il commença par affirmer qu'il ne voulait pas être dresseur. Il trouvait que les humains en avaient trop fait aux Pokémon. Puis il me dit, écartant les pattes, ce qui lui donna une position plutôt comique, que de toute façon, qu'il n'en avait pas : on n'en trouvait plus. Son refus m'avait un peu rassuré, mais je m'étonnai beaucoup que ses idées fussent en accord avec les miennes. Je me demandais même s'il ne mentait pas afin de gagner notre confiance. Terreur-des-Hommes me poussa à insister. Vassili finit par accepter de les capturer. Mais il revint toujours à son problème de pénurie Pokéball, avec une insistance qui me donnait envie d'en rire.
Lokhlass osa enfin demander quand nous comptions partir. Comme nous n'en avions aucune idée, il fut assez gentil pour nous proposer de revenir ici même chaque jour, tant que nous n'aurions pas trouvé de Pokéball. Il affirma n'avoir rien d'autre de prévu. Ce Pokémon était vraiment le plus affable que je connaissais. En attendant de trouver une solution, nous nous installâmes dans le sable chaud, dont la sensation était très agréable. J'étais finalement le seul qui n'avait pas mangé à sa faim. Je sentais mon estomac qui réclamait son dû. Afin de le satisfaire, je m'éloignais de la plage pour cueillir des baies, après en avoir informé les autres.
Quand je revins, Vassili s'était couché sur la plage. Son « Eclair-de-Liberté » se tenait à sa place habituelle : sur le ventre de son « meilleur ami ». Quant à Terreur-des-Hommes, je voyais à son regard qu'elle réfléchissait activement. Je n'en attendais pas moins d'elle. Mon humain se redressa en me voyant arriver la bouche encore pleine de baies. Il avait une idée, qu'il m'expliqua avec tant de patience que je compris absolument tout.
...............- Chez les humains, on s'entraîne aussi. Ce n'est pas seulement le combat, ou la chasse et les baies. Je suis ingénieur. Ça veut dire que je peux normalement comprendre comment marchent certains objets humains assez compliqués. Avant, à l'école, là où on apprend, des amis à moi se sont intéressés à la Pokéball. Je pense que je pourrais en refaire une. Je ne sais juste pas trouver les Noigrumes, j'ai toujours été nul pour reconnaître les plantes. Est-ce que tu pourrais en trouver ? Il faudrait aussi qu'on aille visiter vos ennemis, pour ramasser quelques outils...
Cette idée n'augurait pas vraiment de facilité, mais au moins, nous avions une chance d'avoir des Pokéball. Vassili savait déjà où se rendre. La seule chose qui nous dérangeait était que nous étions trois... Il ne voulait pas qu' « Eclair-de-Liberté » se battît. Pour voler ce dont mon humain avait besoin en plein milieu des ennemis, il aurait tout de même mieux valu être un peu plus nombreux. Heureusement, nous n'allions pas au milieu d'un camp de combattants. D'après ce que j'avais compris, il s'agissait de personnes qui ne nous voudraient pas de mal, en grande partie. Je n'étais cependant pas rassuré, puisqu'il se pourrait aussi que nous rencontrions des ennemis : nous étions sur un territoire des humains du Nord et ceux-ci comptaient bien défendre les terres qui leur appartenaient.
Nous décidâmes de pénétrer chez eux le plus tôt possible, dès que la lumière du jour serait suffisante à Vassili pour y voir. Nous voulûmes dormir un peu, avant, sur la plage, puisque c'était tellement confortable. Vassili avait appris à son fidèle toutou à monter la garde. C'était très appréciable, nous gagnâmes un peu plus de repos en multipliant les veillées. En plein milieu de la nuit, alors que la lune se reflétait sur la mer entièrement noire, une grande trainée blanche zébra le ciel, me réveillant. Elle fut suivie par plusieurs autres. Vassili avait les yeux ouverts et semblait pris d'une tristesse incommensurable. Il se rapprocha de moi, voyant que je ne dormais pas non plus et me raconta ce qui le tourmentait, à voix basse.
...............- Quand nous avons passés nos premières nuits ensemble, ils avaient déjà utilisé cela. Ce sont des tirs d'artillerie. Il s'agit d'armes, un peu comme la mienne, mais beaucoup plus grandes et puissants que celles que tu as vues. Ces tirs détruisent tout, il y a des dizaines de morts pour chaque trait blanc comme celui-là et personne ne dit rien. Evidemment, nous ne pouvons rien faire, nous sommes trop faibles. Les autres humains, des territoires voisins, ne nous aident pas non plus. C'est trop dangereux, mais surtout, il n'y a rien d'intéressant ici. S'il y avait eu de l'argent à récupérer, on nous aurait peut-être aidés. L'argent, c'est ce qui motive les hommes, il sert bien souvent à avoir le pouvoir et aussi à nous procurer ce dont nous avons besoin. Sans lui, tu ne peux rien avoir, même pas de la nourriture. En attendant, personne ne fait rien, nos appels à l'aide restent sans réponse. Et mes frères meurent...
Je regardai encore ces traces blanches annonciatrices de mort, puis, je me rendormis. La vie des humains était bien compliquée... Le pire, c'était qu'ils se la rendaient difficiles eux-mêmes, avec toutes leurs idées bizarres. J'étais peiné de voir Vassili dans cet état, mais à la fois étranger à ses problèmes et distant de lui.