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__Mais quelle pétasse, mais quelle pétasse, mais quelle...
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__Dis-moi, Gardevoir, si ce n'est pas trop demander... pourquoi as-tu accepté de t'agenouiller ? lui murmura discrètement Damon.
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__Parce que je n'avais pas le choix, grommela-t-elle. Je lui suis redevable de certaines choses, et en échange d'un service, pour plaisanter, elle m'a dit qu'à chaque fois qu'elle me demanderait de me mettre à genoux, je devais obéir sans rechigner. Elle ne pensait pas que je l'avais prise au mot. Et voilà le résultat, je suis forcée de m'humilier sur commande.
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__Votre code d'honneur est quelque peu contraignant... pouffa-t-il.
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__C'est ça, moque-toi de moi... m'énerve.
_____Grâce au "sacrifice" de la demoiselle, ils étaient maintenant installés dans la maisonnette louée par Cresselia, sur des matelas préparés depuis quelques heures, semblait-il. Elle ne bluffait pas en disant qu'elle savait qu'ils viendraient, elle s'était sûrement rendu compte qu'il n'y avait plus une seule cabane de libre.
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__Vous avez tous une tête à faire peur, vous n'avez pas bouffé depuis quand ? critiqua leur hôte.
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__Depuis hier soir... gémit Raichu, dont l'estomac protestait.
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__... Chose orange, j'ai oublié de préciser que tu n'es pas dans le lot des zombies. À toi, un régime ne peut pas faire de mal. Par contre, j'ai rarement vu un humain ressemblant à une baguette française pas assez cuite. Long, fin, et presque blanc. Sais-tu ce qu'est le soleil ? Tu devrais essayer de t'exposer, tu ne t'en porterais que beaucoup mieux. Et un bon MacDo ne te ferait pas de mal non plus.
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__Un quoi ? demanda le concerné.
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__Une espèce d'endroit très connu des Hommes où ils s'empiffrent de choses super grasses et deviennent des Wailord
*. Que tu ne connaisses pas ce lieu est bien la preuve que tu es un Pokémon à la base.
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__Que... Hein ? Mais c'est quoi cette histoire ? s'exclama Rosélia.
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__Cresselia, tu viens de faire une bourde... souffla Gardevoir. On ne leur avait rien dit pour éviter leur curiosité...
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__Tss, c'est idiot de vouloir conserver cette apparence de toute façon. Il n'a qu'à se retransformer, grinça la créature lunaire.
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__Je ne préfère pas, répliqua catégoriquement le pseudo humain.
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__Hé ho ! Faites pas comme si on n'était pas là ! protesta la souris.
_____Gardevoir leur expliqua posément que le jeune homme, tout comme elle – elle préféra le leur avouer tout de suite, pour éviter une autre scène de surprise –, était capable de prendre apparence humaine et que pour l'instant, il préférait rester ainsi. Évidemment, elle n'expliqua pas pourquoi.
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__Hum, d'accord... Vous êtes vraiment bizarres, vous deux ! s'écria la plante.
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__Ah, ça va, on n'a pas choisi ! grinça la demoiselle en croisant les bras sous sa corne.
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__Et puis Damon n'a pas besoin de cette particularité pour être bizarre, la défendit Raichu. Vouloir rester humain, quelle idée !
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__Je sais que mon choix peut en étonner plus d'un, mais j'ai pris ma décision après mûre réflexion, assura l'intéressé.
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__Mouais, marmonna la nymphe lunaire, pas convaincue du tout. Moi, je dis qu'il vaut mieux mourir des millions de fois dans d'atroces souffrances que de devenir l'un de ces sales barbares.
_____Damon tiqua. Cette phrase n'était pas d'elle, mais de lui. Il y a bien des décennies de cela. Qu'elle l'ait gardée mot pour mot en mémoire le surprit, il ne sut qu'en penser.
_____—
__Eh, t'es dans la Lune (on devrait me pendre pour mes jeux de mots désolants), abruti ? On t'a demandé quelle couchette tu voulais prendre ! réitéra Cresselia.
_____Il fit un signe de la main qui indiquait qu'il se moquait de la place qu'on lui attribuerait comme de sa première attaque Trou Noir. Ses colocataires ne se firent pas prier, ils se chamaillèrent, même.
_____—
__Cette place est pour moi ! Elle est près de la fenêtre, c'est bon pour ma photosynthèse ! tempêta la fleur.
_____—
__Parce que tu as déjà vu le soleil en pleine nuit, toi ? À moins que tu sois tellement fainéante que tu resterais au lit la journée ? répliqua le Pokémon Électrique.
_____—
__Non mais vous allez vous la fermer ? Sinon, je vous envoie tester le moelleux du paillasson "Welcome" devant ma porte ! hurla l'oiselle.
_____Finalement, ce fut Gardevoir qui s'installa à la place convoitée, Damon à côté, Raichu ensuite. En face, Rosélia puis Cresselia, la plus près de la porte. Le sommeil vint rapidement, mais l'elfe psychique lutta, mettant une pichenette dans sa corne très sensible pour se ressaisir au moindre signe d'endormissement.
_____Quand elle se fut assuré qu'elle était la seule encore éveillée, elle donna un grand coup de coude dans les côtes du jeune homme, allongé sur le matelas proche d'elle. Il sursauta en se retenant de gémir :
_____—
__Mais qu'est-ce qui t'a pris ? J'ai déjà en général peine à m'endormir, si en plus on m'en empêche alors que j'y suis parvenu...
_____—
__Ta ta ta, tu n'as pas fini de me raconter les évènements du laboratoire, coupa-t-elle.
_____—
__Hum, ah oui... Pff, voilà que je vais encore devoir te secouer demain...
_____Il souffrait horriblement. Le moindre soulèvement de poitrine dû à sa respiration saccadée déclenchait une réaction en chaîne terrible. L'électricité, qui n'avait pas encore complètement quitté son corps, provoquait de faibles convulsions, qui se renforçaient à cause de ces mêmes secousses, agitant davantage les charges électriques. Son souffle n'en était alors que plus heurté ; c'était un cercle vicieux.
_____Il crut nombre de fois que son cœur allait lâcher. Il aurait même préféré que ce fût le cas. Rien ne lui aurait plus fait plaisir à ce moment que de se débarrasser de son enveloppe charnelle douloureuse à en rendre fou.
_____Mais sa mort semblant peu décidée à venir, il finit par perdre connaissance.
_____Quand il revint à lui, quelque chose faisait pression sur son torse, ce qui raviva la douleur que lui épargnait jusque-là l'évanouissement. Cependant, elle était moins intense, presque supportable. Il attendit donc de s'y accoutumer, sa réflexion trop engourdie pour qu'il se dît que ce qui appuyait sur sa poitrine pût être vivant.
_____Il s'en aperçut quand il souleva les paupières et trouva le visage d'une fillette près du sien. Il réprima un sursaut, de peur de souffrir encore. La gamine, penchée vers lui, attrapa une mèche de ses cheveux en souriant, la porta à sa bouche. Il nota leur souplesse et leur finesse par rapport à d'habitude.
_____Il se rappela alors les plans de Gallame. Il leva à hauteur d'yeux une main timide, craintive. Il la laissa retomber aussitôt sur le matelas où il avait été allongé. Elle était couleur chair, possédait cinq doigts terminés par des ongles au lieu de griffes.
_____Il fixa la petite fille qui avait décidé de récupérer entre ses menottes la sienne, et qui faisait jouer l'articulation du pouce. Elle avait des iris d'un rouge vermeil saisissant, une peau de pêche, et une chevelure vert pomme dont la frange retombait devant ses prunelles, coupée de façon sauvage – pas coupée du tout, même.
_____Il l'aurait prise pour un garçon s'il ne savait pas qu'elle était en réalité la Tarsal avec qui il avait communiqué. Transformée en humaine, tout comme lui, et ceux présents avec eux dans la même pièce. Ils n'étaient qu'une petite vingtaine. Sur des centaines au départ. Comme prévu, les ratés de l'expérience avaient fait des victimes. Pourquoi ne s'était-il pas trompé, pour une fois ?
_____Il tenta de se redresser, l'enfant s'écarta pour ne pas gêner. Il parvint à s'asseoir, mais pas plus. N'ayant jamais possédé à proprement parler de jambes
**, il ignorait comment marcher. Ses lèvres se retroussèrent de frustration. Ce n'étaient pas deux espèces de moignons en forme d'échasses qui allaient l'arrêter !
_____Il en attrapa une fermement et la déplaça vers le carrelage froid où il la reposa – heureusement pour lui, sa couche était à ras du sol. Il fit de même avec l'autre. Il se retrouva donc assis sur le bord de la couchette, les jambes en dehors, mollement posées à terre. La petite, accroupie près de lui, curieuse, se leva et fit quelques pas pour changer d'angle de vue. Contrairement aux Darkrai qui sont des lévitants, les Tarsal n'ont pas de problèmes pour se déplacer ainsi, étant bipèdes.
_____Il jura. Quand bien même il serait capable de comprendre comment se servir de ces deux membres inconnus, il n'en avait visiblement pas la force, vu leur maigreur. Faits à partir de rien ou de peu, ils étaient trop frêles. Ah ! ce que son véritable corps lui serait utile !
_____À peine eut-il pensé cela qu'il fut envahi d'une douce chaleur qui se diffusa alentour. Il fut cerné de blanc, et sentit son corps se modifier. Ses jambes disparurent sous lui, son bassin s'évasa, ses épaules s'élargirent et ses clavicules déchirèrent sa peau assombrie, le rouge s'en échappant n'étant pas du sang mais un épais col hérissé.
_____Ses doigts se collèrent pour n'en former que trois, au bout desquels percèrent des griffes acérées. Ses coudes s'armèrent d'aiguilles et ses cheveux autant qu'une grande partie de lui-même se dissipèrent à moitié, flottant derrière lui.
_____Il réalisa pleinement sa métamorphose quand elle arriva à sa phase finale : ses iris humains, turquoise, prirent tout l'œil, les fortes lueurs blanches dans ses pupilles noires remplacèrent celles-ci, et ce fut comme si on retirait un voile de sa vision : il vit dans l'obscurité environnante comme en plein jour.
_____Quand tout s'arrêta, il était redevenu lui-même – le Pokémon Légendaire de type Ténèbres. Cela n'avait pris que quelques secondes. Il prit la fillette dans ses bras et l'emmitoufla dans le drap qui était sa seule protection contre le froid ambiant. Lui n'en avait plus besoin.
_____Par prudence, il l'endormit. Hors de question qu'elle se mît à pleurer au mauvais moment : car il était temps de s'enfuir, avec ou sans renforts.
_____Pourquoi ne lui avait-on pas accordé une fuite sans histoire pour une fois ? Ben non. Il avait fallu que tout un escadron de Pokémon s'interposât. Alors qu'il avait eu peine à s'échapper de la salle où il était enfermé, forcé de se transformer en ombre avec la fillette pour passer sous la porte et assommer à mains nues le surveillant Alakazam : des détecteurs de capacités étaient disposés dans tout le bâtiment, appelant la garde à la moindre attaque lancée qui ne soit pas ordinaire.
_____Et maintenant qu'il était presque dehors, après avoir frappé, griffé, mordu en traître des dizaines d'adversaires, voilà qu'on envoyait des troupes pour l'arrêter, si près du but ! Puisqu'il était découvert, il n'allait plus se restreindre, maintenant. Qu'importait si le Trou Noir qu'il se préparait à envoyer allait déclencher les alarmes : tous étaient sans doute déjà au courant de sa présence.
_____Il posa la petite fille endormie contre un mur à l'abri du futur combat, et il s'exécuta, se plaçant en évidence face à eux, pour leur signaler qu'il était prêt à les affronter tous ensemble. Mais un Lumivole contra avec Rune Protect, tandis qu'un Akwakwak ripostait avec Entrave. Celle-ci ne le loupa pas, et il vit son attaque de sommeil se verrouiller.
_____Irrité, il misa sur l'offensive pure. Il n'avait que peu de temps pour établir une stratégie, car bientôt, la destruction de sa puce électronique allait enclencher la procédure de représailles. En s'autodétruisant. Il attendait le bon moment pour se l'arracher du cou.
_____Il fit pleuvoir des Ball'Ombre sur ses opposants, et malgré le Mur Lumière que l'insecte avait eu le réflexe de mettre en place, ils durent reculer. Ne leur laissant aucun répit, il enchaîna immédiatement avec Casse-Brique, anéantissant les barrières de protection établies, et mettant K.O au passage le Farfuret qui s'était jeté sur lui.
_____Darkrai était peut-être privé de sa capacité fétiche, mais il avait d'autres tours derrière sa collerette
***. Il réussit à fixer droit dans les yeux la plupart de ses ennemis, lesquelles furent aussitôt sous son emprise. Son Hypnose était redoutable, d'un bien trop haut niveau pour être freiné par des simples d'esprits.
_____Les hypnotisés se retournèrent contre leurs alliés. Cela se transforma en véritable carnage. Le Pokémon ombre choisit ce moment. Il récupéra l'enfant qui bava paisiblement contre son torse – intrigué et dégoûté, il avait marqué un temps de pause pour vérifier son rêve et s'était momentanément retrouvé englouti sous des gâteaux – puis il s'éloigna le plus possible du laboratoire.
_____Il arma une Griffe Ombre, glissa sa main entre son col et sa nuque. Il ne cria pas quand il la lacéra et arracha le composant électronique ensanglanté, grillé par les décharges qui avaient été nécessaires à sa mutation. Un décompte était lisible cependant. Plus que quinze secondes avant l'explosion.
_____Il eut une pensée pour les autres victimes du scientifique, restées avec lui dans le bâtiment. Ses ordres étaient clairs : en cas de transformations réussies, il ne devait rien en rester. Il devait obéir. Ou du moins faire comme si. Car il n'avait l'intention ni de se suicider, ni de tuer la petite fille sous sa protection – il s'y était attaché à déraison, étrangement.
_____Il jeta le minuscule appareil droit dans la bataille en dessous de lui. Les combattants se trouvaient précisément au-dessus du labo souterrain. En dépit de sa taille, il s'agissait là de l'une des armes les plus redoutables du gouvernement, utilisée le moins souvent possible, car il ne resterait après la déflagration que poussière et terres infertiles sur un kilomètre de rayon. Mais c'était sans importance. Cet endroit était déjà aride à la base.
_____Il s'éloigna vivement encore, on n'était jamais trop prudent.
_____Trois.
_____La pseudo humaine ouvrit des yeux surpris, se pencha pour examiner ce qui se passait derrière son porteur, malgré ses protestations.
_____Deux.
_____Il lui sommait de ne pas regarder. Elle l'ignorait royalement, se demandant comment elle s'était retrouvée ici alors qu'il n'y a pas longtemps, elle était encore là où son père l'avait mise.
_____Un.
_____Elle fut brusquement plaquée contre la poitrine froide de celui qui la tenait fermement contre lui. Frustrée de ne plus pouvoir observer ce qu'elle désirait, elle couina.
_____Zéro.
_____Une détonation la fit hurler de surprise. L'étranger qui l'agrippait la serra encore, elle tressaillit quand ses muscles se bandèrent. Un souffle brûlant les rattrapa malgré sa vitesse, apportant des débris qui les dépassèrent. Profitant d'une inattention de son agaçant porteur, elle jeta un œil vers l'arrière.
_____Elle n'y vit plus qu'un épais nuage de fumée grisâtre, s'élevant vers le ciel, immense, impérial. Une odeur de sang et de mort lui emplit le nez. Elle ne le comprit pas. Le seul mot qui lui venait pour comparer ce gros nuage toxique à un objet connu d'elle était "champignon".
_____Au grand soulagement de Darkrai.
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__Champignon ? ... Alors c'était... commença Gardevoir.
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__Une charge nucléaire concentrée, oui, termina Damon, confirmant les soupçons de la demoiselle.
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__... Brr... Et tu portais ça sous ta peau ? Faut être fou, imagine s'il y avait eu des fuites ! Tu aurais été irradié de l'intérieur !
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__Les tests étaient concluants.
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__Les tests ? Tu travaillais pour qui, pour quoi, au juste ? Parce que ça m'a l'air rudement dangereux ! Tu étais du genre suicidaire ou quoi ? Non pas que j'en aie quelque chose à faire, hein, ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit ! Je me moque complètement de toi, tu n'es qu'un sale criminel sans scrupules, même si tu m'as sauvé deux fois ! C'est bien clair, hein ? Hein ?...
_____Ce fut seulement après s'être époumonée à moitié contre lui qu'elle se rendit compte qu'il dormait profondément. Se trouvant parfaitement ridicule, elle s'allongea, pensive. Était-ce là toute l'histoire ?... Peut-être, peut-être pas. Elle lui poserait la question demain, en même temps qu'une autre : comment est-il possible de s'assoupir si vite ?
_____« Il a du mal à s'endormir ? Mon œil ! »
_____*Équivalent de l'expression "devenir des baleines".
_____**Les Darkrai possèdent des jambes, oui. Mais elles sont dépourvues de genoux, et tiennent plus de l'ombre que du palpable. Elles ne sont donc utiles que pour se stabiliser au sol.
_____***Équivalent de l'expression "avoir plus d'un tour dans son sac". Les Darkrai possédant un espace entre leur cou et le bord intérieur de leur collerette, ils aiment y cacher des objets personnels ou dangereux... voire les deux à la fois (— __Chérie, pour ton anniversaire, j'ai eu envie de t'acheter une fiole de poison corrosif ! — __Oh, comme c'est adorable mon amour ! Je vais la ranger derrière mon cou pour ne pas la perdre...).