Dans l'oeil du cyclone de Orissa

Cela fait plus ou moins 17 minutes et 26 secondes que Stone fixait ce panneau publicitaire avec insistance. Et ce n'est pas comme si Will avait regardé sa montre toutes des 5 secondes, en alternance avec la tête concentré et l'air buté du Mangriff à ses côtés.

La nouvelle PokéPoupée Cheniti, vos Pokémons lui diront merci !
Et comme si ce n'était pas suffisant, il s'était planté devant une publicité particulièrement ridicule. Celle-ci représentait un Arbok avec un cœur comme marque ventrale, en train de faire des câlins à un Cheniti en peluche sous le regard dégoulinant d'affection de son dresseur. Les rares passants jetaient au garçon un coup d'œil étrange, un peu comme celui que l'on réserve aux ivrognes ou aux marginaux quand ils s'approchent un peu trop de nous pour sembler honnêtes. Will, les mains dans les poches, n'osait cependant pas interrompre son Pokémon. Il l'observa du coin de l'œil. Stone semblait concentré, comme s'il cherchait à comprendre pourquoi l'Arbok devant lui affichait un air aussi stupide. Peut-être que c'était le cas, finalement. Peut-être qu'il étudiait vraiment le panneau, abandonnant sa chasse encore une fois. Depuis qu'il avait quitté le Centre Pokémon en trombe, en début d'après-midi, le Mangriff donnait l'impression de changer de piste souvent. Il revenait sur ses pas, partait dans la direction opposée pour finalement faire demi-tour et s'attarder une éternité sur une touffe d'herbe ou une marque sur le sol... Will se demandait s'il existait vraiment une chance pour lui de retrouver son appareil photo. Il avait parcouru presque tout le village en courant derrière Stone, puis celui-ci avait décidé qu'il était vraiment plus commode de prendre le bus. Allez savoir. Toujours est-il que le garçon l'avait suivit, payant de sa poche les tickets de transport (double tarif pour les Pokémons hors de leur Pokéball, s'il vous plaît) pour ensuite descendre à la station juste avant le terminus. Comment le Pokémon avait-il su où s'arrêter, il l'ignorait. Sa sœur aurait très probablement trouvé la réponse à sa question, ponctué de son éternel « Réfléchis, bon sang ! » en lui administrant une claque à l'arrière du crâne. Sauf qu'elle était sûrement rentrée au Centre Pokémon depuis longtemps, l'attendant de pied ferme et imaginant tout un tas de corvées à lui faire faire en punition de son retard, toutes plus désagréables les unes que les autres. Will soupira. Il était là, devant ce panneau publicitaire de mauvais goût, au milieu d'une petite ville dont il n'avait pas réussi à retenir le nom, accompagné d'un Pokémon qui, s'il n'avait pas perdu la boule, avait sans conteste perdu une bonne partie de son excellent odorat. C'est sûr, il avait la poisse. Il se décidait à interrompre finalement la méditation de Stone quand celui-ci tourna la tête vers lui. Il le regarda longtemps, Will tentant de soutenir son regard, puis le garçon soupira et baissa les yeux.

- « C'est pas si grave, Stone. Je demanderai de l'argent pour mon anniversaire, peut-être qu'en cumulant avec mes économies... Il grimaça à cette idée. Ses maigres ressources se limitaient à une tirelire marcacrin cachée dans un placard et depuis le temps qu'il n'avait pas regardé dedans, il ne devait pas y rester grand-chose. Et sans appareil, autant dire que ses espoirs de participer au championnat national de poképhoto devenaient nuls. Alors qu'il était pratiquement sûr d'être classé avec ses clichés du Goupix doré et de sa mère... Il n'avait vraiment pas de chance, c'était certain. Ou alors, c'était le destin. Qui sait, il était peut-être destiné à échouer dans la photographie, sa seule et unique passion...
Will se laissa tomber au sol plus qu'il ne s'assit, prit sa tête dans ses mains et poussa un grand soupir de désespoir. Face à lui, Stone leva les yeux au ciel. Il s'approcha silencieusement du garçon, pris son élan et lui assena une grande claque sur l'arrière du crâne.

- Aïeeuh ! Mais qu'est-ce qu'il te prend ?!

Will se frottait maintenant la tête avec énergie. Le coup l'avait projeté en avant et il avait vu le sol goudronné de près. Stone le regardait d'un œil condescendant, les pattes avant croisées sur son ventre et l'air grognon. Pendant un instant, Will se surprit à reconnaître son père dans l'attitude du Pokémon.

- Bon, ça va, arrête un peu de me regarder comme ça... On y va. On a plus grand-chose à faire ici de toutes façon, et en prime je sais même pas où on est. »

Il se leva en poussant un énième soupir, jeta un dernier regard à la publicité décidemment trop ridicule, puis s'éloigna d'un pas traînant.

Stone marchait sans bruit derrière lui, et le garçon avait la nette impression que le Mangriff le fixait d'un mauvais œil. Il essaya de s'intéresser au quartier qui l'entourait. Tout autour de lui, de petits immeubles bien entretenus se succédaient. L'après-midi était déjà bien entamé et le soleil déclinait lentement à l'horizon, agrandissant les ombres des grands arbres le long de la rue. Le chant discret d'un Nirondelle les suivait tandis qu'ils marchaient à pas lents sur le trottoir, redescendant vers le centre ville à la recherche d'un arrêt de bus. Des nuages cotonneux, encore chargés de pluie, flottaient dans le ciel se teintant peu à peu de couleurs rouges et orangées.

Will marchait les yeux baissés, les mains dans les poches, une expression de profonde lassitude accroché au visage. De cette façon, il n'évita qu'au dernier moment l'épaisse paroi vitré de l'abribus, pourtant visible de loin, en s'arrêtant brusquement juste devant. Il regarda un instant son reflet, puis cligna des yeux plusieurs fois, se résolvant à ne pas regarder Stone qui était probablement encore en train de lever les yeux au ciel et entra à l'intérieur. Un coup d'œil rapide lui permis de savoir qu'il devait encore patienter un peu plus d'une heure ; les horaires affichés indiquaient que le prochain bus ne passerait pas avant la tombée de la nuit. Il soupira et se laissa tomber sur le petit banc en plastique. Il déballa une barre de céréales qu'il avait miraculeusement retrouvée dans une de ses poches, tendit un morceau au Mangriff qui secoua sa tête d'un « non » catégorique et s'efforça de trouver une position plus ou moins confortable sur son siège, le dos appuyé à une des parois de l'abribus. S'enveloppant tant bien que mal dans sa veste, il grommela contre la fraicheur du soir, les lumières trop vives des lampadaires qui s'allumaient progressivement et sa malchance éternelle qui lui collait à la peau. La journée avait été longue et elle était encore loin d'être finie, mais Will voulait se reposer un minimum avant de rentrer au centre pokémon et d'endurer les foudres de sa sœur. Il jeta un dernier regard à Stone, roulé en boule à l'autre bout de leur abri de fortune, puis ferma les yeux en espérant de tout cœur ne plus avoir à revivre ce genre d'aventure avant longtemps.

*****

Will se réveilla en sursaut quelques heures plus tard, persuadé qu'il venait juste de s'endormir, une vive lumière dans les yeux. Il sursauta une seconde fois en réalisant que quelqu'un braquait une lampe torche sur lui et se plaqua contre la paroi vitré derrière son dos.

- « Que... ?!

- Oh là, mon gars, du calme ! L'individu baissa sa lampe et se redressa de toute sa hauteur en s'éloignant un peu de lui. Will put ainsi le détailler : l'homme qui l'avait réveillé était, à en juger par son uniforme, un policier. De taille moyenne, ses petits yeux bruns regardaient le garçon d'un œil sévère, son double menton tremblotant tandis que sur sa bouche se formait une moue désapprobatrice. Il tenait sa torche dans une main, l'autre négligemment accroché à sa ceinture munie de pokéballs de couleur bleues. Sur chacune, une petite étoile jaune était gravée juste au dessus du système d'ouverture. L'homme reprit la parole :

- Qu'est ce que tu fiches ici ? T'as fugué ? C'est pas vraiment un endroit pour dormir ici tu sais, tu devrais plutôt rentrer chez toi, je suis sûr que tes parents se font un sang d'encre. Il ponctua sa réplique d'un regard vers les chevaux décoiffés du garçon et son allure chiffonnée.

- J'ai pas fugué, dit Will en se redressant et en s'éclaircissant la voix s'un raclement de gorge, j'attend le bus. Le policier écarquilla les yeux et étira un sourire en coin.

- Dans ce cas, tu l'as loupé. Viens avec moi, mon garçon, je t'emmène au poste, on appellera tes parents.

Will eu un mouvement de recul réflexe. Le policier ne l'aperçu pas, ou ne s'en soucia pas, et sorti de l'abribus. Il lui jeta un regard doux et éclaira de sa lampe une petite voiture de police garée plus haut. Le garçon acquiesça à son signe de tête et s'avança vers lui, avant de se retourner anxieusement, se rappelant qu'il n'avait pas vu Stone près de lui.

- C'est lui que tu cherches ? » demanda l'homme. Will se retourna en apercevant une petite silhouette assise sur le bord du trottoir près de la voiture, faiblement éclairée par les réverbères de la rue. Le Mangriff bailla ostensiblement avant de se dresser sur ses pattes arrière et suivit docilement le policier, sans adresser un regard au garçon. Celui-ci suivit son pokémon, résigné, à l'intérieur du véhicule.

******

En arrivant au poste de police de la ville de Via-city (au moins maintenant il savait où ils étaient descendus du bus), Will se répéta pour la dixième fois qu'il était dans le pétrin. Non seulement il n'était pas rentré à l'heure prévue, mais en plus Lily avait dû piquée une crise de nerfs en voyant l'entrée du Centre Pokémon pleine de boue et Will allait l'achever en se faisant raccompagner par la police jusqu'à chez lui, comme un fugueur ou un délinquant. Il n'était pas spécialement proche de sa sœur, mais il détestait décevoir quelqu'un, d'autant qu'elle s'occupait déjà toute seule du Centre pokémon pendant que lui battait la campagne à la recherche de la photo du siècle. Il se sentait de plus en plus minable de l'avoir laissé en plan sans aucunes explications, et son visage devait probablement refléter son état d'esprit alors que le policier répétait une nouvelle fois qu'il affichait vraiment une sale tête, ponctuant sa phrase par une claque dans le dos qui le fit trébucher sur le perron de l'hôtel de police.
A l'intérieur, d'autres policiers étaient assis sur des chaises en bois autour d'une grande table, et semblaient davantage fascinés par le petit poste de télévision posé en haut d'un meuble que par leur arrivée. La pièce était petite mais étonnamment chaleureuse : un long bureau à leur gauche était destiné à l'accueil, tandis que d'autres tables étaient recouvertes de piles de dossiers et de papiers. Des plantes vertes étaient disposées un peu partout dans la pièce, tantôt au sol, tantôt sur une pile branlante de journaux. En face d'eux, un long couloir donnait sur d'autres pièces, mais le policier qui avait récupérer Will le poussa gentiment vers la tablée à leur droite. Il lui tira une chaise en bout de table et le fit assoir, puis sorti un paquet de gâteaux d'un placard et le posa devant lui. Il s'en alla ensuite par une porte au fond de la pièce, laissant tout le loisir aux autres hommes en uniforme de dévisager le nouveau venu. Ils étaient trois, avec chacun leur style et ne correspondaient pas vraiment à l'idée que l'on pouvait avoir des policiers. L'un était grand et dégingandé et ne quittait jamais sa cigarette, ses yeux à demi-fermés donnant l'impression de dissimuler une profonde gentillesse. Il tendit sa main vers Will en se présentant.

- « Salut gamin. Moi c'est Nest. Ça boum ? Le garçon, ne sachant pas quoi répondre à ce drôle de policier, se contenta de hocher la tête lentement tout en lui serrant doucement la main. L'homme présenta ensuite les deux autres, conservant un sourire mystérieux accroché à ses lèvres. Le petit rouquin costaud avec une coupe militaire se faisait appeler Bazooka et surnomma son Capumain « Baz » lorsque celui-ci vint se percher sur son épaule, un gâteau chapardé quelques secondes plus tôt dans sa patte. Quand au troisième policier, un brun aux yeux sombres appuyé négligemment sur le dossier d'une chaise, il adressa à Will un signe de tête quand Nest le présenta. Il l'appela Baron, et Will se dit que ces trois là portaient décidemment de drôles de noms, en plus de ne pas ressembler à des policiers ordinaires. Il interrompit ses observations lorsque son « sauveur » revint avec une tasse fumante entre les mains et la posa devant lui. Du chocolat chaud.

- Je ne me suis pas présenté. Appel-moi Todd. T'as fait la connaissance de ces guignols ? Ajouta-t-il avec un sourire, son double-menton tremblotant sous l'effet de son rire contenu. Le dénommé Nest lui jeta un regard indéchiffrable tout en continuant de sourire, puis reporta son attention sur l'écran de télé. Comme un signal, les deux autres se désintéressèrent également de lui, l'un pour attraper le paquet de gâteaux, l'autre pour s'emparer de la télécommande.

- Yo, Baron ! Change pas de chaîne ! Apostropha Bazooka quand il s'aperçu que l'autre zappait déjà d'une chaîne à l'autre, sans pour autant sembler s'intéresser aux différents programmes.

- Comme si ton western à la noix intéressait quelqu'un... Répondit l'autre distraitement.

- Il m'intéressait, moi ! Et Baz aussi d'ailleurs ! »Rétorqua le rouquin en jetant un œil à son pokémon qui, loin de s'intéresser aux chaînes qui défilaient à l'écran, lorgnait plutôt d'un œil avide le gâteau que Will s'apprêtait à croquer.
Alors que Baron continuait de zapper, imperturbable sous les grognements de Bazooka, il se stoppa soudain sur une chaîne d'informations en continue. Le présentateur télé semblait annoncer qu'une catastrophe s'était produite pendant l'après-midi. Le policier monta le son.

- « ...et l'effondrement du Centre Pokémon n'a toujours pas été expliqué, ce qui laisse libre-court à toutes sortes de rumeurs. Certains témoins affirment en effet qu'un pokémon géant aurait soudainement attaqué sans raisons valables, ce qui aurait causé l'effondrement du toit et un nombre importants de blessés et de disparus. Une division spéciale de la police de Carmin-sur-Mer est actuellement en train de sécuriser le périmètre en vu de l'enquête... »

Mais Will n'écoutait déjà plus. Devant ses yeux se succédaient des images de l'éboulement du Centre Pokémon, de personnes ensanglantées, les sirènes des ambulances résonnaient dans sa tête, couvrant les cris des humains et des pokémons pris au piège sous les éboulis... Et au milieu, Etoile, reconnaissable entre mille avec sa marque sur son front, hurlant à la mort...Sa tête lui tourna soudain et on le secoua vigoureusement.

- « Et gamin ! Oh ! Ça va ? L'homme raffermit sa prise sur l'épaule du garçon et s'assit sur une chaise près de lui. C'était Nest. Sa cigarette s'était éteinte et il sentait le tabac à plein nez. Son regard gris le sonda rapidement tandis que Will sentait les larmes lui monter aux yeux. Il s'efforça de se reprendre. Le son de la télé avait été coupé, mais les images de la catastrophe défilaient encore en boucle. Nest fit un geste discret vers Baron qui éteignit définitivement la télé. Autour de lui, tout le monde le regardait avec un air inquiet, mis à par le Capumain qui avala goulument le reste du paquet de biscuits d'un seul coup.

- C'est...c'est ma sœur. Bégaya le garçon, encore sous les effets de l'annonce. Elle était à Carmin-sur-Mer cet après-midi. En visite. Au Centre Pokémon. Le pokémon qui criait... c'est Etoile. Son Kangourex.

Will fixait un point sur le mur en face de lui, distillant ses informations à un public de plus en plus sombre. Il y a un instant, il avait faillit fondre en larmes. Maintenant, il avait la sensation que tout s'écroulait autour de lui, tandis qu'il n'arrivait toujours pas à comprendre ce qu'il faisait ici, dans ce poste de police miteux, plutôt qu'avec sa sœur... Il déplia ses doigts crispés de sa tasse presque froide et les laissa tomber le long de son corps et s'affaissant un peu plus sur sa chaise. Il senti qu'on tirait sur sa veste et laissa son regard dériver à côté de lui.
Stone se tenait là, debout près de lui et quand les yeux de Will rencontrèrent ceux du pokémon, il eu comme un électrochoc. Il se leva d'un bond, les poings serrés, et allait filer vers la porte si Nest ne s'était pas appuyé violement sur son épaule pour le faire rassoir sur sa chaise.

- Hop hop hop ! Une seconde.

Le militaire regarda alternativement ses camarades, à présent tous debout. Seul Todd semblait ne pas vraiment comprendre ce qu'il se passait. Il regardait Nest avec de grands yeux emplis d'incompréhension, la bouche légèrement ouverte, les mains crispées sur sa tasse de café. Les autres hochèrent la tête en silence, semblant acquiescer alors que rien n'avait encore été décidé. Nest repris la parole, ses yeux à nouveau fixés sur Will.

- Ne t'imagines pas un instant que tu vas te lancer à l'aventure au beau milieu de la nuit pour une virée à Carmin-sur-Mer. Non seulement c'est dangereux, mais en plus c'est complètement stupide.

A côté du garçon, Stone poussa un grognement bref. Will ignorait si le Mangriff avait saisi ce qu'il c'était passé, mais visiblement il aurait apprécié la balade nocturne. Will se renfrogna. Alors il était coincé ici, sans une seule chance de savoir si Lily était toujours vivante ou non, sans aucun autre moyen d'avoir des nouvelles que ce stupide poste de télé. Et faucher la compagnie à ces policiers apparaissait visiblement impossible. Il s'affala encore un peu plus sur sa chaise en grognant, les sourcils froncés, des soucis pleins la tête, espérant sans trop vraiment y croire que sa sœur était encore vivante...

Nest se saisit de son col et le redressa d'un coup, un sourire aux lèvres.

- Arrêtes un peu ou tu vas dégouliner par terre et Todd va devoir tout nettoyer, plaisanta-t-il, les yeux pétillants. Il sorti une cigarette de l'intérieur de sa veste, la porta à sa bouche et l'alluma consciencieusement. J'ai dit que tu ne pouvais pas y aller seul, ajouta-t-il dans un nuage de fumée. Mais si on vient avec toi, ça change tout...