Duft Note (Concours amateur Sac)
Il n'y a point de délice sans l'idée du supplice…
Qui arrive derrière et point impitoyablement sur ceux qui le savourent… Oui, après le plaisir de l'immondice commis vient toujours le châtiment derrière.
Le châtiment moraliste, à la fois culpabilisant et futile. Futile avant l'acte, culpabilisant pendant et après.
La culpabilité est telle qu'elle se mue en doux plaisir de la transgression. D'aucuns appellent ça de la perversion. J'appelle ça Vivre.
C'est ainsi que j'étais, moi, la Vierge livrée au monde des morts, l'Enfant Précieuse qui serait ramenée à la terre comme si j'étais morte sans l'avoir souhaité ou sans qu'on l'ait souhaité. Ils me regarderaient tous mourir à regret mais en souhaitant cependant que cela se passe « Bien ».
Il y avait dans mon village une tradition idiote. Pour que les moissons de l'automne soient fructueuses, on organisait du début de l'hiver à la fin de l'été une cérémonie de pacotilles. L'or, l'argent et les bijoux ne nourrissaient personne, ce n'étaient que des babioles ici. On me les délivrait tous lorsque j'eus 18 ans, comme pour me prouver que j'étais belle, importante, la Reine, puis on me livrerait à l'infâme Miasmaxe, l'horrible créature répugnante qui vivait au fond des septiques, la réserve à crasse, le bac à immondices, à qui l'on faisait manger le purin, les excrétions et les rebus de la société de la surface. La créature était connue des jeunes par des histoires de bonnes femmes qu'on racontait aux enfants pour leur promettre la mort en cas de désobéissance. Une autre manie de ce monde triste et sale de se débarrasser des responsabilités et de nourrir leur domination d'esprits forts sur des moins-qu'eux, des moins que rien, des moins-qu'idiots.
J'étais jeune.
J'étais blonde comme les blés. Un seul de mes cheveux pouvait passer pour un brin d'Or.
J'étais belle, oh ça oui. Combien de fermiers ont voulu profiter de moi dans la paille ? Combien de paysans ont lâché leur binette, m'en promettant une meilleure ? Combien de femmes m'ont regardé comme si je me livrais à leurs maris, telle la viande sur la table ?
TOUS DES PORCS. LES HOMMES comme LES FEMMES. Tous avec un double-fond dans le sac ignoble que constituait leur âme. Aucun d'eux n'était à découvert. Je les voyais comme des sacs, des choses informes contenant moult choses qu'ils ne souhaitaient pas montrer. J'étais moi-même un sac vide de toute possibilité de leur répondre. Oh bien sûr, comme toute fille, dès la naissance, je savais que j'étais mauvaise, impure, diabolique, tentatrice, mon seul physique était une offense aux hommes aussitôt hypnotisés par ma silhouette de sirène et n'ayant qu'une envie : me violer car il ne pouvait en être autrement avec une poupée sans sentiments. Voilà ce que j'étais : Un sac rempli de bonbons séduisants que tout le monde voulait sucer, mordiller, lécher, pénétrer avec les dents, explorer de tout son long, inoculer dans le système digestif.
Je suis le goûter, le hors d'œuvre, rien de plus. Bonne à être mangée par les loups, en tant que femme j'étais le démon, un de ces démons qui avait mis au monde tous ces maudits et leurs mentalités pourries que j'espérais châtier un jour, sans la possibilité ni le courage réel de le faire.
Je les regardais de mes grands yeux bleus. J'étais insignifiante. Je n'étais rien à leurs yeux.
J'avais un seul ami.
Porter était plus jeune que moi, il n'avait que quatorze étés quand, proche du sacrifice, j'en avais dix-huit. Porter était le plus gentil et le plus adorable des garçons. Le seul qui me traitait avec respect et égalité.
Porter était adorable, au visage d'ange, ses grands yeux clairs voyaient au fond de moi et étaient des fenêtres immanquables sur son âme d'enfant à peine adulte. Il était jeune, bien bâti et vigoureux. Je l'ai toujours vu comme une solide charpente imprenable. Rien n'avait de prises sur lui, pas même son père autoritaire qui buvait et le battait.
Les gens de la ville le traitaient de freluquet, de bon à rien. Une maladie de jeunesse l'avait rendu plus chétif que d'autres. Il était la risée là où j'étais l'adorée. Pourtant il valait infiniment mieux que je ne vaudrais jamais dans cette vie ou dans une autre.
Nous parlions souvent, d'avenir qui n'arriverait jamais, de ce village d'ordures, de monstruosités, de nos souffrances respectives. Quand je me sentais bête de souffrir d'être un simple outil de sacrifice, lui me soutenait et me faisait rire.
« C'est pas la mort », me disait-il.
J'aurais dû me mettre en colère.
Mais je riais avec lui. Mon destin était tellement abscons que j'en riais aussi. Moi, bientôt couverte d'or et offerte en pâture à un monstre. C'était du dernier absurde. Pour que la moisson soit bonne. Pour que la récolte soit fructueuse. Pour qu'un miracle se produise !
Je pouvais bien en rire, non ? Moi plus que quiconque.
A quoi bon m'abattre sur mon sort. Porter semblait sentir que j'avais besoin de ça. J'étais à ses côtés et je sentais toujours une douce chaleur. La chaleur humaine qui émanait de lui, était la plus douce et la plus vaporeuse qui soit. Ni oppressante, ni lubrique, il avait envers moi les intentions les plus pures et les plus amicales.
Son sac à lui était ouvert, visible, limpide Je savais qui il était dans les moindres recoins.
Les moindres.
La veille du début des cérémonies, je nous avais éloignés du tumulte de la ville.
Rien que pour mettre à mal leur cérémonial délirant, j'avais décidé de donner ma précieuse virginité à celui qu'ils appelaient le Freluquet. Il avait peur et froid, il était timide et pionnier en tout, mais j'étais heureuse, tellement heureuse de m'offrir à lui. Il n'y avait vu qu'une consécration de nos sentiments respectifs et rien d'autres. J'y avais vu à la fois ma vengeance vipérine et un beau chant d'Adieu avant d'être portée aux nues puis portée en terre.
Cela advint.
Un beau matin, l'on vint me chercher chez moi. Mon père et ma mère laissèrent faire. Sur leurs visages ? Un bonheur extatique. « Ô JOIE ! NOTRE BELLE ET ADORABLE FILLE, SACRIFIEE A UN MONSTRE ! OFFERTE AU MALIN ! QUEL BONHEUR INOUI ! »
Je les déteste. Je leur cracherais bien dessus mais cela me demanderait trop d'efforts.
Je suis emmenée par les villageois qui me portent à bout de bras sur une couche de bois et de paille. Je suis nue avec pour seul habit mes couvertures. Ils chantent. Chantez, bande de ploucs. Chantez tant que vous le pouvez encore. Leurs braillements me font pitié.
Je suis installée devant un grand feu. Le vieux sorcier approche. C'est un homme qui sent la mort et la fumée froide, un infect vieil homme rance qui devait sûrement baver à l'idée de me toucher, de me voir. Je l'observais, impassible. Il me regarda et prononça un texte rituel.
« Princesse, nous allons te couvrir comme une reine d'or et de bijoux car nous t'aimons. Nous allons te nourrir, t'aimer, te chérir. Tu seras celle qui délivrera notre peuple de la malédiction de la Miasmaxe pour cet été encore. Gloire à toi et à ta resplendissante jeunesse. »
Oui, merci à toi d'être belle, d'être femme et d'avoir dix-huit ans, et d'être vierge (enfin…) et de bien vouloir te sacrifier pour qu'une bande de gogos vive dans la peur mais croie quand même que c'est grâce à cette mascarade que tout va mieux.
Je fus donc, plusieurs mois durant, nourrie avec les meilleurs fruits, la meilleure viande, bref, avec tout ce qui pourrait très bien nourrir le village – mais la moisson était plus importante, et mon sacrifice d'autant plus – je fus assaillie de prières vantant ma pureté, mon courage, ma beauté, ma grandeur. Les villageois affamés devaient me regarder manger – ce que je trouvais révoltant, mais la moindre tentative de les nourrir provoquait une violence inouïe contre celui auquel j'attribuais ma charité.
Prisonnière, incapable de réagir, de m'enfuir ou de parler (J'avais vu d'autres vierges avant moi être torturées à mort et brûlées vives pour avoir osé prononcer un mot ou protester), je subissais mon sort sous les yeux même de Porter qui m'observait sans vraiment oser comprendre ce qui m'arrivait.
Arriva le dernier moment du supplice.
J'étais menée, sous un soleil de feu, sur un chemin de montagne âpre, par le vieux sorcier, jusqu'à une grotte, un puits naturel qui était censé me mener aux septiques. C'est là que je serais sacrifiée, jetée dans le trou et laissée pour morte. Le sorcier était accompagné de deux laquais que je soupçonnais de me regarder voire de me dévisager.
Depuis trois trimestres déjà j'étais choyée, adulée, vénérée, et me voilà accompagnant un vieux dictateur de pacotille et ses séides fidèles sinon débiles jusqu'à un puits où il va me balancer. Je transpire, mais pas de joie, ça, c'est certain.
On arrive au lieu-dit, le sorcier s'arrête comme si on n'était pas pressés. Je suis là, portant une simple toge faite d'un beau linge. J'ai une coiffe en rameaux d'olivier dans les cheveux. Je suis bien jolie pour une fille qui va mourir.
J'ignore réellement pourquoi…
… mais sur le moment j'étais profondément sereine. Je savais à quoi m'attendre après tout. J'ignore vraiment pourquoi. Trois salopards allaient me foutre dans un trou, à part ça, tout allait bien. J'étais face au puits, je ne savais s'ils allaient me pousser. Sur le moment j'attendais en fait que le sorcier prononce une sorte de prière rituelle, voyez, un truc bien solennel pour appuyer la chose auprès de ces divinités qu'il sert dans ses prêches.
Mais non, il approcha, il s'avança vers moi.
Le sorcier.
Le salaud.
Il approchait de moi, me provoquant des frissons de terreur – la mort, je m'y attendais, mais ça… - De plus son regard ne me disait rien qui vaille. Le sorcier eut un sourire qui se voulait rassurant, mais qui à moi me faisait l'effet d'un sac qu'on ouvrait pour laisser découvrir des viscères et des mouches bourdonnantes. « Regarde, voici les tréfonds de Moi. C'est ignoble, n'est-il pas ? »
Pis : ses deux sbires s'approchaient aussi, sur les côtés, prêts à me tenir pendant que le gros vicieux ferait son office.
« N'aie pas peur », me dit-il. « C'est dans les écrits anciens. »
Bah voyons. Fais-leur dire ce que tu veux à tes textes sacrés que personne ne peut lire sauf toi !
Quitte à être souillée, je préférai me jeter dans le puits moi-même. Et toc. Je basculais en arrière, trop effrayée pour penser que je venais ni plus ni moins de me suicider. La dernière chose que je vis de la surface, c'était le vieil homme, déçu, et ses sbires, étonnés.
Et voilà. Voilà ce qu'a été ma vie…
Choc. Je tombe sur une sorte de coussin. C'est de la mousse en décomposition, avec de l'eau… Il y a une source ? Alors ça c'est inédit. La source descend en cascade, en pente, pente où s'écoule l'eau pure, filtrée par la mousse.
J'étais un peu éberluée – comprenez-moi, je pensais que j'allais m'écraser contre la pierre ! – et je décidais, par pure folie enfantine, de glisser sur cette pente, en prenant garde. Il faisait sombre, si sombre…
La pente me fit glisser pendant quelques minutes, je sentais que j'allais glisser longtemps, mais cela dura, dura, dura…
Et plouf, je volais, atterrissant dans une cavité souterraine. Bizarrement éclairée.
Je tombais dans un lac, mais je ne savais pas nager. Eh bah oui, quand on est une de ces jeunes vierges qu'on couvre d'or et qu'on sacrifie, pardonnez-moi mais on oublie un peu les leçons de natation.
Un étrange tuyau me récupéra. Il s'entortilla autour de moi et me remonta à la surface.
Je vis alors la créature. La fameuse Miasmaxe dont parlait le sorcier et les hommes du village. Il me regarda de ses grands yeux vides. Sa tête et une partie de son corps étaient recouvertes d'une membrane verdâtre. Il possédait même des sortes d'oreilles de souris qui semblaient propices à éclater au moindre choc. Le reste de son corps était un affreux tas d'ordure, et hormis ses bras et des pieds maladroits sous la masse de son ventre, la chose était profondément difforme. La Miasmaxe me regarda en faisant claquer les dents tranchantes de sa mâchoire ronde
Génial, je vais être mangée…
Ou pas. Il m'emmena dans une alcôve séparée du lac. Son antre. Lui vivait sur un monticule d'immondices entouré par un lac répugnant, marron et épais. Je vous laisse imaginer ce que c'était et quelle odeur cela dégageait. J'étais quelque peu inquiète : Allait-il me tremper dans la sauce pour me manger dans des conditions optimales ?
La Miasmaxe se plaça sur le monticule et sembla fondre. En fait il fusionnait avec les ordures et la crasse autour, pour prendre une forme dite « ultime ». Il ne faisait plus qu'un avec les ordures du coin. Il me lâcha et je me retrouvais sur un tas de déchets. La Miasmaxe me regarda, attendrie. Je l'observais. Il semblait m'apprécier. Pourtant j'aperçus dans le bazar ambiant des cadavres. Des corps de femme en décomposition, des ossements. Plutôt que de hurler d'horreur, je choisis de m'interroger. Pourquoi moi, je n'étais pas tuée ?
Avaient-elles seulement été tuées ? Oui, j'en voyais qui avaient le crâne broyé et de sérieuses blessures voire des membres manquants. Cette grosse bête mangeait donc les femmes qu'on lui jetait.
Que faire ? Il semblait attendre quelque chose de moi. Un seul faux mouvement et il me mangerait ? Je pensais que les Pokémon ne mangeaient pas les humains…
Je vis alors un bras de squelette humain qui tenait un tuyau. Elles avaient essayé de se défendre… Visiblement en effet, leurs morts violentes étaient dues au fait qu'elles s'étaient acharnées à vaincre le monstre.
Honnêtement, je n'avais aucune idée de comment m'échapper d'ici…
Quelque chose tomba du plafond. Ah, oui, c'est vrai que nous sommes dans la fosse septique. La Miasmaxe dévora les immondices avant qu'ils ne m'arrivent. Je trouvais cela…
… touchant ?!...
Etais-je donc perverse pour penser que le fait qu'un monstre mange des déjections le fasse par attention pour ma personne ?
Le rituel précédant le sacrifice m'avait rendu prétentieuse.
La tentative d'agression avant la chute m'avait rendue prête à n'importe quoi.
Et apparemment, mon incartade avec Porter m'avait immunisé contre la fronde du monstre. Je n'étais pas une innocente ingénue apeurée par la première chose venue. J'avais connu les hommes, leur chaleur, leur amour, leurs sentiments.
J'approchais la bête, crapahutant parmi la crasse exhalant de toutes parts des gaz plus ou moins toxiques.
La Miasmaxe me regarda, intriguée. Peut-être pensait-elle que j'allais la battre, comme les autres.
M'approchant le plus près possible, j'attisais sa méfiance.
« Ne crains rien ! » prononçais-je de ma plus douce voix.
Visiblement j'étais un ange car ma voix l'adoucit immédiatement. C'est moi qui vient de penser cela ? Ce que je peux être…
… creuse… comme un sac vide. Il n'y a rien en moi, d'autre que moi, que ma propre satisfaction d'être moi, que ma toute puissance. « Comme j'ai désobéi, comme j'ai transgressé, je suis la plus grande… »
Je me levais, sûre de moi.
« Je ne serais pas tuée… »
Chacun de mes pas devint une mélodie épique. J'étais une simple jeune femme, mes longs cheveux blonds et mouillés coulaient sur moi.
Mes grands yeux bleus plongeaient dans les grands yeux blancs de la Miasmaxe qui me regardait, entre intrigue et émerveillement.
De la façon la plus animale qui soit, j'attrapais les ordures au pied de mon geôlier. Et je croquai dedans. Comme c'était bon. Non en fait c'était répugnant, mais mon visage de menteuse fixait les yeux du gros sac poubelle éclaté par sa propre masse. Je croquais à nouveau dans la farce répugnante que j'avais saisi dans mes mains. C'était de plus en plus mangeable…
Commençais-je… à devenir… comme mon hôte ?
Il me regardait et m'entourait avec bienveillance de ses bras tentaculaires. Peu à peu, je restais immobile et m'allongeais dans les ordures le constituant. Comme en transe, je me roulais dans les déchets, déchirant ma robe, me recouvrant de saletés diverses qui venaient de je ne sais où…
En proie à la folie la plus bestiale possible, je me levais et poussais un cri primal. La Miasmaxe sembla amusée par mon comportement alors que je plongeais dans les ordures pour les faire miennes.
Je n'en sus jamais rien, mais en refusant de résister à la bête, j'avais empêché qu'elle ne me mange, et que repue, elle ne parte de la fosse. La terre s'imprégna définitivement de la pollution et la moisson affama la génération à venir sur le village. Quant à moi, je vivrais éternellement auprès de l'ignoble bête, dans cette poche souterraine, la reine des ordures, la nouvelle égérie crasseuse, l'idole couverte d'immondices…
… et je savourais, oui, je savourais cette immortalité nouvelle… Mon nom à jamais inscrit au firmament des reines de Rien.