Histoires indifferentes de Domino

La nuit tombait sur les landes. Seul un jeune dresseur osait encore se balader la nuit, accompagné de son valeureux chaton pourpre à la queue en forme de faux. La créature aux yeux vicieux cherchait quelque proie à chasser. Mais son maître était en quête d'autre chose. Le jeune Pierre n'avait en effet qu'une seule ambition : Devenir très puissant. Ce n'était qu'un enfant mais il avait déjà connu les affres et les souffrances du velours rouge dans les escaliers et des luminaires en or. Une sorte d'obsession familiale.

Ce que Pierre cherchait dans la lande… Il était en quête d'un monstre digne de lui. Son premier compagnon d'armes avait été le félin filou, et il s'en contentait, même il le gardait car c'était un cadeau de famille, et qu'on lui avait vanté les possibles mérites à dresser une telle chose, mais il lui fallait autre chose. Autre chose de plus grand, de plus puissant. Son rêve ? Faire sien le tout puissant dragon à trois têtes. On lui avait raconté que ce monstre à lui tout seul était capable d'effacer les mondes et de faire de celui qui le possédait, un maître en toute chose. Pierre avait cette ambition d'être le plus grand, le plus puissant, et il n'admettrait aucune entité qui lui soit supérieure.

Pierre avait bien des créatures parmi ses amis dans la lande. Ses seuls amis, par ailleurs.

Seulement, c'étaient de petits lombrics sans force. Un crocodilien, un soldat de plomb et un lézard bipède dont la peau tenait à peine sur ses jambes ! Pierre avait d'autres ambitions. Et d'abord celle d'être le plus grand.

Ses recherches dans la lande ne donnèrent rien, ce soir-là. En fait il pensait savoir où se trouvait l'objet de ses rêveries mais il avait cette crainte de ne jamais en revenir.

Il s'agissait d'une grotte qui allait jusqu'aux souterrains de la lande. Pierre avait une crainte sourde, celle d'y rester, car la grotte était faite de telle façon qu'on y entrait, certes, mais qu'on n'en sortait pas. Du moins des mains humaines sans l'aide d'une corde ou des pouvoirs de quelque créature ne seraient pas capables d'en extirper leur possesseur.

Lorsqu'il rentra chez lui, Pierre ouvrit la porte du château dont le battant était en or massif. L'endroit était d'une richesse incroyable. « Le meilleur du style gothique », raillait son père. Pierre admirait son père et sa mère qui étaient de riches aristocrates. Lui-même souhaitait faire partie de cette élite de surhommes. C'était la seule façon de vivre qui lui convenait.

Pierre grandit. Ses cheveux étaient source de problèmes. Il les voulait parfaitement noirs corbeaux, mais au lieu de cela, il leur poussait des reflets bleu sombres. Une couleur unique qui lui déplaisait. Personne dans sa famille n'avait la même.

« Cela vous rend profondément unique, Pierre. »
« Oui, vous êtes en quelque sorte un élu »

Lui répétaient ses parents.

Pierre croyait à ces psalmodies, après tout, c'étaient celles de leurs parents. L'adolescence lui permit de faire connaissance avec des gens nouveaux. Il se souvint du jour où il goûta son premier alcool. C'était avec trois triplés délurés, lors d'un banquet donné par ses parents. Ils étaient les enfants d'une famille très connue, et visiblement ils étaient plus libres que Pierre.

« Nous sommes entraînés au métier de sommeliers, nous savons de quelle plante le vin émerge ! »
« Le vin est la quintessence de l'alcool, sa robe et son arôme portent l'incandescence de l'alcool à son paroxysme. »
« Goûte donc ! C'est un liquide qui n'a pas son pareil. »

Pierre goûta son premier verre de vin, observé par les trois étranges adolescents de son âge qui attendaient sa réaction.

« C'est… prodigieusement savoureux ! J'ai l'impression que ma bouche est assaillie de sensations ! »
« Fantastique ! »
« Merveilleux ! »
« Il est des nôtres ! »

Pierre voulut annoncer à ses parents qu'il aimait le vin, mais les triplés l'en dissuadèrent, prétextant que cela ne leur plairait probablement pas. Cela devait rester un secret.

En retournant dans la salle de banquet, Pierre fit une rencontre qui allait changer sa vie. Ou plutôt un choc. Il se heurta à une jeune fille à lunettes. Elle portait des vêtements noirs. Elle semblait aussi avoir le même âge que lui, et ses cheveux étaient eux aussi d'une couleur unique. Pourpres. Presque pourpres comme le vin.

« Oups ! Veuillez m'excuser ! » geignit Pierre.
« Ce… ce n'est rien… Oh ! Vous ressemblez à un personnage de roman ! »

Pierre cligna bruyamment des yeux.

« Je devrais m'inspirer de vous ! »

Elle partit en souriant, rejoindre une amie à elle, une jeune fille blonde vêtue de rose. Pierre s'étonna. C'est par ses parents qu'il sut comment elle s'appelait et qui elle était. La jeune Anne, dite Anis de Plumechanoir.

Pierre, pour autant, ne chercha pas à la retrouver. Il se concentrait sur le dragon de la grotte. Il recroisa plusieurs fois Anne, mais il se refusa à la fréquenter plus encore, trop occupé par des recherches sur ce dragon.

Finalement un jour, il eut le courage d'entrer dans son antre. Sa prétention était telle qu'il y alla, simplement armé de son fidèle léopard mauve à la robe mouchetée de jaune.

La grotte était raide, en pente, difficile d'accès. Mais avec sa lanterne et son piolet, qui n'étaient que les quelques instruments d'une panoplie complète, du matériel de grande qualité, Pierre avait toutes les chances de son côté.

Le dédale de couloirs laissait à Pierre cette impression étrange qu'il s'enfonçait définitivement dans un puits sans fond. Il se disait de plus en plus « Je n'en reviendrai pas ».

Finalement, il arriva dans une grande alcôve de la grotte. Pierre sourit. Objectif atteint. Son fidèle animal de compagnie était derrière lui.

« Créature de la grotte ! Moi, Pierre, dit « Pieris, Comte d'Alucard », je te provoque en duel ! Montre tes trois têtes que je me fasse ton maître ! »

Un cri perçant retentit. Pierre sourit. C'était elle, l'hydre noire. Il sourit et s'avança, mais au moment où il pensait qu'elle allait lui apparaître, l'onde de choc se fit ressentir. Il fallut partir, la grotte tremblait de tout son être. Pierre fit demi-tour, détalant avec son léopard.

L'obscurité fut totale, lorsqu'en chemin, Pierre brisa sa lanterne. Les secousses eurent raison de sa volonté. Les tressaillements eurent raison de son entêtement à porter ce lourd sac sur ses épaules.

Le labyrinthe lui semblait infini. Etait-il perdu ? La grotte tremblait toujours dans un fracas proche du tonnerre et des explosions en tout genre.

Il arriva dans une petite clairière souterraine. Il vit alors qu'ils l'attendaient. Le soldat de plomb aux bras plus coupants qu'un rasoir. Le crocodile aux yeux sombres. Le lézard avec la peau qui lui glissait des os. Ils tenaient torche, nourriture et corde. Pierre les remercia d'un regard reconnaissant.

Leur entraide, leur courage et l'alliance de ces jeunes créatures avec ce jeune homme fit des miracles, et ils s'extirpèrent de cette grotte dont il était pourtant impossible de sortir.

A sa sortie, Pierre vit que la lande était sombre. Elle l'avait toujours été, mais jusqu'à maintenant, il n'avait jamais réalisé à quel point.

En revenant chez lui, il remarqua cette fois que la maison de sa famille était sale. Que sa richesse et sa splendeur n'étaient que chimères.

Pierre apprit à grandir en se sachant de toute façon maudit du même destin du commun des mortels.

Non, il n'était pas exceptionnel. Non, il n'était pas élu.

Il se contenta de dresser ses Pokémon. Scalpion, Baggiguane et Mascaïman devinrent ses meilleurs amis, en compagnie de Léopardus. Pierre garda son nom de noblesse, Pieris, qui lui semblait plus convenable pour un homme de sa trempe.

Pieris grandit et finalement accéda, sans pourtant l'avoir vraiment voulu, à la position qu'il convoitait : Membre du Conseil des Quatre. Goyah approuva tout à fait.

« Un brave garçon qui va rejoindre nos rangs ! Bienvenue, Pieris. »
« Merci. Je jure de ne point vous décevoir. »

En emménageant dans sa tour, Pieris remarqua la fille à lunettes qui le salua. Pieris lui adressa un salut amical. Délesté de ses ambitions aveuglantes, il allait peut-être pouvoir lui parler un peu plus…