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Marche °O.S° de Poitou



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» Auteur : Poitou - Voir le profil
» Créé le 16/10/2011 à 14:49
» Dernière mise à jour le 17/12/2011 à 20:27

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Chapitre unique : les Mensonges t'ont façonnés. Tu y as cru.
Marche encore, et ne t'arrête plus.
Met en mouvement tes jambes qui brûlent, actionne la mécanique douloureuse de tes os. Avance pas à pas, piétine la terre gorgée de sang et déplore la folie humaine. Pleure sur les hommes qui t'ont élevé et nourris… Pour tuer. Veux-tu haïr ces hommes ? As-tu encore la force d'éprouver de la colère ? Ce serait légitime, sais-tu ? Tu peux les détester. Ils ne t'ont jamais aimé. Les caresses, les sourires… Ce n'était que de l'intérêt. Ils voulaient le meilleur de ton être. Ils voulaient ta force et ton courage, et pour cela, ils t'ont mentit. Ah ! Si habilement ! Si habilement que, de tout ton cœur, tu y as cru ! Toi, petit poussin pataud, flamboyant… Comme une flamme de fourrure qui brulait entre ses mains. Tu fermais les yeux, et te laissais porter avec délice, la tête calée contre un torse dont la berceuse pulsante te faisait somnoler. Son cœur était si chaud, si mélodieux… Chaque battement te ravissait. C'était si beau, la mélodie d'un cœur. Comme une chanson qu'on t'aurait fredonnée pour t'endormir. Avec la couverture de tes paupières, le lit de ses bras, tu plongeais dans le sommeil, comblé d'amour et d'affection. Ton enfance a été tellement douce. Tu en gardes une impression diffuse, de chaleur et de paix. Tu te souviens ? On ne parlait pas de la guerre, pas des morts. Tous les mots te caressaient, toutes les paroles étaient chantantes. On t'a enveloppé dans la soie du bonheur, par des murmures aimants, des gestes tendres.
Tu fus si heureux, jeune Poussifeu, petit être minuscule et fragile, brulant, moelleux, aux plumes oranges et ébouriffées… Un enfant à l'existence exquise, douillette. Que de délicates attentions pour te choyer, que d'amour pour te rassurer. Combien de temps cela dura t'il ? Plusieurs années ? Plusieurs vies ? Tu ne sais pas. Cela a été, simplement ; et tu te contentes d'y puiser tout le réconfort du monde. Un jour, on t'à aimer. Un jour, tu as été innocent. C'est une certitude, au moins, ces moments de bonheur dans ton existence si ardue. Les hommes ont été si cruels avec toi… Ne te donner d'amour, que pour ensuite s'en servir comme appât. On t'en a privé pour t'endurcir. On te l'a redonné pour que tu le chérisses plus encore ; puis on l'a repris, afin que tu te battes avec une ardeur renouvelée. Au fond de toi, tu commençais à t'en douter, que tout cela était faux. Mais pourquoi l'accepter ? Pourquoi ouvrir les yeux ? Non. Ce mensonge, c'était toute ta vie. On t'a aimé un jour, ça tu ne voulais pas le nier. Même si tu savais que ce n'était pas vrai.

Il marchait à travers les corps. C'était un champ de bataille silencieux, une guerre passée. Cela ne faisait qu'une journée tout au plus ; mais ici, la guerre, était terminée. Tout le monde était mort, tout le monde était froid et livide. Que de cadavres entassés, entremêlés, jetés pêle-mêle à travers la montagne, éparpillés dans une logique grotesque. On ne voyait plus de combats individuels, juste la finalité du conflit : un vaste charnier. Les hommes rivaux, tous égaux dans la décrépitude. Au final, ils allaient pourrir ensemble, après s'être entretués. Le Brasegali parcourait le cimetière à ciel ouvert, pareil à la faucheuse, errant sans but. Sa chevelure chenue était devenue rouge. Son pelage poisseux de sang alourdissait chaque pas. Il traînait du plomb. Le plomb de la mort. Les âmes lourdes de souffrance s'accrochaient à ses pattes, lestaient sa marche erratique. Il n'avançait plus que par refus : les hommes lui avaient tout prit. Sa vie lui avait été volée. Il ne se laisserait pas abattre par leurs âmes vampiriques. S'il devait mourir… Ce serait loin de ces créatures abjectes. Celles qu'il avait tant aimées. Il ne supporterait pas de passer l'éternité à leurs côtés. Quitte à se décomposer, autant que cela se fasse loin d'eux. Il voulait être libre dans la mort.
Le crépuscule, écarlate, était comme une plaie à vif qui déchirait les cieux. Un soleil rouge les nimbait d'une flamboyance malsaine ; en cette journée mourante, tout n'était plus que sang.
La nuit allait tombée, et des Polichombr, repus par les sentiments qui flottaient encore sur les champs de bataille, retournèrent se terrer dans les grottes avoisinantes. Ils laissèrent place à d'autres spectres ; des Teraclope espérant l'apparition de feux-follets, et au loin, quelques sombres silhouettes, des Nocturnoir qui rôdaient entre les corps, à la recherche d'âmes errantes.
Le matricule quarante-deux, dernier survivant, unique pokemon guerrier à ne pas avoir succombé, considéra ce spectacle d'un œil vide. Il n'arrivait pas à croire qu'un tel gâchis puisse ravir d'autres êtres. Et pourtant… Le festin se déroulait impunément, tout autour de lui. Ce macabre océan était une aubaine pour les habitants des ombres. Ils en profitaient tous, venant de parfois de plusieurs kilomètres à la ronde, tractés par l'atmosphère de mort qui planait dans le charnier. Le Brasegali continua de marcher, n'aspirant qu'à quitter ces lieux, qu'à laisser la guerre et sa puanteur derrière lui. Il ne jeta pas un regard en arrière, ne s'arrêta pas une seconde. Non. Il avança à pas lourds, sans détermination, sans colère ni rien d'autre ; simplement mût par le besoin de trouver une place libre où s'étendre. Et il la vit. Contre l'horizon, face à l'océan… Une corniche l'attendait, l'invitant, illuminée par la lueur sanglante du crépuscule. Elle était sèche et dégagée, magnifique dans sa granitique nudité. Aucun corps pour la salir. Il sentait, tout au fond de lui, quelque chose qui ressemblait à du soulagement. Enfin. Sa tombe à ciel ouvert. Son dernier lit. Face à l'océan, et offert aux cieux. Des larmes perlèrent de ses yeux, sillonnèrent le duvet écarlate qui couvrait son visage, et allèrent se perdent dans la fourrure souillée de son torse. Il ne les sentit pas qui parcouraient sa peau, brulantes, lourdes. Des sphères de plombs plus que des orbes liquides.
Avant d'avoir eu le temps de le réaliser, il se trouvait sur la corniche. La pointe d'une falaise. Et devant lui, devant la guerre, s'étendant l'infinité houleuse de l'océan. Il était là, plissé par des vagues aux ourlets d'écume, gris et puissant, sauvage, se jetant sur la pierre pour la ronger, charriant ses senteurs iodés jusqu'à la terre qui le surplombait. Son étendue, orageuse, défiait le ciel, défiait le charnier et la mort. Au loin à sa surface même semblait-il, face au soleil qui sombrait, une nuée de Grodives dérivaient sans but. Leur corps diaphane les dévoilait dans une délicate beauté, faîte de lumière mauve et de reflets incertains. Des Lokhlass les suivaient, fuyant ce carnage aberrant dans une exode dérisoire. Ils n'étaient que six, ou peut être cinq ; trop peu pour que leur voyage en haute mer ne soit pas dangereux. Ils fuyaient la mort… Tout en se précipitant vers elle. Une ironie qui illustrait fidèlement la cruauté de l'existence.
Le Brasegalie se baissa, doucement. Il s'assit, laissant ses pieds baller dans le vide, soudain apaisé par la beauté pragmatique du monde. Le vide qui l'emplissait se combla de chaleur. Il resta à fixer l'horizon, serein, attendant la nuit et son ballet astral. Elle vint doucement, avec une sorte de singulière timidité, tombant du ciel sans oser s'imposer tout de suite. Mais elle se raffermit, enorgueillit sans doute par le départ définitif du soleil. La mer se fit de fer liquide, métallique et fascinante. Un instant, il se prit à rêver que l'océan était fait d'épées fondues, d'armes liquéfiées qui attestaient d'une quelconque justice divine. Qu'Arceus avait de ses mille bras, fait des lames dispensatrices de morts, une eau scintillante qui se dévoilait chaque nuit dans sa pleine splendeur… Ce songe étrange lui fit fermer les yeux. Il sombra dans un sommeil d'une douceur insolite, insensée. La fièvre l'enveloppait d'une étreinte voluptueuse.
A la faveur des ombres, il se laissa bercer par un engourdissement mortel. Il était éreinté, brisé ; et si las… Le sommeil paraissait soudain tellement agréable. Il avait trouvé la corniche, après tout. Il pouvait bien se reposer, désormais, non ? Son dos se posa doucement contre la pierre, et il se donna enfin le droit de rêver. Ses muscles se détendirent ; et ce fut douloureux. Ils avaient été contractés si longtemps, qu'il avait perdu conscience du fait même de faire cet effort. Mais ils le lui rappelèrent en une seconde brutale. Alors qu'il avait cru pouvoir s'endormir paisiblement, la douleur sauvage le précipita dans le sommeil comme si il venait d'encaisser une nouvelle charge de Tauros…

Autour de toi, tout n'est plus que souffrance. La débauche de haine que les humains mènent retentit partout.
Hurlement, fracas du fer, fracas des sabots, fracas du tonnerre, fracas des incendies, fracas des trombes d'eau froides ; fracas de la guerre qui forme un requiem rugis par mille gorges, mille lames et mille attaques qui pleuvent de tout les côtés. Hommes et Pokémons se battent dans un chaos qui n'a rien d'organiser, rien de noble ni de glorieux comme ce dont ont t'a parlé. La guerre ? C'est donc cela ? Pas de trompettes rutilantes qui chantent derrière les combattants ? Pas de principes, pas d'équité ? Pas de paroles, pas de regrets après avoir tué ? Là où ton regard se porte, il n'y a que du sang, l'éclat des lames et des éléments qui se déchaînent. Tu te concentres. Ton maître rugit devant toi. Son épée tournoie, s'abat, transperce. Il est grand et large pour un humain. Tu es fière d'avoir été bercé par ses bras puissant, fière de t'être entraîné en compagnie de cet homme invincible ; et tu es fière de donner la mort à ses côtés. On t'en a parlé presque toute ta vie : la guerre. Depuis plusieurs années déjà, ils t'y préparaient, et aujourd'hui, enfin, tu peux lui prouver, à lui, à ton maître, ton père, qu'il peut compter sur toi, que tu es là et que tu ne le laisseras jamais seul face à l'ennemie.
Mais tu prends conscience de certaines choses. Alors que tu embrases les guerriers, que tu griffes les fantassins, tu commences à avoir peur : il y'en a d'autres comme toi. D'autres qui ont la même pensée, et tous, tous autant qu'ils sont, ils n'ont qu'une idée en tête. Protéger leur maître à eux. Et tant que le tient est debout, c'est un danger potentiel pour le leur. Alors ils vont tout faire pour le tuer. Car il le faut. Soudain, ton ardeur redouble, la rage t'emplit. Non ! Jamais ! Une hargne sauvage envers le monde décuple tes forces. Ils ne l'auront jamais, pas lui. Qu'ils essaient… A leurs risques et périls. Tu décimeras jusqu'au dernier combattant si il le faut. Aucun ne t'échappera, car, tu le sais, chacun d'eux représente une des mains de la mort. Et comme elles sont nombreuses, comme elles sont bien armées ! Mais tu sais qu'ils n'ont aucune chance.
Chaque coup que tu portes brise des os, chaque flamme carbonise, et seule tes autres alliés t'empêche de souffler un incendie sur l'armée ennemie. Mais cela n'a pas d'importance ; tu les tus un par un. Tu t'alourdis de sang, tu te poisse, et ta fourrure devient si écarlate que tu te fais une silhouette cauchemardesque. Tu fauches ! Ils tombent tous ! Tu es ivre de la mort. La chair carbonisée embaume l'air, tel un exquis parfum, et les effluves du sang t'enivrent plus encore. Senteurs de mort qui te rendent fou. Tu le perds de vue. Tu l'oubli. Tu n'es plus là que pour tuer, assouvir ta soif de tuer, ton besoin de tuer ; tu as faim de meurtres. Et maintenant, ô oui, tu le sais, il n'aurait pas fallut te laisser emporter !
Car quand un Gallame découpe la chair de tes bras, tu prends soudain conscience de son absence. Choc. Terreur. Frénésie. Tu bloques ces coudes xiphoïdes qui te harcèlent, ouvre ton bec, croisant le regard de l'adversaire… Et la douleur vrille ton crâne. Tu lâches, supplicié, hurlant. Les ondes psychiques pénètrent ton cerveau, pressent tes nerfs ; les courants électriques parcourt ton corps en des vagues de souffrance. Ils te mettent à genoux, et le Gallame prépare le geste ultime. Ramène son bras devant lui. Se prépare à l'abattre. Ses coudes sont déjà couverts de sang.
Mais il ne te fixe plus. Son bras cache ses yeux luminescents. Alors, une infime partie de ton être prend le dessus sur la douleur. C'est l'instinct. Ton hurlement se matérialise en une lance de feu qui irrite ta gorge. Ce nouvel exploit te coûte beaucoup. Ton cœur bat moins vite. Mais il tombe en arrière, brulé de l'intérieur comme de l'extérieur, vulgaire coquille creuse de toute vie. Ses organes ont cuit dans son corps. Son sang s'est évaporé dans ses veines. Il s'échappe en volutes de son cadavre charbonneux. Et quand il touche le sol, celui-ci se disperse en une nuée pulvérulente. Les cendres se perdent en paillettes obscures, parmi les autres macchabés, parmi les autres combattants encore debout, et parmi... Les autres cendres. Certains poumons vont même les brasser. Respirer des morts. C'est à cela que va tous les réduire la guerre ; à inhalé de la poussière.
Tu te relèves. Et tu t'affoles. Tu le recherche, tu reste debout au milieu carnage. Une épée traverse ta jambe. Tu es électrisé. La douleur est à peine perceptible. Tu te retournes, la lame remuant dans ta chair, et observe le petit homme, qui te fixe avec rage. Des larmes coulent sur son jeune visage déformé par une grimace de haine. Alors, tu restes sonné, soudain. Car tu le sais : c'est le maître du Gallame. Et il t'as vu le tuer… Il t'a vu qui faisait cendres de son compagnon. Un instant, tu ne bouges pas. Ses grandes yeux verts t'aspirent. Il te voue toute la colère du monde, à toi, et à toi seul. Comme il te hait… Il te toise, et ses mains sont crispées en deux poings. Son arme est toujours plantée dans ta jambe, mais il est près à te tuer sans. Un vide t'envahit. Une déflagration s'échappe de tes poignets, puis s'empare de l'atmosphère alentour. Les corps se mettent à bruler. Le soldat aussi. Il tombe à genoux, et son visage noircit. Sa peau se racornit, ses yeux bouillissent. S'évaporent. Il meurt, et tu l'observes avec détachement.
Tu te demandes si ton maître t'as cru mort également, n'est-ce pas ? Si il s'est lui aussi jeter sur un soldat, dans un acte suicidaire ? Pose-toi la question, tu le peux. Tu peux te demander si par amour pour toi, il ne c'est pas vengé sans même penser à sa sécurité, et... Tu te souviens. Oui. C'est si glaçant.
Décret premier « Un dresseur ne doit sous aucun prétexte se mettre en danger. Si son Pokemon venait à être séparé de lui, celui-ci doit impérativement rejoindre un de ses camarades afin de ne pas se retrouver sans défense. »
Puis, le lot de consolation des maîtres. L'illusion. « Si un dresseur vient à perdre son Pokemon durant une bataille, un nouveau lui sera remit à son retour à la base. » Ton maître avait toujours été obéissant, docile envers ses supérieurs, souviens-toi.
Jamais il n'a contesté une seule règle, un seul ordre ; et jamais il n'aurait cherché à enfreindre un seul décret. Ici et maintenant, tu es donc considéré comme mort ou disparu. Numéro quarante deux, tu n'existes plus pour lui. Ni pour personne.
A partir ce moment, tu es seul.
Le feu se résorbe dans tes poignets. Autour de toi, un cercle de poussière c'est formé. Ton brasier a calciné les corps figés... L'épée a en partie fondue dans ta jambe ; la douleur est insoutenable. Sans réfléchir, tu saisis la lame de tes serres, et…

…Ouvrit les yeux.
La nuit se terminait. Une aube rouge se répandait dans le ciel, plaie à vif dont le rose se mêlait au carmin décadent des hautes strates, au vermeil du sang versé, et au garance subtil qui venait toujours se glisser dans la fresque des jours nouveaux. L'écarlate dominait l'horizon, ligne de feu qui courrait sur la limite de la terre et du ciel. Cependant, ce ne fut pas le levé du soleil qui l'éveilla ; pas la cavalcade effrénée des nuances sanglantes.
Ce fut le chuchotement funèbre d'une voix douce, soyeuse… Elle venait de son dos, caressante, presque tendre. Mais il y'avait du poison dans ses paroles. Elle murmurait le malheur dans une langue démente, une langue d'eau courante, de verdure renaissante et de pluie froide. C'était une beauté sauvage, mélancolique, d'une douceur venimeuse. Instillée avec une lenteur voluptueuse, elle s'insinuait doucement. Et étrangement, ce discours, ce chant, l'apaisait. Il lui semblait que les intonations étaient affectueuses, qu'au fond, tout cela était emprunt d'une certaine chaleur. Une chaleur exclusive, destiné à lui seul. C'était comme une étreinte nouvelle, véritable. Pour la première fois, quelqu'un l'aimait réellement. De nouvelles larmes suivirent le trajet des anciennes. Le tracé de la peine marquait son visage de deux pentes raides, pareilles à des chemins de terre battue qui encadraient son bec. Tout comme l'aube, il était rouge. Rouge de sang, rouge de feu. Lumière rouge des cieux, fourrure rouge de son corps. Pour tout ce rouge, il avait droit à de l'amour, n'est-ce pas ? Il était si brulant, tellement fiévreux… Et terne. Eteint. Il avait perdu tout éclat, perdu toute consistance. N'était plus qu'une brume nimbée d'une lueur sanglante par l'aube.
Et pourtant, pourtant… Il y'avait cette voix. Elle lui faisait tant de bien ! Caressante, et ô combien emprunte d'amour, ô combien porteuse de chaleur. Elle était emprunte de tant de choses : l'automne et sa saveur piquante, l'été et sa chair pulpeuse, ses fruits charnus qui n'attendaient qu'une gueule dans laquelle trouver refuge. Chaque saison et chaque lieu avait ses effluves, sa saveur. Chaque parole réveillait un arôme, un parfum, et il en découlait un ersatz de souvenir agréable, une illusion de passé aimant. Même si tout avait été faux jusqu'à maintenant, il y'avait enfin une vérité douce ici bas. Pour lui, enfin une once d'amour. Et pourtant, tous ces mots n'avaient aucun sens. Ce n'était qu'un murmure chantant, un murmure froid qui se réchauffait parfois, dans une tendresse vide de sens. C'était une mélodie de sentiments abstraits, nés du néant, qui s'écoulaient dans ses oreilles et mettaient du baume sur son cœur meurtrit. Il avait tant souffert jusqu'à maintenant… Tant souffert ces derniers jours. Il avait vu et perpétué la mort. Il avait retrouvé un maître, un père, pour mieux le perdre ensuite. A nouveau. Et à l'instant où son corps s'était effondré, il avait prit conscience de l'illusion de son existence. Oui, alors que cet homme qui l'avait caressé tombait sous un coup fatal, il avait entrevu du remord dans ses yeux. Sa dernière pensée avait été pour lui, numéro quarante deux. Son pokemon. Son… Soldat. Il s'excusait. Pour tout. Pour lui avoir mentit. Pour l'avoir entraîné dans cette guerre insensée.
Il lui demandait pardon pour la cruauté injuste de son existence, pour l'avoir bercé en ne nourrissant à son égard que des projets guerriers. Le regret avait explosé en lui, s'était répandu dans ses prunelles comme une fumée scintillante. Dans son dernier instant, il avait enfin prit conscience de tout le mal qu'il avait engendré. Et pas par des coups. Pas par des humiliations répétées ou une iniquité quelconque. Non. Il avait fait le mal en simulant l'amour, en offrant à cet être fragile qui grelottait dans ses bras, une chaleur trompeuse. La chaleur d'un corps, la chaleur, de bras, oui, mais pas la chaleur d'une affection véritable. Tout avait été si creux. Son cœur, ses paroles… Bien sûr, il avait finit par s'attacher à lui, malgré tout, malgré les ordres ; mais il avait nié et balayé ses sentiments. Cela avait était si facile grâce à tout les panégyriques dont on avait abreuvé son enfance ! Il se battait pour sa nation, pour son peuple. Il était un héros. Et, surtout, non, il ne trompait personne. Ces Pokemon qu'on remettait aux dresseurs ne demandaient qu'à être soumis, afin que leur potentiel soit exploité de manière optimal. En leur donnant cet amour artificiel, synthétique, ils servaient leur pays et comblait des êtres sous-estimés. N'étais-ce pas magnifique, de se battre ? Être un dresseur ; voilà le rêve que nourrissaient tout les enfants. Et pour être dresseur, en ces temps sombres, il fallait passer par l'état. L'école, l'armée... Le champ de bataille. Jusqu'à ce dernier stade, ils étaient rendus ivres ; on les emplissait de principes, on les gavait de règles, et aucun n'échappait à la soumission par la force. Humiliés, frustrés, puis encadrés et acceptés. On leur inculpait l'obéissance absolue, et chaque parole était mesurée, chaque geste était emprunt de cette puissance rocheuse, granitique, que tous cherchaient à atteindre, admiratifs ; aveugles. Et plus ils montaient d'échelons, plus la manipulation s'axait sur deux importantes principes : le patriotisme fanatique, et l'absence de toute compassion envers les Pokemon guerriers. Alors certain perdaient tout remords, certains oubliaient le battement de cœurs dans les poitrines, et ils ne voyaient plus de que des objets en mouvement.
Mais au dernier instant, oui, numéro quarante deux avait vu dans les prunelles prêtent à se voiler. Elles avaient tout dit. Elles avaient dit leurs remords… Elles avaient dit que son maître n'avait jamais, pas un instant, oublié le mal qu'il faisait. Il en avait été conscient. A chaque caresse, à chaque sourire, à chaque encouragement. Toujours. Cela n'avait été qu'une façade.
Alors, la voix inconnue qui murmurait, cette chanson tendre susurrée à mi-voix… Il n'en perdait pas un mot, pas une note. C'était bien trop beau. Il ne voulait pas même savoir quelle en était la provenance, l'entendre lui suffisait.
Bien sûr, il aurait pu se retourner, simplement, juste ramener ses jambes contre lui, puis effectuer une légère rotation. Ce n'aurait pas été difficile de connaître l'identité de la chanteuse. Même ainsi, au fond de lui, il savait. Cet amour musical qu'on lui murmurait… C'était une promesse de mort. Le cri mélodieux d'un Magirêve. Un émissaire qu'on lui avait envoyé, pour le prévenir : bientôt, sur cette corniche ou ailleurs, il trépasserait. Comme les autres. Et cela lui paraissait un tel gâchis. Il avait tant marché pour arriver jusqu'ici, tant souffert pour trouver cette terrasse qui surplombait l'océan ! Il aurait préféré vivre encore un peu, agoniser s'il le fallait, mais profiter de ce lieu si paisible… Ne pouvait-on pas lui accorder ? Il ne demandait pas tant, non, juste une journée, peut être une nuit en plus, afin de jouir encore pendant quelques grappes d'heure de cette paix, de ce monde qui s'étendait devant lui, au-delà de l'océan, sous la corniche. Ce monde auquel il avait été aveugle pendant si longtemps. Ce monde qu'on lui avait caché.
Pourquoi ne lui avait-on jamais parlé de ce monde ci ? Celui des vastes étendues et des mers scintillantes ? Pourquoi n'avoir décrit que la guerre et le chant des lames, la gloire rugissante qui les accueillerait à leur rentrée en ville et les voix vibrantes qui chantaient pour la nation ? Pourquoi pas le bruit du vent qui soufflait sur les vagues, le grondement paisible et profond de l'océan qui atermoyait son ultime abattement, léchant la falaise avant de se retirer timidement ? Pourquoi l'éclat des trompettes entre des mains expertes, pourquoi la parade triomphale de l'armée ? Pourquoi pas le ciel et ses nuances subtiles, éphémères, pourquoi pas la danse des ombres et la course du soleil ? Pourquoi la griserie de la victoire et l'exultation des acclamations ? Pourquoi pas, plutôt que tout cela, la sérénité de l'apaisement et la douceur d'une rêverie diurne ?
Il y'avait tant de choses qu'il ne découvrait que trop tard, en ces derniers instants ! La voix le lui rappelait. Elle se fit accusatrice, froide, cruelle. Il avait voulu rester aveugle, il avait voulu croire aux mensonges. Il avait tué pour ces mensonges. Fou. Monstre. Traître à la vie et à la Terre !
Ton châtiment sera la mort. Tu vas rejoindre le grand charnier et y participer. Rejoindre ton maître dans la pourriture des corps, te faire poussière et matière incertaine. Tu ne seras pardonné qu'une fois une verte pelouse recouvrant le champ de morts. Sais-tu ? Des fleurs nées du sang, aussi rouge que celui que tu as versé durant cette guerre démente, parsèmeront l'herbe jaillit de la boue sanglante. Ce soir, la mort viendra te vider de l'incendie de ta vie, et alors, enfin, tu seras restituer au Cycle des Choses. Enfin, l'échange originel sera t'il accomplis… La mort nourrira la vie. Ta mort pour la vie des autres.
Le chant dura toute la journée. Il ne profita pas de cet ultime sursit, de ce dernier jour d''existence. Le matin avait été doux, mais ce fut tout. Jusqu'à la nuit, son procès se poursuivit, calvaire suprême, souffrance finale ; l'apothéose en quelques heures. On lui rejetait toute la faute. Et que pouvait-il dire ? Oui. Il s'était toujours douté qu'on lui mentait. Cela remuait au fond de lui, comme un ver issu de quelque fermentation, gigotant, l'effleurant. Le doute. Mais il n'avait pas voulu en saisir la portée. Il n'avait pas voulu affronter la vérité. Il était coupable d'avoir tenu à un amour mensonger. Et comme il s'était accroché à ce mensonge ! De toute son âme ! Dieu ! Comme il avait voulu y croire ! Tant et si bien que c'en était devenu évident : il était prêt à mourir pour cet homme. Il n'était pas toujours doux, pas toujours bon, et quelquefois, si bourru… Mais c'était son père, son maître. Il lui devait tout, à ce haut et large guerrier, si imposant, si massif. Comme il était rassurant d'être son fils, son apprentis ! Dans son ombre, à ses côtés, il se sentait fort, comme si ce géant paternel lui communiquait sa puissance. Comme un transfert, un flux qui circulait entre leur deux âmes. Et il se souvenait encore, quand de ses mains solides, il caressait son crâne, et également, avant la bataille, ses encouragements, la lueur dans ses yeux, et ce sourire qui disait tant, et alors il savait, oui, on comptait sur lui, et alors il pouvait se sentir fière de l'avoir comme père, et il pouvait sentir son odeur puissante, cette odeur de confiance et d'autorité, et…
Ce n'était que mensonges. Leurres.
Le soleil sombra dans les flots, la voix se tut, et numéro quarante deux sentit un gouffre s'ouvrir en lui. Il était vide, si creux. Maintenant que tous les mensonges qui avaient façonnés sa vie avaient été déchirés, sans ce voile rassurant pour cacher son âme béante, que lui restait-il ? Il n'était rien. Plus rien qu'un corps et un matricule, sans esprit, sans sentiments. La passion de la justice fausse qu'on lui avait inculpée était morte, s'était éteinte comme une flamme. Toute perception de beauté ou de laideur, de plaisir ou de douleur, avait basculée au fond de sa poitrine vide. Son âme véritable. Un calice sans nectar. Un néant.
Quand le chant s'arrêta, il sut que son heure était arrivée. La nuit était tombée, empressée, maladroite. Une Lune rousse l'avait comblée de sa lueur rougeâtre. Numéro quarante deux prit vaguement conscience de la froidure ambiante. Dans un coin de son esprit, l'information obsolète de son origine trotta avant disparaitre ; la saison s'annonçait froide. Les premières gelées viendraient roussir les jeunes plantes… C'était une Lune de sang qui s'était levée cette nuit. Il approuva faiblement ce présage, en songeant que deux jours plus tôt, la nuit aurait dût être aussi écarlate.
Puis ils l'entourèrent. Ils étaient tous là, formant un arc de cercle autour de lui. Ceux qui allaient se charger du transfert.
Le premier arc se composait des plus jeunes. De petits Funecire aux flammèches tremblotantes. Ils approchèrent lentement, avec circonscription, intimidés par ce Pokemon à la fourrure ardente. Mais ils étaient venus ici pour se nourrir, et cette même ardeur les enivra. Ils penchèrent leur face cireuse vers lui, et le festin commença. Ce n'était pas si douloureux qu'il l'avait pensé.
Il agonisa doucement, sans en éprouver aucune crainte. Le constat fut simple : le sommeil s'insinuait lentement dans son corps. C'était tout. Pas de brusques souffrances, pas de brûlures ou de tractions intérieures. Ses paupières s'abaissèrent avec délicatesse. Elles retombèrent sur ses yeux, telle une caresse merveilleuse et légère. Avant qu'elles ne se scellent à jamais, il eut le temps d'apercevoir la danse des flammes autour de lui. Les Funicres reculèrent, consumés par leur propre brasier, enflammés par une énergie issue de son corps. Des étincelles glauques s'échappaient de toute part, étoiles azurées qui allaient s'écraser sur le sol en crépitant furieusement. L'atmosphère se fit brulante. Ses poils noirciraient, et la Lune rousse irradiait d'une lumière sanglante. Jamais il n'aurait cru pouvoir éprouver une chaleur blessante… Mais celle-ci l'incendiait. Il en connaissait la cause, et elle se fraya un chemin jusque dans les brumes de son esprit : ils s'apprêtaient à évoluer. Un soulagement vague l'effleura. Sa vie serait utilisée à bon escient.
Les Funecire achevèrent de fondre. Il n'en resta que des flaques de cire parcourues de flammèches, brulantes et blafardes. Dans vingt quatre heures, pourraient en surgir des êtres nouveaux… Nourris par la mort.
En attendant, ils laissèrent place à de nouveaux danseurs. Numéro quarante deux n'eut pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir que cette fois-ci, sa perdition s'accélérait fatalement. Les Melancolux le drainèrent avidement. Au fond, cela valait peut être mieux… Il n'avait plus que l'envie de tout oublier, de sombrer dans un éternel sommeil. La fatigue était lourde, c'était un lest de plomb qui l'entraînait vers l'abîme des songes. Il s'y posa, sans prendre conscience que son dos venait d'heurter la roche de la corniche, nimbé par le feu aux teintes lavandes qui naissait de sa vie aspirée. Et il commença à s'endormir. Dans une rêverie d'agonie, il trouva à nouveau du réconfort, en le mensonge de son existence. Il retourna se blottir dans les bras de son père, et cessa de douter. Fallait-il vraiment que ce soit vrai, pour y croire ? Au fond, il suffisait de vouloir que ce soit vrai… Qu'importe si tout avait été faux, désormais ? Il n'avait de compte à rendre à personne. Il voulait être heureux, une dernière fois. Rien n'avait plus d'importance que le passé et ses souvenirs chéries. Son présent, sa vie… Qu'importait. Qu'importait la douleur et le sang… Quelque part, il y'avait de l'amour en ce monde. Il y'en avait eu, et il y'en avait toujours.
Personne ne lui volerait. Aucune guerre. Aucune voix. Aucune vérité.
Dernier bal. Ultime valse. Lugulabres tournoyants qui formaient un cercle au dessus de lui. Flammes bleutées qui explosaient en gerbes hurlantes. Elles se déversaient en flot sur lui, noyaient son corps. Il brulait. Son feu s'étiolait, ses os craquaient comme les bûches d'un âtre. La moelle partait en fumée, la chair bouillonnait… Et pourtant. Il était encore là, simple présence, dénuée de corps, dénuée de sensation. Il rêvait encore. Il était au dessus de tout cela.
Il était… Partout.
Quand il ne resta plus rien de sa vie, plus rien qui puisse nourrir les spectres, ils se partagèrent alors son être véritable. Numéro quarante deux se dilua dans chacun d'eux. Son âme…

Tu n'as plus de corps.
Tu n'existes plus. Ils t'ont dévoré, ce sont nourris de ta vie, de ton énergie- puis de toi. Pas de tes os, de tes muscles… Tout cela, non. Ce n'était rien qu'une enveloppe. Quelque chose pour t'enrober. Toi, ce n'était pas un corps. Toi, ce n'était pas la vie. C'était cette chose qui anime, qui donne la conscience. Ton âme. Pourquoi « ton », d'ailleurs ? Ce n'est pas à toi. C'est toi. Différence subtile, n'est-ce pas ? Elle change tout.
Enfin, désormais, quelle importance ? Tu as disparu, voilà. Tu as expié, peut être ? Je ne crois pas. Il n'y a jamais rien eu à expier. C'est le monde qui t'as détruit, le monde et sa cruauté. On a simplement voulu mettre un nom sur ta disparition. Toi… Tu n'as jamais été coupable de rien. Tu l'aurais été si tu n'avais pas été leurré. Le monde entier est coupable- mais tu étais sa victime, et c'est ça qui a tout changé. Comme ton doute était beau. Comme tu étais naïf. Toujours trompés par les autres. Peut-on qualifier ta bêtise d'innocence ?
Je ne sais. Je n'ai jamais su grande chose. J'ai juste fais semblant. Il fallait bien que quelqu'un te considère, non ? J'étais là pour ça. Maintenant… Alors quoi ? Je peux disparaitre aussi ? Ce serait stupide. Non. Je vais rester. Je sais que tu finiras par revenir. Oh, un jour ou l'autre, quand un de ces spectres qui t'ont gouté finira par rejoindre l'au-delà… A ce moment, oui, tu vas te retrouver. Tu vas rejoindre une autre partie de toi. Attendre que son porteur ne meure. Et alors, nouvelle attente. Ainsi de suite. Jusqu'à la disparition des montagnes, jusqu'à la chute de la corniche dans l'océan. Quand la pierre se disloquera, que tout ne sera plus qu'eau et poussière… A ce moment, oui, tu vas te retrouver. Tu vas te retrouver. Tu vas te retrouver.
TU VAS ÊTRE DE NOUVEAU.
Il faut juste attendre, attendre que dans la danse d'une flamme bleue, se dessine ta silhouette… Juste attendre que tout soit enfin restitué au néant… Attendre…

…Son âme les emplit tous.
Il était là, en chacun d'eux. En chacune des flammes.
Quand l'aube s'épancha de nouveau, le champs de bataille était tel que pendant sa marche. Celle qui l'avait conduite à la corniche.
Il manquait juste sa silhouette, qui marchait… Parcourait l'injustice… Foulait la douleur… La guerre qui s'étendait…

…Attendre à jamais. Je serais là. Ne t'inquiète pas, je serais là.

…Et bien qu'elle eut cessé, planait toujours son ombre. Ce n'était qu'une bataille. Une parmi tant d'autres.

Et toi, tu n'as été qu'un pion.

Il était mort en vain.

Tu n'aurais pas dû naître.

Il avait marché pour s'écrouler.

C'était à l'image du futur.

Le monde suivrait son exemple. Marcher jusqu'à sa fin.

Pourquoi ne comprennent-ils jamais rien ? Il faut cesser de marcher, avant de rencontrer la corniche.

Mais dans l'ombre, il attendait. Le mal murmurait, l'instinct chuchotait. Toutes les voix disaient le contraire. « Marche ».