Chapitre 57 : Un compagnon surprise
Depuis qu'il avait rencontré Sacha, Mercutio marchait d'une humeur plus confiante. Bien sûr, il ne connaissait que très peu le dresseur, mais il lui avait semblé sincère quand il a dit qu'il essaierait de localiser le vaisseau de Vriffus. Et sur son Dracaufeu, il y mettrait bien moins de temps que Mercutio à pied. Il y avait aussi de grandes chances que Galatea se trouve sur l'Invincible, mais Mercutio continuait tout de même son trajet pour Akuneton. Zeff était là-bas, tout comme Solaris. Il devait sauver l'un et tuer l'autre. Ou tuer les deux si jamais Zeff ne pouvait pas être sauvé. Même si ça ne lui plaisait pas, mieux valait le savoir mort plutôt que continuant de servir Solaris.
Ce voyage jusqu'au cœur de l'Empire n'avait pas été de tout repos. Mercutio n'avait pas de carte, et ne se dirigeait qu'en fonction des indications que lui donnaient les gens des villages où il s'arrêtait quelque temps. S'ils savaient qui il était, ils ne lui auraient rien dit et auraient plutôt alerté la patrouille la plus proche, bien sûr. Mais Mercutio s'était coupé les cheveux pour qu'ils soient quasiment à ras du crâne comme la plupart des soldats vriffiens, et s'était déniché aussi une belle armure à sa taille. L'ancien propriétaire n'en aurait plus jamais besoin, Mercutio s'en était chargé.
Sa couverture marchait mieux que selon ses prévisions. Il restait pas mal de soldats dans l'Empire ; tous n'étaient pas partis aller faire la guerre aux infidèles de Kanto. De même, son jeune âge passait inaperçu ; Mercutio avait déjà vu des gosses moins âgé que lui, genre une douzaine d'années, porter l'armure vriffienne. Ce qui expliquait que leur armée était aussi développée, s'ils forçaient les gamins à y entrer. Et le fait qu'il demande son chemin à des civils pouvait s'expliquer par son manque d'expérience.
La chose que craignait le plus Mercutio, c'était de tomber sur une patrouille. Bien sûr, il doutait que tous les impériaux se connaissent entre eux, mais sa couverture ne passerait surement pas les questions d'autres soldats. Aussi prenait-il très soin d'éviter les soudards vriffiens quand il en croisait. La nuit tombée, Mercutio s'installa dans une petite forêt, défit son armure et s'installant dos à un tronc d'arbre en soufflant un peu.
- La vache, que ces armures sont lourdes et étouffantes, marmonna-t-il pour lui-même. Pas étonnant que les Vriffiens soient toujours si grincheux.
Aujourd'hui encore, il avait marché toute la journée sous ce fichu soleil de plomb, en s'arrêtant dix minutes seulement pour grignoter un morceau de jambon rancis qui restait d'avant-hier. Selon les dernières indications qu'on lui avait données, il était encore à une bonne centaine de kilomètres d'Akuneton. De joyeux jours de marche en perspective. Que n'aurait-il pas donné pour posséder un Pokemon Vol qui le transporterait partout en un instant, comme le Dracaufeu de Sacha. Il aurait dû penser à prendre un des Etouraptor Rocket à la base avant de partir, ou emprunter son Gueriaigle à Djosan.
Mercutio essayait de ne pas trop penser à ce qui l'attendait à Akuneton. S'infiltrer dans le palais impérial pour tenter d'assassiner l'Impératrice actuelle avec comme seules armes une épée, un pistolet et trois Pokemon était assez inconsidéré, même pour la X-Squad, qui faisait assez fort en matière de mission suicide. Mais cette fois ci, Mercutio n'agissait pas en tant que membre de la Team Rocket ou de la X-Squad. Il agissait en tant que frère, pour secourir sa sœur. Il agissait en tant qu'ami, pour secourir Zeff. Et il agissait en tant que petit-ami trompé et manipulé, pour tuer Solaris. Le sort de Kanto... non, même le sort du monde lui importait peu maintenant. C'était quelque chose de personnel.
Son père n'aurait pas approuvé. Penan disait toujours que les émotions et les sentiments personnels ne devaient jamais interférer quand on se battait pour une cause supérieure. Mercutio savait que c'était quelque chose qu'il n'avait jamais réussi à comprendre, et qu'il ne réussirait sans doute jamais. Le détachement total de soi lui était impossible, surtout quand quelqu'un qui lui était cher était en danger. Il était trop égoïste. Il pensait d'abord à lui et aux êtres auxquels il tenait avant le reste. La vérité, c'était qu'après en avoir tant rêvé, Mercutio ne faisait pas un très bon Rocket. Siena, elle, avait bien compris tout ça. Elle savait faire abstraction d'elle-même ou de ses sentiments. Elle était toujours professionnelle, méthodique et logique. Elle ferait sans doute une très grande Rocket. Mercutio le lui souhaitait.
Il dormit très mal cette nuit... encore. Ses rêves étaient peuplés de Galatea qui disparaissait alors qu'il s'apprêtait à lui prendre la main, de Solaris qui riait des piètres tentatives de Mercutio pour lui jeter des boules de neige à la figure, et de Zeff qui lui avait volé sa Pokeball de Mortali pour la charger dans un pistolet géant qui ressemblait à une épée et pour lui tirer dessus avec. Puis le rêve changea. Il devint plus cohérent, plus réel, à tel point que l'esprit encore conscient de Mercutio savait qu'il s'agissait bien plus d'un rêve. Il avait déjà eu des visions bizarres où une voix étrange lui parlait et où Mercutio voyait des choses qui ne s'étaient pas encore passées, mais qui se réalisaient toujours.
Cette fois, il se trouvait dans un grand jardin parfaitement entretenu, entouré de plusieurs colonnes et où siégeait à son centre une immense fontaine. Il y avait quelqu'un assis sur le rebord de la fontaine. Une fille. Mercutio mit longtemps à reconnaître Solaris. Elle n'avait plus ses yeux violets en fentes, sa tenue noire, ses ailes d'ange ni encore son air de psychotique. Non, elle était redevenue la fille si belle et si gentille dont Mercutio était tombé amoureux. Son regard ne respirait plus la cruauté et la folie, mais une certaine forme de tristesse. Solaris tourna la tête vers lui. Elle lui sourit et dit :
- Tu l'as trouvé, n'est-ce pas ?
- Quoi ? demanda Mercutio.
Mais elle ne s'adressait pas à Mercutio. Elle ne semblait même pas le voir. Elle parlait à un homme qui avançait juste derrière Mercutio. Il fut surpris de reconnaître le prince Octave. Sauf qu'il avait changé. Il paraissait... plus mûr. Plus sage. Plus âgé, en un sens. Il portait une tenue royale que Mercutio avait souvent vue portée par son père Antyos. Il passa à travers Mercutio sans le voir lui non plus, comme si Mercutio n'était qu'un fantôme.
- Je crois, répondit Octave à Solaris. Je ne pouvais pas être sûr à cent pour cent avant de le voir, mais je suis presque certain que c'était celui-là.
Il tendit à Solaris un petit médaillon en argent, apparemment très vieux. Quelque chose semblait avoir été gravé dessus, mais Mercutio n'arrivait pas à discerner, car tout était flou dans cet espèce de rêve, de vision, ou quoi que ce soit d'autre. En tous cas, la Solaris de sa vision semblait le voir elle. Elle passa son doigt sur la surface du médaillon, et de grosses larmes coulèrent de ses yeux émeraude.
- Oui, c'était celui-là. C'était le sien. Non... c'était le nôtre, dit-elle à mi-voix.
Octave serra l'épaule de Solaris d'un geste si tendre que Mercutio dut cligner des yeux pour voir s'il ne rêvait pas. Enfin, façon de parler puisqu'il rêvait justement.
- Comment se porte Julian ? demanda enfin Solaris après s'être remise.
- Très bien. Trop bien même. Ce qui me fait penser... Si tu vois sa mère bientôt, dis-lui de ma part qu'elle a dépassé de six jours déjà la date à laquelle c'était à elle de s'en occuper pour ce mois-ci !
La vision se brouilla totalement, et Mercutio se remit à flotter dans les ténèbres. Il n'avait rien compris. Qu'est-ce que cette scène signifiait-elle ? Pourquoi Octave parlait-il si aimablement à sa pire ennemie ? Et de quoi parlaient-ils ? Était-ce une vision du futur ou seulement un rêve débile de son cerveau embrumé ?
Il eut une autre vision, plus rapide et plus courte cette fois. Celle d'une jeune femme aux cheveux violets, enfermée dans une cage noire, qui tendait vers lui une main de façon suppliante. Cette femme lui paraissait familière, au niveau du visage. On aurait dit Eryl, cette fille qu'il avait rencontré au village de Surocal, mais en plus âgée, et avec une coupe de cheveux différente. Les alentours étaient bizarres, fluctuants, et les murs semblaient être un enchevêtrement de silhouettes sombres qui gémissaient. Alors la femme, des larmes coulant de ses yeux noisettes, lui murmura d'une voix brisée :
- Sauve-moi...
Enfin, Mercutio revint à la réalité, au son des criquets qui parsemaient cette nuit fraîche dans l'Empire de Vriff. Il resta encore un peu à demi endormi, réfléchissant encore à sa vision, quand soudain :
- Prends garde en sondant le futur, Mercutio. Il est plus changeant qu'un Métamorph.
Mercutio soupira.
- Allez, c'est reparti pour une séance de paranormal, se marmonna-t-il à lui-même.
Cette voix inconnue se manifestait parfois dans sa tête, sans raison apparente. Mercutio ne savait pas à qui elle appartenait, si c'était de la télépathie, ou sa conscience qui se parlait à lui-même, ou encore s'il était bon à enfermer. C'était assez troublant. Le pire, c'était que Mercutio pouvait se parler à lui-même sans même ouvrir la bouche, par la pensée seulement. Et la voix lui répondait !
- Qu'est-ce que tu veux dire toi ? demanda Mercutio en pensées.
- Que ce que tu vois ne se réalisera pas forcément, répondit la voix. Le seul fait que tu l'ai vu peut même changer ce futur probable.
Mercutio ne voyait vraiment pas comment ce futur, si c'en était vraiment un, pouvait se réaliser. Entre autre parce qu'il était totalement absurde et incompréhensible, bien sûr, mais aussi parce que Solaris n'y ferait pas partie. Mercutio y comptait bien ; c'était en partie pour ça qu'il se rendait à Akuneton. Quant à la vision sur cette femme qui devait être Eryl en plus vieille, prisonnière d'une cage dans un lieu qui ressemblait à un studio de tournage d'un film d'horreur, il n'y voyait pas plus de sens. Il ne répondit plus à la voix, qui le laissa tranquille. Le jour ne s'était pas encore levé, et ne le ferait pas avant plusieurs heures encore, donc Mercutio décida de redormir encore un peu. Mal lui en prit, car quand il se réveilla aux lueurs de l'aurore, il y avait quatre soldats vriffiens au-dessus de lui qui le regardaient en discutant âprement.
- Je te dis que Sa Majesté veut le voir mort, s'exclama l'un d'entre eux. On le tue, puis on ramène son cadavre.
- Et moi, je te dis que c'est risqué, protesta un autre. Ça ne serait pas la première fois que l'Impératrice change d'avis. Je pense qu'il faudrait le ramener vivant, et Sa Majesté en fera ce qu'elle voudra ensuite !
- Si c'est vraiment Mercutio Crust, intervint un autre.
- C'est lui je te dis. Je me rappelle l'avoir vu à Akuneton lors du couronnement de Sa Majesté. Il s'est coupé les cheveux et il s'est déguisé, mais c'est lui.
Apparemment, ces quatre zozos, trop occupés à se disputer, n'avaient pas remarqué qu'il s'était réveillé. C'était sa seule chance. Il avança centimètre par centimètre sa main vers son pistolet. Quand il la referma dessus, un des Vriffiens repéra enfin le danger et cria. Mercutio eut le temps de tendre son bras et de toucher un guerrier à l'épaule avant qu'un autre ne dégaine son épée et ne lui envoie son pistolet loin de lui en manquant de lui couper quelques doigts au passage.
Tandis que le soldat blessé jurait en poussant des cris, Mercutio se releva en empoignant son épée et, aussi vif que l'éclair, la planta sous l'aisselle d'un autre Vriffien, un de seuls points sensibles de leurs armures complètes. Celui-ci s'écroula, mort, et Mercutio se tourna vers les deux autres encore en état de combattre, qui s'étaient mis en garde. Mercutio ne pourrait plus les surprendre maintenant.
- Je salue ta bravoure, jeune infidèle, dit l'un d'entre eux. Tu m'excuseras de ne pas t'accorder l'honneur de mourir au combat, car j'ai décidé de te livrer vivant à Sa Majesté.
Ça arrangeait les affaires de Mercutio. On ne se battait jamais à son maximum contre un adversaire qu'on ne voulait pas tuer.
- Quel est votre nom ? demanda Mercutio sur le ton de la conversation.
- Je suis le sergent Nuk Berruls, de la Seconde Phalange.
- Que diriez-vous d'un duel loyal à l'épée, Nuk Berruls ?
- Je n'ai pas de plus vif désir, lui assura le Vriffien. Toutefois, je me dois de refuser. Si tu me battais, tu battrais aussi mon subordonné, qui est moins doué que moi. Puis tu t'échapperais, pour provoquer Dieu sait quoi de mauvais dans notre Empire si pur. On se doit de te combattre ensemble, pour te capturer et te mener à Sa Majesté !
Tiens, voilà un Vriffien intelligent, apparemment. Mercutio s'était attendu qu'il saute sur l'occasion d'un duel pour prouver sa supériorité sur un pauvre infidèle comme lui, comme ces barbares, poussés par la brutalité et la soif de sang, ne manquaient jamais une occasion de le faire. Mais celui-là semblait faire réfléchir plus son cerveau que ses muscles. Il avait compris ce que Penan avait toujours expliqué à ses trois enfants et aux autres de ses cadets : l'honneur, c'était bien joli, mais si par sa faute vous vous faites tuer, alors vous êtes le dernier des crétins.
Et le dernier des crétins, cette fois ci, c'était Mercutio. Trop occupé par les deux soldats qui lui faisaient face, l'épée à la main, il n'avait pas vu l'autre qu'il avait blessé avec son pistolet sortir son arbalète. Le tir l'atteignit au genou, à un petit endroit que l'armure vriffienne ne couvrait pas totalement, et Mercutio s'écroula en pensant avec un amusement morbide ce que Penan lui aurait fait s'il avait appris que son fiston avait oublié d'avoir tous ses ennemis dans le champ de vision.
Mercutio tenta de s'agripper au sol avec son épée, mais d'un coup de pied, Nuk Berruls la repoussa et le jeune Rocket s'étala de tout son long. Avant qu'il n'ait pu refermer ses doigts sur la Pokeball de Mortali, son dernier espoir, Nuk la lui prit des mains. Son petit voyage dans l'Empire de Vriff allait bien vite se terminer. Enfin, le point positif, c'est qu'il irait bel et bien à Akuneton, même si s'était enchaîné et désarmé. L'idée de ce que Solaris allait pouvoir lui infliger le poussa à se débattre, mais il reçut un coup de pied au visage qui calma ses ardeurs. À demi-inconscient, il vit un autre impérial arriver. Celui-là avait un visage des plus repoussants, même pour un Vriffien. Sa peau était déformée, ses yeux non alignés. Mercutio se demandait ce qui lui était arrivé. Ça ne ressemblait pas du tout à une blessure de guerre.
Le nouvel arrivant dit quelque chose à Berruls, que Mercutio, avec ses oreilles qui bourdonnaient suite au coup de pied, n'entendit pas. En tous cas, Berruls répliqua d'une voix sèche et méprisante. Le défiguré sourit, puis à la vitesse de l'éclair, décapita Berruls avec son épée. L'autre soldat s'engagea dans un duel avec lui. Mercutio ne savait pas ce qu'il se passait, mais si les Vriffiens s'entretuaient, c'était très bon pour lui. Il en profiterait pour s'échapper. Mais quand il s'était à peine relevé, le combat était déjà fini. Le vriffien au visage repoussant avait tué tous les autres, et dévisageait Mercutio avec un regard étrange, un mélange de révulsion et d'espoir. Il approcha sa main, et Mercutio se mit en garde. Mais le soldat l'aida simplement à se relever totalement.
- Je m'appelle Herts Runpong, infidèle. Restez avec moi, et je vous aiderai.
Mercutio se demanda s'il avait bien entendu. Ce Vriffien avait-il parlé de l'aider ?
- Que...
- Que faites-vous dans l'Empire, infidèle ? demanda le dénommé Runpong. Quel est votre but ? Dîtes-le moi. De votre réponse dépendra votre vie.
Mercutio n'essaya pas de demander ce qui lui arriverait s'il gardait le silence, le remerciant simplement et reprenant sa route. De toute façon, il était totalement désarmé, et vu la vitesse avec laquelle ce type avait descendu les autres, ça n'aurait pas grande différence. Mercutio opta pour la franchise.
- Je me rends à Akuneton, au Palais Impérial.
- Et que comptez-vous y faire ?
- J'ai quelqu'un à sauver. Et par la même, j'essaierai de tuer votre impératrice !
Mercutio pensait qu'en disant cela, il venait de signer son arrêt de mort, mais ce fut un autre sourire qui apparut sur le visage déformé de Runpong.
- Parfait alors. Nous irons ensemble. Et je vous aiderai.
- Vous m'aiderez à sauver ma sœur ?!
- Je n'ai que faire de votre sœur, infidèle. Je parle d'éliminer Solaris.
- Vous voulez sa mort ? demanda Mercutio, abasourdi.
- C'est là mon seul but dans la vie, acquiesça Runpong.
Mercutio avait toujours vu dans les Vriffiens des cinglés avec une loyauté inégalée pour leur impératrice. Après tout, pour eux, elle était comme la représentante de Dieu sur terre.
- Mais que va penser votre Dieu de ça ?
- Asmoth sait que ma cause est juste, fit le Vriffien. Il sait que c'est moi qui dis la vérité. Maintenant, en route. Nous ne devons pas rester ici, d'autres pourraient venir. Reprenez votre armement, et allons-y.
Mercutio fit ce qu'il dit, mais il avait encore un paquet de questions. Faire confiance à ce type sans rien savoir de lui était le summum de l'idiotie. Et connaissant les manipulations de Solaris, ça pourrait être un plan particulièrement tordu de sa part.
- Que voulez-vous de moi ? Pourquoi m'avoir sauvé ?
Runpong soupira.
- Je vous l'ai dit. Vous voulez tuer l'impératrice. Je le veux aussi. Nous aurons plus de chance à deux. Vous êtes Mercutio Crust, l'infidèle que veut éliminer Solaris. Elle a posé des affiches sur vous partout dans l'Empire. Pour qu'elle tienne tant à vous éliminer, vous devez être dangereux.
- Mais pourquoi tenez-vous tant à la tuer ?
Le Vriffien s'arrêta, furieux.
- Vous voyez ça ? s'exclama-t-il en désignant son horrible visage. Vous pensez que c'est une malformation à la naissance peut-être ? Ou alors une punition divine ? Non, ce n'est pas à Dieu que je le dois, mais bien à cette femme du diable !
- Pourquoi vous a-t-elle fait ça ?
- Il y a plusieurs années, quand j'étais jeune et vigoureux, raconta Runpong tout en continuant de marcher à vive allure, la princesse Solaris... Je faisais partie de sa garde rapprochée, en étant sous les ordres de Sire Fukio. La princesse et moi, nous avons eu une aventure ensemble.
Mercutio haussa les sourcils. Un garde avec une princesse ?
- J'étais devenu son amant. Ce n'était pas de mon fait, bien sûr. Jamais je n'aurais osé. Pas avec la fille de l'Empereur ! Mais elle disait m'aimer réellement, et je le pensais. Puis ça a duré longtemps, jusqu'à ce que je lui dise qu'on devait arrêter. C'était contre les préceptes. Ce n'était... pas bien. Mais Solaris a insisté, elle a dit que notre amour était plus fort que tout. Elle a dit qu'elle se fichait de la religion ou de Dieu, et qu'elle vivrait sa vie comme elle l'entend !
Runpong secoua la tête.
- J'étais choqué. L'Impératrice elle-même, reniant Dieu ? Ça plus que le reste a fait que je l'ai quittée. Elle était très en colère contre moi, et de plus, elle craignait que je raconte à quelqu'un ce qu'elle avait dit dans sa passion. Je ne l'aurai jamais fait, bien sûr. Mais elle a quand même utilisé ses pouvoirs contre moi. Elle m'a défiguré afin que ma parole ne vaille plus rien si je venais à la dénoncer !
- Je ne comprends pas bien, avoua Mercutio.
- Dans notre culture, les handicapés, les malformés et autres ont été rejetés par Dieu. S'ils sont ainsi, c'est parce qu'ils ont commis des péchés, ou alors allaient en commettre. Que je sois devenu comme je suis, sans aucune explication apparente, était un signe de la volonté divine pour mes pairs. Ils pensaient qu'Asmoth le Très Haut m'avait rejeté, moi qui étais si fort et qui avait tant la foi ! Depuis, je vis en paria.
- Mais pourquoi ne pas avoir dit que Solaris était responsable ?
- Vous ne comprenez rien, infidèle, gronda Herts Runpong. Entre l'Impératrice, l'envoyée de Dieu sur terre, et un soldat que tout le monde pensait pécheur, qui pensez-vous qu'on allait croire ?! Et puis, si j'avais attaqué l'Impératrice de la sorte, j'aurais été proprement exécuté ! Non, je n'avais aucun espoir de rédemption. Pourtant, je n'ai jamais péché. Mon malheur, je le dois à l'Impératrice, la vraie pécheresse. Asmoth le sait. C'est pour cela qu'il me soutient dans ma quête.
S'il en était tant que ça convaincu, ce n'était pas Mercutio qui allait lui prétendre le contraire. De plus, le récit de ce type était assez fou pour être vrai. Ce n'était pour autant qu'il souhaitait avoir avec lui un Vriffien défiguré et rongé par la vengeance. Mais il doutait d'avoir le choix...
- Etes-vous familier avec des notions telles que l'honneur et la fierté, infidèle ? lui demanda Runpong.
- Seulement avec les personnes qui le sont aussi.
Runpong ricana.
- Je vois que nous nous comprenons. Scellons un pacte. Sur notre honneur et notre fierté, les deux seules choses qui doivent nous rassembler. Je vous ai sauvé la vie à l'instant ; vous avez donc une dette de vie envers moi ?
Ça ne plaisait pas à Mercutio, mais il devait bien admettre que c'était bien le cas.
- Cette dette sera effacée si vous mettez fin à la vie de l'Impératrice Solaris, assura le Vriffien. Tuez-la, et nous serons quittes. En échange, je vous aiderai à secourir votre sœur. Ça vous va, infidèle ?
- Que va penser votre dieu s'il vous voit vous allier avec un hérétique comme moi ? plaisanta à demi Mercutio.
- Oh, mais il le voit déjà. Et il comprend. Il m'autorise à me souiller avec un infidèle pour qu'enfin ma fierté soit lavée.
- Quel gars compréhensif, ce dieu... Bon alors ça marche. Vous m'aidez à pénétrer dans le palais. Je tue Solaris et je libère ma sœur si elle est là. Et vous, vous devez me promettre, sur votre honneur, votre fierté, votre dieu ou tout ce que vous voulez, de ne pas me trahir une fois ça fait, hein ? Genre n'allez pas crier au meurtre dans tout le palais une fois Solaris morte.
- Je m'y engage, affirma le Vriffien. Mais rappelez-vous que bien que nous soyons des alliés temporaires, nous restons ennemis. Si nous nous recroisons ensuite sur le champ de bataille, je ne ferai montre d'aucune pitié !
- Tant mieux, parce que moi non plus.
Les choses mises au clair, Mercutio put avancer avec plus de sérénité, même si le Vriffien le mettait mal à l'aise. Ce type avait-il réellement attiré les beaux yeux de Solaris ? Ça devait sacrément dater, car il devait avoir quarante ans passés. Deux anciens petits-amis de Solaris ligués ensemble pour la tuer. Ironique non ?
- Alors, où allons-nous ? Vous connaissez mieux le chemin que moi non ?
- On va s'arrêter d'abord à Lumeïhen. C'est une petite ville non loin d'ici. On passera à l'église, puis on prendra des provisions. Et si on croise une patrouille, laissez-moi parler.
- Très bien. Mais qu'est-ce qu'on ira faire à l'église, au juste ?
Herts le regarda, l'air menaçant, comme si il soupçonnait Mercutio de se payer sa tête.
- Nous allons prier, bien sûr !
- Oh, nous allons prier ! Evidemment, suis-je bête...
- Nous allons supplier Asmoth le Très Haut de nous protéger pour la réussite de notre quête ! En échange, nous lui offrirons de prendre nos vies quand il le souhaitera.
- Mouais... fit Mercutio. La seconde partie ne me tente pas plus que ça, à vrai dire...
- Silence infidèle ! rugit le Vriffien. Cessez vos blasphèmes infernaux. La vie n'a aucune valeur. Elle ne sert qu'à nous préparer à la mort, l'éternelle et la réelle existence.
Mercutio soupira. Le voyage allait être long, et sans doute très amusant !