4 - Dans ses yeux
Les humains sont agités. Ils courent dans tous les sens, comme si le danger menace. Pourtant elle sait qu'elle n'a plus rien à craindre. Le Grand Sauvage est parti et il ne reviendra pas. Alors pourquoi sont-ils tous nerveux ?
Les autres protègent leur humain. Contre quoi ? Ils ne sentent pas qu'il n'y a plus de danger ? Et pourquoi la regardent-ils méchamment ? Ils veulent combattre peut-être. Mais elle n'est plus une Sauvage. Et elle doit retrouver son humaine.
Les autres s'avancent. Ils sont méfiants. Le Grand Chien ouvre la gueule. Il crache des flammes sur elle. Elle se protège de sa patte, mais ne riposte pas. Elle regarde par-dessus son épaule, là où le Grand Sauvage a attaqué la Maison des Humains et des Pokémons. Elle ne voit que de la fumée. Le Grand Chien lance une nouvelle fois des flammes. Elle se protège. Elle n'a pas le temps de combattre. Elle doit retrouver son humaine.
La Grande Araignée s'avance à son tour. Elle lance ses fils sur elle. Elle essaye de se défendre, mais les fils s'enroulent autour de ses pattes. Elle ne veut pas combattre. Elle tente d'arracher les fils, mais ils sont collants. Elle commence à s'énerver. Elle ne veut pas combattre. Le troisième s'avance aussi. C'est le plus nerveux. Il jappe vers elle. Elle gronde. Il recule. Son humain crie en la pointant du doigt. Le Petit Chien se contracte, puis attaque. Il est rapide. La foudre suit les fils collants. Elle sert les dents. Elle n'aime pas la foudre. Mais elle ne veut pas combattre. Elle doit retrouver son humaine. Il faut qu'elle retrouve son humaine.
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- « Hé ! Toi là ! Éloigne-toi de là ! Ce Pokémon est dangereux !
Yoru, dans toute sa maturité, lui tira la langue.
- Tu rêves papi ! Ce dragon il est pour moi ! Cria-t-il en passant à côté de lui à toute allure. Il avait bien aperçu la silhouette du grand pokémon volant depuis les hauteurs de Carmin-sur-Mer, mais n'avait pas réussi à l'identifier. Et maintenant, s'il ne se dépêchait pas, sa chance de le capturer allait lui passer sous le nez !
Sa cape rouge voltigeant derrière lui, il s'arrêta dans un dérapage près d'une ligne de dresseurs. Ceux-ci semblaient en plein combat, mais Yoru n'arrivait pas à voir contre qui. Cinq Pokémons étaient alignés et semblaient tous attaquer la même cible. Le garçon avala de travers. S'il fallait autant de dresseurs pour battre un seul dragon...
Soudain, un grognement l'interpella. Il lui semblait le reconnaître... Il se faufila entre les dresseurs et se surprit à penser qu'avoir un petit gabarit n'était pas si mal. Bousculant une dernière personne, il trébucha et faillit atterrir sur un énorme Migalos avant que quelqu'un ne l'attrape par l'épaule.
- Qu'est ce que tu fous là ? Tu vois pas qu'on est en plein combat ? T'es suicidaire ? L'apostropha la personne qu'il avait poussé un peu plus tôt. C'était un grand homme aux cheveux blonds noués en catogan. Il lui jeta un regard glacial, mais Yoru ne l'écoutait pas. Il fixait le Pokémon face à lui, ligoté dans l'étreinte des fils de l'araignée.
- Etoile ? »
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Elle entend son nom. Ce n'est pas Elle, mais elle connaît la voix. Elle se redresse et cherche du regard son origine. Là. C'est le Petit Humain Bruyant. Il est près de la Grande Araignée. Il ouvre grand les yeux et la regarde. Puis il se tourne vers les humains. Il parle fort, comme d'habitude, mais les humains ne l'écoutent pas. Ils le chassent. Les humains ne s'occupent pas bien de leurs petits, pense-t-elle. Le Petit Humain Bruyant la fixe. Il dit quelque chose, mais elle n'entend pas. Elle a reçu la foudre. Encore. Mais elle ne veut pas combattre. Elle veut juste retrouver son humaine.
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Lily se tenait appuyé sur un pan de mur partiellement effondré, sa jambe blessée en équilibre précaire sur ce qui lui semblait être le reste d'un des fauteuils matelassés qui ornaient habituellement le hall d'accueil du Centre Pokémon. Le chercheur qui l'avait aidé tout à l'heure l'avait déposé près d'une grande tente en train d'être monté par une équipe de policiers de Carmin-sur-Mer. Et maintenant, c'était un infirmier lui examinait le genou tandis qu'elle laissait son regard parcourir l'étendue nouvelle autour d'elle. L'attaque avait été brève, mais destructrice. Il ne restait plus rien du grand Centre Pokémon de Carmin-sur-Mer qu'un tas de décombres. Des personnes parcouraient les gravats à la recherche de survivants, mais leurs visages étaient pour la plupart fermés, comme résignés. De nombreuses personnes avaient cependant été sorties des décombres et se rassemblaient maintenant vers des grandes tentes où les secouristes s'affairaient. Certains n'arboraient que quelques égratignures, tandis que d'autres, étendues sur des couvertures, grimaçaient sous les soins des médecins. Le sauveteur de Lily se tenaient lui aussi à quelques pas de là, tentant maladroitement de bander la cheville d'une vieille femme qui le sermonnait en affirmant que d'autres personnes avaient plus besoin de soins qu'elle. Elle remercia silencieusement le scientifique de l'avoir secourue. Elle ne se souvenait pas de se qui c'était passé. Ou du moins, pas clairement, mais elle savait déjà que sa prochaine nuit serait mauvaise. Son cerveau repasserait sûrement en boucle le peu d'images qu'elle avait enregistré.
- « ...et restez immobile pour le moment, je vais voir s'il nous reste des atèles, même si c'est pas gagné...
L'infirmier fila avant que Lily ne réalise qu'il s'adressait à elle. Elle posa les yeux sur son genou blessé. Il ne semblait pas en si mauvais état, mis à part sa jolie teinte violette et l'angle un peu étrange que prenait la rotule... Lily poussa soupir bruyant, et s'agrippa aussitôt le flanc droit en serrant les dents. Autant son genoux droit ne la faisait presque plus souffrir, autant son côté droit semblait la lancer à chaque respiration. Elle souleva délicatement sa chemise : une entaille peu profonde rayait sa peau blanche. Le sang, maintenant coagulé, avait coulé et laissé une marque pourpre sur son jean. La zone autour était, est-ce possible, encore plus violette que son genou. Elle se risqua à y poser un doigt, pour le retirer aussitôt en étouffant tant bien que mal son cri de douleur.
- Mais ça va pas ?! Je vous avez dit de ne pas y toucher !
L'infirmier revenait vers elle en trottinant au milieu des décombres, et l'apostropha d'une voix sèche :
- Nous n'avons plus d'atèles, il va falloir vous contenter de rester assise. Je vais vous aider à marcher jusqu'à la tente des secours, vous vous reposerez là bas.
Il ouvrit cependant une trousse de secours et en sortit rapidement une collection de bandages de toutes les tailles.
- Je vais vous bander l'abdomen. Vous avez une côte de cassé, enfin au moins une. Difficile à dire dans cette pagaille. Il jeta un regard noir vers l'attroupement de rescapés, comme s'il reprochait à tous les blessés de l'empêcher de bien faire son travail. Puis il reprit :
- Evitez quand même de trop bouger, parce que ça aidera pas les côtes à se ressouder. »
Lily leva les yeux au ciel en grimaçant. Si elle avait été dans son état normal, elle l'aurait déjà giflé. Elle se contenta de le regarder fixement en fronçant les sourcils tandis qu'il lui demandait de lever les bras pour passer la bande. Il serra ensuite le bandage et Lily se surprit à penser qu'il n'était pas si mauvais que ça. En tout cas, suffisamment compétent pour que le tiraillement continu s'estompe légèrement. Ses côtes la faisaient encore souffrir, mais la douleur devenait supportable. Il l'attrapa ensuite par le bras et elle en profita pour s'appuyer de tout son poids sur lui. Quitte à se faire aider...
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Yoru s'était stoppé en arrivant près de l'endroit où se tenait le Centre Pokémon. Enfin, où il s'était tenu... Une large étendue de gravats s'étendait désormais devant lui. Un nuage de poussière et de fumée obscurcissait encore l'air, même s'il semblait déjà s'être un peu dissipé. Il parcouru le paysage du regard, ses yeux s'agrandissant au fur et à mesure qu'il réalisait ce qu'il c'était passé. Une boule se forma dans sa gorge et ses yeux le piquèrent. Sa respiration s'accéléra. Des sensations lui revint en mémoire, sombres, violentes. Un cri qui déchirait l'air. Il crispa les poings. Une odeur de rouille, familière, lui vint aux narines. Comme incrustée si longtemps en lui qu'elle semblait le suivre, imprégnant chaque parcelle de son corps. Ses yeux ne se posaient plus sur les restes du Centre Pokémon de Carmin-sur-Mer, mais semblaient au contraire voir en lui, des images tantôt lumineuses, tantôt obscures, si proches et à la fois si lointaines...
- « Yoru !
Il cligna des yeux plusieurs fois avant de se rendre compte que quelqu'un s'adressait à lui. Il secoua la tête et essaya tant bien que mal de reprendre son souffle, forçant son esprit à se concentrer sur l'instant présent. Il dévisagea un moment la personne qui l'avait appelé, avant de se rendre compte que c'était justement celle qu'il cherchait.
- Lily... Il se rappela aussitôt sa mission. Etoile à besoin de toi !
Il s'approcha rapidement de la jeune fille, étendue sur une couverture de fortune près d'une grande tente blanche, sans s'occuper du long regard qu'elle lui lança. Il ne parvint pas à déterminer si l'inquiétude qu'il pouvait y lire le concernait lui ou la Kangourex. Il poursuivit, tentant fermement d'apaiser les trémolos dans sa voix :
- Des dresseurs essaient de la capturer. Plus loin, là bas... Il montra du doigt le sommet de la petite colline au-dessus d'eux. Mais qu'est-ce qui c'est passé, ici ? Demanda-t-il timidement. Il jeta un œil à la dresseuse assise devant lui, une main sur le flanc, le jean et la chemise ensanglanté. T'es blessé ?
Ça se voit pas ? Lily ravala sa remarque. Le gamin semblait fébrile, tentant inutilement de cacher le tremblement de ses mains en serrant les poings. Il lui jeta un regard à la dérobée, puis accrocha ses yeux dans les siens en fronçant les sourcils, une lueur étrange dans le regard. Elle le jaugea d'un œil critique en se redressant, presque déçu de ne pas le voir craquer devant elle. Elle haussa un sourcil et pris un air blasé. Explosion de rage ou crise de larme ? A méditer... En tout cas j'aimerais être là pour y assister...
- Viens par ici. Comme le crétin d'infirmier qui m'a posé là semble avoir plus important à faire, on va chercher Etoile. »
Et comme un signal de départ, elle se leva et s'appuya exagérément sur lui, un petit sourire ironique fiché sur ses lèvres.