Chapitre
Une fois de plus, Xaphania était au bord des nerfs.
"Mais, tu as choisi ! C'est trop tard maintenant !
- Je sais, je sais... Mais un Oracle ne doit pas faire la guerre !
- Tu as choisi ! Nous ne t'avons pas forcés ! En plus, tu préfères rester dans le Palais Impérial en attendant que tout le monde crève autour de toi ?
- Non, bien sûr, mais je ne sais pas si j'ai pris la bonne décision.
- L'important c'était de faire un choix. Tu ne pouvais pas rester éternellement indécise. De toute façon tu aurais été forcée à te battre à un moment ou à un autre."
Elle coupa court à la discussion. Ils étaient tous dans un palanquin, et l'armée les entourait. Irulean regarda par la fenêtre. Des milliers de soldats les entouraient de part et d'autres, comme une masse de fourmis.
Ils vont tous mourir, je le sens. Pourquoi les Mages doivent-ils faire la guerre ? Bien sûr, ils ont été exilés, mais il y avait une bonne raison. Et puis, même ! Au fait, comment les Mages font-ils de la magie sans pokémon ?
Elle posa la question à Xaphania. Celle-ci devint tout d'un coup pâle, et regarda Irulean avec tristesse.
" Je redoutais d'avoir à te le dire... La magie est un phénomène naturel qui se produit quand un humain et un pokémon entrent en fusion. Mais... Oh, les gens sont tellement stupides ! Certaines personnes ont cherché à faire de la magie sans pokémon..."
Elle tremblait comme une feuille morte.
" Et... Bien... Certains ont réussi. Il y a près de huit cents cinquante ans, un sorcier dénommé Siryn réalisa une expérience... Oh, et puis, je vais tout raconter. L'expérience impliquait un rituel magique complexe impliquant neuf sorciers et un pokémon. Le rituel culminait par... le sacrifice du pokémon par son dresseur."
Elle lâcha les derniers mots comme des bombes. Irulean était horrifiée, mais Xaphania continua.
" Vers la fin de la cérémonie, le dresseur prend un couteau d'obsidienne et tue le pokémon. Puis, il... se recouvre de son sang. Ainsi, si la cérémonie est correctement exécutée, il absorbe les pouvoirs du pokémon et devient capable de créer de la magie seul, prenant le titre de Mage."
Elle attendit un moment pour laisser ses mots prendre de l'impact, puis prit Irulean dans ses bras, où elles sanglotèrent en coeur.
Les champs maérauriques étaient situés à environ cinquante kilomètres de Galateia, et fournissaient normalement la capitale en céréales et légumes, mais les armées étaient maintenant installées sur deux collines opposées, au grand complet. Une délégation de l'Empereur fut quand même envoyée au Mages pour proposer la paix. Elle fut copieusement injuriée. Une réunion stratégique fut tenue dans la tente de l'Empereur. La nuit tombait. La bataille était prévue pour le lendemain. Irulean, en tant qu'Oracle, assistait à la réunion, mais il n'y comprenait pas grand-chose.
" Il nous faudra utiliser les archers un maximum pour donner au sorciers le temps d'incanter... Mieux vaut les placer en ligne, autour des sorciers.
- Il faut aussi prendre en compte la rapidité d"incantation des Mages. Nous devons placer des boucliers... Un équipe de dix sorciers devrait suffire."
L'Empereur prit la parole. Irulean l'admirait. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, mais qui était encore plein de fougue et de courage.
Son visage, marqués de stries et de cicatrices faisait comprendre que c'était un homme fait pour la guerre. Ses yeux jaunes pétillants, comme ceux d'un fauve, faisaient comprendre qu'il était né pour commander. Il était dans son élément.
" N'oubliez pas que les Mages contrôlent désormais beaucoup mieux leurs pouvoirs, et sont donc plus puissants. Le bouclier devra être empli d'une charge de magie considérable... Oracle, seriez-vous prête à insuffler votre pouvoir dans le bouclier ?
- Euh, je ne pense pas que je soie la meilleure personne pour ce genre de choses...
- Toutes les Mages Blanches seront réquisitionnées pour le soin des malades. De plus, vous êtes une sorcière hors pair.
- Mais... je n'ai aucune expérience !
- Vous aurez juste à participer au rituel."
Elle réfléchit. Il fallait bien qu'elle fasse quelque chose.
" Soit. J'accepte. Mais que ferai-je après ? Et mes Gardiens ?
- J'y ai réfléchi. Vous pourrez faire partie des sorciers d'attaque ou des Mages Blanches. De toute façon, vous il vous sera souvent demandé d'accomplir la cérémonie d'Ascension. Quant à vos Gardiens, les deux Kushanas feront parti des troupes d'élite, conformément à leurs souhaits, et le jeune prince sera affecté à la récupération des informations, également
conformément à ses souhaits. Ne vous inquiétez pas Votre Excellence."
Elle sorti de la tente, déstabilisée. Titiel était assis sur l'herbe, pas loin. Elle s'installa à côté de lui.
" Dis-moi, Titiel, qu'est-ce qu'ils veulent dire par "vitesse d'incantation" ?
- Bah, c'est assez simple : étant donné que les Mages n'ont pas besoin de fusionner, ils peuvent lancer leurs sortilèges plus vite. En revanche, ils sont moins puissants.
- Titiel... Je... J'ai peur.
- Moi aussi. Tout le monde a peur. Ne t'inquiète pas. Allez... Tout va bien se passer. Va te coucher, demain, tu auras besoin de toutes tes forces.
- Euh.. Titiel, qu'est-ce je dois faire pour "insuffler mon pouvoir dans le bouclier" ?
- Tu devras rentrer au coeur du rituel, bref, danser. C'est souvent très épuisant, et tu rentres en une sorte de transe. Mais vu tes talents magiques, ça ne devrait pas poser de problèmes. Allez, va te coucher."
Elle obéit, tout en se disant qu'elle ne comprenait pas pourquoi tout le monde disait qu'elle avait des pouvoirs si extraordinaires.
Elle fut réveillée un peu avant l'aube par une jeune fille. Celle-ci avait des cheveux blonds très longs, descendants jusqu'aux hanches. Elle portait une robe blanche avec capuche, brodée de fils rouges brillants comme du sang chaud sur les côtés. Elle apparut à Irulean comme un ange resplendissant.
" Votre Excellence, le rituel du bouclier va bientôt commencer. Je suis Laetitia.
- Enchantée."
Elle se leva et suivit Laetitia hors de sa tente. Elles traversèrent le camp semi-endormi. De temps en temps, une tête pointait le nez à travers l'ouverture d'une tente. Au fur et à mesure que le jour pointait, de la fumée sortait, des bruits se faisaient entendre doucement, le camp s'éveillait. Irulean remarqua que Laetitia était accompagnée d'un Leveinard très puissant et que son aura resplendissait bien au-delà des limites normales. Ce doit être une Mage Blanche très puissante. Une petite explication, les Mages Blanches étaient les infirmières de l'époque, s'occupant avec leurs pokémon de soigner les blessés des deux espèces. Elles s'occupaient également plus rarement des sorts liés à la protection.
Elles arrivèrent enfin au bord du camp. Là, au sommet de la colline, une étendue avait été dégagée, et une vingtaine de sorciers et de Mages Blanches y étaient rassemblés. Les préparatifs étaient quasiment finis. Un cercle de sel avait été tracé sur le sol, l'encens brûlait fort et les sorciers se disposaient en cercle. Au moment où Irulean arriva, on alluma les torches.
" Les rituels sont toujours plus forts quand ils sont situés sur des limites : entre le jour et la nuit, entre le ciel et la terre, entre la réalité et le rêve, entre la conscience et la transe... expliqua Laetitia."
Puis, elle partit s'installer à une des extrémités, où était disposée une immense harpe d'ébène. Laetitia posa ses mains sur les cordes et attendit. Les sorciers finirent de s'organiser. Tout était en place. Irulean rentra au centre du cercle. Le premier rayon du soleil perça le sommet de la colline, nimbant l'hétéroclite assemblée d'or. Elle fit tournoyer son bâton. Une fois, deux fois, trois fois... Jusqu'à huit. La musique de Laetitia résonna, une douce mélodie, qui rappelait les couleurs rousses de l'automne. Les choeurs sacrés entonnèrent leurs hymnes obscurs. La conscience d'Irulean vacilla et elle entra en transe. La harpe mystique entonna un voyage à travers le volume, et les doigts de Laetitia volaient sur les cordes. Le cercle tourna. A gauche, puis à droite. Irulean entra dans la danse. Elle laissa la transe la porter. Le bâton dansa dans ses mains, et les flammes tournèrent bleues. Tous était confus. Ça n'avait pas d'importance. Elle était délicieusement inconsciente. Tout les soucis, les problèmes, la guerre étaient repoussés à plus tard. La harpe entama une descente vertigineuse. Les sorciers dansaient, leurs mains se croisaient, le rythme s'accélérait. Leurs pas étaient saccadés, réglés. Les voix mystiques résonnaient, épaississant l'atmosphère. Et toujours Irulean virevoltaient. Elle allait plus vite, invoquant la magie, tombant à genoux, et roulant avec son bâton. Elle spirala. Les notes résonnaient graves, puis remontèrent soudain, entamant des montagnes russes de plus en plus brusques. Les chants montaient. Les choeurs se multiplièrent. Les tambours se joignirent au rituel, marquant de leur rythme rapide les pas des danseurs, fluides maintenant. Le rythme s'accéléra encore, pendant que Irulean glissait plus profondément dans l'inconscience. L'encens lui remplissait les narines. La musique lui remplissait les oreilles. Les danseurs lui remplissaient les yeux. Le toucher du bâton lui remplissait les mains. La poussière lui remplissait la bouche. Son cerveau s'était éteint depuis longtemps. Elle n'en avait pas besoin. Elle dansa comme un animal sauvage, le rythme de plus en plus brusque, les danseurs toujours plus gracieux, les chant toujours plus rauques. Elle spirala de plus en plus vite, de plus en plus saccadée. Et soudain, quand le rythme devint impossible, les choeurs restèrent sur la note, la harpe vibra sur la corde la plus grave, les danseurs restèrent suspendus en l'air. Les cheveux de Laetitia volaient. Irulena leva son sceptre au ciel. Elle sentit tous ceux autour d'elle mettre leurs efforts, ils versaient leurs âmes. Elle sentit la magie se cristalliser. Elle lâcha tous ses pouvoirs dedans. Un anneau de lumière l'entoura, mille rayons la transpercèrent, la soulevèrent en l'air, et tout s'arrêta. D'une voix qui n'était pas la sienne, elle prononça "Scutum egit", retomba et séévanouit.
Xaphania observait le champ avec inquiétude. Elle s'était déjà battue maintes fois, mais jamais ça n'avait été de cette envergure. Son Ectoplasma surveillait le terrain avec plus de calme, analysant la situation avec froideur.
Hum... Cette colline à droite est pas mal. On doit avoir une bonne vue sur les Invokateurs, tout en gardant un oeil sur les rangs d'Incantateurs, et on peut frapper de plein fouet sur la cavalerie.
Xaphania sortit de sa semi-torpeur.
Malheureusement, les Mages sont rusés. Je suis sûre qu'ils auront prévu ce coup.
Il y a toujours de l'espoir... Ha! On pourrait contourner leurs positions par la forêt. On arrive en plein sur le premier rang d'Incantateurs.
C'est ce que l'Empereur a suggéré mais je trouve ça trop évident. Je pencherais plutôt pour une dispersion multiple. Un groupe par la droite, un traverse la rivière, et l'autre rejoint l'attaque frontale. On pourrait avoir les Incantateurs cernés. Mais tu oublies les rangs de Défenseurs...
Les Mages n'en ont que peu. Ils seront aisément anéantis lors de la charge. C'est un de nos rares avantages...
De toute façon, il nous reste encore un peu de temps avant qu'ils placent leurs positions.
Où est Irulean ?
Je crois qu'elle est allée insuffler son pouvoir dans le bouclier.
Allons la voir !
Xaphania traversa le camp sous les rayons du soleil levant, et rejoignit le camp des Mages Blancs. Elle arriva alors que la cérémonie venait de se terminer. Un étrange scintillement dans l'air lui signala que le bouclier était posé et qu'il était très puissant. Irulean avait fait du beau boulot. Mais pourquoi ne la voyait-elle pas parmi les rangs de Mages Blancs qui se
dispersaient ?
" Où est Irulean ?, demanda-t-elle à une des jeunes filles qui passaient.
-Qui ?
- Euh.. Je veux dire l'Oracle. Où est -elle ?
- Ah ! Dans la tente là-bas, elle se repose."
Elle entra dans la tente. Irulean était allongée sur le lit, dormant paisiblement, et une jeune Mage Blanche jouait de la harpe à côté.
" Que s'est-il passé ?
- Oh, c'est le bouclier, c'est très fatiguant. Mais elle s'est très bien débrouillée. Je suis Laetitia. Et vous êtes...?
- Xaphania."
Les regards s'échangèrent. La mystérieuse, noire, obscure et sombre, celle qui rappelait les derniers frissons qu'on éprouve avant de se mettre devant le feu ; toisa la lumineuse, blanche, rayonnante et brillante, celle qui rappelait les derniers rayons du soleil avant le froid de la nuit. Il y eut une complicité instantanée. Comme une obscure clarté. Irulean se réveilla lentement. Xaphania lui dit au revoir.
"La bataille va bientôt commencer, je dois y aller. Reste ici, et prends soin de toi."
Quand Irulean sortit enfin de la tente avec Laetitia les armées se positionnaient. Le temps parut s'étirer. Les deux armées titanesques se faisaient faces, séparées par une bande de terre qui semblait s'amincir à vue de d'oeil. Le temps se figea. Les soldats restaient immobiles, les mages retenaient leurs sortilèges, et tous restaient au bout de souffle, dans l'attente du moment fatidique. L'instant s'étira, s'étira... Quand la tension en était à son paroxysme, la voix de l'Empereur lâcha:
" Chargez."
Et c'est ce qu'ils firent. Un grondement sortit des entrailles de la terre se fit entendre, et les deux armées chargèrent inexorablement vers leur destin. Plus proche, toujours plus proches, encore plus proches. La scène se déroulait sous les yeux impuissants d'Irulean, qui était mortifiée d'horreur. En un fracas de tonnerre, les deux côtés s'écrasèrent les uns contre les autres. C'était une mêlée sans merci. Chaque guerrier était parfaitement égal par le camp adverse. Métal contre métal, corps contre corps, tous cherchai'nt à se tuer. Les morts commencèrent à joncher le sol, et toujours les soldats arrivaient. Les Incantateurs lâchèrent leurs premiers sortilèges. Une boule de feu de cinq cent mètres de diamètre s'écrasa parmi
des cris de douleurs au centre de la bataille. Mais personne n'y faisait attention. Ils étaient tous perdus, dans un état second, les coups s'enchaînant, sans pitié, sans émotion, avec une force brutale et sauvage. Devant ce spectacle, devant cette danse du sang et des corps, devant cette boucherie macabre, Irulean comprit le sens de la guerre.
Titiel essayait désespérément de rester calme. La bataille durait depuis à peine dix minutes, et avec Xaphania il devaient essayer de contourner les positions ennemies, pour frapper les Invokateurs. Ceci étaient justes en préparation, il fallait se presser si ils voulaient accomplir leur mission.
Le bruit terrible de la guerre se faisait entendre à côté. Ils avaient lentement mais sûrement. Ils perdirent toute notion du temps, perdus à ramper dans les bosquets à proximité de la bataille. Soudain, Xaphania annonça qu'ils étaient arrivés. Ils étaient juste derrière les rangs d'Invokateurs. Il n'y en avait que cinq, mais ils étaient suffisamment puissants pour détruire une armée. Ils avancèrent lentement. Ils n'étaient plus qu'à quelques pas. Tous semblait marcher. Mais Ectoplasma n'était pas si sûr.
Quelque chose n'est pas normal.
Je sais. Mais il faut qu'on les attaque tout de suite. Il ne vont pas tarder à invoquer... Nous n'avons pas le temps de réfléchir.
L'Invokateur de droite commença à briller.
"Xapha, il faut qu'on y aille tout de suite !
-D'accord, à trois. Un... deux... trois !?
Ils surgirent du buisson, et Titiel étrangla le premier Invokateur. Avant d'être entouré par une horde de soldats qui n'avaient pas l'air causants. Il se concentra une seconde et prit une inspiration profonde.
Voltali, tu es là ?
Comme toujours.
On y va ?
D'accord !
Trois éclairs simultanés percutèrent les gardes. Titiel sortit un cimeterre de son manteau et entra dans la bataille, déchirant les corps pour arriver au deuxième Invokateur. Xaphania avait déjà massacré le troisième, et envoyait voltiger le guerrier un peu trop vaillant qui avait osé s'approcher d'elle et de son pokémon. Les cercles se resserraient. Ils étaient désespérément en sous-nombre. Mais ça n'avait aucune importance. Titiel arriva finalement au deuxième Invokateur, juste à temps, car celui-ci allait juste passer le moment critique. Il se débattit sauvagement contre la masse de soldats qui se pressaient contre lui. Xaphania les repoussait violemment à coup de psychokinésie, tout en s'approchant du quatrième Invokateur.
Titiel campa sur la pierre sur laquelle avait été posé le deuxième Invokateur. Il sortit un deuxième cimeterre. Une profonde blessure entaillait son bras droit et son mollet. Il commençait à fatiguer. Il trancha un garde en deux avec ses deux cimeterres, alors que Voltali faisait monter vertigineusement la tension électrique autour de lui.
Attention, je vais larguer.
Quand ?
Maintenant.
Titiel s'abaissa juste à temps. Voltali déchaîna des dizaines de milliers de volts sur les soldats proches. L'électricité créa des arcs de lumière meurtriers qui créèrent un anneau de morts autour de Titiel. Ce fut dévastateur.
Joli.
Merci.
Irulean regardait la bataille, hypnotisée. Mais elle avait un devoir. Elle suivit Laetitia jusqu'à la base des Mages Blanches. Des centaines de blessés étaient étendus, et les Mages courraient à travers, dispensant des soins rapides mais efficaces. Irulean se rappela mentalement que ceux-ci étaient assez chanceux pour ne pas être morts. Laetitia lui expliqua brièvement les sortilèges à utiliser. Elle se mirent au travail, mais Irulean découvrit rapidement qu'elle n'était pas bonne du tout pour ça. Elle n'arrivait pas à se concentrer avec Metsu, ses sortilèges ne se fixaient pas, et donc ils partaient en virevoltant sur les corps des blessés. Laetitia la réconforta.
" Tu sais c'est pas grave. Je me débrouillerais..."
Irulean la laissa et regarda la scène du haut de la colline. Elle avait fait du beau travail. Elle regarda les éclairs ricocher sur les parois du bouclier magique autour du camp. Mais elle ne pouvait pas rester ici à ne rien faire. Elle retourna voir Laetitia.
"Il faut que je fasse quelque chose ! Dis-moi ce que je peux faire !
- Hum... Et si nous incantions ensemble ? Tu sais tisser des sortilèges ?
- Un peu...
- Ça suffira ! Allez, viens !"
Elles marchèrent jusqu'au lieu du rituel. Laetitia sortit sa harpe. Son Leveinard s'assit à côté d'elle. Elle joua une mélodie brutale et rapide, saisissante par sa beauté. Au bout de quelques minutes, elle s'arrêta sur une note et regarda le champ de bataille. Une vingtaine de soldats ennemis explosèrent en morceaux de glace.
"C'est toi qui a fait ça ? dit Irulean, surprise.
- Oui ! Allez, lances-en un !"
Elle fusionna avec Metsu. Elle inspira profondément, comme Xaphania lui avait dit de faire, et se concentra. Au bout de quelques secondes, elle cria "Karaidosho!" et rouvrit les yeux. Une vague d'une vingtaine de mètres de haut surgit de nulle part et percuta la bataille de plein fouet.
"Tu te débrouilles vachement bien ! Continuons..."
Irulean préférait ceci. Elles enchaînèrent sortilège après sortilège. Mais elles commencèrent à fatiguer.
"Que penses-tu qu'il est arrivé à Xaphania et Titiel ?
- Je ne sais pas...
- Où est l'Empereur ?
- Normalement, il reste dans sa tente pour diriger les troupes.
- J'y vais."
Irulean traversa lentement le camp désert. Laetitia regarda le champ de bataille sous elle et toujours aussi lentement, sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle pleura silencieusement la douleur du monde.
Irulean arriva dans la tente de l'Empereur. Celui-ci était plongé dans ses pensées. Elle l'interrompit.
"Votre Majesté...
- Ah, Votre Excellence ! Je voulais justement vous parler !
- Qu'y a-t-il ?
- Eh bien... Il nous manque une information capitale. On ne sait pas si les Incantateurs possèdent le sortilège de vérité et de crucifixion... Cette information pourrait décider de l'issue de la guerre...
- Mais... Votre Majesté, en quoi puis-je être utile sur ce point ?
- Votre don de divination.
- Ah... Mais, je ne sais si...
- Essayez."
Elle s'approcha de l'Empereur. Elle sentit son inquiétude oppressante qui comprimait l'air autour comme un étau. Quelque chose lui échappait dans tout ceci. Elle ne savait pas quoi. Tout d'un coup, devant ses yeux apparurent une image. Des Incantateurs questionnaient des soldats de l'Empire se tordaient sous une douleur invisible et indicible. Elle était subjuguée par la vision qui s'offrait à elle. Aussi soudainement que ça avait commencé, cela s'arrêta. Elle était livide.
"Votre Excellence, vous allez bien ?
- Oui... Oui. Ils possèdent le sortilège de crucifixion mais pas celui de vérité.
- Vous êtes sûre que vous allez bien ?
- Oui. En quoi d'autre puis-je être utile ?
- Vous avez déjà été très utile. Merci infiniment."
Elle sortit de la tente. Elle avança un peu, descendant de la colline. Devant elle gisait le corps d'un soldat. Soudain elle comprit toute l'horreur de cette guerre. Les émotions la submergèrent et elle s'effondra en larmes devant la dépouille anonyme. Pourquoi tant de haine ? Elle se releva, pleurant toutes les larmes de son corps, dansa pour le soldat inconnu, le libérant du monde physique. Quand elle eut fini, Laetitia la rejoint, et elles pleurèrent la bataille sous leurs yeux.
Xaphania et Titiel se débattaient tant bien que mal, dos à dos, fauchant les soldats à plein bras, mais il n'arrivaient pas au cinquième Invokateur, qui allait bientôt entrer en transe.
" Titiel, je crois qu'on n'y arrivera pas...
- Ne dis pas ça !
- Nous ne pouvons plus rien faire, ils sont trop nombreux !
- Il faut se battre ! Jusqu'à la mort !
- Titiel, si je meurs, il faut que je te dise quelque chose ! Je... je t'aime.
- Moi aussi Xapha.
Comme nous l'avons déjà dit, une overdose d'émotions peut créer des effets magiques dévastateurs. Les deux Kushanas furent nimbés d'une auréole. Toujours dos à dos, ils se prirent les mains fermement. Voltali et Ectoplasma se mirent front à front. La magie commença à circuler de l'un à l'autre, puis de plus librement. De grands anneaux de lumière se formèrent autour d'eux, les soufflant. Mais ils n'en avaient que faire. Ensemble ils pouvaient tenir. La magie s'intensifia, et les deux pokémons poussèrent un cri.
Irulean sentit que quelque chose se passait. Elle sortit de sa torpeur et regarda le champ de bataille. Soudain, une colonne de lumière irupta à des dizaines de kilomètres de haut et explosa en un dôme explosif de magie dévastatrice. Xaphania et Titiel se dit-elle. Elle ne savait pas comment, mais elle le savait.
Kilika était perturbé. Il avait fini son travail, et ne pouvait pas simplement rester à regarder la bataille de la forêt. Il décida d'agir. Son Caninos à côté de lui acquiesça. Mais que faire ? Il était dépassé par la situation. Il avait très peur, mais la haine le gagnait peu à peu, alors qu'il se rappelait que ces gens avaient massacrés sa famille. Son Caninos lui parla.
Où est Irulean ?
Je ne sais pas...
Heureusement, les membres de la famille royale de Flamboyàr recevaient une éducation magique complète, et il entra en connection télépathique avec Irulean, via leurs pokémon.
Kilika, c?est toi ?
Oui. Tu vas bien ?
Difficile à dire... Et toi ?
De même. Je n'arrive pas à rester ici sans rien faire.
Moi non plus ! Où es-tu ?
Dans les bois, près du grand frêne.
J'arrive !
Dix minutes plus tard, elle était arrivée. Néanmoins, aucun des deux ne savaient que faire. Une question restait de plus en suspens.
" Mais où sont Xaphania et Titiel ?
- Ils étaient chargés d'éliminer les Invokateurs...
- Qui sont...?
- Au fond du camp des Mages, sur des piliers, à droite des Incantateurs.
- On y va."
Ce n'était ni un ordre, ni une supposition, mais une affirmation. Ensemble, ils traversèrent les bois pendant que les échos de la bataille résonnaient comme de cris d'outre-tombe.
Laetitia était seule, et caressait les pendants de son Leveinard.
Souhaitons-leur bonne chance.
Ils en ont bien besoin...
Leveinard concentra toute son énergie chanceuse.
Mais que pouvons-nous faire ?
Toujours la même question... Que faire ? Que faire quand la mort vient, quand le destin frappe à la porte ? Faut-il agir ou laisser faire ? Tuer ou être tué ? Je ne peux rester ici pendant que d'autres risquent leurs vies.
Alors...?
Nous n'avons pas besoin d'être présents physiquement...
Certaines personnes ont le pouvoir de séparer leur âme de leur corps, comme dans un rêve, et de se contrôler à volonté. Et, bien sûr, Laetitia en faisait partie. Elle suivit Kilika et Irulean, et remarqua un Mage caché dans les fourrés. Une boule de feu et ce fut fini. Elle était contente d'avoir pu faire quelque chose. Mais elle était si faible, alors qu'eux risquaient leur vie. Que faire ? Elle n'arrivait décidément pas à se décider.
Kilika et Irulean arrivèrent finalement de l'autre côté de la forêt, ayant croisé sur le passage le corps d'un Mage mystérieusement carbonisé. Devant les deux jeunes s'étalait un lieu de dévastation. Tout avait été soufflé par une explosion thaumique d'une ampleur rare. Tout les soldats et le dernier Invokateur avait été tués sur le coup, et les corps de Xaphania et Titiel gisaient inanimés sur le sol.
" Ne me dit pas qu'ils sont... Oh non !"
Elle s'agenouilla auprès de leurs corps, et les larmes lui montèrent aux yeux.
Irulean, écoute-moi !
Laetitia ?
Tu peux encore faire quelque chose ! Moi je suis trop loin ! Concentre-toi, et guéris-les !
La jeune Oracle prit une inspiration profonde et se concentra. Elle fusionna avec Metsu et des jets blancs coururent sur les corps, et s'écrasèrent sur la terre calcinée, faisant pousser des anémones.
Irulean, concentre-toi ! Si tu n'y arrives pas, ils mourront !
Kilika assistait au spectacle, impuissant.
Dépassant ses peurs, Irulean et Metsu réessayèrent. Elle se concentra au maximum et des jets blancs roses sortirent de ses mains et entourèrent les corps, pour leur offrir les soins dont ils avaient tant besoin.
" Tu as réussi ! " s'exclama Kilika.
Les deux Kushanas ouvrirent lentement les yeux et reprirent conscience.
"J'ai bien cru que c'était ma dernière heure... soupira Titiel.
- Mais vous nous avez sauvés... Merci."
Les quatre s'embrassèrent, et repartirent vers la base.
Le soleil couchant embraisait les corps d'étranges couleurs. Les rayons ambre et rubis faisaient briller les armes brisées une dernière fois, avant de s'éteindre dans l'obscurité. La bataille s'était arrêtée au moment où les premiers rayons du soleil avaient commencés à disparaître. L'Oracle et sa suite venaient juste de rejoindre le camp de l'Empereur. Ils pénétrèrent
dans la tente de commandement, où l'Empereur affichait une mine grave.
" Faites-moi vos rapports.
- Nous avons perdu environ 15 000 hommes, et un millier sont gravement blessés. L'ennemi a encaissé de lourdes pertes, environ une vingtaine de milliers de morts, mais très peu de blessés.
- Tout les Invokateurs ont été éliminés, déclara fièrement Titiel.
- Ainsi que environ un quart des Incantateurs.
- Oracle, avez-vous quelque chose à ajouter ?
- Oui... J'aimerais accomplir la cérémonie de l'Ascension sur les victimes de la bataille.
- Mais Votre Excellence, il y en a trop ! Cela prendra des heures...
- Je n'en ai que faire ! C'est mon devoir pour ces hommes, et je l'accomplirai.
- Si vous le souhaitez, les préparatifs seront finis dans environ une heure.
- Merci.
- Maintenant, vous pouvez tous disposer."
L'Empereur resta seul dans sa tente. Il se leva et contempla l'amas de métal de chair qui encombrait la plaine en dessous. L'Empereur Raphaël n'était pas un homme cruel, et il n'avait jamais voulu cette guerre. Mais il avait été forcé dedans. Ou presque. Une pensée traversa son esprit. Ai-je vraiment tout fait pour l'empêcher cette guerre ? Il est facile d'accuser le destin, mais y a-t-il toujours quelque chose que l'on peut faire ? Aurai-je pu empêcher ce carnage ?
Mais si le destin existe, et nous force dans ces situations, il ne donne jamais de réponses. C'est à nous de faire des choix. D'agir. Et Raphaël allait agir.
Quelque minutes plus tard, une autre session fut convoquée dans la tente de l'Empereur.
" Votre Excellence, les corps sont préparés, et dès que cette réunion sera terminée, vous pourrez accomplir la cérémonie.
- Merci.
- Mais une nouvelle plus grave nous attend. Nous perdons trop d'hommes dans une guerre qui n'a ni sens ni raison. Demain matin, nous nous replierons sur Galateia.
- Mais...! Votre Majesté...!
- C'est un ordre, capitaine !
- Soit... Néanmoins...
- J'ai dit que c'était un ordre !
- Oui, votre Majesté !"
Le crépitement des flammes bleues, le bruit de la soie mouvante , le fracas du sceptre de l'Oracle et le scintillement des étoiles dans la nuit noire se firent entendre jusque tard dans la nuit, laissant les hommes seuls dans leurs rêves, leurs cauchemars, leurs choix et leurs espoirs, et pour d'autres, leurs paradis et leurs enfers.