Chapitre 14 : Doux Parfum
Vassili avait l'air inquiet. Il me regardait sans cesse. Il osa finalement parler. Je fus étonné de voir que je pouvais saisir le sens global de ses pensées.
...............- Tu ne dois pas aller rejoindre la Migalos ? Elle t'attend, non ?
...............- Oui, en effet, je le dois. Je vais partir.
Je n'avais fait que parler, sans bouger. Manifestement, j'arrivais plus ou moins à comprendre, mais lui ne le pouvait pas du tout. C'était comme si je venais de lui répondre totalement à côté de sa question. Pour être plus clair, je reprenais avec des gestes. Je m'attendais à ce qu'il essayât de me retenir. Il ne le fit pas ; il me répondit seulement : « Alors je vais te raccompagner jusqu'à la forêt ». A ce moment, le soleil éclaira la cicatrice formée par la griffe de Coupe-Tout. Un vrai guerrier, cet humain !
Je remarquai tout de même une différence notoire. Pour le voyage aller, Vassili avait toujours quelque chose à me raconter. Au retour, il ne disait rien. Nous ne mangions certes pas beaucoup, mais la faim ne pouvait pas expliquer à elle seule son silence. Je voulus savoir s'il allait retourner avec ses amis humains après m'avoir ramené. Je ne parvins pas à faire passer une telle question. Je parlais, bougeais en vain. Vassili essaya de répondre au début, puis il abandonna, défaitiste. Il conclut par « Ne te fatigue pas, je ne comprends pas ». Je me posais bien des questions. Comment se faisait-il que je pusse saisir le sens de ses expressions et lui non ? Une dernière interrogation me vint à l'esprit. Comment les humains pouvaient-ils réduire les Pokémon en esclavage alors qu'ils étaient si faibles, si peu intelligents et avaient des sens si peu développés ? Mais Vassili n'était pas comme les autres.
Nous aperçûmes mon habitat en contre bas. Vassili me fit ses adieux, ne voulant pas approcher plus. Je compris enfin ce que signifiait un des gestes humains. Quand mon compagnon avait quitté les siens, il avait mis sa patte dans celle de son semblable. C'était une façon de se quitter, sans doute pour toujours. Il fit la même chose avec moi. Je me demandais un instant si je devais me sentir humain, ou si c'était lui qui transposait ses habitudes à la vie de Pokémon. Dynavolt avait l'air lui aussi peiné. Il me demanda seulement si je devais vraiment partir, mais quand j'acquiesçai, il n'essaya ni de me retenir, ni d'en savoir plus. Je pensais que tant qu'il restait avec Vassili, il se sentait encore en sécurité et heureux. J'avais un peu de peine de le quitter. Même si j'avais déjà fait mes adieux à tant d'autres Pokémon, cela restait toujours un moment désagréable. Heureusement, il ne serait pas seul. En tout cas, cette fois, j'étais bien rentré. Je ne risquais plus de croiser quelque chose qui pourrait me retenir. Je descendis, toujours caché, à l'affût du moindre bruit. J'allais bientôt savoir si j'étais à nouveau le bienvenu. Il ne me restait plus qu'à trouver Terreur-des-Hommes. Elle ne pouvait pas être bien loin.
Mon amie tant attendue finit par se montrer. Elle sortait seule des arbres. Je ne puis m'empêcher de penser qu'elle m'attendait. Une seconde, je m'imaginais qu'elle fût un appât pour me prendre en embuscade. Je chassais rapidement cette idée saugrenue. Jamais Terreur-des-Hommes n'aurait accepté un tel plan. Je me rendis prudemment à ses côtés.
...............- J'ai parlé à Protectrice-Colérique. Pour l'instant, tu ne pourras plus participer à des missions d'attaque, mais tu pourras rester là. Au moins, tu ne seras pas seul, tu pourras t'entraîner dur avec Nuit-Aveugle. Et puis, dans un moment, tu pourras reprendre tes actions. Elle te redonnera un poste de commandement quand cette histoire se sera tassée, j'en suis persuadée. Y en a pas deux comme toi !
Je sentais bien qu'elle me montrait son côté optimiste. Ne plus participer à des missions d'attaque signifiait « tu ne feras rien de tes journées ». Quant à « dans un moment », je ne devais pas m'attendre à moins d'un an...
...............- Merci. C'est gentil de ta part d'avoir tout arrangé.
...............- Les autres seront là pour te soutenir aussi. On ne te laissera pas. Tu verras, ce n'est pas si terrible, il y a beaucoup de choses à faire dans la forêt. Tu pourras prendre un peu de repos, tu dois bien en avoir besoin, après ces dix jours.
Elle avait bien perçu ma déception. Même avec tous les efforts du monde, je ne pouvais pas avoir l'air heureux. Depuis tout petit, toute mon activité, toute ma fierté même, résidait dans les combats. Si je ne pouvais plus me battre, je n'étais rien. Je n'avais pourtant pas beaucoup d'autres solutions. Comme le disait si bien la Migalos, un jour peut-être je pourrais reprendre du service. Je ne devais pas être si défaitiste. Terreur-des-Hommes trouva la seule réplique qui pouvait encore me réjouir.
...............- Si tu avais vu la tête de Malin-Fureteur quand elle a annoncé que tu pouvais revenir dans la forêt. Le fait que tu ne puisses plus combattre n'avait presque aucune importance à ses yeux. On aurait cru qu'il allait égorger notre maîtresse. J'ai trouvé ça tellement comique !
...............- Ah oui ! Tu as raison, j'aurais bien aimé le voir. Rien que pour ça, j'ai envie de rentrer dans cette forêt tout de suite. Allons-y !
La forêt n'avait pas autant changé que moi. Il était vrai que je ne l'avais pas quittée pour longtemps. Pour elle, ce n'était qu'un instant dans son existence éternelle. J'avais pourtant l'impression d'avoir vécu des années d'exil. Avant même de rentrer, je savais que beaucoup de choses seraient différentes. Pas tant à l'intérieur de ce lieu ; les Pokémon restaient ce qu'ils avaient toujours été. Ma vision avait évolué. J'avais du mal à me voir reprendre ma vie normale. J'étais perdu, en réalité. Je n'appartenais plus à aucun monde. Jamais je ne voulais vivre parmi les humains et perdre ma liberté. La certitude que notre bataille était juste m'avait pourtant quittée. Il restait pourtant un fait bien réel. Les humains nous tuaient. Mais pourquoi ? Je n'avais plus aucune réponse évidente aux interrogations que je balayais auparavant.
Je rentrais chez moi, mais le cœur n'y était pas. Coupe-Tout et le balafré vinrent me rendre une petite visite. Je restais toujours très évasif dans l'évocation de mes activités pendant ma période d'absence. Son évocation me mettait d'ailleurs assez mal à l'aise. La Rattatac m'avait apporté des baies, que j'avalais avec plaisir. Un tel cadeau de sa part me touchait. La nourriture était tout de même ce qui était le plus important à ses yeux, ou presque. Je ne pus pourtant m'empêcher d'avoir une pensée pour Vassili. J'espérais que Dynavolt serait assez grand pour trouver des baies comestibles. Il ne devait pas manger aussi bien que moi en ce moment. Cette pensée me coupait l'appétit. Je fis un effort pour ne pas le montrer et terminai ma part avec le sourire. Obscur-Balafré m'annonça qu'il se réjouissait de me revoir. Il était impatient de retourner se battre à mes côtés. Je ne répondis pas vraiment. Il ne souhaitait pas me blesser en disant cela. Probablement ignorait-il encore que j'étais interdit de combat.
Je fis un tour entre les arbres. Le lieu m'apaisait. Mais une idée m'obsédait. Je voulais aller rendre visite à Protectrice-Colérique pour savoir ce qu'elle pensait vraiment. Terreur-des-Hommes embellissait forcément la situation. Du moins, elle omettait sans doute quelques détails. Je ne voulais cependant pas m'imposer alors que je venais juste de revenir. La question se résolut d'elle-même puisque notre maîtresse demanda à me voir. Au moment de pénétrer dans son repaire, j'hésitais tout de même. Mes sentiments mêlaient curiosité et crainte. Elle pouvait me dévoiler bien des pensées désagréables et me poser des questions fort embarrassantes. J'entrai. J'eus beaucoup de mal à poser ma voix.
...............- Vaillant-Rescapé. Que puis-je pour vous ?
...............- Terreur-des-Hommes m'a rapporté des faits bien différents de la version de Malin-Fureteur. Comme tu n'as rien démenti ni approuvé, j'aimerais bien avoir ta version des faits. Je jugerai de la conduite à tenir en fonction de ta version et des éléments que j'ai déjà en ma possession.
Rien n'était donc vraiment gagné d'avance. Terreur-des-Hommes ne l'avait pas vraiment convaincue de ma bonne foi. Elle me donnait seulement une chance de rapporter ma version. Si elle se trouvait à mi-chemin entre les deux qu'elle avait déjà entendues, sans doute m'accepterait-elle. Elle voulait surtout juger ma franchise, à mon avis. De ce point de vue, je pouvais comprendre l'optimisme de mon amie. Mon action n'était pas si terrible et elle me connaissait pour mon honnêteté. Relater les événements ne devait être pour moi qu'une formalité.
...............- L'humain qui m'a sauvé quand j'étais petit se trouvait parmi ceux à qui je devais tendre une embuscade. Je ne pouvais pas le tuer. Je l'ai poursuivi dans la forêt mais au moment d'en finir, je n'ai pas réussi.
...............- Ce n'était sans doute pas la meilleure chose à faire, autant pour toi que pour nous. Tu as perdu bien de la crédibilité dans cette forêt. Je comprends néanmoins ton geste et ne puis que respecter ton choix. Tu devras te soumettre au mien pour rester. Aucune mission qui te mettrait face à un humain jusqu'à nouvel ordre pour toi. Et je te demande de bien vouloir accepter que tu sois toujours accompagné de Feu-Précis ou de Pierre-Montagneuse. Je préfère m'assurer que tu ne corrompes pas les Pokémon et aussi, les humains pourraient t'en vouloir. C'est une simple mesure de sécurité. Je suis sûre que tu nous es fidèle. Je ne peux pourtant pas risquer l'avenir de notre forêt. J'ai juste une petite question, une simple curiosité de ma part. Qu'as-tu fait pendant que tu n'étais pas là ?
Elle ne me faisait donc pas vraiment confiance. Les certitudes qu'elle prétendait avoir sur ma loyauté n'étaient pas réelles. Elle voulait seulement que je restasse en confiance. Me faire accompagner en était bien la preuve. Elle ne pouvait bien sûr pas partager ses soupçons avec moi. Je ne pus m'empêcher de croire que la réponse à la dernière question lui était déjà connue. Un autre Pokémon m'avait forcément aperçu avec Vassili. La façon dont elle l'avait posée ne me laissait pas le moindre doute. Je ne savais pas vraiment quoi dire. Je ne devais pas avoir l'air gêné, je devais répondre immédiatement. Si je mentais et qu'elle était au courant, je ne pouvais même pas imaginer quelles en seraient les conséquences. De toute manière, je ne savais pas mentir. A cet instant, j'enviais presque Malin-Fureteur. Il aurait pu dire n'importe quoi sans que cela se vît.
...............- L'humain en question a été lui aussi chassé de son groupe, je crois bien. Nous sommes restés ensemble ces quelques jours.
...............- C'est une situation difficile pour toi. Tu as réussi à vivre avec lui ?
...............- Cela n'a pas été simple, en effet. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je préfèrerais ne pas en parler tout de suite. Je pourrai répondre à toutes vos questions plus tard. Je vous demande juste d'attendre un peu.
...............- Fort bien. Je te ferai revenir de toute façon. Tu auras alors tout le loisir de m'apporter des réponses à ce moment.
Cette fois, je ne savais vraiment plus quoi penser. Elle avait l'air de me comprendre et pourtant, je trouvai que toutes ses remarques avaient un air sarcastique. Pendant un moment, je me demandais si je ne me faisais pas des idées, étant persuadé de ne pas vraiment être le bienvenu. Notre maîtresse avait toujours été fiable, ce qui me rassurait un peu, malgré toute l'ambigüité que je voyais dans son questionnement. Je me dis qu'il fallait que je me préparasse à répondre à toute sorte de demandes saugrenues de sa part dans les quelques jours à suivre. Je devais pour cela trouver des explications logiques à bien des faits. Le retour à ma vie d'avant risquait d'être encore plus difficile que d'en sortir. J'étais tout de même soulagé de pouvoir enfin me poser. Si Protectrice-Colérique me disait que je pouvais rester, elle ne me tendait pas un piège. Elle pouvait se poser des questions à mon sujet, mais elle ne risquait pas pour autant de me faire du mal en cachette. Elle me faisait surveiller, cela lui suffisait amplement. Elle savait aussi que je ne pouvais rien tenter tant que j'étais seul.