2 - L'aventure commence ici
Ils arrivèrent un petit quart d'heure plus tard à la lisière de la première colline. Certains, comme Albin Michel – le fayot de la classe – étaient essoufflés, et d'autres, comme Punky et Jung, ne ressentaient pas le moindre symptôme de fatigue.
-Bon, nous y voilà, les enfants. Je veux que vous veniez chercher une carte, une boussole, et un linéon chacun. Les linéons ne connaissent pas le chemin du retour et ne servent qu'au combat, alors partez à plusieurs si vous ne savez pas vous servir du matériel de repérage. En revanche, je ne vous conseille pas de partir à plus de deux, vous risqueriez d'effrayer les pokémons timides, qui sont aussi les plus rares. Mais cela n'engage que moi, faites comme vous voulez !
Les trois compagnons se rassemblèrent en cercle.
-Bon, qui de vous deux sait lire une carte ? demanda Punky inquiète.
-T'as pas plus simple, comme transformer Albin en racaille par exemple ? répliqua Jung sur un ton agressif.
-C'est sûr que tu serais la seule à pouvoir le faire, admit Antonio en gloussant.
-Fais gaffe à tes dents, Jung ! rappela Roxanne sur un ton autoritaire.
Ce ton lui avait permis de tenir son amie en laisse pendant des année. C'était celui qu'employait son père quand quelque chose le contrariait, et ceux qui l'avaient entendu préféraient l'éviter au maximum. Min Jung se renfrogna donc, retenant une insulte.
-Tu sais le faire toi, Anto ?
-Ben j'ai jamais essayé, mais ça doit pas être bien dur... Si ?
Le trio était dans une impasse. Aucun d'eux ne savait se servir d'une boussole ou d'une carte. Il leur faudrait un quatrième compagnon, mais toutes les équipes semblaient formées.
-Bon, tout le monde a un guide dans son groupe ? demanda monsieur Levollet.
-Non, m'sieur ! Ils savent pas se servir du matériel, les trois là bas ! rapporta Albin en les pointant du doigt.
-Cafard ! cria Jung qui résistait à l'irrésistible envie de le frapper.
-Allons, du calme Min Jung ! On va vous trouver quelqu'un qui sait, dans ce cas.
-Lui là bas, il est tout seul, ça veut dire qu'il sait ! dit l'élève exemplaire en pointant Vangh du doigt.
-Cafteur ! Espèce de pourrit ! jura Vangh à son tour, plein de haine envers ce petit fouineur.
-M'sieur, le zombie m'a insulté !
-J'vais t'apprendre à me balancer gros cafard ! hurla Vangh en lui donnant un coup de poing sur la joue.
Tout le monde inspira bruyamment, sous le choc de ce geste inattendu. Le pauvre Albin tomba à la renverse, et heurta le sol en gémissant.
-Ça va Albin ? demanda monsieur Levollet et s'agenouillant à ses côtés.
Albin se contentait d'essayer de retenir ses larmes, sans y parvenir. Vangh tremblait et respirait bruyamment. Il ferma les yeux et se concentra. Ses tremblements cessèrent, sa respiration et son pouls ralentirent peu à peu. Il retrouva rapidement son air serein et nonchalant.
-Vangh... Je ne te croyais pas comme ça... Tu sera puni en rentrant, mais pour l'instant je crois que vous devriez vous tenir éloignés l'un de l'autre, objecta le professeur.
-Tu verra, sale zombie ! cria Albin à travers ses larmes. Tu verra, un jour je serai plus fort que toi ! Un jour, tu regrettera ce geste !
Même si ce petit discours semblait ridicule venant de la bouche de l'élève détesté de tous, personne ne se moqua. Il l'avait dit avec une telle rage et une telle sincérité que l'on ne pouvait qu'y croire. Vangh n'était pas du tout impressionné. Sa famille comportait des membres bien plus effrayants que ça. Il venait d'une puissante famille, où plusieurs clans s'étaient unis. La Team Magma, et la Team Rocket.
-Vangh, va avec Roxanne et les autres, ordonna calmement monsieur Levollet tandis qu'il aidait Albin à se relever.
L'adolescent s'exécuta sans un mot. Il estimait avoir assez désobéi pour une journée. Le trio le regardait à la fois avec étonnement et admiration. Personne n'avait jamais frappé Albin devant un professeur. Ayant remarqué qu'on le regardait, il dit sèchement :
-Vous voulez ma photo bande de nases ?!
Les regards passèrent au mépris.
-On voudrait pas casser un appareil photo, répliqua Punky sur le même ton.
-Essaye de retourner l'objectif pour voir, l'appareil sera soulagé de ne plus te voir.
Des éclairs auraient pu sortir de leurs yeux s'ils avaient étés des personnages de dessins animés. Chacun fusillait l'autre du regard, mais Vangh était seul contre trois.
-Bon, si quelqu'un a quelque chose à dire, c'est maintenant, annonça le professeur.
Comme personne ne répondit, il ajouta :
-Dans ce cas, que la capture commence !
Les adolescents partirent à travers les buissons en criant de joie, mais seuls deux d'entre eux restèrent sur place.
-Des idiots n'est-ce pas ? demanda Vangh.
-Je te le confirme, répondit Albin.
Le trio courait à grandes enjambées entre les arbres et les buissons. Punky finit par s'asseoir sur un rocher au bout de cinq cent mètres, la respiration bruyante. Antonio s'assit sur une souche d'arbre, et Min Jung directement par terre, au milieu des aiguilles de pins.
-Enfin on y est ! s'enthousiasma notre héroïne.
-Ouais, c'est maintenant que les choses sérieuses commencent ! acquiesça Antonio.
-Euh... Les mecs ?... Où est le cloporte ? demanda Jung.
-Il est... pas avec vous ? s'étonna Punky.
-Ben non, sinon on te l'aurait dit ! répliqua Antonio.
En effet, leur guide ne s'était pas mis à courir comme les autres. Punky regarda autours d'elle. Elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle se trouvait. Son visage pâlit soudain.
-Bon... Qu'est-ce qu'on fait alors ? demanda-t-elle en essayant de garder son calme.
-On devrait retourner sur nos pas non ? proposa Antonio.
-Mais on a forcément pris des virages ! cria Jung.
-Alors, les lopettes, vous me cherchez ? demanda une voix derrière Punky.
Cette dernière put constater en se retournant que c'était Vangh. Antonio tenait farouchement le bras de Min Jung qui ruminait des insultes et mourrait d'envie de casser quelques dents de ce « Petit cloporte », comme elle l'appelait.
-Retiens-toi Jung !
-Lâche-moi, je vais écraser son petit pif d'insecte !
-Vous êtes partis comme des singes hirsutes avant même de savoir où aller, lança Vangh.
-ET TOI OÙ T'ETAIS ?! hurla Jung qui tentait de se défaire de la poigne de fer d'Antonio.
-Au lieu d'agir bêtement comme vous autres, j'ai regardé la carte pour voir quels endroits pouvaient abriter des pokémons forts. Soit vous me suivez sans traîner dans mes pattes, soit vous partez de votre côté. Je peux vous dire où se trouvent les bons endroits.
-Et pourquoi tu te montre si serviable ? demanda Punky qui se méfiait de lui.
-Mon but est de devenir le plus fort possible, pas de vous empêcher d'avancer.
-Je préfère de loin que tu te casse ! jura Jung sur un ton cassant.
Un long silence s'ensuivit.
-Dans ce cas, traînez dans les hautes herbes, vers là, dit-il en désignant un point sur sa carte. Il y a un tas de pokémons, mais ce ne sont pas les plus forts. Moi, je vais vers la Forêt Épaisse, les plus gros vivent vers là. Si vous voulez rentrer au campement, allez à l'Est. Je vous conseille de sortir vos linéons. Si vous vous faites attaquer, ils vous seront très utiles.
Il partit sur ces derniers conseils, passant entre Jung et Antonio, pour s'enfoncer dans les arbres et les feuillages. Personne ne dit un mot pendant une bonne dizaine de secondes.
-Bon, on fait ce qu'il a dit ? demanda enfin Punky.
-Ça va pas ou quoi ?! Tu veux qu'on aille là où ce prétentieux nous a dit d'aller ?!
-Ben en même temps, on n'a pas trop le choix, objecta Antonio.
-Ou bien on peut aller dans la forêt épaisse pour en trouver des plus forts, proposa notre héroïne.
-En dernier recours, précisa l'italien. Je veux pas aller là bas avant le deuxième jour au moins. S'il y a des pokémons forts là bas, ils doivent être aussi très dangereux. Je trouve qu'il est trop sûr de lui, même si je ne connais pas son niveau.
-Il fout rien en classe et ses notes sont excellentes, répondit Punky.
-On s'en fout de lui, non ? Allez, quoi ! On attend ce jour depuis des années et vous êtes là en train de parler d'un gros nase ! s'énerva Jung. Je propose que l'on aille où on veut toute la matinée et qu'on suive ses instructions cet après midi si on n'a rien trouvé. Ok ?
-Ça marche, acquiesça Antonio.
-Bonne idée, surenchérit Punky. On va vers le Nord ou vers l'Ouest ?
-Pourquoi pas le Sud ?
-Parce qu'au Sud il y a la ferme de mes parents, et que je voudrais pas tomber sur eux en pleine aventure.
-Au Nord, décida Jung.
En regardant la boussole, ils surent rapidement où se trouvait l'endroit qu'ils avaient choisi. Ils décidèrent au cours de la marche d'entourer l'endroit conseillé par Vangh, de barrer celui où il était allé, et de se diriger vers le Chêne des Cieux, le plus grand arbre des environs. Les pentes étaient raides et les graviers menaçaient de les faire tomber à chaque instant. Ils se retrouvaient parfois dans des creux très difficiles à remonter, et devaient descendre des sentiers encore plus rudes que celui qui menait à la ferme Desome. Ils avaient imaginés cette journée comme exaltante, mais il ne se passait rien, aussi avaient-ils décidés de laisser les linéons tranquilles pour le moment. Même Jung et Punky étaient fatiguées. Il leur fallut une bonne demi-heure pour atteindre les alentours de la colline où se dressait fièrement le Chêne des Cieux. Ici, ils sentaient la végétation plus dense, la faune plus animée, et avaient les sens en éveil. Ils décidèrent alors de ne plus quitter la route tant qu'ils ne seraient pas arrivés à destination. Chaque plante pouvait receler un danger. Le sentier coupa à travers un épais mur de feuillages, et le soleil ne filtrait pas à travers tellement il était recouvert. Le trio avançait doucement et précautionneusement, veillant à ne pas faire trop de bruit. Certaines plantes s'agitaient sur leur chemin, non sans éveiller leur crainte d'une attaque surprise. Un cri aigu leurs dressa les cheveux sur le crâne.
-On... On-on devrait sortir les linéons vous croyez pas ...? suggéra Antonio.
-Je-je crois, ouais, acquiesça Punky.
-Qu-quoi, vous avez p-peur ou quoi ? bégaya Jung.
-C'est p-pas le moment de se la péter Jung ! s'énerva Roxane.
Chacun d'eux sortirent les linéons des pokéballs sans un mot. Ces espèces de grands furets blancs à rayures marrons étaient des pokémons très rapides, très doués pour les sauvetages in extremis. Les nouveaux gardiens du trio reniflaient le sol sans arrêt, relevaient la tête au moindre mouvement, au moindre bruit, prêts à bondir sur tout mouvement d'agressivité. Soudain, il y eût du mouvement dans les feuillages au dessus d'eux. Les linéons se mirent en position, prêts à se battre, puis il n'y eût plus rien. Tout le monde resta immobile, regardant l'endroit attentivement, tentant d'y déceler une forme quelconque. Il y eût un soudain mouvement. Une chose, rapide comme l'éclair, venait de frapper le linéon d'Antonio qui demeurait paralysé, les yeux grands ouverts. Rien au monde n'aurait pu esquiver une telle attaque. Puis une liane, où était suspendu un dard, descendit doucement, très doucement derrière Jung, qui ne s'aperçut de rien. C'est Antonio qui s'était tourné vers elle qui lui avait crié :
-Derrière toi Jung !!!
C'est seulement avec ses réflexes de taekwondoïste qu'elle put attraper la liane avant de se faire piquer. Son linéon bondit aussitôt, et prit la liane entre ses crocs. Il tira de toutes ses forces, et réussit à faire tomber leur agresseur.
C'était un Empiflor d'un mètre cinquante de haut, brandissant son dard venimeux. Antonio, qui avait rêvé de ce moment pendant de longues années, sortit son pokédex de sa poche et brandit l'objectif de la caméra vers la créature. La machine, qui avait la voix du professeur Chen, dit exactement ceci :
Empiflor, pokémon carnivore de type plante et poison. Pokémon à l'effigie d'une plante carnivore aimant les feuillages denses et les endroits sombres. Se nourrit de toutes sortes de pokémons et même parfois des humains. Ils est capable de digérer ses proies pendant plusieurs semaines. Ses principales capacités sont « Dard Venin », « Fouet Lianes », « Ligotage », et « Para Spores ». Il est bien plus à l'aise quand il attaque, il est fortement conseillé s'enfuir quand on en croise un, ou de l'attaquer avant lui.
-Il me le faut ! s'exclama Antonio.
-Ton linéon est paralysé... lui rappela Punky qui était en extase.
-On obéit aux conseils de Chen ! clama la coréenne.
-Linéon, attaque Charge ! ordonna Punky.
Son linéon, qui se trouvait derrière l'empiflor, laboura le dos de la créature à coups de griffes, contrairement à l'ordre reçu.
-Je rêve ou il vient de faire un Combo Griffe ...? demanda Punky.
-TU PARLES D'UN PROTECTEUR !!! s'énerva Jung. MÊME PAS FOUTU D'OBEIR A UN ORDRE TOUT SIMPLE !
-Je crois qu'ils savent mieux que nous quelle capacité employer, objecta Antonio. Ils sont au niveau trente, et ne nous appartiennent pas.
L'empiflor se retourna, et reçut un nuage de sable dans les yeux. Cette cécité temporaire le déconcerta assez longtemps pour que le linéon de Jung puisse le charger. L'empiflor commença à prendre la fuite. Antonio lança une pokéball sans que personne ne s'y attende, mais le pokémon était déjà trop loin.
-J'ai loupé ma chance !
Son linéon commençait tout juste à pouvoir bouger une patte et à réussir à cligner des yeux. Antonio se jeta sur lui et l'aida à se remettre sur pattes. Le pokémon peinait à marcher, aussi les deux autres linéons tentèrent de le soutenir.
-C'est beau l'entraide, commenta l'italien.
-Tout le monde va bien ? demanda Punky.
-O-oui, m-mais on devrait s-se dépêcher, répondit Jung encore trembottante.
L'attaque fut violente et surprenante. Antonio s'inquiétait pour son linéon qui était victime de spasmes, Punky soucieuse pour le groupe ; cette attaque aurait pu leur être fatale. Jung, elle, n'était pas passée loin de la mort. Elle avait beau avoir un caractère bien trempé, seuls les barbares et les dépressifs ne craignaient pas la mort. Elle avalait sa salive, tentant d'humidifier sa gorge sèche. Elle peinait énormément à masquer sa frayeur.
Ils traversèrent finalement le sentier sans encombre, et purent voir le Chêne des Cieux de leurs propres yeux. Un arbre immense, d'environ vingt mètres de haut. Des pokémons oiseaux et insectes se promenaient sur ses branches robustes, la vie fusait dans ce gigantesque être vivant.
-J'avais entendue des rumeurs sur cet endroit, mais jamais j'aurais imaginé que ce serait aussi...
Roxanne ne put terminer sa phrase.
-... beau, compléta Antonio.
-Oui, voilà...
Derrière l'arbre, il y avait une falaise, un précipice. Ses racines s'étaient accrochées à ce bord de terre surélevé. Aucune plante ne s'était aventurée trop près de ce colosse d'écorce, laissant pousser l'herbe tranquillement, qui offrait un lac de verdure. Les vagues verdoyantes faisaient penser à la mer, poussées par l'agréable brise d'automne. On se serait cru au printemps. Le trio commença à marcher dans cette eau d'un vert saisissant, les cheveux flottant au gré des courants aériens. Ils se laissaient porter par leur curiosité, redevenant enfants un court instant.
Ils s'approchèrent du géant de bois, admiratifs, puis restèrent plantés devant lui sans oser aller plus loin. Quand Punky se décida enfin à poser la main sur son tronc, elle se sentit merveilleusement bien. Elle était en osmose, comme connectée à toute la vie qui circulait à l'intérieur.
-Ce chêne... est bien plus qu'un arbre...
Min Jung imita son amie, et ressentit exactement la même chose. Antonio fit de même, puis ils fermèrent simultanément les yeux.
Qu'est-ce qu'il est beau, Anto...