Chapitre 9 : Frustration
Je passai sans doute la nuit la plus désagréable de ma vie. D'abord, je dus trouver un lieu assez éloigné à la fois des Pokémon et des humains. A chaque bruit, je levais la tête, me demandant si je n'allais pas me faire attaquer. Je redoutais aussi de voir Terreur-des-Hommes apparaître avec de mauvaises nouvelles. Ensuite, je craignais le moment où je devrais rejoindre cet humain. Rester dix jours avec ce Vassili ne me faisait pas du tout envie. Je me demandais bien ce que nous pourrions faire ensemble. A mon avis, les journées suivantes ne passeraient pas beaucoup plus vite que cette nuit-là. Je n'osais même pas imaginer ce que seraient les nuits. Je ne pourrais jamais lui faire assez confiance pour espérer dormir. Pire, je ne finissais jamais de revivre en pensée les événements de la journée. Ils revenaient, inlassablement. La mort de Ténèbres-Ailées, le regard de cet humain, ma faiblesse et enfin mon bannissement tournaient en boucle dans ma tête. Je ne pouvais pas non plus m'empêcher de me demander comment la suite se serait déroulée si j'avais fait d'autres choix. En tout cas, je ne parvenais pas à me convaincre, malgré ce que m'avait dit Terreur-des-Hommes, que ceux que j'avais fait étaient les bons.
L'heure de partir pour la colline arriva alors que je n'avais pu fermer l'œil que quelques heures. Je me levai un peu vaseux. J'avais peur. Pas de l'humain, je n'avais jamais eu peur de mon ennemi, mais de l'inconnu. Cela me pesait tout le long du chemin. J'arrivais au lieu convenu le premier. Pendant un temps, je pensais qu'il avait abandonné son idée, à cause de son chef. Cela me satisfaisait d'ailleurs. Cependant, je vis sa silhouette se profiler sous le soleil levant. Il était à peine plus grand que moi, ce qui le rendait plutôt petit, pour un humain. Il se planta devant moi. A voir sa tête, il avait passé une aussi mauvaise nuit que moi. Je ne pus m'empêcher de penser que c'était bien fait pour lui. Sa plaie avait évoluée, le sang avait séché et s'était transformé en une croûte. Ca le rendait encore plus moche. Il me parla. Je ne comprenais rien. J'entendis seulement qu'il y avait de la compassion dans sa voix. Tant mieux pour lui, moi, je n'en avais pas !
Il me fit signe de le suivre. Je n'avais aucune envie qu'il décidât de l'endroit où il voulait aller. Je ne bougeai pas. Après quelques pas, il se retourna puis m'encouragea à le suivre. Je lui en voulais encore plus : je n'étais pas un de ces stupides Caninos. Je ne le suivrais pas en remuant la queue et attendant qu'il me donnât à manger ou me caressât. Comme il ne savait pas quoi faire, il s'assit à côté de moi. Il me dit encore quelque chose. Cette fois, c'était un reproche. Il n'avait qu'à garder ses ordres pour lui. Son ami lui avait bien donné un bâton à capacités, je ne m'étais pas trompé. Il le sortit. Il en retira une espèce de petite boîte noire et commença à y rentrer des objets pointus. Je le regardai avec une colère mêlée d'inquiétude. Je détestais ces choses. Il surprit mon regard et se mit à me raconter quelque chose. Il me montrait sa machine, la tournant dans tous les sens. Au fur et à mesure qu'il parlait, sa voix se nouait. Il finit par se taire. Il tourna légèrement sa tête pour que je ne pusse plus croiser son regard. Il pleurait.
Je commençais à désespérer vraiment. J'étais forcé de rester avec cet humain qui n'arrivait même pas à garder son sang froid. Je ne fis rien pour essayer de le rassurer. Quand j'en eus assez de l'attendre, je me levai pour partir. Il essuya ses yeux avec sa patte puis coinça son bâton à capacités dans une partie de sa peau amovible. Il se décida enfin à me suivre. J'avais à peine avancé qu'il m'apostropha. Il secoua la tête pour me dire qu'on ne pouvait pas aller par là. Mais pourquoi avais-je accepté l'idée de Terreur-des-Hommes ? Je me décidai finalement à prendre son chemin, puisqu'on ne pouvait pas faire autrement. Il devait avoir repris ses esprits : il me parlait tout le temps. Il faisait des pauses dans ses longs discours uniquement pour me montrer les chemins à prendre, qu'il me désignait avec sa patte avant. J'avais envie de le faire taire, mais je ne savais pas comment m'y prendre.
Les humains se déplaçaient à une vitesse incroyablement faible. Pire, il lui fallut faire une pause au bout de quelques heures de marche. J'en profitai pour chercher quelques baies dans les buissons. Au moins, j'aurais mangé. Lui, par contre, ne sortit rien. J'hésitais à lui rapporter quelques baies. Mais, après tout, il n'avait qu'à se débrouiller. Je ne lui avais rien demandé, moi, pour manger. Bien qu'il y eût un petit cours d'eau à quelques mètres, il but dans un récipient humain. Il se décida à repartir au bout d'une heure. Nous passâmes tout notre temps à marcher, lentement. La journée fut vraiment décevante, en somme.
Le soir arriva. Loin de tout, sans Pokémon feu pour éclairer, on allait bientôt ne plus pouvoir progresser. Il s'assit sur une pierre, à l'abri de quelques arbres. Il essaya encore de me parler. Cette fois, il accompagna son langage de signes, ce qui me permit de comprendre ce qu'il voulait. Il me désigna, puis se coucha. D'un geste lent, pour que je gardasse confiance, il sortit son petit bâton à capacités et se rassit sur son caillou. Il voulait monter la garde pendant que je dormais. Je ne souhaitais pas vraiment avoir à lui faire confiance ; il me fallait pourtant dormir. Je me couchai donc au pied d'un arbre. De temps en temps, j'ouvrais les yeux pour voir s'il n'avait pas bougé. Il avait simplement rentré sa tête dans ses épaules pour rester au chaud dans sa peau amovible, fixant l'horizon. Je mis du temps à trouver le sommeil.
Il faisait encore nuit quand l'humain posa sa main sur mon épaule. J'ouvris les yeux difficilement, après avoir si peu dormi. Il m'accompagna jusqu'à la pierre où il se tenait pour monter la garde. Sans doute ne me faisait-il pas confiance, lui non plus. Ce n'était pourtant pas pour cette raison. De grands rais de lumière zébraient le ciel, au Sud. Il m'expliqua encore quelque chose. Il ne comprenait pas que ces efforts étaient inutiles. Premièrement, je ne pouvais pas saisir le sens de ce qu'il disait. Et, même si j'avais pu, ses histoires ne m'intéressaient pas. Quand il comprit enfin, il alla prendre place là où j'étais auparavant pour dormir. Il devait être bien peu soucieux, puisqu'il me semblât qu'il s'endormît immédiatement. Je me sentais bien seul, abandonné et surtout, j'étais condamné à devoir veiller pour un de mes ennemis.
Je n'eus pas besoin de réveiller l'humain. Il sortit de sa peau amovible une nourriture rectangulaire, emballée dans une matière non comestible. Il y en avait deux morceaux. Il m'en tendit un. Les Pokémon se débrouillaient sans aucune aide depuis longtemps. Je n'avais pas besoin d'un humain pour me nourrir, encore une fois. J'ignorais sa proposition pour aller cueillir des baies. Nous commençâmes à marcher, à nouveau, comme la veille. Je sentais que ces dix jours allaient passer on ne peut plus lentement. Je ne voulais pas qu'on s'éloignât trop de la forêt, pour pouvoir retrouver Terreur-des-Hommes le jour venu. Je n'avais pas vraiment de soucis à me faire puisque nous avancions si peu...
Je m'arrêtai. Des humains et des Pokémon se battaient à proximité. Je l'avais entendu mais l'autre n'avait rien remarqué. Je savais déjà que les sens de ces créatures fonctionnaient mal. Je ne pensais pas que c'en était à ce point. Il remarqua enfin, après quelques pas, qu'il continuait tout seul à aller de l'avant. Je lui désignai de ma lame la direction des combats. Nous restâmes dissimulés dans les arbres tout en nous plaçant de sorte à observer. Trois Grahyéna, que je connaissais, affrontaient des humains du Nord. Je pensais à des représailles pour notre embuscade. Ca m'étonnait beaucoup qu'ils ne fussent que trois Pokémon pour s'attaquer à sept soldats, surtout sur ce terrain. Ils ne pourraient jamais emporter la victoire. Dans un hurlement de douleur, un des Pokémon roula au sol. Quand le deuxième fut blessé, j'oubliais que j'étais devenu leur ennemi. Je me jetai hors de notre cachette pour me battre à leurs côtés.
L'humain tenta de me saisir. Il était bien trop lent pour y parvenir. A ma grande surprise, il me suivit mais il se déplaçait plus prudemment. Je me rendis compte de la bêtise que je venais de faire. C'était trop tard pour reculer, on m'avait vu. On allait utiliser une capacité contre moi. Au dernier moment, le Grahyéna encore indemne sauta sur celui qui m'avait pris pour cible. J'entendis qu'on utilisait un bâton à capacités dans mon dos. Nous étions encerclés. Il n'y avait plus aucune issue. J'attendais que la douleur se fît sentir. Ce fut pourtant un humain qui s'écroula. Je me retournai. Mon compagnon de route venait d'abattre un de mes ennemis. Je me débattais comme je pouvais. Je n'avais pas été habitué à faire équipe avec des utilisateurs de machine à capacités. J'étais perturbé par le son des attaques de mon partenaire de combat.
Le dernier Grahyéna encore en forme fut lui aussi touché à l'arrière-train. A ce moment, il ne restait plus que deux humains. Un courageux Pokémon se sacrifia pour sauver son compagnon. Il se jeta sur son adversaire au moment où celui-ci utilisait sa capacité pour l'achever. Le Pokémon ténèbres fut projeté en arrière par le coup, qui le transperça. Je profitai de la surprise pour en finir avec cet humain. Le dernier encore en course choisit sa cible : le dernier blessé. Il l'atteignit en pleine tête. Ce fut Vassili qui tua cet attaquant, juste après son tir. Pour ce faire, il avait ramassé le bâton à capacités d'un mort. Plus grand, il était bien plus efficace que celui qu'il avait auparavant. Il n'avait pas été obligé de s'approcher beaucoup pour l'utiliser, contrairement à la première fois qu'il avait attaqué.
Je jetai un coup d'œil derrière moi pour m'assurer qu'ils étaient tous morts. Il n'y avait plus d'ennemi. L'humain fouillait les cadavres. Il récupérait des objets que je ne connaissais pas du tout. Sans doute savait-il à quoi ça allait lui servir. Il faudrait d'ailleurs que je me méfiasse de lui à l'avenir. Il pourrait bien s'en servir contre moi. De toute manière, je gardais toujours assez d'attention pour espérer qu'il ne pût pas me surprendre. Quant à moi, je m'approchai des Grahyéna. Aucun n'avait l'air d'avoir survécu. Celui qui avait été transpercé en plein poitrail avait les poils couverts de sang. Il n'avait aucune chance de se relever. Le deuxième avait été touché en plusieurs endroits. Chacune des ses blessures prises séparément n'aurait pas été mortelle. L'accumulation était venue à bout de ses forces. Aucun Pokémon n'aurait pu survivre à de telles plaies. Le dernier touché restait en meilleur état. Sans trop d'espoir, je posai ma lame sur son corps dans l'espoir de sentir un mouvement. Je perçus un léger tremblement au moment où je le touchai. L'humain me rejoignit. Il posa la main sur la gorge du Grahyéna, ce qui lui valut un regard noir de ma part. Il répondit à mon mécontentement en secouant la tête. Il m'annonça que le dernier Pokémon était lui aussi parti rejoindre Darkrai. Il mit sa main sur mon épaule. Je supposai qu'il voulait me consoler. Je n'avais nullement besoin de lui. Je me dégageai rapidement.
Un Dynavolt apparut, arrivant par un coin boisé en face de nous. C'était encore un tout petit. Il courut vers le premier Grahyéna que j'avais inspecté, sans se soucier de nous. Avec son museau, il poussait le corps ensanglanté. Il se secoua, sauta de tous côtés. Enfin, il lécha copieusement le visage du mort, mordant même ses oreilles. Rien n'y fit. Il se tourna alors vers moi. Son regard exprimait le reproche, voire la colère.
...............- C'est toi, méchant Pokémon, qui a fait ça à mon papa avec ton humain, hein ? Réveille-le tout de suite !
...............- Non, ce sont ces humains-là, dis-je ne désignant les morts. Nous les avons tués, mais il était trop tard. Je suis désolé, gamin.
...............- C'est pas vrai ! Mon papa c'est le meilleur ! Il peut pas perdre contre des humains. Et lui, c'est un humain, donc il est pas gentil. Si tu es son ami, c'est que t'es méchant aussi !
Je ne savais pas comment expliquer. Un petit comme lui ne pourrait pas comprendre mon bannissement, encore moins ses raisons. Jamais je ne pourrais lui dire que j'étais forcé de rester avec cet humain. Pour que ce fût plus simple, je choisis une interprétation un peu erronée de la réalité.
...............- Je n'ai plus le droit de rester avec les Pokémon, parce que j'ai adopté cet humain. J'ai décidé de le rendre gentil. C'est un peu comme un espion, tu comprends ? Ensuite, quand il sera bien dressé, je pourrais retourner parmi les Pokémon.
...............- Mais c'est pas possible ! C'étaient les humains qui capturaient des Pokémon. C'est pas l'inverse, tout le monde sait ça !
...............- Mais si, tu vois bien qu'il ne nous attaque pas ! S'il avait été méchant, il aurait déjà utilisé ses pouvoirs. Regarde, il a son bâton à capacités et il ne s'en sert pas !
L'humain avait compris que c'était un bébé Pokémon et semblait lui aussi attendri. Il s'approcha de lui, la main en avant. Il voulait sans doute caresser le petit. Je voulus le pousser avec ma lame. Je n'avais pas prévu que le gamin remarquât mon intention. Le Dynavolt lança une décharge électrique en criant « Méchant humain ! » pour le repousser. Comme il n'était pas très puissant, ce Vassili sursauta seulement et fit un petit bond en arrière. Je souris. Il me plaisait bien, le gamin. Rien que pour cela, je regrettais la mort de son père, même si elle me préservait de bien des problèmes avec les Pokémon...