1 - Le calme avant la tempête
Il n'osait même pas essayer de savoir depuis combien de temps il patientait allongé sous ce buisson. Il connaissait par cœur le nombre et la position des épines, en particulier celles qui pointaient toutes proches de son visage. Tout son corps le faisait souffrir, et son affreuse envie de soulager un besoin naturel n'arrangeait rien. Etalé dans l'herbe humide de rosée, il frissonna ; ses vêtements, bien qu'épais, ne l'abritaient plus du froid et de l'humidité du sol. La forêt dense commençait à se réveiller, mais les chants des oiseaux ne compensaient que partiellement l'attente interminable de la nuit. Ses paupières commençaient à se fermer toutes seules, malgré les timides rayons de soleil qui pointaient à travers les frondaisons. Il essaya de s'étirer discrètement. Pas question de se faire repérer alors qu'il était si proche de son but !
Un mouvement léger attira soudain son regard. A une dizaine de mètres devant lui, à l'entrée de cette grotte sur laquelle il avait veillé toute la nuit, pointait une petite tête dorée qui observait attentivement les environs. Ses yeux semblaient encore endormis, et son pelage tout ébouriffé. Il bailla ostensiblement plusieurs fois et s'étira.
Lui au moins il a dormi cette nuit.
Son observateur discret pu alors l'observer à loisir. Facilement reconnaissable même par des dresseurs débutants, le Goupix devant lui n'en était pas moins exceptionnel. Son magnifique pelage doré scintillait à la lumière du jour et rendait le paysage terne à côté de lui. Son unique queue frémissant d'impatience, il bondit sur une proie imaginaire et se roula dans l'herbe humide, son corps couvert de gouttelettes d'eau illuminant la petite clairière.
Enfin l'attente ne se révélait pas vaine. Il dégaina d'un mouvement vif son appareil photo, profitant du murmure du vent dans les arbres pour cacher les bruits de frottement de sa veste. Il fixa le zoom, et porta l'appareil à ses yeux.
L'instant semblait magique. Le jeune renard ne pouvait avoir que quelques jours, puisque sa queue ne s'était pas encore divisée. Alors qu'en règle générale, les adultes ne laissaient les petits sortir qu'au bout de trois à quatre semaines, celui-là semblait déjà avoir pris goût à l'aventure. Il zooma, puis mitrailla le bébé sous tous les angles. Avec ces clichés, plus aucun moyen de douté de son existence !
Il élargit ensuite le champ de l'appareil ; la clairière, illuminée de soleil et de l'éclat du petit renard, semblait venir d'un autre monde. Il prit également plusieurs clichés de ce spectacle en se promettant intérieurement de faire développer ces photos chez un professionnel, quitte à payer le prix fort.
Un mouvement à l'intérieur de la grotte attira soudain son attention : La femelle Feunard qu'il pistait depuis des jours daignait enfin se montrer. Blanche comme la neige, ses yeux bleus scrutaient les environs d'un air inquiet. Elle était connue dans la région. Les paysans du coin la surnommait la veuve blanche, et l'apercevaient parfois au détour d'un sous-bois. Cependant, cela faisait quelques mois que la belle ne donnait plus de nouvelles et l'on commençait à penser qu'un dresseur mal intentionné avait pu la capturer.
Ces suppositions étaient maintenant démenties : la renarde avait mis bas d'un magnifique petit à la robe dorée, qui sans nuls doutes entrerait lui aussi dans le folklore local dès que la nouvelle circulerait.
Le ciel commençait à se couvrir, et le vent forcit. Il prit encore quelques clichés du Goupix et de sa mère, puis rengaina son appareil alors que la jeune maman et son petit rentraient s'abriter.
Ravi de vous avoir rencontrés, prenez soin de vous...
********************************
Il courait sous la pluie battante. En à peine un quart d'heure, le ciel si radieux de ce début de matinée s'était transformé en un champ de bataille entre les énormes nuages noirs, les éclairs et le tonnerre rugissant. Le chemin du retour s'était effectué en grande partie sous le couvert protecteur de la forêt, mais maintenant à quelques kilomètres du village il était à la merci des éléments déchainés. Il courut encore jusqu'à atteindre les premières maisons, puis s'engouffra sous le auvent d'une boutique de vêtements. Ici, il était au moins à l'abri de la pluie, même si les bourrasques de vent le faisaient grelotter. Il était dans un sale état. Son pantalon déjà humide ce matin tenait plus de la serpillère que du vêtement à proprement parler, ses chaussures de marche à l'origine rouges semblaient avoir été repeintes en marron et il n'osait imaginer la couleur de ses chaussettes. De la même façon, son pull et son écharpe pendaient mollement sur ses épaules. Il avait sacrifié à son confort pour protéger son précieux appareil photo et avait enroulé sa veste imperméable autour de son sac bandoulière.
Il se tourna vers la vitrine et fut surprit d'y voir son reflet. Le garçon qui se tenait devant lui posa ses yeux noisette sur lui, le détaillant d'un regard las. Il essaya tant bien que mal de recoiffer ses cheveux châtains complètements trempés, puis renonça.
Eh ben, mon vieux, on dirait que t'as plongé dans le Lac Colère !
Le vent s'apaisant, il décida de tenter un dernier sprint vers le Centre Pokémon, à quelques rues de là. Il calla sa précieuse sacoche sous son bras et courut à travers le village déserté par un temps pareil, tentant d'éviter les flaques de boue et écartant régulièrement ses mèches de cheveux détrempées de ses yeux.
Enfin, dans un dernier élan, il se rua à l'intérieur du bâtiment. Il posa ses mains sur ses genoux et reprit son souffle bruyamment, avant de regarder autour de lui. Le Centre Pokémon était désert et pas un bruit ne venait troubler le silence, hormis la pluie qui s'abattait dehors. Sur le comptoir d'accueil en face de lui, un Noarfang aux plumes grisonnantes se tenait posé sur un petit perchoir. Il ouvrit lentement un œil et le posa sur lui, avant de le refermer et d'enfouir sa tête sous son aile. L'entrée fracassante d'un jeune garçon complètement trempé l'avait à peine étonné. A gauche, les ordinateurs habituellement pris d'assaut par les dresseurs étaient éteints, probablement par précaution à cause de l'orage qui grondait encore à l'extérieur.
La propreté des lieux lui sauta aux yeux, et il resta à dégouliner d'eau et de boue pendant encore quelques minutes avant de ce rendre compte qu'on l'attendait. Une pile de serviettes était négligemment posée sur un dossier de canapé à droite de l'entrée, ainsi qu'une enveloppe à son nom. Il essaya d'essuyer tant bien que mal ses mains sur ses vêtements, prit l'enveloppe et l'ouvrit.
Cher Will,
Etant donné que tu n'a rien écouté de ce que je t'ai dit ce matin à propos de l'orage annoncé, et que si je suppose bien tu es maintenant en train de transformer le hall d'entrée en piscine pour Tadmorv, je te conseil FORTEMENT (et permet-moi d'insister) d'enlever toutes tes guenilles et d'utiliser les serviettes mises à ta disposition avant de faire un pas de plus. Il apparaîtrait en effet vraiment dommage que ta carrière s'arrête à cause d'un bras en moins, simplement parce que tu te serais baladé dans mon Centre Pokémon avec tes vieilles loques puantes et crasseuses.
Avec ton mon amour, ta sœur adorée
Lily
PS : Je serais de retour ce soir, et j'ose espérer que tu te seras lavé avant et que tu auras nettoyé également le hall...
Will reposa la lettre et s'empara de la pile de serviettes en poussant un soupir, un sourire flottant sur ses lèvres. Il n'avait qu'une envie : mettre ses photos de la matinée sur son ordinateur afin d'être sûr qu'elles étaient bien réelles, et que cette rencontre en forêt n'était pas le fruit de son imagination. Il ne pouvait s'empêcher d'en douter, malgré les griffures qu'il avait récoltées en s'extirpant du buisson épineux sous lequel il avait passé la nuit. Néanmoins, sa sœur le tuerait vraiment s'il restait dans cet état. Il se déchaussa donc et de déshabilla dans le hall, un peu intimidé par la présence de l'oiseau assoupi, et traversa en caleçon la grande salle vide où les dresseurs se regroupaient habituellement pour discuter de leur dernier match. Il se faufila jusque dans sa chambre à l'étage, où il y déposa son précieux appareil après s'être assuré qu'il était en parfait état.
En passant la porte de la salle de bain, un frisson lui parcouru le dos. Il se retourna, persuadé que quelqu'un l'observait, mais ne vit que sa petite chambre impersonnelle aux murs blancs. Son appareil, posé en évidence sur le vieux bureau sous la fenêtre, était le seul indice indiquant qui occupait cette pièce. Se moquant de lui-même pour avoir cru que quelqu'un l'espionnait, il fit demi-tour et s'enferma dans la salle de bain en claquant la porte.
Un petit Sabelette sortit de sous le lit. Il sauta souplement sur le bureau, et s'empara de la dragonne de l'appareil photo.