Chapitre 7 : Poursuite
Je commençais à avoir des démangeaisons dans tous les muscles. L'attente sans bouger était pénible autant physiquement que psychologiquement, d'autant plus que je ne cessais de penser à Ténèbres-Ailées. J'essayais de contracter un peu mon corps de temps en temps, discrètement, pour rester prêt à bondir le moment venu. Des bruits commencèrent alors à se faire entendre. Cette fois, ils arrivaient. Un humain, seul, passa devant notre cachette. A le voir observer attentivement chaque détail du paysage, je devinais qu'il était leur éclaireur. Obscur-Balafré m'interrogea du regard. Il brûlait d'envie de lui sauter dessus. Je secouai la tête. Il fallait attendre que tout le groupe fût ici. S'ils nous voyaient attaquer, ils auraient largement le temps de prendre leurs dispositions. J'ignorais à quelle distance de nous ils se trouvaient pour l'instant. Dans tous les cas, elle était suffisante pour qu'ils nous abattissent tous avant que nous fussions assez proches pour riposter.
L'humain était passé sans nous voir. Nous retenions tous notre souffle. Il ne nous restait plus que quelques minutes avant l'attaque. Je me risquai à monter un peu la tête pour surveiller l'éclaireur. Quelque chose attira son regard. Il fit signe à ses compagnons de stopper leur progression. C'était maintenant ou jamais. Si nous attendions ne serait-ce qu'une fraction de seconde de plus, ils seraient prêts à nous recevoir. Ils ne s'attendaient peut-être pas encore à une embuscade. Je ne pris même pas le temps de prévenir mes amis. D'un coup, je bondis hors du talus. L'éclaireur tomba lourdement sur le sol sans avoir fait le moindre geste. Ces humains étaient rapides, pour des humains. Seulement, ils ne pouvaient rivaliser avec des Pokémon. Ils se jetèrent à couvert alors que nous étions déjà sur eux. Ils n'avaient que le choix de se battre ou tenter de fuir. Je ne donnais pas cher de leur peau dans les deux cas !
J'entendis que des ordres étaient donnés. Malheureusement, j'étais trop loin pour repérer le chef. Ils mirent en place une barrière, sous son commandement. Avec son bâton à capacités, un des humains nous empêchait d'approcher. Si nous voulions attaquer, il nous fallait faire le tour, nous plaçant à découvert. Ses compagnons passèrent ainsi derrière lui. A chaque dépassement, ils indiquaient leur traversée à celui qui leur offrait la couverture. Ils furent dans le fossé sans que nous ayons encore pu attaquer. Je ne pouvais pas encore être sûr de leur décision. Allaient-ils se battre ou fuir ? J'étais décidé à faire ce que je pouvais pour qu'ils choisissent la deuxième option. La mort de Ténèbres-Ailées avait changé la donne. Avant, je n'aurais pas eu de préférence. Cette fois, j'avais envie de me trouver face aux humains afin de pouvoir les exécuter en les regardant dans les yeux. Ils devaient avoir le temps de ressentir la peur. Une Cornèbre comme elle méritait une belle vengeance.
J'eus de la chance. Ils n'arrêtèrent pas leur course dans le fossé. Par bonds successifs, procédant de même, ils se rapprochaient de la ville. Je me demandais combien de temps ils mettraient à comprendre que le chemin qu'ils choisissaient était plus dangereux que de nous affronter. La réponse fut rapide, puisqu'au moment où l'idée me vînt, ils changèrent de trajectoire sur un nouvel ordre. Encore une fois, je ne réussis pas à voir d'où il émanait. Mon plan fonctionnait à merveille : ils s'engagèrent dans la forêt, signe de leur impuissance. Les arbres étaient pour eux la pire issue, je savais qu'ils en étaient conscients. Je me réjouissais de cela. Ce choix ne pouvait être qu'une tentative désespérée : ils commençaient à ressentir l'inquiétude. Pourtant, ils n'avaient pas de meilleure solution. A leur place, j'aurais sans doute fait la même chose. Ici, un humain aurait pu nous échapper, avec beaucoup de chance. Dehors, ils seraient tous morts. Nous nous séparâmes, comme il avait été prévu, pour limiter leurs échappatoires.
Je courrai à travers les arbres. La nature n'avait pas de secret pour moi. Il m'était donc bien plus aisé de me déplacer que les humains. Ils étaient très lents en comparaison de n'importe quel Pokémon dès qu'ils quittaient leurs nids, même les meilleurs d'entre eux. Alors pour un Insécateur, connu pour sa vitesse, les rattraper était un jeu de bébé Pokémon. Grâce à nos reconnaissances je savais quel chemin emprunter. Je pouvais contourner chaque arbre et ses racines le plus rapidement possible, tout en gardant en tête ma destination. Les traces laissées par les humains me sautaient aux yeux. J'avais pourtant un seul réel handicap par rapport à eux, dont je ne tardai pas à m'apercevoir, à mes dépends. A certains endroits, ils pouvaient utiliser leur bâton à capacités. S'adossant derrière un arbre, ils m'attaquaient. Je ne disposais quant à moi d'aucun moyen de les entraver à distance. Je ne pouvais donc rien faire, à part contourner toute position à leur portée. Ils profitaient de mes écarts pour conserver de l'avance. Derrière un buisson, un des humains pouvait couvrir la progression de l'autre. Ils s'échangeaient ensuite les rôles, rendant mes déplacements délicats. Ils pouvaient agir ainsi encore un bon moment. Je ne me sentais pas fatigué. Ils ne pourraient pas user de leurs capacités indéfiniment, tout comme nous. Une fois qu'ils auraient épuisé leurs possibilités, je n'aurais plus qu'à les arrêter.
L'un d'entre nous avait rattrapé nos proies. J'en étais quasiment sûr. J'entendais des cris d'humains. Ils utilisaient encore plus assidûment leurs bâtons à capacités. Je n'arrivais pas à localiser les bruits de luttes avec précision, malgré mes efforts. Je ne savais même pas lequel de notre groupe était face à eux. Je m'autorisai une pause de quelques secondes pour souffler. Ces humains m'avaient finalement fatigué en m'obligeant à courir. C'était sans doute pour cette raison que mes sens me faisaient défaut. Malgré mon état, je devais me forcer à continuer. Je ne pouvais tout de même pas laisser les autres se battre à ma place. Je fis donc un effort pour me concentrer sur les sons. La course avait repris. Ils passaient entre les mailles de notre toile, pour cette fois. Cela ne durerait pas. L'inquiétude commença à me gagner. Je ne distinguais rien à travers les branchages. Ils avaient peut-être abattu un de mes amis pour continuer à fuir. Surtout, il n'était pas facile de nous faire lâcher le morceau : leur fuite ne présageait rien de bon. Je parcourais du regard mon environnement à la recherche d'un indice, d'une trace de sang. Il n'y avait rien. Je tentai d'oublier les risques pour m'élancer une nouvelle fois à leur poursuite. Les pertes ne devaient pas m'arrêter maintenant. Il me fallait mener à bien cette mission. Je repartis en quête de nos proies, toujours aussi décidé à faire payer la mort de Ténèbres-Ailées au genre humain.
Finalement, ce fut Terreur-des-Hommes qui arrêta la première nos ennemis, alors qu'ils attaquaient encore. De loin, je la vis sauter d'un arbre avec agilité sur l'un deux, au milieu du groupe, tout en lançant des entraves sur les autres. Les humains n'osaient pas monter aux arbres dans les combats, étant de bien piètres grimpeurs. Aussi, ils ne s'attendaient pas vraiment à ce qu'on les poursuivît au dessus de leurs têtes. C'était une bonne idée pour les surprendre. Ceux qui restaient debout furent immédiatement bloqués par Toile. Voyant que l'humain sous le ventre du Migalos bougeait encore, j'accélérai pour lui venir en aide. Elle n'eut pas besoin de moi : d'un coup de dard, elle acheva sa proie. Autour, la panique prenait peu à peu les combattants. Ils se trouvaient face à un seul Pokémon, mais ne pouvaient pas riposter. Plus ils bougeaient, plus ils s'empêtraient dans les toiles. Nous devions nous dépêcher, pour agir avant qu'ils ne parvinssent à se libérer.
J'arrivai peu de temps après Terreur-des-Hommes, suivi par Obscur-Balafré. Mon amie avait bien fait de ne pas attaquer seule, même aidée par ses Toiles. Elle aurait pu se mettre en danger en laissant un des humains sans surveillance. Par des gestes menaçants, je fis comprendre à nos proies de lâcher leurs bâtons à capacités. Quand ils s'exécutèrent enfin, mon groupe était réuni. Nous entourâmes nos prisonniers. Ils n'étaient plus en état de nous faire de mal, nous prenions plaisir à marcher autour d'eux, ne les quittant pas des yeux. Obscur-Balafré me lançait des regards interrogateurs. Il attendait avec impatience que je donnasse l'ordre de les tuer pour leur sauter dessus. Malgré cela, je sentais qu'il se réjouissait autant que moi de les avoir à notre merci. Nous restâmes quelques minutes sans rien faire. Je voulais laisser la pression monter.
L'un des humains, le plus petit, me regardait avec plus d'insistance. Il gardait la tête parfaitement droite, me défiant presque. J'en conclus qu'il devait être le chef du groupe. Contrairement aux autres, dans les yeux desquels je pouvais lire, même bien dissimulée, de la méfiance, lui ne semblait pas effrayé du tout. Quand mon regard croisa le sien, je dus même me retenir de ne pas détourner le mien. Son visage était barré par une plaie de laquelle coulait encore du sang. La tache sur sa peau amovible s'agrandissait chaque fois qu'une nouvelle goutte y finissait sa course. Je reconnus la marque d'une griffe de Coupe-Tout. Elle l'avait touché de la tempe gauche au bas de la mâchoire, passant à un petit centimètre de sa bouche. Avoir résisté à l'attaque du Rattatac était déjà une bonne raison de me méfier de lui. Je m'approchai pour relever son défi.
L'humain plongea son regard dans le mien. Ses petits yeux, entièrement noirs, ne laissaient transparaître que de la détermination. Même en face de Protectrice-Colérique, je n'étais pas autant impressionné. Je me souvenais avec certitude avoir déjà vu des yeux comme ceux-là. Ils appartenaient sans doute à un Pokémon qui savait se faire respecter. Je n'arrivais pourtant pas à le retrouver dans mes souvenirs. Je ne pus d'ailleurs pas m'empêcher de penser que je ne me trouvais pas face à un humain. Il avait l'expression d'une créature farouche, courageuse et fière, le même que nos guerriers de la forêt. Pour faire baisser les yeux à ce combattant qui me mettait plutôt mal à l'aise, je le menaçai d'une lame, que je plaçai à la hauteur de son cou. Il se contenta de lever les pattes avant, ce qui lui demanda un effort considérable à cause des toiles, et dit quelques mots, que je ne comprenais évidemment pas. Son regard était encore plus franc qu'auparavant. Il y avait aussi de l'incompréhension ; ma réaction semblait le surprendre. Il me prit l'envie de le décapiter sur-le-champ. Pourtant, à ce moment, mes yeux se posèrent sur ses mains. La droite était recouverte de sang séché, d'un rouge poisseux. Elle avait probablement essuyé sa plaie. Il manquait une phalange à l'annulaire de sa main gauche. Son expression revint soudainement dans mon esprit. Il était le gamin qui m'avait sauvé dans ma jeunesse.
Obscur-Balafré ne tenait plus. Il hésita encore quelques secondes, la bouche ouverte puis lâcha enfin : « Chef ? ». Je ne répondis pas immédiatement. Mon honneur, ma morale me dictaient de rendre la pareille à cet humain. Mon devoir était pourtant de l'éliminer. Je jetai un coup d'œil au Medhyena. Il ne comprenait pas pourquoi j'hésitais. Moi non plus. Je réfléchis encore quelques instants. Puis, je me décidai enfin à lever ma lame, prêt à frapper. Mon bras commença à trembler. Je n'arrivais pas à m'imaginer entrain de tuer mon sauveur d'autrefois. J'étais comme paralysé. Plus rien ne répondait, ma tête restait inexorablement vide de toute pensée, de toute décision. Je ne parvenais pas à réagir. Ma future victime avait le regard interrogateur. Il semblait me dire : « Décide-toi ! ». L'issue de notre face à face ne paraissait pas l'inquiéter outre mesure. Le souvenir de la mort de mon amie aurait dû m'aider. Au contraire, il ne faisait que m'affaiblir. Le geste que je devais accomplir me dégoûtait encore plus après l'avoir vue mourir. Il allait faire de moi l'égal de ces humains. Je rabaissai mon bras, incapable d'en finir. J'aurais pu demander à un autre de le faire, mais je n'étais pas un lâche.
...............- On s'en va.
...............- T'es tombé sur la tête ou quoi ? s'enquit Obscur-Balafré, énervé.
...............- On s'en va, répétai-je d'un ton vide.
...............- Ca ne va pas ? demanda Terreur-des-Hommes, visiblement inquiète.
Manifestement, tous étaient décontenancés, Pokémon et humains. Je savais déjà que je venais de faire une erreur. Il aurait fallu que je vengeasse Ténèbres-Ailées, pas que je ressentisse de la pitié. J'avais du mal à m'expliquer mon geste. Je ne voulais rien dire aux autres maintenant. Je n'en n'avais pas le courage. Laisser la vie sauve aux humains représentait déjà trop d'efforts pour moi. Je m'en voulais déjà. J'adressai un regard discret à la Migalos, pour lui faire comprendre que je lui en parlerais plus tard. Je fis signe aux autres de partir immédiatement. Je lançai un regard en arrière vers l'humain qui me dévisageait, incrédule. Mon sauveur d'autrefois donna l'ordre de ramasser le cadavre de l'humain tué par Terreur-des-Hommes. Puis, il fit signe à ses combattants de partir et enfin, se tourna vers moi. Il me parlait, mais je ne pouvais le comprendre.
Terreur-des-Hommes se rapprocha de moi. Elle m'apprit qu'il me remerciait de lui avoir laissé la vie sauve, même s'il ignorait les raisons de mon geste. Elle n'avait pas compris tous les mots et détails, mais cela suffisait à saisir le sens. Je l'écoutais me donner une traduction approximative, très étonné. En guise de réponse, elle me souffla : « On a des choses à nous dire tous les deux, je crois... ». Le chef humain reprit son bâton à capacités au sol, ce qui provoqua le grondement d'Obscur-Balafré. Je le fis taire immédiatement. Je vis enfin ma proie disparaître dans les feuillages, avec le plus grand soulagement.