Chapitre 5 : Verrouillage
Le jour qui suivit l'annonce de ma future mission, je fis seulement part de notre objectif à mes compagnons. Je leur demandai simplement d'y réfléchir et de me livrer leurs éventuelles idées. Ainsi, quand nous viendrions réellement à planifier notre attaque, ils seraient déjà dans l'ambiance. Par expérience, j'avais remarqué qu'il valait mieux laisser un peu de temps avant de commencer à prévoir. Il fallait laisser le temps au problème de faire son chemin dans nos têtes. Cette journée-là, je l'utilisais en réalité pour garder un œil sur Malin-Fureteur. Je voulais m'assurer qu'il finirait par digérer ce qu'il voyait comme une injustice. Je me doutais bien que s'il continuait à essayer de semer la zizanie dans mon groupe, il finirait bien par y arriver. Il ne manquait jamais d'idées pour parvenir à ses fins. D'après mes observations, le Fouinar s'en était retourné à des occupations plus honorables. Je me sentais soulagé. Les soucis ne manquaient pas, il n'était aucunement nécessaire d'en ajouter avec des affaires de rivalités immatures.
Le lendemain, nous décidâmes, d'un commun accord, d'aller reconnaître le terrain. Nous allions donc passer la journée hors de la forêt. Chaque petit détail avait son importance pour une telle opération. Un aspect du terrain que nous n'aurions pas vu pouvait tout faire rater. Les nuages voilaient le soleil, ce matin-là. Il risquait de pleuvoir, ce qui était un réel avantage pour nous. Dans l'ombre, sous les précipitations, les humains ne voyaient plus rien. Alors que le temps n'avait que très peu d'importance pour nous. Nos sens étaient suffisamment développés pour ne pas être dérangés. C'est donc sous un ciel gris que nous nous mîmes en route. Ténèbres-Ailées s'agitait énormément à cause de l'absence de soleil. Quand il faisait trop beau, elle devenait d'une mollesse incomparable. Au contraire, dès qu'il n'y avait plus de clarté, elle débordait d'énergie.
Nous restions le plus possible à couvert, mais en quittant parfois notre cachette pour avoir une vue d'ensemble. Nos sorties ne duraient jamais longtemps, si bien que parfois, nous devions revenir plusieurs fois au même endroit pour avoir le temps de bien nous familiariser avec le terrain. Nous progressions tout de même relativement vite. J'espérais avoir un peu de temps dans la soirée pour me détendre. Je mourrais d'envie de passer quelques heures avec Nuit-Aveugle. Il aimait les défis autant que moi, ce qui en faisait un partenaire toujours volontaire pour un petit match d'entraînement. J'appréciais ces séances durant lesquelles j'avais l'occasion de combattre sans aucun enjeu. Nos rencontres se terminaient toujours par des félicitations des deux côtés. Il ne subsistait jamais de rancune entre nous. Si nous nous blessions, ce qui ne pouvait pas être toujours évité, le pardon était immédiat. De plus, nous avions un niveau suffisant pour nous donner des conseils mutuellement et ainsi progresser plus vite.
Nous étions en pleine discussion au sujet du mûrissement optimal d'une baie, lancé par Coupe-Tout, évidemment, quand deux jeunes Zigzaton nous accostèrent.
...............- Salut ! Dites, vous faites quoi dans le coin tous les six ? demanda le premier.
...............- Vous êtes des Pokémon de la forêt, non ? Pourquoi vous sortez ? interrogea le second.
...............- Fichez le camp, nous sommes en mission, rétorqua sèchement Obscur-Balafré.
...............- Une mission... Comme les héros, dans les légendes ? Vous allez rencontrer Célébi et disparaître dans le passé pour sauver le monde des Pokémon ? D'un coup, les humains vont s'envoler et vous serez les nouvelles stars ! On va parler de vous partout ! Ca doit être trop cool de faire ce que vous faites.
...............- Eh, mais avec la tête que tu as, tu as déjà dû réduire en bouillie des tonnes d'humains ! C'est à cause d'eux que tu as cette grande cicatrice ? Ca doit faire super mal sur le coup. Mais comme ça on voit que t'es un grand guerrier !
...............- Tu m'apprends quelque chose, s'il te plaît ? Montre-moi une capacité super cool qui marche à tous les coups. Un truc acrobatique où tu sautes quatre fois par-dessus l'ennemi et ensuite, tu le frappes en faisant un salto et puis il meurt sur le coup et puis tous les humains autour, ils sont paralysés. Ou alors, montre-moi comme tu cours vite... Dis, on fait la course ?
...............- C'est dangereux, là où nous allons, renchérit Terreur-des-Hommes d'une manière plus diplomate. S'il vous arrivait quelque chose, vos parents nous le mettraient sur le dos ! On a encore beaucoup de choses à faire. Allez courir un peu plus loin... Si vous persévérez dans votre entrainement, vous deviendrez de grands héros !
...............- Allez, s'il vous plaît ! Juste un petit truc.
Je voyais qu'Obscur-Balafré ne tenait plus. Si ce n'avait pas été des enfants, il les aurait fait taire à grands coups de morsures. Pour qu'ils nous laissent tranquilles, Terreur-des-Hommes et moi simulâmes un combat. Nous prévoyons les assauts de l'autre en utilisant le regard. Grâce à cette anticipation, nous pouvions réaliser nos capacités très proprement, de sorte que ce fût plus spectaculaire. Les petits Zigzaton laissaient échapper des « Oh ! » à chaque fois qu'un coup était porté. Finalement, je les trouvais bien sympathiques. Ils nous remercièrent avec chaleur pour notre démonstration. Même si pour nous, ce n'était pas grand-chose, ils ne le voyaient pas du même œil. Ils s'éloignaient déjà en se racontant ce qu'ils venaient de voir, comme si un seul des deux y avait assisté. En quelques phrases, nos attaques amicales s'étaient mutées en salves destructrices. Je souriais de les voir nous transformer ainsi en bêtes sanguinaires.
Coupe-Tout hurla soudainement : « Non, pas par là les enfants ! ». Elle se jeta en avant, sans prendre la peine de nous expliquer quoique ce soit. Elle attrapa les Zigzaton par le cou et les tira en arrière. Les deux jeunes criaient, se débattaient. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait. Nous non plus, d'ailleurs. Rattatac revint auprès de nous, sans lâcher prise. Elle nous expliqua, d'une voix forte pour couvrir les protestations, que les humains avaient posé des pièges dans cette zone. Elle avait aperçu une boîte, bien camouflée au bord du chemin. Elle avait l'œil pour ces choses-là et heureusement, parce que nous ne l'aurions pas remarquée sans elle. Je n'avais aucune envie de prendre les enfants avec nous pour les protéger. D'un autre côté, je m'en serais énormément voulu si je les avais laissé jouer dans un champ de pièges humains. Ils risquaient d'en mourir, ou d'y laisser une patte ou deux. Je leur proposai donc de faire un bout de chemin en notre compagnie. Mon invitation fâcha Obscur-Balafré qui ne dit plus un mot de toute la journée. Un vrai sans cœur... Mais nous l'aimions bien quand même.
Les gamins n'arrêtaient pas de parler. Pour les faire taire quand nous nous cachions, j'avais inventé la « compétition du silence ». Il fallait tout de même faire vite, car ils finissaient par éclater de rire. A chaque fois que je donnais un ordre, demandais des précisions, ils m'interrogeaient « A quoi ça sert, ça ? Pourquoi on fait ça ? C'est toujours comme ça quand vous faites des missions ? On rencontre bientôt des humains ? Vous allez bientôt les attaquer, parce que là, on s'ennuie un peu : y a que des cailloux... ». Au début, je m'efforçais d'apporter des réponses. Mais ils étaient insatiables. A peine j'avais terminé une phrase qu'ils enchaînaient déjà sur la prochaine question. Encore, quand je comprenais la question, c'était déjà un exploit : les deux parlaient toujours en même temps. Quelques fois, ils demandaient quelque chose de tellement incongru, qu'à notre tour, nous éclations de rire. Sauf le balafré, qui présentait une mine de plus en plus fermée à chaque nouvelle prise de parole de nos invités. Terreur-des-Hommes se chargeait de répondre à ces questions étranges. Elle trouvait toujours une phrase en accord avec la question, tout aussi farfelue. Je crois qu'elle me faisait autant rire que les petits.
Malgré la sympathie que m'inspiraient les Zigzaton, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'ils nous faisaient perdre un temps fou. Il fallait toujours les surveiller. Evidemment, pendant que l'un d'entre nous gardait un œil sur les deux agités, il ne repérait pas le terrain. Nous travaillions donc comme cinq Pokémon, au lieu de six. De ce fait, nous entreprîmes le chemin du retour assez tard. Finalement, il n'avait pas plu, mais le ciel s'était encore assombri. On y voyait vraiment très mal. Je bénis ce temps quand Ténèbres-Ailées, insensible à l'obscurité nous signala la présence d'humains. Dans ces conditions, je ne m'inquiétais pas du tout. Ils ne pourraient jamais nous voir à moins de se retrouver collés à nous, alors que nous les avions déjà repérés. Nous nous déplacions tout de même avec un peu plus d'attention. Contrairement à ce que j'aurais pu penser, les enfants qui trouvaient excitant de jouer les aventuriers, restèrent très calmes. Ils se vantaient mutuellement d'être plus silencieux l'un que l'autre. Ils prenaient notre déplacement très au sérieux depuis que nous leur avions annoncé l'arrivée des humains. Je regrettais de ne pas avoir inventé une histoire avant.
Soudain, il y eut une énorme explosion. La terre trembla sous nos pattes. Pendant quelques secondes, le temps s'était figé. Une immense colonne de poussière se souleva du sol à quelques dizaines de mètres de nous. Un Zigzaton s'était collé à Terreur-des-Hommes, l'autre avait attrapé la queue d'Obscur-Balafré. Passées les premières secondes de stupeur, le deuxième constata son erreur et lâcha prise immédiatement. Mon ami avait déjà commencé à grogner. Je lui lançai un regard sombre, pour lui faire comprendre qu'il devait se montrer plus agréable, surtout dans un cas comme celui-là. Le plus téméraire des enfants osa demander, d'une toute petite voix : « Qu'est ce qui se passe ? ». Tout en leur disant de rester derrière nous, je pris la décision de nous rapprocher, malgré la présence de nos ennemis. Au cas où cela tournerait mal, si cela devait arriver, je glissai dans l'oreille de Brûlant-Agité de prendre un petit sous chaque bras et de fuir, pendant que nous ferions face au danger.
Nous arrivâmes sur le lieu de l'explosion. Il y avait maintenant un cratère. Coupe-Tout restait aux aguets, toujours attentive à la moindre anomalie. Par réflexe, Terreur-des-Hommes posa deux de ses huit pattes sur les yeux de nos invités. Sur le sol, un corps, inerte, gisait. La peau de l'humain, calcinée, dégageait une odeur de viande brûlée. En y regardant de plus près, je constatai qu'il respirait encore faiblement. Ses flancs se soulevaient quasiment imperceptiblement, par petits à-coups. A chaque expiration, un léger sifflement sortait de sa bouche. Je m'approchais doucement, prenant mille précautions. Les plaies recouvraient son corps noir et ensanglanté. Certaines étaient profondes, d'autres, plus superficielles. Je ne m'aventurais pas à le mettre sur le dos. Je n'avais aucune envie de voir son visage, surtout s'il était dans le même état que le reste. D'un coup de lame, j'abrégeai ses souffrances. Il bougea une dernière fois, par réflexe, avant de rendre son dernier souffle. En regardant plus attentivement autour de moi, je remarquai que cette explosion avait causé au moins deux autres victimes. Seulement, celles-là n'avaient plus forme humaine. L'explosion avait éparpillé des lambeaux de corps çà et là. Le spectacle dégoûta Brûlant-Agité, qui ne tarda pas à s'éloigner. Derrière son apparence guerrière, il était très sensible.
Nous allions nous aussi nous en retourner, quand Malin-Fureteur apparut, accompagné de Feu-Précis. Je connaissais mal ce Goupix, très bon ami du Fouinar. Je savais seulement qu'il était un maître dans le tir de précision. Il pouvait cracher un jet de feu, très fin, qui atteignait toujours sa cible, si petite soit elle. Malin-Fureteur avait l'air très fier de lui.
...............- On dirait que vous n'êtes pas les seuls à attendre les humains du Sud... Je pense qu'ils posaient des pièges pour eux, ces trois-là. Mais, il semblerait que leur plan se soit retourné contre eux. Je passais par ici et je n'ai pas pu résister à donner un petit coup de patte à leur boîte explosive. Elle ne demandait que ça ! Ce n'était pas n'importe quoi, en plus, j'ai failli être surpris moi-même. C'est rare qu'ils en mettent de si puissantes ici.
...............- En tout cas, merci de m'aider à préparer le terrain, dis-je en essayant d'y mettre toute ma conviction.
...............- Ce n'est pas la peine de me remercier, je ne fais que mon devoir, voyons.
Ce Pokémon avait un vrai don pour m'énerver, mais je ne dis rien. Nous nous en allâmes sur le champ. Malin-Fureteur et son ami pourraient se réjouir seuls de la réussite de leur attaque. Au moins, je savais à quoi m'en tenir maintenant. Pendant toute la semaine, il nous faudrait surveiller les mouvements des humains du Nord afin d'assurer le monopole de l'attaque. Sans cela, notre proie allait exploser sans que nous puissions la cueillir. Ce serait vraiment dommage de nous faire voler la vedette par d'autres humains... Puis, en empêchant la pose de leurs pièges, les Pokémon avaient l'opportunité de rappeler leur existence dans les deux camps. Un groupe qui n'arrivait pas et une embuscade qui tombait à l'eau, c'était toujours bon à prendre. Il ne fallait pas qu'un clan soit jaloux de l'autre, après tout.
Nous raccompagnâmes les Zigzaton à leur terrier. Ils ne desserrèrent pas les crocs après l'explosion. J'avais de la peine pour eux, quand ils marchaient la tête baissée, gardant le regard dans le vague. Ils avaient vraiment dû être traumatisés par ce qu'ils avaient vus, même si Terreur-des-Hommes avait tout de suite eu le bon réflexe en leur cachant l'horrible spectacle. Une fois chez eux, la Migalos prit à part les deux mères pour leur expliquer en quelques mots ce qui s'était passé. C'était pour elle une manière de se faire pardonner. Sans doute les surveiller était le meilleur moyen d'assurer leur sécurité dans cette zone dangereuse, mais j'aurais dû réfléchir avant de m'approcher des cadavres avec eux. Terreur-des-Hommes m'en voulait sans doute de ne pas avoir réagi plus vite et avec plus de discernement. Je la comprenais. Mais il ne fallait pas qu'elle oubliât que nous étions en guerre contre ces humains. La réalité était ainsi. Il fallait que les jeunes en prennent conscience eux aussi. Ils ne rêveraient plus de gloire en ignorant les conséquences des combats.
L'événement nous avait donné quelques pistes. Aussi, le plan fut mis au point rapidement après l'événement. Il allait plaire à Obscur-Balafré. On devrait laisser poser des pièges sur toute une zone, la plus proche du nid. Ainsi, s'ils voulaient éviter le danger, les humains du Sud seraient forcés de passer en lisière de la forêt. Ils feraient sans doute ainsi quand ils verraient qu'ils n'avaient pas le choix. Ils devaient à la fois rester cachés et loin des pièges. Sauf que nous les attendrions. En les forçant à entrer dans la forêt, nous aurions l'avantage du terrain. A cause du manque de découvert, ils auraient du mal à utiliser leurs machines à capacités. Nous pourrions alors en profiter pour frapper. S'ils ne réfléchissaient pas, nous pourrions même peut être les faire se séparer, mais il ne fallait pas trop y compter. Dans les arbres, nous nous déplacions avec beaucoup plus d'aisance et de rapidité qu'eux. Ils ne tiendraient pas longtemps une fois qu'ils auraient pénétré chez nous. Je fis part de mes idées à mes amis. Coupe-Tout n'hésita pas à dire qu'elle aurait préféré plus de finesse. Cependant, comme les autres donnaient leur accord, elle accepta aussi.