Chapitre 4 : Repos
Un goût désagréable me réveilla. Je crachai immédiatement ce que j'avais dans la bouche. J'entendais des sons, mais je ne parvenais pas à distinguer des voix, encore moins à comprendre ce qui se disait autour de moi. On me releva un peu la tête alors que je poussais encore un peu plus loin de moi ce qu'on avait essayé de me faire manger. Cette chose fut remise dans ma bouche. On me versa un peu d'eau fraîche sur la figure. Je commençais à reprendre un peu d'énergie. Je n'arrivais toujours pas à ouvrir les yeux, je me sentais encore trop faible. Par contre, je parvenais maintenant à entendre.
...............- Ca y est, il se réveille, dit la voix de Brûlant-Agité.
...............- Donne-lui encore de l'herbe rappel. J'en ai mâché quelques bouts. Je les ai posés là, regarde, répondit Terreur-des-Hommes.
...............- Manifestement, il n'aime pas.
...............- C'est vraiment mauvais... Tu en as déjà mangé ?
...............- Non, heureusement, vu sa réaction. Comment se fait-il que Coupe-Tout et Ténèbres-Ailées n'en aient pas eu besoin pour se réveiller ?
...............- Ils n'étaient pas dans cet état après le combat. Vaillant-Rescapé a pris un Coud'Boule vraiment méchant. Il était bien plus fatigué. On aurait pu attendre longtemps avant qu'il se réveille tout seul...
...............- Il ne veut toujours pas ouvrir les yeux d'ailleurs.
...............- Je t'ai dit de lui en donner encore. Ce n'est pas la peine d'avoir pitié de lui, ce n'est pas Coupe-Tout, il ne t'en voudra pas de lui avoir donné quelque chose de mauvais. Si tu ne lui fais pas manger, il sera vaseux plus longtemps. Et puis, il pourra manger des baies après pour faire passer le goût.
Je fis un effort pour avaler le médicament : j'avais compris que c'était nécessaire à ma guérison. Puis, comme mes amis me le donnaient, je pouvais leur faire confiance.
J'ouvris un peu les yeux. Ma vision était encore floue au-delà de quelques mètres. Je distinguais nettement la tête du Chimpenfeu qui me regardait comme si je venais de lui annoncer que j'étais passé du côté des humains. Ce fut son expression qui me fit d'ailleurs prendre conscience que je devais avoir une mine vraiment affreuse. Terreur-des-Hommes utilisait ses mandibules pour mettre l'herbe rappel en bouillie. Une fois qu'elle était trempée de bave, Migalos la posait à côté de Brûlant-Agité. Ce dernier la ramassait alors pour me la faire manger. J'essayai de parler, mais je fus vite interrompu : mes amis me firent signe de me taire. C'était peut être mieux ainsi, je ne savais pas si un mot pouvait sortir de ma bouche assez distinctement, surtout avec cette chose infecte dedans. Je restais couché sur les herbes au moins deux heures durant lesquelles mes compagnons veillèrent à ce que je me remisse. Ils m'empêchaient catégoriquement de parler ou de bouger autre chose que la mâchoire. Après ce temps, je devais avoir une tête plus présentable puisqu'ils me changèrent de régime, à mon plus grand soulagement. Ils m'apportèrent un tas de baies de toutes sortes et un bout de la nourriture brune que j'avais volée aux humains la veille.
Après en avoir mangé quelques unes, ils me laissèrent enfin m'exprimer.
...............- Je... Nous... Euh... Combien de temps ai-je dormi ?
...............- Eh bien, dans quelques heures, le soleil va se coucher. Comme tu as été K.O. assez tôt dans la nuit, je dirais que tu as dormi l'équivalent d'une journée. Le Grand est reparti à midi.
...............- J'ai l'impression que je n'ai pas ouvert les yeux depuis une saison.
...............- Rassure-toi, ce n'est pas le cas. La dernière fois remonte à hier.
La mémoire me revint d'un coup. Je revis le Trioxhydre écrasant les humains. Rien qu'en repensant au coup que j'avais reçu, je fis la grimace.
...............- Et Trioxhydre ?
...............- A mon avis, comme personne ne lui a ramené d'herbe, il doit encore être allongé où nous l'avons laissé. Mais on l'a un peu éloigné, je ne pense pas que les humains le trouvent. Tu nous en aurais voulu si on l'avait laissé se faire capturer, n'est ce pas ? demanda Terreur-des-Hommes.
...............- Oui, vous avez bien fait. On ne pouvait pas s'attendre à autre chose avec lui. En allant le chercher, je savais bien que je ne pourrais pas le raisonner une fois qu'il nous aurait débarrassés des humains. Ce n'est pas une raison pour les laisser s'en emparer, ce serait une punition bien trop sévère.
...............- Quand tu seras remis, Protectrice-Colérique a dit qu'elle souhaitait te parler, ajouta Brûlant-Agité.
J'acquiesçai. Je décidai de prendre encore un peu de temps avant d'y aller. Il fallait avoir l'air plus présentable que je ne l'étais pour aller la voir. Décidemment, je ne savais pas si être chef portait réellement malheur, en tout cas, cela en avait tout l'air. En deux jours, j'avais mené deux combats bien difficiles. J'espérais que ce n'était que fortuit. En attendant que je fusse en meilleur état, je proposai à mes compagnons d'aller chercher les autres pour faire un petit tour ensemble. Nous aimions tellement notre cadre de vie que nous aurions pu en faire vingt fois le tour sans nous lasser. Je profitai du fait que nous fussions tous réunis pour féliciter tous les Pokémon pour notre rude combat de la veille. Ce genre d'aventure tissait des liens. Je sentais que nous étions déjà devenus plus proches. Coupe-Tout avait bien mieux récupéré que moi. Je supposai qu'elle avait aussi mangé plus que moi pour cela. Par contre, Ténèbres-Ailées semblait encore fatiguée. Je pris aussi le temps de remercier Terreur-des-Hommes et Brûlant-Agité pour m'avoir soigné avec autant d'attention. Quand je vis que le soleil était sur le point de laisser place à la lune, je me décidai enfin à aller voir notre protectrice.
Je me rendis dans un coin reculé de la forêt. Cet endroit était réservé à notre maîtresse, elle s'y rendait pour conserver un peu de solitude. Le calme lui était parfois nécessaire pour prendre ses décisions, à tête reposée. Personne n'aurait osé contester l'interdiction de s'y rendre sans y être convoqué. C'était d'ailleurs une nécessité, car Protectrice-Colérique aurait sans doute écrasé n'importe quel adversaire qui ne se serait pas plié aux règles. Les arbres de cette partie de la forêt étaient plus denses. Ainsi, le lieu semblait hors du temps, toujours plongé dans la pénombre. La mousse s'y développait extraordinairement bien, il fallait sans cesse se méfier, en posant les pattes, de ne pas glisser. J'étais attendu.
...............- A votre service, maîtresse.
...............- D'abord, je tiens à te féliciter. Je suis contente de toi, ton escorte a été efficace... Mais cette attaque, était-ce un hasard ?
Je fis part de la conversation que j'avais eue avec Léger-Cueilleur au moment de l'alerte. Elle sembla surprise de ne pas avoir été prévenue des venues récurrentes des humains. Cependant, elle ne me fit pas part de ses sentiments. Comme je n'obtenais aucune réponse, je lui racontai avec le maximum de détails les faits qui suivirent l'alerte. Notre victoire sur Trioxhydre ne l'étonna pas outre mesure.
...............- As-tu une idée des raisons qui auraient pu pousser ces humains à se rendre là-bas ? La colline des Granivol n'a rien d'intéressant pour eux. C'est relativement étrange qu'ils s'y rendent souvent. La seule motivation que je puisse voir aurait été d'abattre Guériaigle. Mais ils ne l'auraient pas laissé tomber pour vous poursuivre si tel avait été le cas... J'ai donc du mal à comprendre. De quel clan étaient-ils ?
...............- Je ne devine rien de leurs motivations, répondis-je après une hésitation. La seule information que je puisse ajouter, c'est que ce n'étaient ni des humains du Sud, ni du Nord, du moins, je le pense. Mais cela est encore plus étonnant pour moi.
...............- Attends quelques instants, il faut que je t'explique certaines choses, maintenant que tu es chef.
J'avais seulement quelques informations à ma disposition pour l'instant. Les humains étaient scindés en deux clans. Les nids aux alentours étaient contrôlés par ceux que nous appelions du Nord. Très bien organisés, ils portaient des peaux amovibles toutes identiques. Ils se déplaçaient toujours en groupe, quelque fois dans de grandes carapaces roulantes surmontées d'énormes bâtons à capacités. Ces derniers dévastaient tout. Les autres, ceux du Sud, comme leur nom l'indiquait, venaient de nids plus au Sud. Cela expliquait qu'il y en avait moins dans notre région. Leurs peaux ressemblaient à celles de humains du Nord, mais chacun en avait une assez différente. Ils étaient plus faciles à attaquer, bien que se cachant plus. Leur pouvoir de destruction demeurait bien plus réduit. Les rares carapaces qu'ils amenaient par ici étaient transformées en de grands tas fumants en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Les humains que nous avions combattus hier étaient en dehors de ces deux clans. Ils avaient cependant tous un point commun : nous étions ennemis avec eux et à ce titre, tous nous tuaient. Du moins, je le pensais, avant que Protectrice-Colérique ne m'apportât des précisions.
...............- Comme tu le sais déjà, les humains du Sud sont en guerre contre ceux du Nord. Leur objectif est de prendre le contrôle de leurs nids. Les humains sont en temps normal, dirigés par un chef, eux aussi. Seulement, ils ne sont pas en accord sur le choix de ce dernier. Jusqu'à présent, le clan du Nord garde le pouvoir. Leurs adversaires tentent actuellement de leur prendre la direction par la force. Ces hommes que tu as vus hier sont au service du chef actuel. Mais rien n'est officiel chez eux. Tu vois, chez les humains, quand ils veulent des bâtons à capacités, ils ne peuvent pas les faire eux-mêmes. Seuls certains d'entre eux en sont capables. Alors pour en avoir, il faut qu'ils donnent quelque chose en échange à celui qui l'a construit. Tu comprends ?
...............- Oui, maîtresse. Ceux d'hier aussi avaient des bâtons à capacités, ce sont donc ceux qui les fabriquent pour les humains du Nord ?
...............- J'y viens. Il existe, par delà la mer, d'autres terres. D'autres humains y habitent ainsi que d'autres Pokémon. Ceux-ci appartiennent à des espèces inconnues ici. Nous ne pourrions jamais les rencontrer, l'habitat n'est pas propice à leur survie. Et inversement, nous ne pourrions nous acclimater chez eux. Alors, les humains de cette région lointaine qui savent construire des bâtons à capacités les échangent contre des Pokémon d'ici. Ces échanges sont assurés par les humains que tu as combattus hier. Ils essaient de ne pas nous tuer. A la place, ils nous capturent. Ils nous attachent, nous enferment dans des cages et nous font traverser la mer. Ensuite, ces pauvres Pokémon sont distribués à des dresseurs, qui donnent en échange de quoi permettre aux humains du Nord de se battre. C'est aussi pour cette raison qu'ils sont mieux préparés que ceux du Sud... Ces derniers n'ont personne pour arracher leur liberté à des Pokémon. Ils n'ont aucun soutien en dehors d'ici. S'il faut choisir, nous devons toujours nous concentrer sur des attaques visant le Nord. L'autre camp sera bien plus facile à défaire une fois les premiers éliminés. D'autant plus qu'ils ont plus tendance à nous ignorer, du fait qu'ils ne peuvent pas frapper sur tous les fronts, contrairement à leurs adversaires. S'ils peuvent éviter l'affrontement, ils le feront. Mais ce n'est pas une raison pour les laisser.
...............- C'est assez horrible cette histoire... Et puis, les humains sont vraiment compliqués. Je ne peux pas les comprendre ! Heureusement que je ne le dois pas.
Je n'osais pas avouer que ce qu'elle essayait de m'expliquer me passait un peu au-dessus. Ce qui se tramait chez les humains était trop complexe pour moi. Seulement, notre maîtresse aurait sans doute pu s'évertuer à me ré expliquer un grand nombre de fois, j'étais sûr que ce ne serait jamais clair dans ma tête. Ces créatures différaient de nous, ça, je l'avais compris. Globalement, il m'était possible de m'imaginer des guerres de territoires ou pour la place de chef. Par contre, leurs processus d'échanges restaient obscurs dans mon esprit. Il me semblait que ce n'était pas un immense handicap de ne pas tout saisir. Protectrice-Colérique gérait très bien notre groupe. Elle arrivait à comprendre ce que nous devions faire et en connaissait les raisons, cela me suffisait. Sa capacité à réfléchir dépassait la mienne. Elle me surpassait au combat. Elle ne dirigeait pas pour rien. Voilà ce que je devais savoir, à mon avis. Je renonçais donc à demander plus de précision. Je hochais la tête, comme si chaque détail était aussi limpide que l'eau du ruisseau. Je ne pensais pas avoir un jour réellement besoin des détails qu'elle me donnait. Si la situation évoluait, je ferais un effort, plus tard. Pour l'instant, cela me semblait superflu. J'aimais le combat amical entre nous, la nature, les baies et surtout, ma liberté plus que tout. J'étais prêt à me sacrifier pour que les Pokémon puissent la garder. J'en restais là dans mon raisonnement. Ces histoires de politique ne me concernaient pas.
...............- Si tu as compris, c'est tant mieux, parce qu'il se fait tard et que j'ai encore quelque chose à te dire. Guériaigle n'est pas venu pour rien. Il a repéré des mouvements chez les humains du Sud. Ils ne sont pas plus d'une dizaine à quitter leur camp. Par contre, nous ignorons si d'autres groupes ne prendront pas un autre chemin. Ils préparent probablement quelque chose contre le Nord. Nous ignorons encore s'ils s'en prendront aussi aux Pokémon, mais c'est une occasion pour nous. Ils ne passeront sans doute pas trop loin de la forêt, pour rester à l'abri des regards. On en profitera pour frapper. Ainsi, les Pokémon montreront qu'ils sont de taille à lutter contre les humains. Comme tu as rempli brillamment ta dernière mission, j'aimerais te confier cette opération. Aucun d'eux ne doit arriver au nid des humains du Nord. D'après le Grand, ils devraient arriver aux abords de la forêt dans une petite semaine, compte sur quatre ou cinq jours. Je compte sur toi pour mener à bien cette opération.
...............- Compris. Ils regretteront d'avoir choisi de se cacher de leurs ennemis.
Je pris congé de notre maîtresse. Ces derniers temps, je ne chômais pas. Heureusement, il me restait encore au moins trois bonnes journées pour mettre ma stratégie au point. Si tout se passait bien, nous pourrions aussi tester et répéter le plan plusieurs fois avant leur passage. Il suffisait maintenant de trouver l'idée. A six pour y réfléchir, je me disais que ce serait possible. D'ailleurs, mes compagnons ne seraient pas de trop. J'avais beaucoup de mal à anticiper les réactions de mes ennemis. Les autres étaient toujours bien plus tordus que tout ce que je pouvais imaginer. De ce fait, je ne pensais jamais à toutes les éventualités. D'autre part, quand tout était prêt, je savais m'en tenir à ce qui était prévu. Les autres pouvaient toujours compter sur moi, je ne reculais jamais devant un obstacle.
En retournant me coucher, je réfléchissais pour savoir à qui j'allais demander en particulier de m'aider à tout préparer. Ce qui était sûr, c'était qu'Obscur-Balafré ne me serait pas d'un grand secours. Nous nous ressemblions beaucoup trop. Il était, comme moi, du genre fonceur. Si je lui avais demandé son avis, j'étais quasiment sûr qu'il m'aurait répondu immédiatement : « Dès qu'ils se montrent, on leur saute dessus ». Tous nos plans, à lui et moi, pouvaient presque se résumer à ça, dans les grandes lignes au moins. J'en vins à penser que c'était donc à peu près ce qui allait se passer. Après tout, ce n'était pas plus mal, puisque la mission consister à les arrêter.