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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 21/07/2011 à 18:11
» Dernière mise à jour le 21/07/2011 à 18:11

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de poké-humains   Présence de shippings

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Film - Il ne connait ni Pitié, ni Justice..(2)

Il ne me reste plus qu'un chapitre à écrire dans la dernière partie ! Hourra ! Je vais essayer de tout boucler ce soir, ou demain…Rah que j'ai hâte…Et pas hâte à la fois ! Je croise les doigts pour pas me retrouver bloqué, et je vous laisse avec ce chapitre. Qui, pour moi, est très important, car il révèle toute la psychologie des personnages principaux, et les défauts que j'ai tâché de mettre en avant pour chacun d'eux. Aviez-vous percé à jour leurs véritables natures, vous aussi ?


Allez, bonne lecture, et à bientôt j'espère !

FILM - Il ne connaît ni pitié, ni justice. (2)

« L'histoire se répète. Comme autrefois, comme toujours, on ne peut vaincre que par la force des armes, le massacre et la trahison. »

Elle avait toujours eu, une âme flamboyante, dans un corps de cire.

Ash le savait, Ash, l'avait sentie, dès le premier instant : elle bouillonnait, s'illuminait, flamboyante, à l'instar de son type préféré, le feu, elle était incandescente. Tel un soleil. Telles les rosaces, les pétarades des feux d'artifices, jaillissantes, écumantes, aveuglantes dans un éblouissement éphémère, qui retentissait et faisait vibrer chaque parcelle, chaque sentiment jusqu'à son commencement. Elle était ce bruit, si violent, si fugace, et si continuel à la fois, qu'il vrombissait, résonnait, bien encore après sa mort. Bon, elle était un peu bavarde et bruyante, aussi. Elle aimait se faire remarquer et être au centre de l'attention. Irritable, autoritaire, moqueuse, égoïste… Mais elle était aussi, attentionnée, emplie d'amour, de compassion, de tolérance, et de pardon. Elle était tout ça à la fois…Sa dresseuse.

Une âme flamboyante, dans un corps de cire.

Drôle de combinaison, paradoxale combinaison. Mortelle combinaison.
Toute cette joie de vivre ; la consumait aussi efficacement qu'elle lui permettait d'avancer.

Peut-être, que c'était pour ça, qu'il l'aimait autant, pour cette chaleur, dont tout son être émanait, ces sentiments, qu'ils partageaient à deux. Elle le comprenait, il la comprenait. Cela avait été ainsi, dès le premier jour, et cela le resterait toujours, jusqu'à la fin.

Il n'avait pas peur. Elle n'avait pas peur, elle, face à la mort. Plus maintenant.

Il craignait bien plus, l'après. Le moment, où il ne pourrait plus être à ses côtés, dans le néant. Le moment, d'errance.

Et ses griffes, se serraient à cette simple pensée, ses flammes s'embrasaient dans son ventre, d'une rage impuissante. Parce qu'il était prisonnier. Prisonnier de sa pokéball, prisonnier de ses propres forces, de son propre être, de sa propre vulnérabilité.

Il préférait, quand, c'était la voix de sa dresseuse, qui s'échappait de ces lèvres, qui remuaient, quand c'était son timbre, un peu fort, et pourtant si tremblant, hésitant entre la justesse et les mauvais accords. Il préférait, quand il percevait, la chaleur des paumes de sa dresseuse, sur sa pokéball, sur sa peau, sa douce odeur réconfortante d'abricot. Il n'aimait pas ce simili, cet être mécanique qui chantait, dans le corps d'Eléa. Il ne l'aimait pas.

Il n'aimait que sa dresseuse, à lui.

Alors, il restait. Il restait dans la pokéball, à l'abri. Et il fermait les yeux, se roulait en boule, attendant que sa flamme ne s'estompe, soufflée. Il se concentrait sur les émotions de son Eléanore. Son instinct, lui criait de s'enfuir, que seule la mort le faucherait ici, mais, il ne l'écoutait plus.

Parce que, s'il était le présent, elle était son Lendemain.

Elle avait été, sa perspective d'avenir, ses rêves, étaient les siens, ses joies, ses chagrins, il les vivait tout autant. Son sourire, était son soleil, la flamme qui brûlait en lui.

Qui voudrait vivre, dans un monde sans lumière. Ash se recroquevilla, et il nicha son museau dans ses pattes. Le crépuscule au loin, se couchait au même rythme lancinant, agonisant de la mélodie.

Leurs battements de cœurs ralentirent.

Eléanore, Sa dresseuse, son petit rayon de soleil quotidien, pouvait dormir tranquille à présent, il était là, il restait là, avec elle. Elle ne serait pas toute seule, il ne la laisserait pas sombrer dans la solitude qui l'avait étreint à l'aube de sa vie.

Si, la quitter en cet instant, était le bon choix, alors, Ash préférait bien mieux se tromper.

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

Silver sentit son corps reprendre peu à peu le dessus, surpasser la paralysie abrutissante qui l'avait plaqué au sol après le délire de sa mère, le forçant à entendre, subir, voir, n'être qu'un passif spectateur de la folie décadente de sa génitrice. Tout n'avait été que flou et paroles, mais ça lui avait largement suffi, pour juger lui-même de l'étendu des dégâts. Et elle entraînait Peter dans son sillage. Et elle allait tuer Eléanore.

Tout ça était de sa faute. Entièrement de sa faute.

Il frémit sous la culpabilité, un haut le cœur restant bloqué au fond de sa gorge, et l'enchaînant au sol glacial. Il sentait sa tête, aussi lourde que du plomb, et sa nuque raide, courbé sous le poids de ses découvertes.

Sa mère avait raison, il n'aurait jamais du voir le jour, tout aurait été pour le mieux, jamais Holly n'aurait eu enduré toutes ces souffrances, jusqu'à en perdre la raison. Jamais Gold n'aurait été autant meurtri, et jamais Peter n'aurait succombé à son côté sombre …

Le malaise lui vrilla la poitrine. Jamais Eléanore n'aurait été entraîné dans une telle action. La douleur lancinante tapant à ses tempes lui arracha un gémissement. Il avait toujours été sujet aux maux de crâne, cogitant beaucoup trop, surement, mais aujourd'hui comme rarement sa tête le faisait souffrir. Les idées tournaient et retournaient en lui, inlassables, assourdissantes omniprésentes. Elles tapaient, se répercutaient en lui avec confusion, accusatrices. Aussi aiguisées que les paroles de Salomée, aussi violentes que les coups de Giovanni, mais certainement pas aussi épuisantes que sa propre conscience, ses propres reproches.

Silver serra les poings, et se mordit la lèvre, si fort, si fort, qu'il espéra que la douleur outrepasserait celle déchirant son cœur ou la meurtrissure de son crâne. Mais il n'y eut même pas une goutte de sang amère sous sa langue, il n'y eut pas d'accalmie, pas d'excuse. Juste lui, et cette foutue migraine. Et c'est à cet instant, que la mélodie retentit, grave et haute à la fois, digne et suintante de niaiserie. Juste un son, unique, une voix, dont la rumeur s'élevait, grossissait, s'amplifiait pour résonner en un écho aux milles et un ton.

In the moonlight I felt your heart

Et au moment où le timbre vibra dans l'air autour de lui. Il sut.

Silver ouvrit les yeux, faiblement. ET Eléa lui sourit, face à lui. Ce sourire lumineux, de façade, dont elle avait le don. Un sourire purulent de douleur, de mensonges, et pourtant, si, sincère dans sa mélancolie.

« Hey, Arcéus dans sa grande mansuétude…Me laisse vous dire au revoir à tous, une dernière fois. Voit comme le dieu de ce monde est cruel ! » Ricana Eléanore face à lui.

Son visage s'auréolait d'une lumière si pâle, qu'il paraissait vouloir l'éteindre avec elle. Silver tressaillit, et il se sentit soulever, légèrement, quelqu'un le secouer, mais il ne perçut aucun son.

«Hey, ce n'est pas le moment de dormir Silver. » Marmonna Eléa avec une expression désolée.

Elle ricana, et tendit la main dans sa direction, mais ses doigts se désagrégèrent dans une caresse inaccessible, aux douceurs oubliées. L'ectoplasme contempla son propre membre continuant à disparaître, monceau par monceau, et elle arqua un sourcil avec sarcasme.

« Alors, comme ça, Arcéus, j'ai le don ubiquité, d'omniscience, pour quelques minutes…Mais…j'ai perdu jusqu'à ma plus simple présence ? »

Elle ferma les yeux, et son rictus s'élargit, mais quand elle les rouvrit, ce ne fut que pour ne poser son regard lourd et malheureux, sur lui.

« Tu avais raison. Je cachais bien quelque chose. Tu m'avais percée à jour, je dois être une très mauvaise actrice. »

Elle secoua la tête.

« Mais je ne suis pas là pour parler de moi. »

Silver sentit de nouveau des bras l'enserrer, désespérément, dans le lointain, et malgré son état, malgré la transparence de son corps, malgré l'être impalpable qu'elle incarnait, Eléanore se parait de bien plus de présence que cet inconnu.

« T'as merdé Silver. »

Le constat sonna froidement, douloureusement, l'épée de damoclès dont l'ombre l'avait toujours menacée, était tombée. Et elle l'avait décapitée net. Peut-être depuis longtemps déjà. Depuis le début. Depuis le premier cri, la première inspiration.

« Je ne te parle pas de ça ! »

Eléanore fronça les sourcils.

« Ecoute-moi Silver. Ce n'est pas ta faute. J'ai pris ma décision, seule, personne ne m'y a forcée. Je suis une grande fille, une grande fille idiote, certes, mais j'ai au moins l'idiotie de prendre des décisions en mon nom. »

Elle mentait. Tout était de sa faute, de la faute de sa mère, de la faute de son père, de ses faiblesses, de sa lenteur à la sauver, à la retrouver, de toutes la souffrance que sa naissance avait entraînée.

« OH MAIS TA GUEULE ! »

Silver sursauta.

« Tu crois sincèrement que tout est décidé à ta naissance Silver ? Que tout ce que nous sommes, que tout ce que nous devenons, ne découle que de nos parents ? Regarde-moi bon sang Tu crois…Tu crois peut-être que je suis tombée malade, que j'ai crevée à petit feu…Parce que c'était écrit, parce que…Mes parents m'avaient donné naissance, et que le destin a décidé que c'était ce qu'ils méritaient ? Ce que je méritais ? ! Je suis la fille de Sarl ! Je suis l'héritière de la plus grande entreprise des deux continents ! Regarde-moi. Je suis une Sarl, et je vais crever pour l'humanité. Je vais simplement me sacrifier ! Tu crois que mon père, ou mon grand-père aurait eu les couilles de le faire ?»

Silver déglutît. Si tel était le cas alors, Arcéus était vraiment cruel.

« Ecoute-moi Silver, ce que tu deviens, ce que tu es, c'est toi qui en es responsable. Certes les parents filent des tas de saloperies à leurs enfants, des maladies génétiques, des risques de cancer, même la laideur ou des problèmes mentaux ! Parfois ils leur donnent aussi de l'amour, ou parfois comme toi, y-a pas de chance, et ils s'en foutent. Mais tout ce qu'ils donnent ; tout ce qu'ils te donnent…C'est à toi de l'utiliser, se sont tes choix, tes décisions ! Regarde, ma mère m'a refilé ses cheveux à ce qu'il parait, et les siens sont super beaux, ils font de belles boucles et tout ça, et moi j'les laisse sans soin, je m'en contrefous ! Et c'est comme ça ! »

Elle essaya de nouveau de le prendre par les mains, mais ses doigts le traversèrent simplement. Elle se rétracta, le bras commençant dangereusement à se disloquer, s'évanouir dans le vide, telles les pièces d'un puzzle. Il aurait souhaité, pouvoir les recueillir solennellement, et les lui remettre, en place patiemment, la reconstruire, comme elle le faisait avec son cœur aux morceaux éparpillés, en cet instant.

« Que tu deviennes comme ta mère, comme ton père, c'est toi qui en décidera. Personne d'autre. Mais tu peux aussi choisir de devenir Silver. Juste Silver. Même si le Silver que je connais a royalement merdé avec Gold, et qu'il a intérêt à arranger tout ça fissa s'il ne veut pas que je lui trouve un moyen pour botter son royal arrière train d'ex taulard ! »

Silver se surprit à ricaner, penaud.

« T'es un emmerdeur Silver. Un pro. Tu sais pas ce que tu veux, et je crois même que tu as peur de ce que tu veux. De ce que tu pourrais faire pour ce que tu veux. Pourtant, moi je me souviens…du garçon qui est allé jusqu'à se livrer à l'ennemi pour retrouver sa mère. Je me souviens du garçon qui a affronté ses peurs pour sauver sa sœur. Et si…Si c'est ça, le fils d'un génie du crime, et d'une folle manipulatrice…Alors, j'espérai qu'il y en aurait plus. Qu'il y aura des milliers de Silver. Parce que tu vois, ce que tu qualifies de monstre, moi, je trouve qu'il a vachement plus l'air d'un ange, un petit peu paumé, aux ailes un petit peu engourdies, un petit peu badigeonnées de Goudron… »

Elle sourit.

« Mais, cet ange, il regarde tellement le ciel, que ses yeux ont la couleur des nuages. Il a de magnifiques yeux. Comme ceux de sa mère, comme ceux de sa sœur. Des yeux dont Gold est amoureux. Des yeux, qui verront un avenir meilleur, si l'ange daigne se filer un coup de pied au cul pour se bouger un peu les plumes, et se donner les moyens d'être heureux. Parce qu'il le mérite. »

Eléanore se leva, et dans une dernière œillade, alors qu'elle s'éloignait, pour disparaître dans la brume, elle hurla :

« ALLEZ DEBOUT ! »

Et Silver ouvrit les yeux dans un sursaut, pour contempler, ébahi ; le visage de Marion, baigné de larmes. La blonde eut un rictus désespéré, en même temps qu'un hoquet, alors qu'elle s'essuyait les joues, rouges.

-J'ai…je cherchais Peter ici…Et tu étais là…Co-comme mort…j'ai cru que…j'j'ai…

Elle déglutit, et enlaça avec gratitude un Silver amorphe, déboussolé. Le rouquin observa lentement la cousine de Lucas, si désemparée, à l'idée de le voir mourir. Et doucement, il sentit son corps répondre faiblement à l'étreinte. Pourquoi…Tant de gens souhaitaient-ils qu'il continue à vivre, il l'ignorait…Est-ce qu'il la méritait, cette chance, cette vie ? Il l'ignorait également.

Mais en un sens, qui connaissait cette réponse ?

-J'ai mal au crâne…

Marion rigola franchement à la suite de cette phrase, et elle passa un bras sous l'aisselle du jeune homme, pour le hisser. Silver vit ses genoux flancher sous son poids, aussi mous que du côton, et la douleur reprit sous son crâne. Une douleur palpitante, pulsante dans ses veines, aussi certainement que les battements de son cœur.

-Appuie-toi sur moi. Assura la jeune femme.

Et Silver sut, que malgré toute sa fierté, il n'aurait put agir autrement, haletant sous la crispation de son crâne. Sa vue tanguait dangereusement. Peut-être, que finalement, la vision d'Eléanore n'avait été qu'illusion.

Pourvu qu'elle ne soit qu'illusion, aussi doux qu'avaient été les mots caressant son existence.

-J'ai cherché partout…je ne trouve Peter nulle part…S'il s'est… Aventuré plus profond…
-Il est parti par là.

Marion pila, alors que le rouquin désignait un couloir sombre un peu plus loin, vers lequel il avait vu disparaitre le chef de Twilight suivi de Salomée.

-Vers la grotte de Cristal ? Mais je…je suis passée par là tout à l'heure…

Elle plissa les yeux, et serra la mâchoire, réalisant combien le destin avait été moqueur en croisant leurs chemins sans leur permettre de se rencontrer. Elle avait eu, une seconde de retard. Ou d'avance. Une seconde. C'est si rapide, si bref, et pourtant, il peut s'y dérouler tant que quiproquos, tant de malaise. Une seconde suffit amplement pour bouleverser tout l'univers.

D'un pas chancelant, rasant les murs, Marion s'avança vers la sortie, traînant Silver avec elle. Ils montèrent marche après marche, craignant de ne pas pouvoir franchir la suivante, de sentir leurs forces imploser pour se dilapider avant d'atteindre à leur but. Pourtant, après un moment qui leur parut interminable, ils arrivèrent sur le seuil du tombeau d'Eléanora.

Et à mesure que l'écho du chant se rapprochait, la migraine de Silver s'amplifiait, écrasante, piétinant tout autre pensée, toute réflexion, plus efficace que l'adrénaline.

-ET maintenant ? Où il…

Marion observa les chemins à suivre, les sentiers sinueux menant aux catacombes, aux cachots où pourrissaient Gilles et Méfistos…Et d'innombrables autres renforcements aux fonds brumeux, dont les volutes ténébreuses n'inspiraient guère confiance, ou même l'étroit boyau qui permettait de sortir du QG par un passage en sens unique à la sécurité fausse et aux limites morbides.

La cousine de Lucas leva le nez vers le ciel, et Silver vit ses cils se perler de larmes difficilement retenue.

-Merde…Merde, j'entends Eléanora…J'en…

Elle posa une main sur son ventre avec désespoir, et tourna la tête vers le dôme de verre trônant au milieu des stalactites de cristal. Silver suivit le mouvement, mais il se raidit, face à la tombe aux milles et uns éclats, se tenait de nouveau une silhouette fantomatique. Grande, mince, élancée, sa robe de mousseline virevoltait sous un vent invisible pour se tordre, s'étirer paresseusement, jusqu'à s'unir à l'air invisible. Sa longue chevelure brune, attachée de manière stricte en une tresse ramenée sur sa poitrine plate, s'accordait magnifiquement avec sa peau basanée. Mais ce regard, le regard dur et sévère que posa cette femme sur lui, était aussi clair et lumineux que le ciel azuré, et pourtant aussi éclatant que la lune. Un regard de nuit et de jour.

L'apparition caressait mélancoliquement le cercueil de verre.

Le rouquin remarqua alors, le visage du cadavre, se désagréger lentement au milieu des fleurs de lunes fanées.

A l'instar de l'ectoplasme d'Eléanore dans sa vision. Il devait s'être pris un sacré coup sur la tête, songea-t-il, décontenancé par sa nouvelle hallucination.

L'ectoplasme, loin de ses tergiversations, leva la tête vers lui ; et son regard lunaire, brillait de tristesse, quand elle lui murmura, mélancoliquement :

« Toi, qui porte mon sang, sais-tu, pourquoi Dialga et Palkia n'ont de cesse de se battre ? »

Silver arqua un sourcil, dubitatif, balloté de tous les côtés, par une Marion, hésitante quant au chemin à suivre, il n'entendait qu'à peine ses balbutiements perdus et déboussolés. Son mal de crâne assourdissait tout autour de lui, jusqu'au chant lointain dont il ne décortiquait qu'à peine les paroles. Pourtant, ces mots là, sonnèrent, vibrèrent en lui avec la clarté du Cristal.

L'apparition devant lui sourit avec émotion.

« Tu l'ignores, n'est-ce pas ? »

Un tremblement imperceptible secoua Silver, une sensation affreuse, empoisonnée, loin de celle qu'il avait ressenti, en ce jour où il avait rencontré Sam, et pourtant, si semblable. L'insupportable croyance, qu'il aurait du savoir. Marion s'arrêta, percevant le trouble de celui qu'elle portait à bout de bras, et quand les jambes de son protégé cédèrent sous son propre poids, ne pouvant plus soutenir cette charge, et qu'elle chut avec lui, son cœur rata un battement. Elle connaissait la légende, elle savait, qu'ici, la présence spectrale d'Eléanora annonçait au condamner l'heure de leur fin. Et la peur s'empara de la cousine de Lucas.

-Silver ?

Et le teint blême, frissonnant de toute part, le rouquin murmura, les yeux écarquillés, trois mots, mais ce n'était pas à elle qu'ils étaient destinés.

-Qui es-tu ?

Et l'apparition face à Silver, caressa doucement le verre polie à ses pieds, là d'où reposait Eléanora, il ne restait plus qu'un tas de cendre, dans un ossuaire aux offrandes pourrissantes. Elle ferma les yeux, et dans un soupir inexistant, dans un moment solennel de recueillement, envers ces âmes errantes, elle se redressa. Majestueuse, digne, et pourtant, criant après la longue et affreuse agonie, qui avait sienne, et oubliés de tous.

« Dialga et Palkia n'ont de cesse de se battre, car Temps et Dimension, n'ont pour but de ne former qu'une seule et même entité, mais ils ont eut le malheur de naitre séparés. Je suis, de celles, qui ont subi le même sort. Je suis, de celles que la vie a trahi, de celles qui n'auraient jamais du voir le jour, de celles dont le seule but de l'existence, n'a été que de détruire, au lieu d'unir, de celles qui n'ont jamais été capables de comprendre clairement la propre chaire et son sang. Je suis Sahara. »

Elle fit un pas vers Silver, et s'agenouilla auprès de lui, et ses mains blafardes, aussi froides que la mort, caressèrent tendrement ses joues.

« Et tu es de ceux qui ont hérité de mon ichor maudit, de ceux qui devront payer de ma faiblesse. »

Et elle l'enlaça, simplement, de toutes ses forces, de toute sa froideur et ses regrets. Et cette étreinte lui glaça les veines.

« Je n'ai pas eut le courage d'éteindre notre lignée maudite. Je n'ai pas put ôter la vie de mes propres enfants et de ceux de ma sœur, tant chérie et honnie à la fois. J'ai cru, stupidement, que ma mort mettrait un terme à ce cycle sans fin de souffrances. J'ai cru effacer nos erreurs en les souillant de mon propre meurtre. Et j'ai prié. J'ai prié pour que je sois la dernière, pour que plus jamais, telle tragédie ne voie le jour. J'ai jeté mes dernières forces, mes dernières volontés, j'ai imploré Arcéus pour achever mes tourments.»

Ses forces s'amoindrirent.

«Quel ironique tour du Destin, quelle fatalité cruelle, a bien voulu, pour que mes sentiments, mes vœux si vieux, que je croyais l'air du temps les avoir emportés aussi aisément que de la rouille, ait eut tant d'incidences sur vos propres actions. »

Silver tressaillit. Les images de leurs rencontres, entre lui, Samantha, entre Eléanore, se bousculant dans son crâne, et tel le fil rouge d'Ariane, tel une lumière au bout du tunnel, il le vit. S'il n'avait jamais croisé le regard de Samantha ce jour là au centre Pokémon, s'il n'avait pas voyagé avec eux, s'il n'avait pas tenté d'intégrer l'Opale, s'il n'avait pas été gravement blessé…

Toutes ses actions, avaient-ils été planifiées, prévues, ordonnée, par cet être pleurant dans ses bras… ? Ses propres émotions, actes, ainsi que ceux de Sam et de sa mère…N'avaient-ils donc été que les leurs ?

Et l'infâme mensonge, l'horrible sous-entendu, que chaque sourire, chaque geste, chaque sentiments, quand Eléanore souriait, quand Samantha hurlait, quand il étreignait Gold…N'avait jamais été sien, lui donna la nausée.

-C'est un mensonge. Si…Si j'ai suivi Samantha…Si j'ai rencontré Eléanore…

Sahara, le dévisagea.

« Je t'ai poussé à reconnaître Samantha. Je t'ai poussé à vous réunir, vous porteurs de mon sang, j'ai suivi les instructions et les vœux de ma descendante, quand elle a prié pour votre futur avant d'abandonner sa propre chaire. Je t'ai poussé à rencontrer Samantha, et même Eléanore, celle qui porte un nom si semblable à celle que j'ai perdue. »

-C'est un mensonge, j'ai…j'ai décidé moi-même…De partir secourir ma mère, ce sont eux qui m'ont suivi et…

« Je les ai envoyés, par le biais de Sam, te secourir, c'est moi qui ai mené ses pas jusqu'à ta cellule, c'est moi qui t'ai maintenu en vie le temps qu'ils te trouvent, qui ait envoyé Gold auprès de Salomée dans les vagues du temps, c'est moi qui vous ai renvoyé là où vous avez trouvé de l'aide, et encore moins, qui t'ai empêché de sombrer dans la mort, durant ton coma. Encore moi, qui vous ai rapprochés tous les uns des autres, un peu plus à chaque mort de l'organisation. Moi qui ai voulu, que vous tissiez des liens plus forts que tout, pour que vous puissiez accomplir mon dernier souhai…»

-NON C'EST UN MENSONGE !

« Tout ceci…Est entièrement né de mes faiblesses…De mes ordres envers vous. JE voulais…Je voulais détruire Eléanora. Je voulais, mettre un terme à notre guerre millénaire. Mais mes mots…Mes vœux, tout a été si mal interprétés…Vous avez cru que je désirai, effacer la précédente pour créer une nouvelle Eléanora. Vous avez tissé cette toile des destins pour m'exaucer et… »

Mais les mots d'Eléanore, tournoyaient en lui, plus assourdissants encore que la douleur de son crâne. Et ses lèvres tremblèrent, quand il toisa Sahara, gonflé de ses convictions.

-C'est un mensonge.

Et il s'accrocha désespérément, à sa seule et unique certitude. Ses sentiments n'étaient qu'à lui, ses choix, ses erreurs, tous n'étaient que les siennes, personne n'avaient le droit de les revendiquer, autant que d'en prendre le blâme. Et s'il avait croisé le regard de Samantha, si leurs choix à tous deux conjoints, avaient aboutis à cela, alors c'était à lui de le réparer, c'était à lui de porter sa croix, c'était uniquement, uniquement, de ses propres actions. Personne, ne les avaient rapprochés, ne les avaient guidés, contrôlé pour devenir amis, pour s'aimer. Il n'était pas la marionnette d'il ne savait quel ectoplasme croupissant, pourrissant dans la terre d'une tombe oubliée. Personne ne l'avait empêché de mourir, il ne devait sa survie, qu'à ses propres forces, qu'à sa volonté et à ses amis pour être arrivés à temps. Et si, en désirant aider Eléanore, si en souhaitant de toutes ses forces la sauver, lui rendre la pareil, Samantha et lui avaient causé sa propre perte, alors, c'étaient leurs erreurs, et non pas des ordres venus d'un fantôme d'un autre temps et univers. Parce qu'il était lui, et non pas l'héritier de quiconque, non pas la réincarnation d'une martyr. Il n'était que lui. Et donc, ses actions.

Sahara, recula, mais son visage, se teinta de pitié. Alors, doucement, tendrement, elle souleva la mèche rousse de Silver, pour embrasser maternellement son front. Et quand elle se détacha de lui, quand elle plongea son regard lunaire noyé sous les étoiles de ses larmes, elle sourit.

« Alors, arrête-moi. Arrête-nous. Arrête-la »

Et elle pointa simplement une direction, un escalier.

« Et délivrez-nous du joug du Destin. »

Silver fit volte-face, et avec détermination, il contempla cette sortie, qu'il désigna, les membres secoués de spasmes.

-Par là, Peter est parti par là.

Marion à ses côtés, blanche, sursauta, et elle se mordit la lèvre.

-Tu es sûr ?

Silver opina du chef, rassemblant toutes ses forces, tout ce qui lui restait, brûlant, tant de fièvre que de volonté. Il en était aussi certain, que de sa propre existence. Alors, Marion le ceintura, et tous deux, s'avancèrent vers le lieu du sacrifice, gravissant les mêmes marches, que Peter, Salomée et Eléanore avant eux, et par delà même les siècles, Eléanore, Sahara et Ion.

Et avant de disparaître, au milieu de leur ascension, Silver risqua un regard en arrière. Sahara se tenait sur le seuil, toujours, palissant peu à peu. Et dans un dernier élan, dans une dernière question :

-Pourquoi ne pas avoir contacté Samantha…Elle…Est bien plus forte que moi.

Sahara secoua la tête patiemment :

« Ne sous-estime pas ta propre force, Silver. Vous, comme moi, sommes les gardiens des Temps, Héritiers de Celébi, Héritiers de Dialga. Ne sous-estime pas les capacités de ta lignée, de ta sœur, de ta mère, comme des tiens, car, rien de plus certain que cet acte ne te mènera à ta perte, tout comme cela a été mon cas. Ta chevelure, a après tout, la couleur, du fil rouge du Destin. »

Silver fronça les sourcils, mais il n'eut pas la force de tâter sa chevelure rougeoyante, pour confirmer ces propos, et tristement, il ricana, avant de bafouiller, dans une faible tentative de réconfort :

-Nous ne sommes pas vous. Ni Palkia ou Dialga, toujours en conflits. Sahara, Eléanora, toute cette foutue légende…C'est du passé, et aujourd'hui, nous sommes dans le présent. Nos actions, ne seront jamais les vôtres. Tout comme leurs aboutissements. Et quand bien même, nous échouerions…

Il eut un rictus malgré la douleur oscillante sous son crâne.

-Il y a toujours eut…Pour chaque conflit, une troisième entité. Pour Groudon, et Kyogre, la terre et la mer, il y Rayquaza, le ciel. Pour Dialga et Palkia, il y a Giratina. Je me trompe ?

Et il tourna le dos, et misa, paria, tout ce qu'il avait, tout son futur, en cette troisième personne, cet inconnu, ce troisième camp médiateur. Et il tourna le dos au passé.

Le spectre de Sahara l'observa s'éloigner, et une grimace étira ses lèvres.

« Je l'espère, Silver, j'espère, que vos pas ne croiserons pas nos destins malheureux. Je prie Arcéus, pour que votre Médiateur, ne soit pas comme le notre, qui, à l'instar de giratina, ne nous a apporté qu'un vent de mort détruisant tout ce que nous avions construit. »

Et elle ferma les yeux, avant de souffler :

« Eléanora, Xenia, Ion, Calion… »

Une larme invisible roula sur sa joue.

« Pardonnez mon sang qui nous relance dans les affres de la guerre. »

Et elle disparut, comme emportée, balayée par le vent du temps, à la fois porteur du présent, d'un renouveau, d'une renaissance, et pourtant, aux senteurs aigres familières.

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Marion déglutît difficilement, d'anxiété, quand elle s'extirpa de la caverne aux reflets bleutés. Le soleil l'aveugla une seconde, mais elle l'ignora, lui qui pourtant, sarcastiquement, entamait sa course pour étreindre l'horizon dans un crépuscule sanglant, miracle et tragédie quotidienne.

Silver accroché à son bras l'inquiétait, suant à grosses gouttes, se parlant à lui-même, ou dans le vide, pâle comme la mort, il paraissait au bord du gouffre. Ses doigts se serrèrent sur sa prise, alors qu'elle bandait ses muscles pour le hisser en dehors de la caverne.

Une douleur saillit dans son bas ventre et elle retint une grimace, tâchant de l'ignorer.

Et c'est à cet instant là, qu'elle les vit. Qu'elle le vit.

Eléanore, chantait au milieu d'une mosaïques aux couleurs délavées par les siècles, devant une stèle de pierre, et derrière elle, se tenait une femme aux cheveux violacés, entrecoupés de mèches vertes, Salomée si elle se rappelait bien, même si son visage apparaissait flou sous son crâne, ainsi que l'objet de toutes ses craintes ; Peter. Il lui tournait le dos, et ne paraissait pas la voir. Sa cape couvrait sa silhouette, mais la cousine le remarqua, immédiatement. Sa botte gauche, où glissaient indifféremment quelques filins écarlates. Du sang.

Sans préavis, elle déposa Silver contre une des colonnes effondrées qui les séparaient du groupe. LE rouquin se laissa faire, la respiration sifflante, et Marion, en ôtant sa main du dos du gamin, qu'elle était maculée de sang. Elle frissonna d'horreur. Du sang. Elle détestait le sang.

Ils ne se trouvaient plus en territoire atemporel. Les blessures se rouvraient. Tous, autant qu'ils étaient, pouvaient, et parfois, fatalement, allaient mourir.

Une boule affreuse brûla son gosier, et cette même sensation inonda son ventre, mais encore une fois, elle serra les dents et préféra l'occulter. Elle n'avait pas le temps pour ça.

-Je reviens avec des soins Silver. Attends-là, reste caché ! Ordonna-t-elle, par mesure de précaution, bien qu'elle se doutât que le roux n'était pas en état de lui désobéir.

Les pas précipités, manquant de trébucher à chaque enjambée, elle se précipita vers le lieu du sacrifice. Mais alors qu'elle s'approchait de Peter, qu'elle tendait la main vers lui, la femme, Salomée s'interposa. Son regard d'argent, aussi froid que de l'acier, et aussi dangereux qu'une lame, en cet instant, bien que Marion l'ignorât.

-Laisse-moi passer. Déclara la blonde, autoritaire, indéfectible.
-Non.

Salomée sourit.

-C'est impossible pour le moment, ils sont en conversation avec Arcéus, en cet instant. Peter est en train de devenir gardien. Personne ne doit le toucher, ni lui, ni Eléanore. Qui sait ce que pourrait vous faire Arcéus ou le rituel interrompu ? Tu ne voudrais pas voir ton âme imploser et disséminer aux quatre coins du temps et des dimensions avec la sienne, n'est-ce pas ?

Bien que pendant une brève seconde, une seule et unique, le soulagement saisit Marion, de savoir que Peter ne se sacrifiait pas, cela ne dura pas. Le poids de leur pêché, le poids de leurs actes, ne lui laissa aucun moment de répit. Le doute non plus.

-Comment…Comment peux-tu sortir… ?

Quelques informations, toujours vague au propos de cette femme, à qui, ma foi, elle n'avait accordé que peu d'intérêt, remontèrent en elle. Elle était presque certaine, que Peter lui avait dit, que Salomée ne pouvait sortir de la grotte de Cristal, sans rouvrir ses vieilles blessures mortelles. Alors…Comment pouvait-elle se tenir en dehors des limites ?

Alors, Salomée lui envoya un sourire, innocent, simple, et Marion sentit un nouveau frisson lui remonter l'échine, accompagné d'une panique irraisonnée.

-PETER !

Elle se précipita vers le maître dragon, mais malgré leur proximité, il ne sembla même pas l'entendre. Le bras de Salomée lui barra la route et la ceintura.

-PETER ! Réessaya-t-elle, en vain.

Ni lui, ni Eléanore, ses cris ne parvenaient à aucune d'entre eux.

-PETER JE CROIS QU'ELLE-

Et là, rien, plus aucun son ne sortit de sa bouche, le vide total, elle-même sentait ses lèvres remuer, mais rien n'en sortait. Ahurie, elle porta une main à sa gorge, et avant même de comprendre réellement ce qui lui arrivait, elle se fit propulser en arrière, Son dos heurta la colonne du fond, et cette fois, la douleur de son ventre, se fit insupportable. Elle se recroquevilla sur elle-même. Et Silver, derrière elle, caché, témoin une fois encore, vit Salomée poser son regard de glace sur la blonde, et, dans sa main serrée, il remarqua, de fils. Des fils rouge sang.

Chacun de ses fils, sortant de nulle-part, rejoignait le dos d'Eléanore, Peter et Marion.

Silver maudit la migraine qui le clouait au sol, qui rendait ses membres si lourds, qu'ils paraissaient se fondre dans le marbre…Et luttant, rassemblant toutes ses forces, il attendit. Il attendit une ouverture, il attendit que la souffrance de son crâne décroisse, il attendit son heure, et se promit, qu'il ne la louperait pas. Même si pour cela, il devait affronter la personne qui l'avait fait tenir, durant toutes ses sombres années.

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In the moonlight I felt your heart

Quand les premières notes de la mélodie retentirent autour d'eux, Samantha, ferma les yeux. De toutes ses forces, jusqu'à ce que ses paupières lui soit douloureuses. Alors, elle avait levé la tête, vers le ciel, les poings serrés, et elle avait ravalé, ravala son hurlement, les sanglots qui étaient apparu en même temps que cette chanson.

Et elle sentit, dans chaque fibre, de son être, son échec, avant de rouvrir les yeux. Déterminée.

Tant que pulsait encore un souffle de vie, tant que la mélopée continuait, repris par ce qui semblait être la terre même, Eléanore était vivante. Elle ne la laisserait pas pousser la dernière note.

-Gabriel, montre-moi le chemin.

Le gamin sursauta, dans les bras de son frère, et il hocha du chef, docilement pour une fois. Daniel, étonné, fronça les sourcils avec la même volonté qu'elle. Il ne la reconnaissait peut-être pas, mais leurs intentions elles, s'entrecroisaient. Samantha prit instinctivement la main d'Akira, pour l'emmener avec lui. Lucas fit un pas en avant, et quand Cristal voulut le suivre, il se tourna aussitôt vers elle.

-Non, reste-là.

La cadette Heart sursauta, mais elle fronça fit une moue exaspérée :

-Ah non ! Je viens si Eléano-
-Je ne sais pas ce qui se passe, mais ça a l'air dangereux, insista Lucas.
-Et alors tu crois que je suis trop faible pour-
-Cherche ton frère, et rejoins-nous après.

Cristal, prise au dépourvue, garda la bouche ouverte, et Lucas en profita pour lui désigner le Capumain de Gold, trônant sur la tête de Yuki.

-Il vous rejoindra et montrera le chemin ! Vas-y avec Chris et Angie et…
-D'accord, ça me va !

La brunette opina du chef, et se retourna vivement, sans prolonger la conversation, attrapant chris et Angie pour les entraîner avec elle. Lucas sourit, et d'un commun accord, Samantha, Daniel, Gabriel, Yuki et Sam s'enfuirent en courant.

Samantha observa Lucas du coin de l'œil, et elle sut, plus ou moins, que le garçon, n'avait usé que de cette excuse pour éloigner la cadette Heart du danger, sans risquer de la vexer. Peut-être, son ami, ne se l'avouait-il pas à lui-même, mais il tenait à Cristal.

Un cri en arrière, la tira de ses constations, mais elle ne se permit pas, de regarder ce qui causait tant de tumultes dans son dos. Ils ne pouvaient pas se permettre d'attendre, le chant lui, résonnait, de plus en plus fort, de plus en plus puissant. La nature autour d'eux, paraissait danser sous la brise, envoyant leurs prières conjointes, telles les feuilles emportées par le vent du renouveau.

Soudain, alors qu'elle enjambait une motte de terre impromptue sur le sentier, Yuki s'arrêta. Sam eut qu'une menotte avait saisi son poignet et l'avait rappelé à l'ordre. Son bras eut un étrange bruit et elle partit en arrière pour s'étaler sur le sol.

-Monsieur !!

Mais son cri se répercuta dans le vide, Akira, blême, porta la main à ses yeux ternes. Et Si ses prunelles restèrent dénuées de toutes émotions, son corps lui, paraissait frémir d'une terreur sourde. Le cœur de Sam se compressa, tiraillé. Elle devait se presser ! Eléanore…Eléanore…

Daniel et les autres prenaient déjà de l'avance par rapport à eux, ils allaient les perdre ! Et Samantha savait, que personne, à part elle, à part son pouvoir d'arrêter le temps, n'empêcherait sa vision de se produire.

-Je…

Le professeur trébucha à son tour, et avec panique, il scruta le vide, avant de froncer les sourcils, et dans sa vision étriquée et sombre, où la silhouette gracile de son élève se perdait, en cet instant, il n'y avait qu'une seule lumière, qu'une seule image nette.

Quiver like a bowstring's pulse
In the moon's pure light, you looked at me

Celle d'une Eléanore au sourire mélancolique.

« Hey, c'est par vous, que tout a commencé, alors…Je me suis dit, que forcément, je devais commencer les adieux par vous. »

Elle haussa des épaules, et eut un rictus. Et si Yuki sentit son élève lui étreindre le bras, dans le lointain, s'il perçut ses jambes se redresser pour reprendre une course, auquel seul son corps participait, rien d'autre, que le fantôme lumineux, disloqué d'Eléanore, ne l'atteignait.

« Je crois qu'on peut compter sur les doigts de la main, le nombre de fois où vous avez couru. J'aurais au moins le mérite d'être responsable de beaucoup d'entre elles ! »

Elle ricana, bombant le torse, le suivant à la trace, sans même un effort. Yuki ne parvint pas à prononcer un mot, tant la remarque, lui rappelait cette toute jeune enfant, et combien, malgré sa raison, cette hallucination lui paraissait réelle.

« Mais qu'est-ce que vous avez tous à me prendre pour une hallucination aujourd'hui ! »

Eléanore roula les yeux vers le ciel, et croisa les bras, une moue irritée sur la frimousse, le nez renfrogné.

« Enfin...Je suppose, que la situation a l'air un petit peu impossible. C'est tout moi ça, réussir l'impossible au dernier moment. »

Son regard se voila de tristesse, et Akira, qui avait si peu perdu l'habitude de voir aussi claire, en eut le cœur brisé. Il avait oublié, à quel point la cécité le protégeait de la douleur des autres.

Mais Eléa secoua la tête vivement, et quelques mèches de ses cheveux semblaient se dématérialiser, s'égrainer pour disparaître dans le néant dans ce mouvement.

« Hé, prof…Vous savez quoi ? Vous êtes sûrement l'enseignant le plus dingue, et le moins pro que je connaisse. Chuis sûre que j'aurais put être un adulte pire que vous, mais franchement, vous êtes dans le peloton de tête ! »

Akira eut la gorge qui se serra, appréhendant déjà, ce qu'il comprenait comme des adieux. Eléanore observa le sol avec mélancolie, sans quitter son sourire, sa voix pourtant, s'affaiblit.

« Mais…C'est bizarre, avec vous j'ai appris bien plus que quand j'étais assise sur un banc à l'école. C'est sûrement étrange, parce que niveau cours, vous vous êtes pas cassé le cul, faut être franc, j'ai pas le souvenir d'une seule de vos leçons. »

Le professeur se crispa, et malgré lui, il ricana. Oui. Ca, il n'avait pas une conscience professionnelle très accentuée. Il préférait de loin, que les enfants tirent leurs enseignements d'expériences inoubliables, qu'ils apprennent d'eux-même, pour en saisir toute l'importance, toute l'essence. Eléanore participa à son hilarité.

« Non…Ca c'est sûr, vous nous avez jamais fait la moral, la seule fois où vous avez essayé, ce soir à Argenta, à cause de ma maladie, j'vous ai remis en place ! »

Elle croisa les bras dans son dos, et avec sérieux, tendresse, elle ajouta :

« Pourtant, vous avez écouté, vous avez écouté ce que j'avais à dire, et vous avez accepté. Et vous avez veillé sur moi, vous avez veillé sur nous tous, quand on avait besoin de vous, même si c'était dur, même si ça vous embêtait clairement, vous êtes quand même venus. Vous êtes toujours venus, vous êtes toujours resté là pour nous. Vous avez sauvé Silver. Vous avez sauvé Samantha, et sans vous, on se serait probablement fait avoir pas mal de fois. »

Yuki secoua la tête, sans trop savoir pourquoi, peut-être, parce qu'en vérité, cela ne l'avait pas ennuyé, il avait voulu les aider, de tout son être. Peut-être, parce qu'il savait également, que quelques embêtements, provenaient de lui également. Peut-être, aussi, parce qu'il ne désirait pas entendre la suite. Il ne savait pas. Il souhaitait juste que la gamine, devant lui, cesse son discours, cesse ses sottises, et reviennent dans le monde de chaire et de sang, en face de lui, là où il ne pourrait la voir, mais la prendre dans ses bras, et l'empêcher, l'empêcher de mourir, de les quitter tous. Parce que lui, connaissait la peine de perdre un être cher, il y avait goûté, même si cela n'avait été qu'un bref instant. Eléanore haussa des épaules.

« Vous aussi, vous avez fait des erreurs, comme nous, mais…Ce que j'aime bien, c'est que…On a le droit d'avoir tort, on a le droit de se tromper, pour vous c'est pas grave. L'important c'est qu'on soit en paix avec soi-même, hein, c'est ça…C'est ça, que vous avez voulu nous faire comprendre, hein ? Me faire comprendre…Tant qu'on est en règle avec nous-même… »

Parce qu'il était responsable de cette gamine, et qu'elle interprétait ses mots, ses leçons, pour se séparer d'eux, d'une manière qu'il lui était insupportable. Parce qu'il avait échoué lamentablement, et qu'il ne parviendrait pas à la sauver.

« …Et bien je suis en paix avec moi-même là. J'espère faire le bon choix, j'espère vraiment, mais je suis pas sûre, peut être que je fais une grosse bêtise en fait. »

Oh oui, elle faisait une bêtise, la plus grosse de sa vie. Et elle aurait mérité une fessé déculottée.

« Oh, heureusement que je suis immatérielle ! » Ricana Eléa, dans un rire.

Yuki siffla, la gorge serrée, et il détourna la tête, mais elle se plaça, elle se trouva, là, toujours, comme omniprésente. Et dans un dernier sourire, dans une dernière demande, un dernier regard, une moue, elle lui déclara gravement :

« Mais, si jamais je me plante, vous serez là, hein, vous veillerez sur eux, n'est-ce pas ? Vous serez encore et toujours là. J'vous fais confiance, je vous les confie… »

Et elle se dissipa fugace, éphémère, retournant aux ténèbres de sa vision. Mais quelques mots, quelques sons, persistèrent par delà sa disparition, vibrant, suintant, avec compassion et pitié à la fois.

« Vous pouvez arrêter de courir maintenant, je crois… Moi, ça fait longtemps que j'ai arrêté. »

Et les jambes d'Akira, se dérobèrent à nouveau sous son poids.

Nobody knows your heart

Samantha trébucha avec lui, et couverte de boue, elle se redressa, et tira. De toutes ses forces, de toute sa volonté. Glissant et glissant encore, perdant ses chaussures dans la vase, imbibant ses chaussette de gadoue, sans même s'en soucier.

-MONSIEUR ON VA LES PERDRE ! MONSIEUR ! Lui hurla-t-elle, la voix cassée.
-Eléanore…

Samantha se raidit, au ton de son professeur. Et elle l'observa, défaite, interloquée. Elle le vit alors, serrer les dents, les poings, et se lever d'un bond, pour la prendre par la taille et la placer sous son bras. D'une mine décidée, il fit un premier pas, et accéléra.

- Monsieur ? Bafouilla Sam, étonnée, ballotée, voyant la distance entre eux et le groupe de Daniel s'étrécir à vu d'œil.
-Je vais lui apprendre moi, à user d'autorité ! C'est qui le prof entre nous deux ? Elle ou moi ? Scanda Akira, avec un regard noir.

Et le silence qui suivit, seulement entrecoupés par les bruits de la course, ne permit à personne de donner une réponse.

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Cristal sentait à peine ses jambes, elle voyait la foule de membre scruter le ciel autour d'eux, étonnés, avec un sourire béats sur les lèvres, commentant platoniquement à leur voisin « combien cette musique était jolie ». Elle percevait Chris et Angie la talonner, mais elle tâcha de se concentrer sur la foule, à la recherche de la silhouette de son frère, planifiant déjà ce qui se déroulerait par la suite. Elle appellerait Suicune, pour rallier les autres le plus rapidement possible, sous la direction de capumain.

Lucas croyait peut-être l'avoir, en lui donnant l'excuse d'aller chercher du renfort, mais elle allait le trouver, son abruti de frangin et les rattraper, en un clin d'œil, qu'il n'ose même pas affronter encore elle ne savait qui sans son aide. Plus jamais, jamais elle ne subirait la même souffrance, qu'au jour où Peter l'avait assommée pour l'empêcher d'aller sauver son frère lors de la prise d'otage. Ou même celui affreux où ils avaient sillonnés la mer pour ne découvrir qu'un cadavre.

Non, si elle devait y passer, alors ce serait avec eux au moins.

Elle passait entre une Makanie au ventre rond, et un Aaron tout babillant –comme quoi il allait reprendre cette mélodie comme berceuse pour le bébé- quand un cri retentit dans son dos. Chris et Angie, les prunelles écarquillées, s'étaient arrêtés en court de route. Le temps qu'elle fasse demi-tour dans un dérapage absolument non contrôlé, qui lui valut de s'étendre lamentablement dans la gadoue, ils pleuraient déjà à chaudes larmes, serrés l'un contre l'autre, reniflant bruyamment.

-Qu'est-ce que ? Balbutia Cristal.
-C'est…
-C'est…
-Eléanore !
-Le fantôme…
-Il…
-Il nous a parlé et…
-Il nous a dit adieu ! Pleurnichèrent-ils synchrones.

Cristal fronça les sourcils, mais elle n'eut pas le loisir de décrypter ce charabia, une voix la tira de ses réflexions.

«Chris et Angie ont toujours tendance à dramatiser, tu ne trouves pas ? »

Et quand elle se retourna, ce fut pour faire face à la silhouette spectrale d'Eléanore.

When the sun is gone I see you

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Lucas avala de travers sa salive, il ne parvenait pas à saisir véritablement ce qui venait de se produire, il lui semblait pourtant, que la seconde précédente, il courrait le plus rapidement possible, aux côtés de Daniel, à la recherche d'Eléanore, incapable de déchiffrer le chao de ses sentiments. Et la seconde suivante, le temps que son pied heurte à nouveau le sol dans une énième foulée, tout était devenu comme noir autour de lui.


Beautiful and haunting, but cold


Et elle était apparue. Innocemment, là, au milieu de ces ténèbres. Le spectre d'Eléanore, et tous les doutes, les hideuses conséquences que cela pouvait signifier. Et elle l'avait toisée, simplement, dans un mélange de désolation et de sévérité.

Est-ce que, cela impliquait qu'ils arriveraient trop tard, qu'il était déjà trop tard, avant même d'avoir commencé ? Lucas avait senti les forces l'abandonner, quand le fantôme, à la chevelure se désagrégeant sous un vent invisible, telle de la rouille, avait ouvert la bouche.

« Dis-moi, toi, t'en as pas marre de regarder ? »

Et Lucas avait sursauté. Ebahi, interloqué, par tant de reproche dans ce ton. Eléanore avait alors porté ce qu'il restait de sa main sur son cœur, probablement inerte, à présent.

« Tu sais Lucas, tu peux m'en vouloir, tu peux cracher sur ma tombe, et tu sais quoi, j'pense même que je le mérite. Moi, j'l'aurais fait.»

Elle le dévisagea, suspicieuse, comme attendant une réaction de sa part. Mais Lucas fut incapable de lui en fournir. Comment devait-il se comporter au juste ? Il ne savait pas, il ne savait pas ce qu'il convenait de dire, ce qu'il convenait de faire, ce que l'étiquette recommandait dans ce genre de situation. Il se trouvait toujours démuni face à l'indifférence froide de la mort, et le vent apathique qu'elle soufflait sur ses compagnons.

Et là, il vit le regard d'Eléanore briller furtivement de tristesse.

« Lucas, je sais qu'on n'est pas si proche que ça, t'es mon ami, mais j'suis pas la fille que tu préfères dans le tas, en plus, je te pique ton meilleur copain, et ce que je fais va sûrement casser ta meilleure amie. Tu dois avoir envie de me boxer ! Tu dois avoir envie de me frapper de toutes tes forces ! Pour ça ! Pour t'avoir menti ! Pour vous trahir tous ! »

Et elle secoua la tête, vivement, violemment, comme essayant de palier la paralysie du gamin, par sa propre énergie, ses propres gestes. Elle ouvrit grands les bras vers lui.

« Bah alors, qu'est-ce que t'attends Lucas ? Boxe-moi, file moi un pain, hurle ! Fait quelque chose, mais reste pas inerte comme ça à me regarder avec cet air désolé ! C'est juste…C'est juste insupportable ! »

Sa voix se brisa en un millier de petits morceaux, et Lucas eut l'impression de percevoir l'écho de son propre cœur. S'il ne pouvait même pas se montrer pris au dépourvu, qu'est-ce qu'il devait faire… ? Qu'est-ce qu'ils voulaient tous qu'il fasse ? Il ne pouvait pas…il ne pouvait pas céder simplement à la panique, hurler et…

« Tu n'as rien à prouver à personne, encore moins à tes parents ou à moi ! Sous prétexte que c'est pas possible, c'est pas correct, tu me frapperais pas ? Pourtant je le mérite là. Frappe-moi ! »

Lucas en eut la nausée, comment pouvait-il seulement songer à la détester, comment pouvait-elle seulement l'inciter à la haïr… ? Elle lui faisait plus de compliments à sa manière qu'il n'en avait jamais reçue de la part de ses parents. Elle lui accordait, le droit qu'il n'avait jamais su prendre pour lui-même. Alors comment pouvait-elle seulement se dénigrer de la sorte ?

« C'EST CA TON PROBLEME ! »

Eléanore hurla, et sa voix sembla s'enrailler tant étreint de colère.

« T'es comme Daniel ! Tu crois pas en toi ! Tu crois tellement pas en toi que tu n'oses pas ! Mais bon sang, qu'est-ce qui vous prend à tous les deux ? Vous êtes tellement gentils ! Quand j'étais malheureuse sur la colline, tu es venu et tu m'as rassurée. Tu m'as rassurée à propos des étoiles ! Lucas bon sang, tu es tellement plus malin que moi ! Tu es plus fort que moi aussi ! Alors pourquoi tu ne te sers pas de ce que t'as ? Tu m'énerves avec ta tête de malheureux ! Tu m'énerves à faire genre que tu n'es pas capable de faire quoique ce soit tout seul ! Tu m'énerves à dire que tu n'es pas mâture ! Tu es certainement le garçon le plus mâture de tout le groupe ! Alors mince, croit-en toi pour une fois ! Et si c'est tellement au dessus de tes forces, alors croit-en ce que je te dis là ! »

Eléanore balaya l'air de la main et Lucas sentit ses propres barrières voler en éclats sous son geste.

« Regarde en plus mes derniers mots, ils sont moches, y-a pas de poésie, tout ça ! Toi t'es fort pour les mots, t'es fort pour les stratégies, tu sais bien réfléchir. T'as un bon cerveau mince : alors sert-en ! Toi tu as la chance d'avoir une bonne tête, tu peux trouver des solutions à tes problèmes, tu peux t'en sortir : Utilise-la ! Utilise ta foutue matière grise, et envoie foutre la politesse et le correct ! Agis Lucas ! Aide-les ! Fait que mon sacrifice, aussi stupide et dérisoire soit-il, puisse avoir des résultats, ne soit pas vain ! Je te fais confiance là-dessus, je sais que tu peux le faire. Je me fiche totalement de ce que tu choisiras, qui tu aimes, qui tu détestes, même si je fais partie de la liste, t'as rien à me prouver, je sais déjà tout ce dont tu es capable… »

Eléanore se releva, et comme aspirée par les ténèbres environnantes, elle se dissipa, seul l'écho de ses derniers mots résonnèrent en Lucas, par delà sa présence, longtemps, longtemps après que la lumière et les couleurs ne soient revenue le réchauffer.

« Je sais que tu es capable de les aider, de les soutenir ! Et il faut que tu le fasses Lucas ! Il va falloir que tu sois là auprès des autres ! Parce que je ne serai plus là ! Parce qu'ils vont en avoir besoin ! Tu ne peux plus être spectateur de ta propre vie maintenant ! »

Une main se posa sur son épaule, et Lucas tressaillit. Il leva lentement le crâne, se rendant compte, qu'il se tenait à genoux dans la boue, les joues encore honteusement humide. Daniel le dévisagea, la mine soucieuse.
Et à la vue de ce visage rond, de son ami d'enfance, qui s'attardait encore pour l'attendre, alors que son monde de ces dernières années s'effondrait, Lucas sentit son cœur se gonfler. D'un geste violent il essuya ses joues, et se redressa.

-On a pas le temps pour ça Daniel !

Yuki les rattrapa, portant Samantha, et Lucas écrasa de nouveau une de ses larmes sur ses joues rouges, alors qu'ils se remettaient à courir, la cascade en vue à l'horizon. Un rictus lui étira alors les lèvres, ironiques. Vraiment, il n'y avait qu'Eléanore, pour venir hanter les gens uniquement pour leur dire leurs quatre vérités en espérant les aider.

Il accéléra la cadence.

Gabby, dans les bras de son frère, observa longuement la grande asperge face à lui, et ses lèvres se pincèrent d'inquiétudes. D'abord Yuki, puis lui…Qu'est-ce qui leur arrivait à tous, les uns après les autres. Il fallait qu'ils se pressent, il ne savait pas combien de temps, Silver, Eléa et Nath pouvaient bien tenir. Soudain, Daniel pila, Gabby crut être projetée en avant, mais une main l'empêcha de tomber et le plaqua contre le torse de son aîné.

Lentement, il ouvrit de nouveau un œil, et reconnut le passage derrière la cascade.

-C'est par là. Approuva-t-il avec une grimace à son frère.

Daniel fronça les sourcils, et silencieusement, il déposa son cadet à terre.

-Je ne vais pas pouvoir te porter avec ma cheville, désolé. Avoua-t-il, alors qu'il jaugeait du regard l'ascension s'annonçant.

Lucas se mordit la lèvre inférieure, et il se retourna vers capumain qui accourait, suivi de près par Yuki et Samantha.

-Va chercher Gold, et montre-lui le chemin jusqu'ici, mais ne laisse pas Cristal venir, d'accord ? Ordonna-t-il au petit Pokémon. Le singe ricana, et fit demi-tour presque aussitôt.

Like the blade of a knife, so sharp, so sweet

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Cristal trébucha, les jambes grelottantes, titubantes sous son propre poids. Chris et Angie, pleurnichant dans son dos l'aidèrent à se redresser, et d'une main hésitante, la cadette Heart passa une main sur sa bouche, pour empêcher sa salive de couler, emportée par son souffle erratique, rendu chaotique par le choc plus que par la course.

Elle plissa les yeux jusqu'à s'en fendre les paupières, jusqu'à retenir ses larmes.

Eléanore lui avait parlé. Eléanore lui avait fait ses adieux, ses dernières recommandations. Son dernier discours.

Rien que ce constat lui arrachait le cœur et les entrailles.

D'un regain de détermination, dans un pic de refus, elle se redressa et scruta la foule du regard. Entre Makanie et Aaron, entre les champions, les membres anonymes, elle devait, elle devait reconnaitre la silhouette de son frère. C'était important, c'était urgent. Pourquoi cet imbécile n'apparaissait-il pas comme dans son enfance ? Ne comprenait-il pas qu'elle avait désespérément besoin de lui ? Rien que pour s'enfouir dans ses bras, pour y retrouver sa force et son optimisme perdu ?

-Je le vois ! S'exclama brusquement Angie.

L'ex-voleuse pointa du doigt un personnage dans la foule, et le regard de Cristal suivit la courbe de son bras, coula jusqu'au concerné, obliqua et se planta droit sur celui qu'elle recherchait si intensément. Gold se tenait, immobile, la mine sombre, dans une masse d'anonyme, semblant vouloir s'y confondre et y disparaître.

Cristal ne lui en fournit pas l'occasion et elle se jeta sur lui, manquant de le renverser.

-ABRUTI OU TU ETAIS ENCORE PASSE !

Gold, outrepassa la surprise, et reprit son air accablé, et si Cristal, même paniquée et stressée, remarqua bien les marques sur son visage, son nez un peu écrasé, le sang séché à ses tempes et ses narines, ou les boursouflures autour de ses lèvres et enflant sa joue. Elle décida simplement, que le temps ne lui permettait pas de demander des explications à tout cela.

-Gabriel est venu nous voir ! Eléanore et Silver ont de gros problèmes ! Il faut qu'on aille les aider, et vite ! Les autres sont déjà partis en avant ! Si on court on peut peut-être…

Alors, sans qu'elle ne le réalise, Gold dégagea son bras de son étreinte, l'expression fermée.
Encore avec ça ?

-Et alors ? Qu'est-ce que j'en ai à foutre d'eux ?

Rien ne peut décrire tout ce que balaya en Cristal cette simple phrase s'extirpant des lèvres de son frère.
Gold, avait été le pilier de son enfance, bien plus puissant et résistant que sa mère. Gold avait été l'enfant qui se bagarrait pour elle dans la cours de l'école, il avait été celui qui avait accepté et protégé son côté garçon manqué, il avait été celui qui l'avait invité à jouer avec lui et les autres garçons de leur village, il avait été celui qui la protégeait des pestes mauvaises langues, il avait été le grand frère protecteur punissant ceux qui osaient s'en prendre à elle. Il avait été sa sortie de secours, la main secourable qui lui avait permis de quitter le logis familial pour l'emmener vivre des aventures que même imaginaire d'enfant n'osait lui dépeindre. Il avait été sa force et son soutien, son bouclier et son sauveur.

La sensation de vide, occulta tout le reste, la colère, le chagrin l'incompréhension, et avant même qu'elle ne le réalise totalement, Gold se tenait étalé sur le sol, la pommette rougie. Cristal, le souffle tremblant, raclant sa gorge, la poitrine se soulevant par à-coup, la main irradiée, brûlante sous le coup trop puissant qu'elle venait d'envoyer, le contempla ainsi, sans une autre expression que celle du choc.

Et alors, alors là, aucun mot, aucune parole ne parvinrent à franchir ses lèvres pincées par l'émotion. Sa mâchoire se crispa, ses dents grincèrent les unes contre les autres, claquantes, coupant tout ce qu'elle aurait voulu dire et au quel elle n'arrivait pas à donner forme. Et les larmes lui échappèrent. Roulèrent sur ses joues, interrompant son souffle, emprisonnant ses forces dans une paralysie insupportable, tendant son corps dans un unique hoquet de déception.

Gold écarquilla des prunelles devant un Chris et une Angie, attristés du spectacle, mais silencieux.

C'est dans cette ambiance, que déboula un Capumain, essoufflé par la course. Mais en cet instant, Gold ne le remarqua pas, en cet instant, il n'y eut qu'une phrase, qu'un visage, mais était-ce celui de sa sœur ou de l'autre, il ne le comprit que trop tard.

« T'es vraiment trop con. »
Nobody knows your heart

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Gabby observa l'effervescence qui montait en chacun des membres du groupe, alors qu'ils contemplaient le sommet à gravir, tandis que la chanson, insupportable tic-tac de la grande horloge des Destins se mettait en branle.

Inconsciemment, et bien qu'il le regrettât aussitôt ; Gabriel songea à son père. Où s'était-il perdu dans cette montagne ? Là où il se tenait, le pic paraissait éventrer les cieux de sa pointe acérée, et la cascade aussi belle était-elle, mugissait, surgissait de cette gueule béante, rendant la pierre suintante d'humidité, luisante, comme polie, infranchissable. Soudain, l'assourdissant bruit de l'eau s'éclatant contre la roche, s'interrompit, et une voix sonna dans le silence tout frais.

« Tu as la trouille Gabby ? »

Gabriel réalisa avec irritation que oui. Peur pour son père, peur de cet obstacle bien plus puissant, imposant que lui, à l'image de cette fatalité écrasante qui avait été leur étau toute l'aventure durant. Soudain, il reconnut le timbre dans son dos, et un frisson lui remonta l'échine, lui hérissa la nuque. Il se retourna brusquement.

Eléa lui sourit le plus naturellement du monde.

All of your sorrow, grief and pain

La raison et le rêve se confrontèrent. Il était impossible que la silhouette fantomatique devant lui, oscillante, battue et disséminée par un vent invisible, soit en réalité Eléanore, et pourtant, tout l'univers entier autour de Gabriel semblait s'être étriqué, résumé, à cette seule ombre souriante. Et spontanément, Eléa se pencha en avant, vers lui, les mains entrecroisées dans son dos, à son niveau, pour lui porter un regard dont elle seule avait le secret. Pénétrant, inébranlable. Mais les prunelles que son cadet adorait, ne se pâmait plus de cette étincelle de vitalité, aussi magnifiques qu'ils furent, ils ne dénonçaient plus aucune volonté de vie.

Et pendant une seconde, une seconde d'égoïsme, d'objectivité, le gamin comprit. Qu'ils l'atteignent à temps, qu'ils l'arrêtent, qu'ils la sauvent, la Eléanore qu'ils avaient tous connus et aimés, était déjà morte. L'espoir, le renoncement, l'usure, l'avait tué depuis bien longtemps.

Le spectre face à lui s'enchanta, comme percevant ces réflexions intérieures, comme pour le remercier muettement de la comprendre. Alors, elle ouvrit la bouche, riant à moitié.

« Gabriel…Tu sais quoi ? J'vais te dire la vérité, t'es qu'une peste, imbue d'elle-même, égocentrique. De tous, tu es surement celui que je comprends le moins. Plus que ton frère encore. C'est ironique, que ce soit toi qui me saisisses le mieux, au final. »

La remarque le toucha bien plus qu'il ne pouvait l'avouer, et il déglutît, ravalant sa morgue, sa blessure. Eléanore fronça les sourcils, sans se départir de son sourire, ce qui jura affreusement avec le ton sévère qui suivit. Mais, la morale, ne s'accordait jamais au teint d'Eléanore.

« Gabriel tu es un gosse, tu n'as pas besoin de tout ranger parfaitement, d'être adulte, t'es encore qu'un enfant qui a toute la vie devant toi. Tu comprends cette chance, ou pas ? »

Il détestait, haïssait quand elle usait de cet argument, cela le mettait toujours horriblement mal à l'aise. Parce qu'il n'y avait rien à répondre à cela, il n'y avait pas de moue convenable, pas de paroles acceptables dans ce genre de situation. Pas même une seule phrase de répartie qui pouvait la rembarrer. Il y avait juste, de la peine, et l'impuissance. Une impuissance, que Gabriel exécrait plus encore que cette discussion qui l'y noyait tout entier.

« Non, parce qu'avec ta tête de renfrogné, on dirait vraiment que t'attends rien de la vie… »

Constata froidement Eléa.

« Pourtant, y-a des trucs qui t'amuses, ça se voit, que t'aime bien taquiner ton monde, ça se voit que t'aime des gens, ça se voit que tu veux être reconnu. Alors…Pourquoi tu essayes tant de nier ce qui t'atteint, de couvrir chaque compliment derrière une insulte ? C'est si mal d'avoir des amis, d'aimer ta famille, c'est si mal d'avoir des rêves ? Je ne comprends pas, pourquoi à chaque fois que cela devient personnel, tu mets tes distances, tu t'éloignes. Avec tes Pokémons, pourquoi tu ne les câlines jamais devant nous, pourquoi tu fais semblant de les détester alors que tu joues avec eux, que tu leurs achètes des chapeaux, que tu surveilles tout pour qu'ils soient en bonne santé ? Ca te tuerait de le faire en public, c'est si pitoyable que ça, honteux ? »

Il n'avait pas d'explication, à ce phénomène, il était comme ça, c'était tout. Il n'appréciait pas s'ouvrir, se montrer aux autres. Il savait pertinemment combien d'autres pouvait user de ses faiblesses, de ses émotions, pour le blesser. Il savait, il le faisait. On pouvait le juger Pudique, c'était faux, prudent, un peu plus proche de la vérité, mais une fois encore, pas assez pertinente. Il ignorait, il ignorait la réponse.

L'illusion s'affubla d'une expression penaude.

« Dans ce cas, à tes yeux, je dois sûrement pas valoir grand-chose, hein ? Moi j'aime mes Pokémons. J'aime ma famille, j'aime mes amis, et j'aime ton frère. »

Elle ricana.

« J't'aime aussi, d'ailleurs, sale gosse… Et le dire à la face du monde, ça ne me dérange pas. »

Rien ne la dérangeait, elle, de toute façon.

« Ecoute-moi bien Gabby…Si je fais ça…Si je fais ça… »

Eléa s'arrêta, coupée dans son élan, et se mordit la lèvre, avant de murmurer, serrant les bras convulsivement contre elle, ses doigts s'évaporant dans l'éternité se crispant sur sa peau.

« En fait, j'arrive pas à bien savoir pourquoi je fais ça. C'est pas pour une pseudo idée du monde sauvé, ça m'intéresse pas de jouer les martyrs, et si j'pouvais, je resterai avec vous. C'est pas pour vous que je fais ça. En partie, c'est sûr, je veux que vous continuiez à vivre par devers moi, je veux que vous viviez heureux, et je veux vous aider à créer ce bonheur, je veux faire partie de ce bonheur, et je sais, que, je ne le pourrai que morte. Je sais, que mon corps ne supportera pas plus d'années… »

Son regard se ternit et Gabriel la vit se picorer le bout des lèvres, comme si cette constatation les lui brûlait.

« M-Mais, je pense…que..c'est surtout pour moi que je fais ça. »

Elle leva les yeux vers le gamin et le jaugea, la voix tremblante.

« Tu comprends Gabriel ? Tu comprends ce que je veux dire ? »

Non, il ne comprenait pas, et il ne le supportait pas. Cette femme, ne pouvait pas être Eléanore, celle, certes maligne, mais à l'intelligence sélective, qu'il avait pris l'habitude de côtoyer. La Eléanore qu'il connaissait, ne lui posait pas de telles colles. La Eléanore qu'il connaissait, ne l'analysait pas si intensément. La Eléanore qu'il connaissait…Ne se sacrifiait pas, n'abandonnait pas, ne faisait pas la leçon. La Eléanore qu'il connaissait, était immortelle, dans ses illusions d'enfant de treize ans, malgré la fatalité, malgré la maladie, malgré les aléas.

Le fantôme secoua de la tête avec violence, et serra les poings.

« J'ai des amis, j'aime des gens extraordinaires, mais je ne disparais pas pour autant derrière eux ! J'existe, j'existerai toujours ! Ils ne sont qu'un soutien pour moi, comme je ne suis qu'un soutien pour eux ! Notre individualité ne disparaitra jamais ! Tu saisis maintenant ? »

L'écho de ces mots se répercuta étrangement.

« Bien sûr, on changera forcément, on évoluera, au contact des autres, mais ce sont toujours des choix, nos choix ! Cela prouve-bien qu'en un sens, on existe véritablement, non ? …Ce choix, C'est pas un abandon, j-je crois que je ne vous abandonne pas, en prenant cette décision. Non. C'est…C'est une preuve que j'ai existé, c'est une preuve qu'Eléa Sarl a existé, et vous aimait…Elle vous aimait assez pour renier totalement ce qui l'a maintenu en vie jusqu'à présent. »

Le fantôme se redressa, les prunelles écarquillées, et elle leva les yeux vers le ciel, avec tant de morgue et de provocation, que la volonté de Gabby d'assimiler cette vision à une hallucination vacilla dangereusement.

« Oui. Eléa Sarl a existé, et elle a eu même un tas d'amis, elle a une vie super, une super putain de vie ! Elle a aimé un garçon génial, qui avait une teigne de petit frère, elle a rencontré sa meilleure amie, une fille extraordinaire, dans un voyage initiatique. Tu entends Arcéus, tu entends Gabriel. Eléa Sarl a existé ! »

Gabriel se raccrocha de toutes ses forces à ses convictions. Il ferma alors les yeux et se boucha les oreilles, la mâchoire crispée. Il ne voulait pas entendre cela. Il ne désirait pas que ces mots se répercutent en lui de manière si douloureuse, si vibrante. Alors, il se répéta, encore et encore, qu'Eléa leur avait toujours dit qu'elle souhaitait qu'ils l'oublient tous après sa mort. Et telle une prière, tel un sutras qui empêchent les dévots de sombrer dans la folie, il se répéta ce fait :

Cela ne pouvait pas Eléanore. Cela ne pouvait pas être Eléanore. Cela ne pouvait pas être Eléanore. Il ne voulait pas que ce soit Eléanore !

Soudain, malgré ses protections, la voix d'Eléanore perça ses défenses, et d'un ton plus amusé, elle lui envoya, anodinement :

« Oh, et c'est trop cool, dans mon état je suis quasi omnisciente...Alors...Si t'as des règles comme dans ton cauchemar...Prend pas d'aspirine sinon tu te vides ! C'est ce que Sam me sort toujours ! »

OH LA PUTE C'ETAIT BIEN ELEANORE !

Gabriel sursauta, prêt à assassiner cette fille qui osait s'immiscer dans son intimité, mais le spectre avait déjà disparut.

-GABRIEL DEPECHE-TOI !

Le concerné fit volte-face ; pour voir tous les autres un peu plus haut, débutant déjà l'ascension. Lucas l'attendait, et toutes les forces du gamin gorgèrent chacun de ses muscles, à l'instar de la colère montante en lui. D'un bond il le rejoignit et se remit à courir.

Ah, c'était ça hein ? Eléanore ne perdait rien pour attendre, dès qu'il la verrait, Gabriel se promit de la tuer de ses propres mains.

Locked away in the forest of the night

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Gold serra douloureusement la mâchoire, les poings contractés, les doigts raclant la terre avec remords, il détourna les yeux. Dépité, ses prunelles mordorées tombèrent une fois de plus, sur Cristal, qui pleurait silencieusement devant lui, à genoux, sur Chris et Angie, lui caressant le dos pour la calmer, et sur capumain, l'étreignant avec compatissance, tout en jetant un regard sévère à son adoré dresseur.

Et ce fut peut-être cet abominable jugement, de la part de son Pokémon, de ce petit animal, dernier cadeau de son père, qu'il avait toujours considéré, plus qu'un équipier, plus qu'un ami, comme la projection de son père disparut. En cet instant, plus que la déception de son Pokémon, Gold, vit la déception de qui aurait affligé son père.

Piteusement, Gold leva la tête vers ceux qui comptaient le plus à ses yeux avec Silver.

-Oh…Cris…

Ne pleure pas, ne sois pas triste, j'ai été idiot, ça suffit, ne t'inquiète plus, je suis là. C'était les mots qu'il aurait voulu leur dire, il aurait ailé qu'ils soient suffisants, qu'ils pansent les blessures et la douleur qu'il leur avait infligé, aveuglé dans son chagrin.

Il tendit la main vers elle, vers eux, hésitant, et il aurait souhaité. Souhaité que les prendre dans ses bras, puisse suffire, estomper les pleurs, effacer cette désillusion dans leur prunelle. Comme au temps de leur enfance, comme dans la cours de l'école, à l'hôpital, où de ses bras, il les protégeait du monde et des chagrins, alors qu'en vérité, ils le sauvaient lui, de leur simple présence. Parce qu'ils lui donnaient la chimérique idée, qu'il pouvait influer sur les destins des personnes qu'il aimait. Parce qu'ils lui conféraient une virtuelle responsabilité, une idiote raison à sa vie.

Gold s'arrêta, et se mordit la lèvre avec amertume. Comment avait-il put, se laisser submerger par la colère et la rancune ?

-Cris, je suis tellement dé…
-TAIS-TOI !

Et les ongles de Cristal crissèrent contre la terre tandis qu'elle lui jeta un nuage de poussière à la figure.

-TAIS-TOI ! TAIS-TOI ! TAIS-TOI !

Et elle ponctuait chacun de ses mots, par le même geste, par un nouveau rejet, une nouvelle poignée de boue et de cendres, le visage baissé, rivé vers le sol. Frénétiquement, une larme lui échappait pour imbiber le sol et elle arrachait une touffe d'herbe pour la lui jeter.

Et Gold se tût. Jusqu'à ce que les cris se calment, jusqu'à ce que les pleurs se tarissent, jusqu'à ce que le souffle lui manque.

-Je ne sais pas ce qui t'es arrivé Gold…

Lentement, Cristal étreignit Capumain dans ses bras, les mains souillées, mouillée de terre et de sels. Comme son dernier recours, les derniers restes de ce qui avait été ses certitudes. Elle leva les yeux vers son frère, et les joues ruisselantes encore de pleurs, elle bafouilla, tout son corps exprimant encore sa désolation et ses croyances éparpillées par le vent.

-Mais tu sembles oublier…Qu'au-delà de l'amour et de ses déceptions…Il y a nous ! Il y a ta famille, et tes amis. Et que nous, nous serons toujours là pour toi ! Parce qu'avant l'amour, il y a nous, et que quand il passe, nous, nous demeurons !

Et elle lui offrit un sourire déchiré.

-Alors dégage !

Et elle lui jeta à nouveau une poignée de poussière.

-DEGAGE ! VA LES AIDER ! ILS ONT BESOIN DE TOI ALORS DEGAGE ! DEGAGE !
-Crista…
-DEGAGE ! DEGAGE ! DEGAGE !

Gold observa Chris et Angie, qui encadraient sa sœur, tout en lui envoyant une œillade déçue, et son cœur se compressa, alors qu'il fronçait les sourcils jusqu'à s'en faire mal.

« Putain, t'es un homo qu'a tout foiré avec l'homme que t'aime, et en plus t'es trop con Gold ! »

Cristal, tout à ses pleurs et ses pensées chaotiques, sentit à peine l'ombre de son frère traverser le nuage de poussière qu'elle dressait en rempart entre eux. Aussi, quand la main de Gold, se posa sur sa tête, quand il lui enfonça ses précieuses lunettes de ski sur le crâne, avec toute la douceur d'une caresse, elle retint un sursaut, et leva la tête vers lui, ahurie.

Les prunelles solaires de Gold brillèrent de tristesse quand elles rencontrèrent celles de nuit de sa soeur.

-Je suis désolé.

Furent ses derniers mots.

Alors, d'un bond, il leur tourna le dos, et d'un sifflement, Capumain sauta des bras de sa sœur, pour bondir sur son épaule avec une expression emplie de fierté. Et dans une accélération, il se précipita vers la cascade.

Et Cristal, le contempla s'éloigner, encore tremblante de colère. Ses lèvres se plissèrent d'anxiété, et elle effleura e précieux bien de son frère, du bout des doigts.

Un dos disparaissant dans le lointain, et un sourire brisé. C'était, la dernière fois que les deux frères et sœurs se verraient. Le temps, les affres de la guerre, bien trop tôt, les déchireraient, emportant avec eux, lien, souvenirs heureux, et souhaits d'un avenir meilleur. Car, qui, n'ayant pour seul souvenir de ses êtres aimés, que leurs frimousses ravagés par les larmes et la déception, à se raccrocher, pouvait encore espérer ?

Your secret heart belongs to the world

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Daniel aurait aimé, que son cœur pulse dans sa poitrine jusqu'à la lacérer, il aurait aimé, sentir la séparation, la déchirure. Il aurait aimé que chacun de ses pensées soient tournée vers une seule et même personne, sur sa course effrénée, sur l'horizon se rapprochant de manière saccadée sous l'effet de ses pas.

Mais ce n'était pas le cas.

Comme d'habitude, le nuage, le bourdonnement continuel de ses songes, lui encombrait la tête, et l'image qu'occupait constamment Eléanore dans son esprit, se partageait entre les questions sur la future mission de Twilight et une stupide chanson d'un anime japonais qui peuplait la base de données de Gabriel, et qu'il avait du entendre, trois fois dans sa vie au maximum.

Voilà, sa petite amie crevait peut-être en haut de cette falaise, se vidant de ses forces pour il ne savait quelle absurdité, et lui il entendait une chanson, qui se mélangeait à celle qui les entourait, de manière cacophonique.

Le Kazamatsuri plissa les yeux, le nez lui piquant affreusement, s'engorgeant, et il serra la mâchoire.

Il constatait les traces de sang qui constellait les marches humides qu'il sautait en deux enjambés, il entendait la clameur des autres poursuivants tâchant de garder le rythme dans l'ascension, il percevait même, au loin, une voix familière leur hurlant de l'attendre. Mais aucune douleur physique ne faisait écho à celle qui lui vrillait les entrailles. Son pouls restait désespérément neutre et tranquille, même sou l'effet de l'effort.

N'y avait-il pas pourtant une loi, une justice, qui, même pour les handicapés sociaux comme lui, les obligeait de souffrir ? Une personne qu'il chérissait plus que tout, pouvait-elle vraiment disparaître, dans son dos, sans qu'il ne perçoive le moindre pincement au cœur ? Sans que, malgré la distance, il perçoive le fracas de la perte ?

L'idée horripilante qu'Eléa puisse disparaitre de sa vie, comme la poussière emportée par le vent, sans bruit, sans émotion, indifférente, lui donna la nausée. Alors, il se répétait, que le monde n'était pas cruel à ce point, que si dieu existait, si Arcéus avait la moindre bonté, alors il la maintenait en vie. Elle vivait, quelque part, encore, dans ces montagnes escarpées battues par les eaux et les saisons. Elle existait encore dans ce labyrinthe naturel, et tant qu'il ne s'écroulait pas, le cœur éparpillé par l'absolue conviction qu'elle les avait quittés, alors, elle le resterait.

Il voulait désespérément croire, qu'Eléanore ne pouvait pas s'effacer, alors qu'une chanson stupide et insidieuse lui trottait dans le crâne malgré les accords harmonieux qui sonnait en écho partout dans le monde.

Soudain, Daniel dérapa, sa cheville faible venait de glisser sur un des rebords des marches, et il chuta sur le ventre d'un ou deux mètres en arrière. Et quand deux bras lui saisirent les aisselles pour le redresser, quand on l'aida à se remettre sur ses pieds, plus que la douleur incandescente de sa cheville déboitée qu'il devait remettre en place, plus que la chaleureuse présence qui le soutenait, aussi glaçante que l'hiver en lui en cet instant, il les oublia.

Devant lui, Eléa se tenait, accroupie à son niveau, le fixant avec ses grands yeux d'émeraudes. Elle pencha la tête sur le côté, et ses cheveux coulèrent telle une cascade sur ses épaules, pour se dissiper dans une auréole fumeuse, écumante, telle de la buée.

Et le moment au quel, Daniel s'était accroché avec acharnement, pour se convaincre qu'il avait encore une chance, qu'ils possédaient encore une chance, pour la sauver, pour se sauver, arriva. Il n'y eut plus de chant, plus de pensées parasites, à l'instar de cet instant de paix alors qu'il sombrait entre les rayons solaires, et les ténébreuses abymes de la mer. Mais cette fois, ce n'était pas les douces zébrures constellant sa voûte aqueuse qu'il contemplait impuissant, dans une dernière résignation, se laissant couler dans le doux remous de la lassitude. C'était Eléanore.

C'était l'impossibilité, le mur infranchissable malgré les efforts, l'incapacité, l'échec d'un adieu, et ses amers senteurs d'irrémédiable.

C'était le pincement au cœur qui transcendait la distance, qu'il avait espéré et repoussé à la fois.

Eléa lui sourit tristement, en retour, comme partageant la rancœur envers ce paradoxe pathétique, et terriblement humain, qu'est désir et refus à la fois. Qu'est la limite.

« Daniel… »

Le concerné secoua la tête, dans une supplique muette. Non, ne dit pas mon nom. Ne dit pas au revoir.

« Je sais que je devrais trouver des mots à te dire en cet instant…Je sais que je devrai te dire d'être heureux sans moi, de continuer ta vie, et surtout…Surtout de chercher quelqu'un d'autre, quelqu'un qui t'aimera autant que je t'aime… »

Eléanore tendit la main vers lui, vers sa joue, mais se rétracta, les lèvres pincées. Et Daniel aurait voulu se jeter sur cette simple main, ce petit membre, si effrité, si faible. Qu'avait-elle fait ? Qu'avait-elle bien pu vivre là haut, sans lui, pour que ses doigts se disloquent ainsi au moindre de ses mouvements ? Il aurait souhaité, pouvoir récupérer les monceaux éparses, le puzzle brisés pour remettre en place, chaque pièce, combler chaque vide, chaque douleur. Revenir en arrière.

« Mais…Je peux pas. Je ne veux pas ! »

Et ils secouèrent la tête d'un même mouvement. Non, pas ces mots là, pas ces paroles.

« Je ne veux pas t'imaginer avec une autre, ça fait trop mal. »

Et si elle savait seulement, à quelle point la vision, de continuer son quotidien, de partager la même intimité, les mêmes secrets qu'ils avaient entretenus, avec une frimousse inconnue, une mimique, qui ne ressemblerait en rien aux siennes, des yeux, qui ne brilleraient jamais de la même manière que les siens…Le tuait tout autant.

« Je voulais vraiment mourir, et qu'on m'oublie, pourtant. Petite, je m'étais dit, je m'étais promise : 'une fois que t'es morte, tu arrêtes de faire chier ton monde, tu disparais et tu emportes tout avec toi pour que plus personne n'en souffre'. »

Eléa ricana, mais l'écho de son rire sembla se briser un peu plus à chaque tremolos, en milles et un morceaux.

« Je suis une vraie tête de linotte. Toi qui déteste le changement, moi je n'arrive pas à me décider là. Pourtant, je ne mériterai qu'une seule chose : que tu m'effaces de ta mémoire. »

Et oublier le son débraillé de sa voix, dans les mauvais jours ? Occulter les accents que prenait son timbre quand il fallait lutter, aller de l'avant ? Ses moues moqueuses, encourageantes et tantôt faussement furieuses et jalouses, alors qu'elle réclamait un peu d'attention ? Pouvait-il seulement supporter une telle perte ? Daniel ne se souvenait même plus de quelle façon, il avait put vivre, auparavant, sans ces petits rien qui illuminaient ses heures, devenus aussi vitales que l'eau qu'il buvait et l'air qu'il respirait.

« Mais écoute moi jusqu'au bout, d'accord ? Ca va aller. Après tout, Respirer, boire, sont des gestes tellements instinctifs, qu'on oublie même jusqu'à leur importance, leur présence, ils ne nous peinent plus. Tu vois, ça va aller. »

Mais il ne désirait pas que ça aille ! Il ne désirait pas que…Que…

« Daniel, tu es le garçon à la fois le plus fort et fragile que je connaisse. Je veux que tu comprennes une chose très importante, ce que je fais, ce n'est de la faute de personne, c'est mon choix, c'est…C'est parce que je le désire, je souhaite sincèrement vous aider à créer un monde où j'aurais été heureuse de vivre. Je vous donne un moyen d'y parvenir, le reste dépend de vous tous. Je le fais aussi pour moi. Mais je sais que vous y arriverez, j'ai confiance en vous. »

Eléa marqua une pause et lui offrit un sourire lumineux.

« J'ai confiance en toi »

Lui n'en avait aucune. Comment pouvait-il seulement en avoir, alors qu'il était incapable de sauvegarder son quotidien tant chéri, les êtres qu'il aimait ?

Eléanore se crispa. Elle n'était pas son premier amour, celui, inoubliable des premières peines et désillusions, mais à la saveur amer, si mélancolique et aigre-douce. Elle n'était que de celles qui viendraient, après, celles dont on oublie le nom. Et cette idée lui était insupportable.

« Alors voilà, je me dis…je me dis en un sens, qu'en faisant cela, je serai toujours un peu avec toi, je pourrai rester à tes côtés, quelque part, dans une toute petite partie du monde dans lequel vous vivrez. Et…Et…Et en un sens, peu importe ce que tu choisiras, si tu te maries, si tu es heureux…Je me dis, c-comme ça, ce sera un peu grâce à moi. Je serai…Toujours là. »

Elle fit une moue, et ricana, moqueuse, peinée.

« C'est kitsch ce que je dis ! C'est tellement cliché. C'en est frustrant…De penser, que c'est un cliché…Qui décrit parfaitement ce que je ressens pour la dernière fois. J'aurais aimé faire dans l'original au moins ! »

Mais elle se tût, et ses lèvres se crispèrent, se serrèrent sous la restriction, sous la retenue de ses émotions.

« …L'important, ce que tu dois retenir, Danny…c'est que même quand tu voudras qu'une seule chose, c'est
t'effondrer, même quand tes idées seront tellement confuses que tu n'arriveras plus à parler, même quand tu me détesteras, même quand tu ne souhaiteras que ma disparition, m'oublier pour vivre heureux… »

Elle détourna les yeux, alors que son timbre s'étriquait.

« Je t'en prie, laisse-moi rester avec toi comme ça. »

Ses poings oscillèrent sous sa forme spectrale, comme pour lutter, lutter contre le néant, contre la disparition.

« Laisse moi croire que mon fantôme restera à jamais avec toi, qu'il pourra te prendre la main dans les moments trop durs, qu'il pourra continuer à t'enlacer quand tu seras triste, qu'il pourra rire en même temps que toi quand tu seras heureux…Même si ce n'est pas avec moi. Même si c'est une autre qui le fait. »

Elle tendit la main vers lui, et Daniel essaya de la saisir, tremblant, mais dans un mouvement trop sec, la silhouette se dispersa en une pluie de poussières dansant dans une raie de lumière, dont seule la dernière demande perdurait encore.

« Laisse-moi, juste croire, que je ferai parti de ce monde, que je le verrai avec toi. »

Et Daniel se retrouva, le souffle chaotique, dans les bras de Lucas, encore face à l'ascension, les prunelles écarquillées, et le bras tendus vers le vide absolus.

-Tu l'as vu…Toi aussi, hein ? Bafouilla Lucas, frémissant, à ses côtés.

Et son souffle, se perdit dans le mugissement de la cascade, et la reprise de leurs courses contre le Destin. Et, dans l'esprit, étrangement clair de Daniel, où ne dansait plus que les figures, et les souvenirs d'Eléa, un mot, un mot, étranger, trancha, s'imposa.

Helpless.

Et, malgré ses jambes qui avançaient dans un dernier élan, dans un dernier mouvement rebelle, une dernière action de force, désespérée, Daniel, sut, qu'il correspondait parfaitement à la situation.

Plus aucune aide ne pourrait les atteindre, dans l'abyme où ils venaient tous de plonger.

Of the things that sigh in the dark

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Samantha vit avec horreur, Danny replacer sa cheville dans un craquement nauséeux, puis repartir en trombe vers le sommet. Et elle le vit, très clairement, ce garçon baba-cool qui avait atteint son but, d'autres pas résonnaient derrière lui.

Les leurs, ceux de Samantha, ceux de Yuki. Ceux dans le lointain, d'autres encore, des cris, des cris avec la voix de Gold, qui leur hurlait de l'attendre.

Ils passèrent devant une grotte aux reflets bleutés, que Gabriel leur ordonna d'ignorer, ils franchirent des chemins sinueux, à la roche ensanglantée, ignorant les aspérités, les renfoncements qui détenaient ils ne savaient encore quels cadavres et secrets morbides, se concentrant sur le pic, sur le ciel bleu se teintant de rouge sous le crépuscule approchant.

Et plus ils avançaient, plus Yuki, à défaut de la porter, la tirait en avant, plus elle songeait. Elle songeait à ce qui aurait put se produire, si ses choix avait été différent. Si elle n'avait jamais rencontré Eléanore, si elle l'avait laissé dans la forêt de Jade, si elle s'était séparée d'elle à Azuria, laissée aux bons soins de Régis, si elle avait refusé d'intervenir à Carmin sur mer, pour ne jamais connaitre Twilight, si, seulement, elle avait péri dans le kidnapping orchestré par Giovanni. Tout aurait été différent. Elle ne serait pas là, à courir, pour la vie de son amie, pas là. Pas là. Pas là.

N'importe quoi, aurait été préférable plutôt que d'être là.

Telle une horloge bien huilée, Daniel s'arrêta, à bout de souffle, haletant, suant à grosses gouttes, il passa sa manche sous son menton, pour s'essuyer. Et là, il murmura d'une voix suppliante, étranglée :

-Fait pas ça.

Gabriel arriva sur ses talons, accompagnés de Lucas, et ils secouèrent la tête avec véhémence.

-Mais...Quelle...idiote ! Souffla difficilement le plus petit d'entre eux, aspirant de grande bouffée, semblant sur le point de défaillir après cette course.
-Gabriel...Tais-toi...Et...Monte ! Beugla le géant en essayant de bouger de nouveau ses jambes raides. Le gamin blafard vira au rouge et éructa :
-OH la ferme Lucas !

Samantha ferma les yeux, et ses cris sourds lui raclèrent la gorge. Arrêtez ! Arrêtez ! Arrêtez ! Elle ne voulait pas vivre de nouveau cela ! Tout devait être un rêve, tout devait être son cauchemar. Arrêtez ! Arrêtez d'agir exactement comme dans sa vision.

Revigoré par cette remarque piquante Gabriel fit un pas en avant et frappa dans le dos de son frère ainé pour le pousser à continuer. Daniel, releva la tête, et serra la mâchoire avant de reprendre sa course. Les adolescents réagirent comme s'ils venaient de se faire foudroyés, ils accélérèrent. Les marches semblaient s'effacer quatre à quatre sous leurs enjambés, les sons de leurs souffles saccadés recouvrit presque totalement la mélodie enchanteresse qui retentissait partout.

Et Samantha, aurait voulu hurler, aurait voulu arrêter le temps et la Fatalité.

« Ne t'inquiète pas, ça va aller. »

Samantha sursauta, et son cœur rata une pulsation, en reconnaissant le timbre rassurant d'Eléanore. Elle tourna frénétiquement de la tête, cherchant un visage, un corps, celui de son ami, mais rien, il n'y avait rien d'autres que l'inquiétante effervescence autour d'elle, et des marches, des marches, tellement de marches !

« Tu sais, Sam, je crois, que la vie, est un grand voyage, où seuls nos choix nous mènent à destination. La mienne, mon voyage, s'achève ici. C'est aussi simple que cela. »

Et la gorge de Samantha, se compressa, sa langue lui parut gonflée et de plomb, alors que sa salive, lui rongeait la bouche aussi violemment que de l'acide, désagrégeant son souffle, ses mots, ses sanglots.

« Les gens, meurent, c'est un fait, certains plus tôt que d'autres, plus injustement aussi. Mais Sam, combien peuvent se vanter d'avoir eu ma chance ? »

La voix s'embua de mélancolie et d'émotion.

« J'ai fait une magnifique balade ! Je suis allée, jusque là om mes jambes m'ont portées, et quand je n'ai plus eu de forces, ceux que j'aime m'ont aidé à aller de l'avant, encore plus loin ! Si loin ! Moi qui était censée vivre et mourir dans une chambre d'hôpital, dans ma cage dorée, séparée du vrai monde, séparé de la vraie existence ! »

Eléa rigola, de son rire cristallin :

« J'ai vécu Sam ! Pas en héros, ce genre de personne n'existe pas, pas de manière exceptionnelle…Mais juste, en étant moi : J'ai ri, j'ai pleuré, j'ai aimé, et même si c'est moche, j'ai détesté aussi ! J'ai vu, tellement de paysages, tellement de gens, foulés tant de lieux que je croyais ne jamais connaître ! Tellement de personnes se laissent porter, vivent sans le savoir, sans compter les secondes qui s'égrainent, sans en savourer chaque minute ! Alors qu'elles me sont, toutes, si précieuses ! »

Samantha, avait été de celle, qui, petite, avait espéré, souhaité que le temps s'écoule plus vite. SI elle avait su, si elle avait su à cette époque, alors, elle le les lui aurait rendu, chacune d'entres elles, chaque moment gâché par l'impatience et l'agacement, l'empressement de grandir. Elle lui aurait volontiers tout donner.

« Moi, j'ai vécu, pleinement, totalement ! J'ai goûté, chaque seconde, bonne ou mauvaise, parce que c'était un cadeau, c'était une seconde plus auprès de mes parents, auprès de vous, auprès des Pokémons, dans ce monde si immense ! »

Eléa bafouilla.

« Dit-moi, Sam, combien ont ma chance ? Trop sont fauchés sans le comprendre, sans s'y attendre. Leur dernier souvenir se résume en une vive douleur et une interrogation qui ne trouvera jamais de réponse ! Pas moi ! Je peux voir à quel point, j'ai des amis formidables, qui se battent jusqu'à la fin pour moi, même si c'est vain, l'intention est là. »

Et la voix se para de peine et de compassion, un mélange, si savamment utilisé, roulant si délicieusement dans la bouche d'Eléanore, et si douloureusement jusqu'aux oreilles de son entourage, incapable de comprendre un tel drame.

« Trop peu, de gens, peuvent se vanter de cela. Trop de gens sont seuls, jusqu'au dernier moment. Dans une chambre impersonnelle, qui ne dénonce rien de leur combat et de leur vie, qui ne signifie rien pour eux. Dans un univers froid, qui voit ce drame, se répéter, encore et encore, jusqu'à en oublier l'âpreté. »

Le ton trembla légèrement, comme secoué par un rire, lui-même englué dans les larmes.

« On m'a trop souvent dit, que j'étais forte. C'est faux. Optimiste ? Je suis plutôt le contraire, franchement résignée. Mais, grâce à vous, je l'étais. J'étais tout cela. Mes projets, mes joies, tout ne prenait du sens, qu'avec vous. Me lever le matin, résister, ne pas montrer ma peur, sourire…J'ignore, à partir de quand, cela est devenu ainsi, mais, c'est grâce à vous, que cela prenait du sens, grâce à vous, que c'était moins une corvée qu'un simple effort. »

Samantha secoua la tête, alors que Yuki la traînait en avant, encore une marche de plus, encore une. Ne comprenait-elle donc pas, qu'il en était de même pour eux ? Pour elle ? Que leurs vies, leurs quotidiens, tout cela, n'avait de saveur, que si elle se tenait à leurs côtés.

« C'est pourquoi, Sam…Sache que…Je suis fière, d'avoir été votre amie. Je suis fière, d'avoir vécu assez longtemps pour vous rencontrer, pour que vous puissiez illuminer mes jours, plus efficacement que le soleil. Vous m'avez déjà, sauvée, il y a de longues années ! Alors, s'il te plait…ne t'en veux pas. Vis ta vie, et surtout…Surtout…»

La voix marqua une pause, comme ressassant, mâchant précautionneusement ses derniers mots avant de s'évanouir.

« Pense par toi-même. »

Oh the things that cry in the dark

Soudain, ils arrivèrent au sommet, et Daniel s'arrêta brusquement en haut du domaine, devant une accalmie dans la roche, le chant sembla s'évaporer totalement autour d'eux.

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« Hey, Miyu…Je crois que c'est le moment de se dire au revoir, c'est ton tour… »

Le spectre sursauta, alors que le chant d'Eléanore commençait lentement à s'étouffer, à s'échapper de ses lèvres, dans une mécanique bien trop indifférente, bien trop inhumaine, pour l'enchanter. Les notes s'entremêlaient les unes aux autres, dans une unisson, dans une étreinte pleine de vie, de volonté, et pourtant, elles sonnaient à ses oreilles aussi froidement que la chape de métal, du voile mortel de la faucheuse. Eléa ne se tourna pas vers lui, d'une main lente, comme un maître d'orchestre, un maître sadique mettant en scène sa propre fin, elle leva la paume vers le ciel, puis la posa sur son cœur, avant de pousser davantage sa voix.

Un battement, le spectre sentit leur poitrine imploser, comme une détonation, un signal de départ.

L'aura lumineuse, auréolant apparut autour du corps de la gijinka, tel un drap de soie d'or.

Tout doucement, sans même un bruit, fatigué ; la pulsation ralentit, jusqu'à s'éteindre dans un murmure à peine perceptible. Devant la silhouette diffuse qu'était Arcéus, elle paraissait si minuscule, si peu de chose, si insignifiante, alors que dans son monde, elle avait été, aussi primaire et vital que le soleil de ses jours, que la lune de ses nuits…

Miyu sentit la séparation, d'abord, puis de nouveau, conjointement au chant, à l'automate qu'était devenu le corps d'Eléa face à lui, cette phrase sonna à ses oreilles :

« Hey, Miyu… »

Le mew baissa les yeux, s'attendant presque à voir sa petite, sa porteuse, faire volte-face vers lui, pour lui lancer un sourire moqueur de son crû. Mais rien, le timbre, à la fois triste et lointain, s'évaporait dans le temps et l'espace, de plus en plus assourdi par son propre chant. Et cette étrangère, qui psalmodiait cette mélodie à la fois morbide et vitale, ne bougea pas plus qu'une coquille vide. Il haïssait cette mélopée si douce et harmonieuse, et à la fois si cruelle envers lui.

La douleur est un phénomène physique, pensait-il, en renonçant à son corps, en périssant, il croyait ne plus souffrir. Mais à l'instar des meurtrissures bien palpables, réelles, celles des sentiments, la plaie béante de l'âme, ne guérit pas, n'a besoin ni de chair, ni même de raison.

On a mal. C'est tout.

Comme un hurlement strident qui refuse de sortir, une brûlure palpitant en son sein, que nos doigts, nos larmes et nos mots ne peuvent atteindre. Un cri que l'on ravale, rien que de l'air, qui nous tue.

Miyu ne pensait pas pouvoir un jour, ressentir pareil maux. Il aurait aimé, ne jamais avoir à le vivre.

«On s'est bien amusés, hein Miyu ? »

Le fantôme grimaça, les images affluant vers lui, telles de fines banderoles de papiers, si fragiles, qu'un geste trop imprécis auraient put tout réduire à néant, et pourtant, solides chaines griffant son être entier, tiraillant de part en part ce qui restait de lui.

« On a beaucoup pleuré…Et on a beaucoup rit aussi… »

Un ricanement, aussi étranglé qu'un sanglot, surmonta l'écho moqueur du chant funèbre.

« Miyu…C'est grâce à toi, que j'ai pu vivre cette vie, aussi longtemps. Que j'ai pu vivre, et parfois subir, des parents merveilleux. Grâce à toi, que j'ai rencontré des amis aussi fidèles, que j'ai pu vivre mes rêves. »

Le Pokémon tressaillit, se cabrant, rejetant toute cette scène de toutes ses forces.

« Non, ce que tu as vécu, tu ne le dois, qu'à toi, Eléa. »

Il répétait mot pour mot, ce que la jeune fille avait déjà dit à Sam, comme pour s'agripper à ce qui les liait encore l'un l'autre.

Le songe rit, clairement, un son si clair et innocent, qu'il lui sembla voir ce sourire rayonner par delà l'invisible, et avec la douceur d'une plume, s'adresser à lui, telle une caresse rassurante.

« Je t'appellerai jamais Mew. Pour moi, tu resteras Miyu, jusqu'à la fin. »
« Et toi, tu seras toujours la petite peste impertinente que je consolais le soir. »

Miyu hoqueta, les souvenirs de cette petite frimousse, un peu perdue, tâtant le terrain, cherchant frénétiquement ce qu'elle allait devenir. Cette bouille d'ange qui le regardait, éperdu, et finalement lui souriait tendrement, les prunelles brillantes.

« Ensemble pour toujours, hein, c'est ce que tu me chuchotais. Même dans la mort, tu me disais que tu m'accompagnerais. »

Le fantôme grelotta, sans raison apparente, les visions du petit être, qui avait grandi, évolué au creux de son âme, tendant les bras vers lui, répondant à ses mots, à ses tendresses. Cet enfant, qui autant que ceux des Sarl, était le sien. Il l'aimait autant qu'eux, il l'adorait plus que lui-même. Son bonheur, outrepassait tout le reste, il l'avait compris, le jour où elle l'avait rejeté, si violemment, où elle lui avait ordonné de disparaitre. Elle était une part de lui, la meilleure qu'il possédait, en vérité. Il savait qu'il ne pourrait jamais survivre à sa disparition.

« Dis, Miyu… »

Le timbre cassé, l'étreignit douloureusement, et il put presque voir sa Eléa, sa petite fille à qui il avait séché tant de larmes, qu'il avait fait sourire tant de fois, lever les yeux vers lui tristement tandis qu'elle demandait résignée :

« Pourquoi tu ne disparais pas avec moi alors ? »

Et le cri, cette injustice sourde, se coinça quelque part en lui, lui vrilla l'âme de part en part. Cette mélancolie lourde comme du plomb, le retenant piégé à l'intérieur de ce corps, ne lui arracha pourtant que quelques mots :

« Je suppose, que seul le Gijinka doit être annihilé pour que ton corps puisse recevoir Arcéus. »
« Cela signifie quoi, que je ne suis pas assez humaine pour rester dans mon propre corps, mais que toi, tu l'es suffisamment ? » Plaisanta le ton, dans un crissement éreinté.

Miyu resta muet, et il sentit les mots se heurter en lui, pour l'étouffer, embaumant d'amertume rêveuse et de réalité trop acide. Une saveur douce et amère aux relents de dégoût, qui nous laisse une impression de vide, de désespoir, un creux à l'estomac que l'on ne désire même plus combler de crainte d'en vomir.

« Ce monde est vraiment mal foutu. »

Le rire faux ; ne cacha en rien la déception, ni même la solitude de l'être se dissipant dans l'auréole de lumière. Pourquoi, se sentait-il si bien en terre, si paralysé ici, au lieu de s'évaporer, de se sentir se disséminer en particule de néant, jusqu'à n'être plus qu'une minuscule voix dans l'infini, luttant contre le silence menaçant de l'étreindre ? Il l'ignorait bien trop, et le détestait déjà.

« Qu'est-ce qui va t'arriver ? »
« Je ne sais pas. »
« Si tu meurs, tu me rejoindras ? »
« Même si ça me prend un millénaire, je trouverai un moyen pour te rejoindre Eléa. »

Et ce goût, qui s'imprimait, se gravait en lui, sans qu'il ne puisse réellement nommer cette infamie, ce parasite qui s'agrippait, plongeait ses pattes dans son être, son âme, sa chaire, suçant jusqu'à son dernier souvenir heureux, se nourrissant de cet abandon, de cette résignation comme du sang, remplaçant par son venin, jusqu'à ses raisons de vivre, par les dernières images du défunt.

Nommer ce sentiment, le deuil, était erroné, car il palpitait encore trop vivement en lui, pour qu'il puisse se résigner à s'en séparer, pour qu'il en accepte sa fin.

Et dans un élan masochiste, dans un dernier bond désespéré, il s'y accrochait, y plantait ses griffes dans un infime espoir, tâchant de conserver cette catatonie si apaisante, qui maintenait en vie ses souvenirs, ses illusions, ses plus vains mensonges.

Et en même temps, Miyu le haïssait, ce serpent insidieux, parce qu'il lui faisait si mal, si mal, qu'il voulait le détruire, l'oublier, sans qu'il puisse réellement s'y résoudre pour autant, s'en détacher.

Parce que cette douleur, aussi acerbe, aussi sournoise était-elle, restait une dernière trace d'Eléanore. Et il voulait rester à ses côtés !

« Je suppose, que c'est le moment, où, je suis censée pardonner mes ennemis, et m'excuser auprès de tous ceux que j'ai blessé…N'est-ce pas ? »

Miyu frissonna, et alors qu'il esquissait un mouvement moqueur pour répliquer, elle le coupa nettement :

« Peuvent toujours courir, j'ai aucune envie de les adouber. Ce que j'ai fait, je l'ai fait. Je pars sans remord, je vais partir en vainqueur contre le destin, et même, je vais partir avec le sourire. Alors, je les emmerde ceux que j'ai blessé. Ils n'avaient qu'à pas me chercher. »

Le spectre défaillit, et encore, porté par les échos de la mélodie lointaine, telle l'écho de la fatalité, les souvenirs, d'une petite bouille renfrognée, d'une gamine vexée, se vantant, s'égosillant, tellement vivante, passèrent devant ses rétines.

« Espèce de sale gamine, tu vas même pas t'excuser une seule fois ? » Grommela Miyu, faussement, dans un rire, englué, englué dans un déni total.
« Même pas une fois ! » Répliqua amusée le timbre.

Il la voyait presque, lui tirant une grimace provocatrice, face à lui.

« Même pas pour toutes les insultes ? »
« Si je l'ai dit, c'est que je le pensais ! »
« Même pas pour tous les coups ? »
« Tu rêves, et encore, là, si j'avais la possibilité de te frapper enfin, je te collerai une baigne ! »
« Même pas pour toutes les fois où tu as été égoïste ? »
« On l'est tous un peu. »
« Même pas pour tous tes mensonges ? »
« Et puis quoi encore, j'ai rarement menti, tu sais, comparé à toi ! Si je l'ai fait, c'était pour mon bien, donc j'ai rien à me reprocher ! »

Miyu et Eléa rirent de concert, les sons si distincts de leurs timbres se mêlant l'un à l'autre avec une harmonie tendre. Une dernière étreinte avant les adieux. La seule qu'ils pouvaient s'échanger. Une étreinte emplis de mensonges, mais qui leur semblait si douce, tellement plus douce que la triste réalité. Le spectre, s'arrêta, cependant, et d'un coup, il lui murmura :

« Et pour ça, pour nous abandonner comme ça ? Même pour ça ? »

La voix si faible d'Eléanore se tût sereinement, pensivement, jusqu'à-ce qu'elle soit totalement recouverte par le chant. Le mew ferma des yeux avec émotion, et d'un ton monocorde, il expliqua lentement :

« Tu sais Eléa, au début, je n'ai vu en toi, qu'un moyen de revenir à la vie. Et pourtant, te voir chaque matin grandir un peu plus, batailler pour ta liberté, notre bonheur…M'a apporté bien plus que jamais je ne l'aurais imaginé. Savoir que tu es heureuse, me comblait de joie. Et c'est pour ça, que j'ai fini par m'effacer. Je voulais te donner les rênes, voir jusqu'où tu nous mènerais, à tant courir. Je n'ai fait que te donner une petite impulsion dans le dos, et toi… »

Il rouvrit les paupières, et fixa le néant, la douce silhouette informe se confondant dans l'éclat doré des cieux.

« Toi, tu as tellement grandi, petit à petit, tu t'es levée, tu t'es mise sur tes deux pieds, et tu as couru…Couru si loin ! Emporté tant de monde avec toi, enchanté tant de gens avec ton sourire. Tu as vécu à plein poumons. Je n'aurai jamais pensé, que la petite gamine capricieuse que je lâchais, allait devenir une si belle personne.»

« Tu te moques de moi, je ne suis pas belle, Miyu. »

Miyu ouvrit les bras, ouvrit son cœur, et relança dans un ricanement.

« Oh que si, peut être pas à l'extérieur, tu n'es pas forcément un canon, mais, pour moi, pour tes amis, tu es certainement, une personne magnifique. »

« Miyu… Tu pleures ? »

Le spectre sursauta, pourtant, il ne porta pas sa main spectrale jusqu'à son simili de visage, il ne palpa pas cette joue irréelle, cette illusion de matière. Parce qu'il savait, il acceptait, au fond de lui, que la peine soit trop grande, trop insupportable, pour que le réel devienne le cauchemar, que l'invisible devienne visible, et que les fantômes plus que les vivants se lamentent de la mort.

« Si je pouvais pleurer, alors mes larmes ne seraient que pour toi. »

« Miyu… »

La silhouette diffuse d'Eléanore se dessina plus perceptiblement face à lui, et il distingua clairement son sourire d'ange et d'innocence.

« Veille sur eux à ma place, protège-les, s'il te plait. »

Et là, comme emportée par la brise, elle s'envola. Et dans l'écho, dans la mêlée de la danse morbide, qui avait emporté Eléa dans un tourbillon, dont le compagnon avait saisi la main pour l'attirer dans un autre monde, le cahot d'une course précipitée cessa. Suivi d'un cri furieux.

Daniel, Gabriel, Lucas et Samantha, venaient de faire un pas sur la plateforme tournante, sur la piste de danse, sur la scène du dernier acte.

Et en trois coups pour débuter cette tragédie sordide, trois inspirations, trois souffles murmurés, dont l'écho se répercuta infiniment autour de lui. Trois coup de théâtre, pour célébrer le début, et la fin. Trois coups, et c'était tout.

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Devant une grotte aux reflets bleutés, devant une stèle de pierre, Peter se tenait, debout, froid, devant, une Eléanore immobile. Elle leur tournait le dos. C'était elle qui chantait.

Mais ce n'était pas sa voix, pas celle que Samantha connaissait du moins, elle ne ressemblait au rien au timbre d'Eléa. C'était la voix de sa vision, la voix de ses souvenirs.

Eléanore se tourna vers Samantha, mais son corps sembla rester sur place, ignorer son mouvement, une aura identique à celle qui l'avait auréolée dans la grotte de Carmin, berçait cette silhouette diffuse, comme pour lui donner un aspect fantomatique, se désagrégeant peu à peu.

Gabriel observa le spectacle, et dévasté, il chercha frénétiquement la silhouette de son père dans la cohue, dans la panique, sans la trouver. Il ne voyait que la folle, de tout à l'heure qui leur avait porté un coup d'estoc. Son géniteur…Son géniteur, son idiot de géniteur avait disparu. Et cette fois, Gabriel, sut, intuitivement, qu'il n'avait pas pris la fuite, qu'il ne les avait pas abandonnés volontairement.

Et son cœur sembla imploser dans sa poitrine, alors que les larmes lui échappaient.

Brusquement, Daniel fronça les sourcils et il se crispa pour hurler à plein poumons, le cri, que Samantha redoutait le plus au monde.

-PETER ARRÊTE-LA !

Samantha se boucha les oreilles dans un mouvement tremblant. Et de toutes ses forces, de toute son âme, elle pria, pour qu'un maux de tête vienne l'emporter, pour arrêter cette vaste farce. Mais la douleur familière dénonçant l'utilisation de ses pouvoirs, se noyait sous ses propres inquiétudes. Blême, elle admirait en silence, sa propre impuissance.

Peter bougea nonchalamment et jeta un coup d'œil désolé, ses lèvres se pincèrent et il hocha négativement du chef. Lucas et Gabriel derrière eurent une exclamation furieuse tandis que les prunelles de Daniel s'étrécissaient de rage. Il eut un rictus furieux et rugit :

-DANS CE CAS MOI JE VAIS LE FAIRE !

Dans un hoquet, un sursaut qui parut une éternité, Silver vit l'approche du gamin qui lui servait d'amis –de temps à autres- se jeter vers le maître Dragon. Et il aurait voulu hurler, hurler…

Ce n'était pas lui qu'il fallait attaquer, c'était elle ! Elle, Holly.

Marion, dans une râle, de l'autre côté de la colonne, souleva la tête, et d'un timbre étranglé, pliée en deux, elle supplia :

-Non Peter, ne fait pas ça !

Mais Salomée venait d'habilement tiré sur un des fils de sa main, et sans sourciller, le maître dragon dégaîna sa pokéball. L'étoffe de Peter frémit dans l'air, et un rayon bleu stria l'air.

Le garçon n'eut même pas le temps de voir un Draco puissant et digne s'élever, une cage éclair le frappa et il s'effondra à terre.

Lucas et Gabriel se précipitèrent vers Danny qui se tordait de douleur au sol, les muscles frémissant, se contractant sous les convulsions. Le garçon leva la tête la mâchoire crispée en une expression colérique et il foudroya du regard le maître de Twilight, avec une haine, que Samantha, ne l'avait vu arborer, qu'en cette vision.

Lucas bondit sur ses jambes mais il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit, un rayon passa à quelques centimètres de sa joue, une marque sanguinolente se traça sous son œil.

Et, Eléa, Eléanore restait impassible, prise dans une sorte d'envoûtement, ailleurs, alors que Peter ordonnait froidement à son Pokémon d'attaquer ses camarades.

Doucement, alors, d'une voix caressante qui sonna de manière horripilante dans cette situation dramatique, le maître des Dragon prit un air navré, et il siffla :

-C'est le seul moyen que nous avons...
-Mais ça va la tuer ! Hurla Gabriel, en pleurs.
-Nous avons déjà eut assez de sacrifices ! Si ça peut tous nous sauver pourquoi hésiter ? Lâcha Peter.

Et Samantha, entendit pour la première fois, réalisa, pour la première fois, malgré le nombre ahurissant où elle avait vu et revu cette même vision, combien la voix de Peter était mécanique.

Soudain, la musique s'arrêta. Eléanore se relâcha, elle ferma la bouche sans ouvrir les yeux. Le chef de Twilight eut une grimace et il maugréa :

-C'est trop tard maintenant.
-NON !

Samantha s'était surprise à hurler elle aussi ce mot, aussi vivement, aussi fortement que les garçons. Mais cette fois, son cri, était vrai, il se mêlait à la douleur et l'injustice des autres, douloureusement, réalité.

Et Dans leurs dos à tous, Gold franchit le seuil de la dernière marche, son capumain sur le dos. Mais son regard ne se posa pas sur Eléanore, il dériva droit sur la femme à la chevelure violacée au loin, aux traits presque imperceptibles sous la distance. Tremblant, il balbutia :

« Holly ? »

Et de nouveau, la même voix que durant l'ascension sonna. Cruellement. Mais cette fois, elle la vit, cette ombre spectrale rongée par le temps et l'usure, se dresser face à elle, et la regarder droit dans les yeux.

« Tu sais Sam...Je voulais voyager seule. Déclara-t-elle simplement, ses yeux s'ouvrirent et se baissèrent tristement avant de continuer. –Je savais depuis le tout début, que si je voyageais avec quelqu'un...Cela ne pouvait s'achever que de cette manière. Même si je trouvais un moyen de rallonger le temps, pour faire durer notre voyage le plus longtemps possible...Cela ne rendrait les adieux que plus douloureux...Tu ne crois pas ? »

Samantha sentit son cœur se disloquer.
Non, tais-toi, ne dit pas un mot. Parce que je sais ce que tu vas me dire. Je sais que ce seront les derniers. Je ne veux pas. Je ne veux pas.

Eléanore lui lança son sourire sincère.

« Mais tu sais, avant de partir, j'aimerai pourtant t'avouer une chose : Tous nos rires, nos pleurs, nos joies, nos découvertes, notre aventure commune...Tout cela reste à jamais gravé dans ma mémoire. Alors je veux que tu saches, que même si je trouvais un moyen de revenir en arrière, à l'aube de notre rencontre... »

Ses yeux se voilèrent alors qu'elle prononçait ces derniers mots :

« Jamais je ne l'empêcherai de se produire »

Elle ferma les paupières et dans un gracieux mouvement, d'épaule, elle sourit une dernière fois. Et comme une flamme sur laquelle on souffle, elle s'éteignit. La gamine pâlit, et elle s'effondra, la lumière qui la protégeait la quitta et elle toucha sol dans un bruit mât. Ses pupilles fixant les cieux sans les atteindre. . Toute son existence ressemblait à la bataille continuelle de son élément, aspirant chaque parcelle d'oxygène pour vivre un peu plus longtemps, une flammèche se battant contre les éléments pour subsister, une faible et fragile lueur luttant contre les éléments. Mais elle avait abandonné, elle avait perdu, perdu contre sa maladie, perdu contre sa propre volonté, son support même avait fondu sous ses pieds, ployant sous son courage, fondant lentement. Elle avait elle-même causé sa propre perte.

Et Samantha avait été incapable de l'en empêcher.

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Cristal sécha ses larmes prestement, de long mouvement du poignet, écrasant ses joues plus que ses larmes, et elle se força à ravaler ses hoquets ; pour sourire piteusement.

-Ah…Ca ne me ressemble pas, de céder comme ça…Il faut…

Elle se releva, les jambes tremblantes.

-Il faut lui remettre les idées en place de temps en temps, à mon idiot de frère, il est un peu lent par moment. Ricana-t-elle faussement, devant un Chris et Angie, sceptiques.

Mais la brunette secoua la tête, vivement.

-Bon, assez pleuré, il faut y aller…Si on court vite, on pourra peut-être rattraper Gold et Capumain, ils sont partis par…

Soudain, le chant cessa autour d'eux, et le ciel d'azure au dessus de leurs têtes se teinta de sang. Un rayon rouge s'extirpa des poches de la cadette Heart, et le Pokémon légendaire, le chien majestueux suicune se dessina brusquement dans la réalité, s'ébrouant, se cambrant, hurlant en silence de douleur..

-Suicune ?! Balbutia Cristal, surprise.

La panique de la jeune femme s'accentua, et elle se jeta auprès de son compagnon de route, entoura son encolure de ses bras, dépassée, essayant de le calmer, de le regarder dans les yeux. Mais la créature mystique rua, puis s'affaissa sur le sol.

Pour ne plus bouger du tout, les yeux clos.

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Sandra, la célèbre championne d'Ebenelle, s'étira avec délectation, alors qu'elle sortait d'un pas de conquérante de son arène. Aujourd'hui encore, elle avait écrasé son adversaire : ce qui avait du bon, quand l'on était la dernière tenante du titre, sur les 8 arènes de la région, c'est qu'il n'y avait aucune raison de se restreindre. Elle pouvait donc, se défouler sans remords sur les pauvres petits challengers. Bien que, son terrain à elle, en souffrait affreusement, tout comme son portefeuille pour la remettre à neuf, après chaque rencontre.

Enfin, ses parents savaient depuis des lustres à présent, que ses colères et ses chagrins ne passaient jamais sans casse. Et la mort d'Harry, méritaient bien, toute sa colère, et tout son chagrin.

A ces pensées, le ciel parut bien moins beau à Sandra, qui grimaça, avant de siffler.

Tss, où étaient tous ces petits présomptueux qui méritaient quelques coups de fouets et une bonne défaite, quand elle en avait besoin ?

Bien que se plonger dans le travail, n'était pas recommandable après une perte, la sœur de cœur de Peter, n'en avait, pour être franc, rien à faire en cet instant. Elle demandait juste quelques crânes à briser.

Soudain, une silhouette gracile s'approcha d'elle, avec la délicatesse et la beauté, qu'ont les oiseaux, dans leurs vols majestueux. Ses longs cheveux ténébreux, méchés de touches blanches, tels des nuages opalins sous les raies de lune dans la nuit, voletaient dans son dos, tressés avec soins. Son teint de bohème, laissait présager sa venue d'une contrée tellement lointaine, que Sandra craignait de ne même pas en connaître le nom.

Il est vrai, que la géographie, n'avait jamais été un sujet très pris au sérieux, dans leur société.
L'espace d'une seconde, Sandra, se demanda, pour quelle raison, mais cette interrogation disparut de son esprit, aussi vite qu'elle était venue, aussi fugace, qu'un unique battement d'aile, dans la multitude d'autres d'un oiseau.

L'inconnue, aussi grande qu'elle, au visage sans âge, darda un regard céruléen, un regard, affreusement familier.

Son visage, Sandra, arqua un sourcil, quant à sa fascination envers lui. Pourtant, il n'était pas particulièrement beau, sa mâchoire carrée, donnait une fausse impression d'obésité, à cette frimousse, le nez, était légèrement bossu et tordu, come plusieurs fois cassé et réparé, et enfin, les pommettes saillaient sous ses yeux, comme pour témoigner d'une époque, où la famine avait déformé le métabolisme de cette femme.

Il n'avait rien de beau, il avait, à peine du charme, et pourtant…pourtant…

Je le connais. Réalisa Sandra, perplexe.

-Bonjour, madame.

L'interpellation qui lui était destinée, ramena Sandra à sa place, c'est-à-dire à l'aube du crépuscule, de bien plus qu'une journée même si elle l'ignorait, sur le parvis de son arène, devant une inconnue.

Une inconnue, qui l'appelait…Madame !

Arcéus, est-ce qu'une dame mettrait des combinaisons moulantes comme elle ? Comment pouvait-on oser la vieillir ainsi !

-Excusez-moi, répéta poliment l'inconnue. –Mais je cherche un jeune garçon, il se nomme Shadi. On m'a dit qu'il serait ici quand je suis allée voir son père à Irisia.

Sandra arqua un sourcil. Cette femme, avait fait un si long voyage… ?

-Vous devez vouloir dire, Shagi. Oui, il est ici.

Elle pointa du doigt l'antre du Dragon, situé de l'autre côté du lagon. Elle ne remarqua même pas, l'étrange expression qui parcourut le regard de l'inconnue, quand elle lui avait rectifié l'orthographe du prénom du garçon.

-Il s'entraîne avec ma sœur, dans l'antre du dragon, là-bas.
-Votre sœur ?
-Sa petite-amie !

Sandra porta une main sur sa joue, et soupira, préoccupée par cet état de fait, elle aussi.

-Ah.

Mais l'inconnue sourit avec tendresse et fierté à la fois.

-Ah, je les vois ! Regardez, là, ils sortent ! S'exclama soudain Sandra, en discernant les petites ombres s'extirpant de la grotte sur l'autre rive.

L'inconnue tourna la tête, et après quelques secondes de contemplation silencieuse, elle secoua la tête.

-Bon. Je vais y aller.
-Comment, mais vous ne vouliez pas le voir ? S'étonna Sandra.
-Si, et c'est ce que je viens de faire, je ne demandais pas...

Elle s'interrompit, et porta la main à sa tête, alors qu'au même moment, une drôle de chanson qui semblait siffler avec le vent, s'éleva tout autour d'eux. Sandra n'eut pas le temps de s'interroger sur la provenance d'une telle mélodie, la femme à côté d'elle, s'effondra lourdement sur le sol.

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Armand surveillait ses élèves d'un œil absent, fatigué, assis sur une des barrières du champ, il pointa mécaniquement le troupeau des Galopa qui broutait paisiblement.

-Vous voyez, les enfants la séparation nette entre les Galopas et les Ponyta ? C'est ce qu'on appelle la théorie des Dominants, Les Pokémons sont plus sensibles que nous, ils sentent confusément qui lui est supérieur, et acceptent, soit de se plier à ses ordres, soit de s'en détacher. Qui d'entres vous a un Ponyta ou un Galopa, pour une expérience ?

Sarah leva le bras, ce matin là, elle arborait une chevelure violette et orange, mélange étrange. La semaine dernière, plus sage, elle était seulement blonde méchée de brun. La semaine d'avant, elle était encore en congé.

-Moi j'ai un galopa. Informa-t-elle simplement, la mine sombre.

Armand grimaça, la jeune femme ayant été assez souvent malade ces derniers jours, il hésita à continuer l'expérience, espérant simplement qu'un autre élève ne révèle posséder un Pokémon similaire, pour le choisir lui. Malheureusement, elle fut la seule. Le jeune professeur soupira, jeta un coup d'œil inquiet à son étudiante, puis haussa des épaules, impuissant.

-Bon, et bien, je vais te demander, de le sortir, de te mettre sur son dos, et d'aller à la rencontre de ce troupeau. Vous autres, observez bien la réaction des Pokémons à moitié sauvage, vous verrez se mettre en œuvre la théorie. Normalement, les Pokémons vont se placer derrière elle, par ordre de puissance et d'importance.
-Mais Sarah ne risque pas de se brûler en montant sur le dos de son Pokémon ? Hasarda un garçon, blême, en tenue punk.
-Non, si tu ne sais pas pourquoi, je t'invite à relire ton cours sur les Pokémons feux et leur maîtrise de leurs flammes : ils peuvent empêcher leurs dresseurs d'être blessé par leurs attaques.

En attendant, la jeune Sarah, avait enfilé son blouson d'aviateur qui allait avec son cosplay du jour, mit sa casquette et ses lunettes, pour trôner fièrement sur sa monture. Elle hasarda une œillade à travers la foule, sur son amie Sary, qui elle, se déguisait en militaire ce matin, puis fit claquer sa langue contre son palet. Le digne Pokémon feu s'avança vers ses congénères.

Brusquement, toutes les créatures dressèrent les oreilles, pour lever l'encolure et fixer l'horizon. L'apprivoisé également, et Sarah chancela dangereusement, comme victime d'un malaise.

Armand se raidit, et d'un bond il s'aventura dans le champ pour rattraper son élève. Celle-ci lui tomba dans les bras, haletante, transpirant à grosses gouttes. Les Pokémons dans le fond, hennirent de crainte ou de fureur, trépignant. L'inquiétude de l'enseignant novice ne fit que s'accroitre, et il bafouilla à la jeune adulte qui l'avait si souvent taquiné :

-Ca va, tu veux aller à l'infirmerie ?

Ce à quoi, la gamine lui répondit en se contractant douloureusement tout en sifflant un : « Sary ! » déboussolé. La plainte se répercuta en écho, et Armand tourna la tête, un frisson lui remontant l'échine. Là, au milieu de ses élèves, paniqués, la rouquine nommée ainsi, gisait, les yeux grands ouverts, prise de spasmes.

« Arcéus, qu'est-ce qui se passe ? » Fut sa seule pensée claire en cet instant.

A des kilomètres de là, les mêmes scènes se produisaient. Encore et encore.

-Asbel ! Asbel réveille-toi !

Iris secoua en vain son ami, brusquement effondré au beau milieu sur le sol d'obsidienne. En pleurs, elle écrasa ses larmes de sa paume, tandis que Sacha paniquait à ses côtés. Elle lui serrait bien trop fortement le bras, comme pour l'obliger à la veiller, à ne pas s'enfuir pour l'abandonner, elle et Asbel. Elle savait que cet abruti, comme elle aimait l'appeler, n'était pas lâche, mais sa panique lui crispait les membres. Nico, lui, cherchait compulsivement l'infirmière, pour l'avertir de la catastrophe, la pièce se remplissant de plus en plus des échos de ses cris, alors que son appareil tant fétiche, gisait, brisé, sur le carrelage ciré. Obsolète.

Pourtant, si UNYS, ou Ishuu, la belle et humide fut touchée, le désert d'Hoenn n'en fut pas pour autant épargné. Les chercheurs envoyé pour analyser l'écosystème de ce lieu aride découvrirent Salem Irving, étendu, dans la cave légendaire, inerte, tout comme des enfants de la ville bordant les falaises, trouvèrent en allant emprunter des livres à la bibliothèque, son épouse, Eliza, dans le même état.

Un à un, lieu après lieu, le phénomène se reproduisaient, touchant étrangement certains humains, mais également les Pokémons.

Ainsi des salariés de la Central électriques frôlèrent une attaque cardiaque, quand leur toit s'effondra littéralement, écrasé par le poids du Pokémon légendaire Elektor, plongé dans une étrange léthargie. Les cas se reproduisirent, on trouva Entei étalé au beau milieu de la route 31, et raykwaza s'écrasa le long du parvis de la tour Céleste.

Au beau milieu du Qg de Twilight, Cristal vit Suicune succomber, lentement, s'affaler sur le terrain sablonneux, pour ne pas se relever.

A quelques lieux de là, à l'hôpital d'Irisia, Régis qui errait comme un beau diable inquiet, dans les couloirs de l'hôpital, attendant son ami d'enfance, vit Duplica arriver vers lui en courant, pokéball et lettre à la main, fraîchement arrivée par communicateur. Pilou en sortit dans un rayon rouge pour venir se nicher, sanglotant, dans le cou du jeune savant, qui parcourut à la va vite la lettre qui l'accompagnait.

Son sang se glaça dans ses veines.

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Yellow s'arrêta, au milieu de sa terrasse de bois, fronçant les sourcils, elle leva les yeux, malgré le préau fleuris qui filtrait chaque rayon, rongeait chaque morceau de ciel sous sa vision. Red, un peu plus loin, occupé à nourrir ses Pokémons, remarqua l'étrange manège de son amie, et se redressa.

-Un problème ?

Les pikachu dressèrent leurs oreilles, et levèrent le nez vers leurs dresseurs respectifs, curieux. Yellow, comme absorbée par la douce contemplation des cieux, sursauta, quand la main de Red se posa sur son épaule.

-Hey… ?

Yellow, ne rougit pas à ce contact. Premier fait étrange. Mais Red n'y prêta guère attention. Peut-être, aurait-il du. Peut-être, tout aurait été différent, s'il avait été, plus vigilant, à cet instant. Mais la blondinette secoua doucement du chef, en signe de négation, et arbora, son sourire, affreusement absent, et merveilleusement adorable.

-J'ai, entendu, une jolie musique, commenta-t-elle, avec une expression illuminant sa frimousse, que beaucoup auraient put qualifier de niaise.

Le champion de kanto arqua un sourcil, et comme si cela pouvait changer quoique ce soit, il dirigea son regard vers les nuages, comme pour y trouver une trace physique de cette mélodie. Quelques secondes s'écoulèrent, en silence, avant qu'il ne pouffe.

-Tu as du rêver ! Moi je n'entends rien du tout.

Yellow eut un sourire, peu convaincu, mais elle ne chercha pas à en débattre.

-Dommage, cette chanson…était…vraiment magnifique.

Un sillon humide traversa sa joue, et étonnée, elle y porta la main, tâta ses pommettes, pour recueillir et contempler l'importune larme qui lui échappait. Et alors, qu'elle admirait sa main encore moite, qu'elle percevait le déluge ruisselant sur ses joues, une question lui échappa :

Pourquoi pleurait-elle ?

Elle n'avait pas mal. Elle n'était pas triste, et si la musique qu'elle entendait sonnait délicieusement à ses oreilles, elle n'avait jamais été émue par une mélodie au point d'en pleurer.

Alors, pourquoi…

Soudain à côté d'elle, Red s'écroula dans un bruit mât. D'un coup d'un seul, son regard de grenat se ternit, puis ses prunelles se fermèrent, avant que son corps ne chancèle légèrement, pour chuter, librement, sans même un mouvement de la main pour se rattraper.

Le dresseur Pokémon se laissa choir sur le bois de la terrasse, un pot de fleur renversé, dont la terre se confondait avec ses cheveux noirs, tranchant affreusement avec les fleurs d'abricotier, éparpillées dans la chute de son arbre, déraciné.

L'incompréhension, laissa sa place à la peur, quand, quelques minutes plus tard, les Pokémons jouant près du ruisseau, s'effondrèrent, les uns, après les autres. Chuchu, et Pika, les pikachus, tombèrent dans les fleurs encore fraîchement cueillies ce matin même, et plus personne ne se leva.

A la mélodie, provenant de la nature même, se succéda un silence affolant. Plus aucun roucool ne pépia, même le monotone écoulement des eaux, s'arrêta. Plus un bruissement de feuille, plus de vent, pas même, les crépitements des herbes écrasées par la chaleur de l'été. Seuls les accords étouffés, lointain, du chant, demeuraient, mais ils n'avaient plus rien d'enchanteur, telle une boîte à musique au son détraqué, ils suintaient à présent d'une logique dérangeante.

Et dans la fournaise à l'air tremblotant, un frisson glacial remonta lentement les jambes de Yellow, léchant ses membres avec voracité et volupté à la fois. La jeune fille, dans un tremblement, baissa alors les yeux, vers ses chevilles comme enclavées dans la glace, et le cri resta bloqué dans sa gorge.

Comme happée dans de l'eau, le bas de son corps de distordait, se réfractait, sous un voile translucides, aux volutes ténébreuses dansantes. Et comme aspirée dans l'eau, dans un frémissement qui tendit chacun de ses muscles, qui lui fit claquer sa mâchoire et ravaler son souffle, elle sombra dans l'abysse.

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Ritchie bailla à s'en décrocher la mâchoire, et il s'étira jusqu'à ce que ses articulations craquent, demandant grâce. D'un œil fatigué, il observa la plaine s'ouvrant à ses pieds, lointaine, brumeuse, sans limite. Juste une prairie verte s'étendait à des lieus de là, à perte de vue. Une bise douce parcourut le paysage en soulevant les milles et une senteurs, sifflant entre les hautes herbes avec les accords parfait de la liberté.

Beaucoup s'y perdaient, dans cette immensité, cette perspective terrifiante, ce monde si vaste qu'il paraissait parfois nous avaler tout cru, mais lui ; appréciait ce genre de vue. Le cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine, le vent dans son dos telle une caresse le poussant en avant, vers un chemin inexistant, qui ne demandait qu'à être tracé, emprunté, inventé. L'aventure même. Quand il se tenait là, assis sur la pente d'une colline, à contempler le ciel bleu et la terre verte s'emmêler dans une étreinte insaisissable à l'horizon, il savait.

Un rire cristallin, et il avisa les oreilles de son pikachu, sparky, se distinguer parmi les fougères. Bientôt suivi par une autre tignasse blonde. Le prédateur le plus gros se fraya un passage derrière la petite souris inoffensive, et bondit, deux mains saisissant la créature par la taille dans un hurlement victorieux. Le petit Pokémon cria à s'en déchirer les poumons, totalement paniqué, et il dut subir le supplice des chatouilles, de la part d'Ambre, hilare.

Sparky se calma, après une attaque tonnerre bien sentie qui ne fit ni chaud ni froid à la blondinette habituée. Il s'adonna bien vite à l'étreinte, pour gémir de contentement sous ses caresses et l'enchantement habituel de la jeune femme. Un nouveau souffle murmura à l'oreille de l'adolescente, et elle tourna la tête, replaçant une de ses mèches folles derrière son oreille, pour capter le regard de Ritchie, bien assis sur une pierre, se laissant réchauffer par les rayons solaires paresseux en ce plein zénith.

Le brun ajusta sa casquette, et lui envoya un sourire conquis, auquel elle répondit de même.

Et quand Ritchie admirait ce teint basané, cette expression innocente qu'elle lui lançait. Il savait également. Que chaque instant, malgré ses fanfaronnades, malgré ses caprices aussi changeant que le vent, malgré toutes ses humeurs contradictoires, ses rêves effleurant les cieux, il retombait amoureux d'elle. Chaque instant, chaque jour, chaque regard, un peu plus.

-J'habite ici depuis des années, et je n'aurais jamais imaginé qu'un tel endroit existait au sommet du mont couronné…Marmonna une voix au loin, se débattant entre les herbes folles.

Qui fut très vite suivi d'un hurlement outré.

-BON SANG TU NE PEUX PAS RENTRER TES FOUTUS POKEMONS DANS LEURS POKEBALL !

Paul, les cheveux en bataille, la respiration saccadée, dans un état pitoyable, la veste déboutonnée, trouée, sortit du bosquet, la mine furieuse, suivi de près par le Cacturne d'Ambre, moqueur, et de son morphéo, jouant des balles météo. De toutes évidences, les petites créatures mesquines et joueuses, avaient voulus tester la patience du compagnon de leur maitresse.

-Les Pokémons sont la liberté, je refuse de les emprisonner dans des pokéball plus que de raison ! Grommela Ambre, avec une fausse moue vexée.
-J'ai failli m'empaler sur ton cacturne ! Grogna Paul, rancunier, pointant du doigt la longue estafilade éventrant sa tunique.
-Bien joué Méredy ! Tu sais de mieux en mieux viser ! S'émerveilla la blondinette avec des étoiles dans les yeux.
-Nan Mais… !

Ce à quoi répondit cette fois Ambre, en enfilant un casque sur ses oreilles, avant d'afficher sa mine lointaine, juste rêveuse, dorénavant inaccessible.

Richie rigola ouvertement, et d'un bond, il les rejoignit. Sparky prit sa place sur son épaule, et timidement Ambre vint s'accrocher à son bras, posant sa tête tout contre lui, jusqu'à ce sa chevelure rebelle se mêle au poil jaune de la souris électrique.

-C'est ça, ignorez-moi ! Maugréa Paul. –Ce matin, elle décide de cette aventure jusqu'ici, on laisse en plan tout, le boulot, les matchs…Mais allez-y, continuez. Elle en fait toujours qu'à sa tête de toute façon !

Il darda une œillade furieuse sur le couple, auquel Ritchie répondit pas un haussement d'épaule, indifférent.

-Elle est comme ça ! Rien ne nous obligeait à la suivre si on le voulait pas !

Amoureux, il caressa la joue d'Ambre, qui leva son visage vers lui, et rougit pudiquement, avant de replonger dans les méandres tortueux de son esprit, monde entre lumières et ténèbres. Là, dans cet univers qu'elle seule connaissait, elle cessait de se poser des questions auxquelles elle ne trouvait plus de réponse, Prisonniers de leurs sentiments et désirs, les gens errent, elle, elle semblait les contrôler parfaitement, pour les vivre, les humer à pleins poumons, les apprivoiser. Elle avançait juste. Sans jamais s'incliner, battante, il espérait sincèrement ne jamais voir le jour qui l'opposerait à elle. Car il savait que si cette tragédie se produisait, même la prière ne le sauverait pas, personne ne viendrait le sauver du cyclone, de sa fureur digne des pires tempêtes.

Chaque fois qu'il la côtoyait, cette incarnation de la liberté, il s'étonnait de la voir rester à ses côtés. Pourtant, elle demeurait, patiente et apparemment heureuse.

-Parle pour toi. Quelle fille galère. Siffla Paul dans son coin, en admirant Farah, le togekiss, faire une descente en piqué, puis remonter aussitôt dans une exclamation ravie.

Il n'avait pas tort, elle portait plusieurs visages, et dès qu'il laissait trainer une chemise près d'elle, il pouvait d'ores et déjà lui dire adieu, mais…Etrangement, la façon dont elle lui souriait, dont elle portait ces chemises empruntées, dont elle l'intimait à avancer, l'encourageait à devenir policier, ou simplement, avec le même entrain, ce qu'il désirait faire, que ce soit maître Pokémon ou éboueur…Tout cela transcendait le reste.

In the moonlight I felt your heart

Soudain, Ambre à son bras sursauta. Elle jeta un coup d'œil autour d'elle surprise, et ôta un de ses écouteurs.

-Léon ?
-Voilà ce que c'est de laisser ses Pokémons en liberté, on les perd. Menaça simplement Paul, avec un rictus victorieux.
-Il doit être aux colonnes Lance, près du point d'eau. Rassura Ritchie posément.

Quiver like a bowstring's pulse
In the moon's pure light, you looked at me

L'Irving se détacha de son petit ami, et s'avança de quelques pas, de sa démarche féline, sans bruit, et elle porta mécaniquement ses deux paumes à ses oreilles, avant de lancer innocemment :

-Léon, c'est toi, qui parle ?

Paul persiffla, et Ritchie arqua un sourcil, quand il discerna Ambre se raidir d'un coup d'un seul, il sentit ses organes se compresser.

Dans une pirouette, elle bondit sur le côté et partit à toute vitesse, disparaissant dans les hautes herbes.

Ambre à l'aide de grands gestes, écartaient les branches se dressant sur son chemin dans un claquement sec, ses enjambées s'agrandissant de plus en plus frénétiquement. Le ciel azuré au dessus d'elle, se teinta d'un pourpre sanguin, de mauvais augure, et il lui sembla pour la première fois, que l'horizon infini, s'étrécissait, à mesure que ses pieds foulaient la terre, sans discontinuité. La musique oppressante, froide, se répercutait dans tout son être, vibrant dans chacune de ses cellules.

Nobody knows your heart

Léon. Il fallait qu'elle retrouve Léon. Quelque chose de terrible se produisait, elle percevait le chant d'Eléanora. Un étau écrasait son cœur dans sa poitrine. Un drame allait se produire, elle le sentait, pire, elle le savait.

Jusqu'à présent, elle fermait les yeux sur les problèmes, les interrogations existentielles, qui pourrissait l'existence, elle leur trouvait des solutions simples, ou simplement les ignorait. Car après tout, ce n'était pas comme si tout allait s'arrêter du jour au lendemain. Le temps filait, vicieux, mesquin, mais il s'élargissait autant qu'il s'effritait, tout commençait à chaque instant, une vie, et cela ne s'achevait jamais véritablement, jusque dans la mort. Voilà ce qu'elle se répétait. Mais cette hymne, flottant tout autour d'elle, ce chant funèbre que reprenait en concert toute cette nature, la cernait, l'emprisonnait. Piégée par son propre esprit, par le son, imprégnant jusqu'à l'air qu'elle inspirait, elle paniquait. Sa volonté s'effilant peu à peu, à la mesure des notes.

Brusquement, comme une caresse, le gout si revigorant du vent, une main se posa sur son visage. Aussitôt, les battements de son cœur s'apaisèrent. Malgré les doigts froids se glissant dans ses mèches folles, ce simple contact la rassura. Lentement, elle tourna la tête, ses peurs si absurdes qui la terrifiait la minute auparavant.

-Ritchie…Murmura-t-elle.

Mais, alors, comme un l'impact d'une bourrasque en plein ventre, sa respiration se coupa sous le choc.

When the sun is gone I see you
Beautiful and haunting, but cold
Like the blade of a knife, so sharp and so sweet
Nobody knows your heart

Devant elle, une femme auréolée d'or lui sourit, aussi fugace que la brume. Et dans son regard d'un Bleu céruléen, une palette digne de la rencontre entre les cieux étoilés d'argent dans la nuit, et le nuancier solaire du zénith, Ambre ne lut aucune émotion.

Cette main lui appartenait. Cette main qui touchait si ostensiblement sa joue, comme si elle la possédait toute entière. L'entité ouvrit alors la bouche, et le son sembla se joindre à la mélopée lointaine qui assaillait son esprit, s'y emmêler gracieusement, pour s'y mélanger et l'entourer, provenant de partout, de la Terre et du Ciel, du Vivant et de la Mort.

« De tous ceux qui me sont liés par le sang, tu es celle qui me ressemble le plus. »

Ses doigts glissèrent, vaporeux, caressant et glaçant sa peau à son contact. Le gosier serré, Ambre leva les yeux vers l'apparition, dont les traits si familiers se perdaient dans les méandres de sa mémoire. L'inconnue immatérielle lui adressa un sourire éthéré, presque mélancolique.

« Qui es-tu… ? »

La question sonna, tel un glas, et la forme immatérielle se redressa pour la surplomber de toute sa hauteur, de toute sa puissance, sa chevelure solaire ondula, comme soulevée par le vent de la puissance, la force incommensurable d'un ouragan, oscillant entre la blancheur immaculée, aveuglante de puretée, et la chaleur froide, acérée, de l'astre du jour.

« Je suis celle que vous, vous nommez la martyr d'Arcéus. Je suis Liberté et Prisonnière à la fois, je suis l'alter égo du temps qui glisse sur moi sans me voir, je suis la gardienne des dimensions, l'obligée de Dieu. Le 1er sacrifice, et également la 1ère Gijinka. »

L'ombre aérienne du spectre s'étiola, avec ironie, et désespoir, tandis qu'elle assénait à Ambre une œillade supérieure.

« Je suis Eléanora. » Acheva-t-elle dans un souffle.

Un frisson remonta la colonne d'Ambre, et un son lui échappa, dérisoire :

-Mais vous êtes censée…

« Etre morte. Ou effacée, disparue, annihilée par l'esprit d'Arcéus. » Compléta l'ectoplasme, le visage neutre, vide de toute émotion ou compassion.

Ambre tressaillit. L'être ferma gravement les paupières.

« L'histoire se trompe souvent. Vous avez beau étudier le passé, nous analyser, pleurer devant nos tragédies, vous ignorez tout. Tout de nos raisons, de nos sentiments, de nos échecs. Tout de l'ironie de la Fatalité qui nous a emprisonnés. »

Elle rouvrit les yeux et darda un regard froid sur Ambre, avant de siffler sans émotion :

« Mais cela ne vous empêche pas de reproduire nos mêmes erreurs. »

Ses doigts glissèrent jusqu'à la gorge d'Ambre et s'y enroulèrent doucement, dans une menace tendre. Le spectre flou de jadis se pencha vers l'Irving, et leurs visages si semblables, s'effleurèrent sans se toucher, elle lui offrit un rictus séraphique.

-Je n'y suis pour rien.

Le timbre d'Ambre sembla mourir, étouffé par le chant assourdissant, malgré toute la volonté, toute l'assurance qu'elle y mit.

Eléanora ne bougea pas d'un pouce.

-Si vous avez des plaintes à émettre, ce n'est pas à moi qu'il faut les faire. Reprit la jeune dresseuse, de plus en plus rebelle.

All of your sorrow, grief and pain
locked away in the forest of the night

Le spectre ne cilla pas, son regard indescriptible ne flancha pas, posé sans jugement ou même reproche sur l'adolescente. Il semblait que toute trace d'humanité, de vie, l'avait quitté, ne laissant derrière elle que ce mirage luminescent.

-Vous êtes la seule responsable de votre malheur, vous avez offert votre vie à Arcéus. Vous avez pris la décision de chanter pour en devenir son hôte !

Ambre se raidit, et recula d'un pas, échappant à l'emprise du fantôme, qui se leva pour la contempler, passive, alors que l'Irving s'écriait :

-Et je ne suis pas comme vous. Je me nomme Ambre. Ambre Irving. Quelque soit vos liens avec moi, cela ne vous donne en rien le droit de me comparer à vous. Je suis toujours libre, moi, et je le resterai.

« Décidément, vous êtes nombreux à me dire cela aujourd'hui. »

Et toujours cette absence totale de réaction tandis qu'elle parlait, sur un ton monocorde.

« Mais vous avez raison, malgré vos paroles si proches de celles que j'ai un jour prononcées. Ne soyez pas comme moi. »

Alors, pour la première fois, elle embrassa une émotion, toute entière et Ambre suffoqua. Le ciel au dessus d'elles se teinta d'un pourpre sanguin, et les nuages noirs de l'avenir le léchèrent sournoisement, tandis que le chant sacrée se fit plus aigu, plus aigre, pour ne devenir qu'une longue plainte d'agonie, lancinant, désespéré. La terre parut s'ouvrir sous ses pieds et l'avaler toute entière. Et pourtant, elle ne chuta pas, elle ne bougea pas, juste inerte, face à l'apparition, la toisant de toute sa hauteur. Et de sa beauté transcendante, Ambre sut qu'elle n'en avait rien hérité. Ni elle, ni aucun de ses proches. Parce que même le visage déformée par les pleurs, par la douleur, elle conservait cette stature, cette droiture digne d'un Ange de lumière.

« Vous, vous avez encore une raison de rentrer. »

Ambre sentit ses organes se tordre, puis s'effacer, comme toute trace d'elle. Etrange, paradoxale sensation, de se sentir disparaître, derrière un voile d'émotions.

Eléanora fit un pas vers elle, et passa de nouveau sa main sur le visage de sa progéniture, et les images défilèrent, les visions d'un autrefois immuable, d'une époque révolu, aux couleurs délavées et aux saveurs aigre-douce. Elle perçut la détresse, face aux cadavres qui s'accumulaient, aux traits des connaissances étirées dans un dernier râle de terreur, déformé par l'expression inégalable de la fin. Elle goûta à l'âpreté des larmes versées en vain, et à la douleur de son dos, se râpant contre l'impasse du désespoir.

Elle entraperçut les silhouettes fugaces, si lointaines d'une famille, d'un amour solaire. Et lorsqu'elle tendit la main vers eux, tentant vainement de saisir la leurs, d'y trouver soutien, ils s'évaporèrent dans un nuage de poussière et de rouille, emporté par le temps.

« Vous, vous possédez encore des êtres chers, qui vous chérissent et vous attendront. »

Eléanora se crispa faiblement.

« Vous, vous reviendrez à temps auprès d'eux. »

Et elle afficha un sourire sincère, presque soulagé :

« Parce que toi, tu possèdes ma volonté, parce que je te la transmets, pour protéger l'ordre des dimensions. Pour qu'enfin, je puisse embrasser mon destin, et m'effacer, les rejoindre. »

-Et si je n'ai pas envie, de vous succéder ?

« Dans ce cas, pendant toute la durée du règne d'Arcéus, Dimensions et Temps, ôtés de leurs gardiens respectifs, Pokémons et Humains, s'entremêleront pour ne devenir que Chao plus insondable. L'équilibre des mondes sera bouleversé. »

-Et si cela m'est égal ?

Ambre ouvrit les bras, avec provocation, presque flegme, mais Eléanora reprit son masque fantomatique.

« Alors tu gouteras à l'aveuglement de la Fatalité. Car Chao, tout comme Harmonie, ne peuvent exister totalement. Le monde est fait ainsi, et que tu le veuilles ou non, tu obéiras à ton Destin. Tu n'es pour le moment que Chao, mais il a été voulu que tu sois également Harmonie. Tel a été écrit. »

Your secret heart belongs to the world

Ambre défia l'ectoplasme du regard. Les poings serrées, usant de tout son courage, de toute sa force pour faire face à l'avenir, se gonflant de sa liberté, de ses choix, s'en imprégnant de toute son âme, les prunelles scintillantes, loin de l'amertume et de la compassion qui l'avaient animées quelques secondes auparavant.
Elle ne vacillerait pas. Elle aimait ce monde, et désirait le parcourir, encore et encore, revoir Asbel, ses parents, courir les plaines, trouver sa voie, éternellement, rester auprès de Richie et ceux qu'elle chérissait. Elle n'était que Liberté, elle ne croyait pas en ce Destin et le reniait tout entier.

Eléanora pointa du doigt la jeune femme, ouvrant la paume, emprisonnant sa silhouette frêle et matérielle si aisément, tout en murmurant :

« Mon pouvoir est ma volonté. Ma volonté est mon pouvoir. Otée des pensées parasites parsemant la vie, ma volonté est pur pouvoir. »

Ambre bascula en arrière, comme heurtée de plein fouet par un ouragan.

« Voici donc mon ordre. »

Eléanora sourit tristement.

« Stoppe-la. »

Ambre s'écroula, mais elle ne sentit jamais le sol, le pavé des colonnes Lances lui ouvrir les bras pour amortir sa chute. Elle continua sa descente, inexorablement, fatalement, Comme plongeant lentement dans de l'eau, tout son être se glaça peu à peu, traversant un voile invisible. Bientôt, Eléanora s'effaça, le ciel, la terre, le temps et l'espace, tout devint dissolu. Seuls restèrent les liens aussi froids que l'acier, les chaînes du Destin, s'entrechoquant tandis qu'elles l'emprisonnaient totalement, l'attiraient vers le fond du gouffre.

of the things that sigh in the dark


Et se succédant à la mélopée lancinante d'Eléanora, une interrogation se répercuta en écho, sans source particulière.

« Eléanore…Ambre. L'une porte mon prénom, l'autre mon sang. Et toutes deux héritent du même destin tragique. Et toi ma chère sœur, tes héritiers ont-ils eux aussi pris leur place dans la guerre qui va se jouer ? Samantha, Salomée et Silver…Ironie des Destins insensibles. »

Les ombres éparses d'enfants enchaînées s'étirèrent dans le lointain horizon, dans la brume de l'incertain.
Chacun fermèrent docilement des yeux, résignés.

of the things that cry in the dark.

Le chant cessa totalement.

" Tout le malheur des hommes vient de l'espérance."