Chapitre XIX : Otages dans l'âme
J'ai peur. Vraiment peur. Si on venait à découvrir le secret de Kathy, ce serait la fin pour elle. Et pour l'instant, je suis prisonnier et il m'est impossible de venir l'aider.
Le temps s'écoule si lentement qu'une minute me semble durer une heure. Je sens Sacha qui s'agite à mes côtés.
- Ca ne sert à rien. Je n'arrive pas à bouger d'un poil. Et ils m'ont pris mes Pokéball.
- Bien évidemment ! Nous ne sommes pas des amateurs ! On ne laisse pas les Pokémon de nos prisonniers. Mais...
- Laisse-moi deviner, tu n'as plus les tiennes non plus...
Chi sanglote.
- Ils m'ont attachée comme une moins que rien...
- Merci de la comparaison...
Elle continue de pleurer silencieusement. Sacha soupire et le temps continue son chemin sans se soucier de mon désespoir.
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Je suis à nouveau seul. Kathy et la mère de Kai sont parties. Je n'ai plus mal. Je me sens bizarre. Je me sens observé. Je fais des rêves étranges où je suis un Seviper. Sous mes yeux je vois à nouveau Kajuu après avoir traversé des bois. Je m'aventure plus loin dans la forêt, là où l'air a vibré au son d'une détonation, attiré par cet endroit comme un Magneti à un aimant.
Je me réveille en sursaut. Mais je me sens épuisé, comme si j'avais marché des heures. Alors je m'endors à nouveau.
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Soudain, j'entends un bruissement derrière nous, derrière l'arbre auquel nous sommes attachés.
- Pikachu...
- Il va bien ? La balle ne l'a pas touché ?
- Je... Je crois... Pikachu … Mon ami...
- Dis-lui de rester caché ! S'il le voit …
Chi a étrangement peur pour le Pokémon souris. Mais je crois qu'elle a surtout peur pour elle.
- Sacha... D'habitude, les Pokéball sont cachées dans la tente du chef. Mais là le campement est presque vide. Il ne reste que deux tentes, pour protéger les vivres et le matériel restant des Pokémon sauvages. Si mon père arrive effectivement bientôt, ils ne vont pas tarder à tout remballer. Il ne reste donc plus beaucoup de temps pour récupérer nos Pokéball...
Chi chuchote. Sa voix tremble encore un peu, mais elle semble avoir repris un peu espoir.
- Compris. Pikachu... Tu as entendu ? Tu te sens capable d'aller fouiller les tentes ?
- Nous n'avons qu'à faire diversion pendant ce temps... Histoire qu'il ne se fasse pas tirer dessus...
- Ca c'est mon affaire !
La voix de Chi est cette fois-ci pleine de colère.
C'est en effet elle qui risque le mieux de détourner l'attention de nos geôliers.
- VOUS N'ETES QU'UNE BANDE D'INCAPABLES ! TOUT CECI EST DE VOTRE FAUTE !
Deux des hommes s'approchent de nous et j'entends Pikachu détaler dans la forêt.
- Tu feras moins la maline quand ton père arrivera !
Elle leur crache au visage et gigote comme une furie.
- C'est ce que vous essayez de me faire croire ! Vauriens !
- Tu crois très certainement qu'on prendrait le risque de contrarier le chef ?
J'aperçois Pikachu qui pénètre dans la première tente.
- Vous essayez juste de me faire peur !
L'homme qui avait utilisé le pistolet lui donne un coup de poing dans la joue. Pendant quelques secondes, la jeune fille ne réagit pas, apparemment sonnée.
- Ca, vous me le paierez très, très cher !
- Cause toujours !
Et l'autre homme lui met lui aussi une droite dans l'autre joue.
Pikachu ressort de la première tente, bredouille. L'un des hommes est resté près du feu de camp. J'aperçois la silhouette du dernier homme encore présent au campement dans la deuxième tente, apparemment en train de piquer un somme. Je prie intérieurement pour que Pikachu l'ait lui aussi vu.
- Laissez-la tranquille maintenant ! Arrêtez de la frapper !
- Tu n'en as pas assez eu la dernière fois toi ? Sale petit morveux !
Le premier a avoir frappé m'attrape par le col et m'étrangle.
- Vous êtes censé les garder en vie, alors à ta place j'éviterai de l'empêcher de respirer aussi longtemps.
Chi a repris son souffle et apostrophe l'homme qui me relâche enfin. Je respire à nouveau et vois Pikachu ressortir de la tente, trainant difficilement un sac. Il a mis beaucoup de temps à sortir de cette tente. C'est étrange.
Sacha l'a lui aussi suivi du regard pendant tout l'échange. Mais le petit Pokémon a encore besoin de temps. Je le sens prêt à intervenir à son tour.
- Puis-je savoir pourquoi vous devez nous garder en vie, puisque la dernière fois vous sembliez prêt à tuer mon ami ici présent?
- Ca ne te regarde pas ! Mais j'vais te le dire, de toute façon tu finiras quand même pas mourir avant que ça ne te soit utile. Si ça tourne mal, vous nous servirez en quelque sorte de …
- De bouclier humain. Et moi ? A quoi je vais servir?
Chi est encore plus en colère que tout à l'heure.
- Ton père en décidera tout à l'heure. Ne sois donc pas si pressée !
Le Pokémon souris a enfin atteint les buissons et n'est plus visible.
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J'ai l'impression de me déplacer très vite. A travers les chemins et les arbres. Je rampe à une vitesse que je n'aurais jamais pu imaginer pour un serpent, guidé par un instinct totalement nouveau pour moi.
Une fois encore, j'ai l'impression de tout savoir, de connaître les réponses. Et pourtant tout est différent.
J'aperçois un Pokémon jaune que je crois connaître; Je m'approche de lui. Nous communiquons grâce à un langage complexe et détaillé. A la suite de cela, je pénètre dans une tente, où dort un homme. Mon confrère Pokémon fait trop de bruit en fouillant l'habitation de fortune mais l'homme a à peine le temps d'ouvrir les yeux que je plante mes crocs fatals dans sa gorge. Son corps s'avachit, son cœur cesse de battre. Une longue seconde s'écoule...
… et je me réveille en sursaut dans mon lit d'hôpital, des sueurs froides coulant dans mon dos et l'étrange sensation d'avoir tué un homme.
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Je retiens un soupire de soulagement. Mais j'aperçois soudain un Seviper, suivant Pikachu. Il me semble étrangement familier. Je détourne mon regard de cette direction pour ne pas attirer l'attention des hommes.
Chi serre les dents, angoissée, épuisée, blessée autant physiquement que dans son estime et ne pipe plus mot. Sacha et moi sommes trop stressés par la présence du second Pokémon pour ouvrir la bouche. Si bien que l'homme au revolver crache à mes pieds, avant que lui et l'homme qui l'accompagnait retournent au centre du campement.
Je souffle un peu...
- Toi aussi tu as vu ce Seviper, Kai...
- Oui... Attendons de voir. Pikachu va revenir, avec les Pokéball. Et tout ira bien.
- Je l'espère...
Le temps semble une fois encore s'écouler au ralenti. Nous guettons le moindre bruit, à l'affût du moindre signe indiquant la présence de Pikachu. L'attente devient insoutenable...
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Je suis épuisé, vidé. Est-ce le venin, la peur après tous ces événements, ou est-ce ce rêve étrange qui me vide de mon énergie? Pour une fois, je suis incapable de répondre à ces questions.
Je reprends mon souffles et m'allonge à nouveau...
Je suis Pikachu à travers les buissons. Il peine à porter un sac, apparemment lourd et je décide de lui venir en aide. Mais notre instinct à tous les deux semble soudain s'agiter et nous nous tapissons dans les fourrés Au loin résonne le bruit d'un hélicoptère. De plus en plus proche. Les vibrations de l'air commencent à se propager dans le sol. Pikachu essaye de se boucher les oreilles. J'ai quant à moi l'impression de devenir dingue, fou. Nous perdons nos repères au fur et à mesure que l'engin se rapproche de nous. Il nous est à présent impossible de bouger.
Ce mal-être me semble bien réel. Tout cela n'est pas un rêve. Mais qu'est-ce que c'est alors? Comment puis-je voyager à travers le corps de ce Séviper?
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Toujours aucune trace de Pikachu. Nous sommes toujours prisonniers. Et de plus en plus désespérés.
Un hélicoptère s'est posé, juste à côté du campement. Nous avons de plus en plus peur.
- Je crois que je n'ai plus tellement envie de voir mon père...
Chi, elle aussi, tremble.
J'ai envie de pleurer. Je ne pourrai jamais aider Nezu à rejoindre Kitakaze. Je ne pourrais jamais aider Kathy avec ses transformations. Des tas d'autres sentiments et regrets m'accablent. Je ne pourrai jamais aider le professeur Tan à s'en sortir, lui qui depuis mon enfance a toujours été très gentil avec moi. Je ne pourrai jamais réellement redevenir ami avec Sacha, comme quand j'étais gamin. Je ne pourrai jamais honorer la mémoire de mon père.
J'ai mal. Je suis confus. J'ai peur.
Je ne pourrai jamais … je ne pourrai jamais faire tant de choses.
Mais surtout.. Je ne pourrai jamais dire à Kathy que j'ai envie de lui offrir des tonnes de choses, tout ce qu'elle n'a pas eu, que je m'en fiche qu'elle soit différente avec ses transformations, qu'elle est mon amie et qu'elle le restera quoi qu'il arrive.
Je ne pourrai jamais pardonner à ma mère et à nouveau la serrer dans mes bras en lui disant qu'elle m'a manqué, voir son sourire, l'entendre rire et me raconter des histoires de Pokémon.
Non. Je ne pourrai jamais faire tout ça. Car l'homme qui vient de descendre de l'hélicoptère va me tuer. Il va tuer Sacha. Et ce sera la fin.
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Je ne sais pas si je dois croire au destin. Je sais juste que parfois la vie est cruelle. Mais que parfois elle l'est un peu moins.
Et qu'il est toujours possible de prendre son « destin » en main. Et qu'il ne faut jamais perdre espoir. Même si il semble que ce soit la fin. Car rien n'est jamais terminé. Loin de là.
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- PAPA ! POURQUOI ?
Chi hurle au désespoir. Le chef de la bande, qui me semble encore plus impressionnant que la dernière fois, s'approche de nous, escorté par deux hommes.
- J'aimerais parler seul avec ma fille.
Les deux hommes haussent les épaules et vont rejoindre leurs collègues qui nous surveillaient, plus loin.
- Pourquoi, Père... Pourquoi... J'ai toujours obéi à vos ordres, j'ai été sage et docile. J'aspirais à devenir votre bras droit... Je voulais que vous soyez fier de moi...
La manière dont elle s'adresse à lui est déroutante. Bien trop... Hiérarchique.
- Mes hommes n'ont plus confiance en toi. Et vont perdre confiance en moi. Ce n'est pas seulement la faute du retour de ce garçon. Mais cette histoire a aggravé la situation. Il est trop tard maintenant.
- Je... Je ne veux pas mourir.
La jeune fille pleure. Brisée.
- Tu ne mourras pas. Je t'emmènerai. Quelque part. Où tu prendras un nouveau départ. Mais si tu cherches à me retrouver, tu mourras. De mes propres mains s'il le faut.
Il tourne les talons.
- Attendez … Père ! Détachez-moi et redonnez-moi au moins mes Pokémon, je saurai être sage en attendant...
Il soupire et plante son regard dans celui de sa fille.
- Tu es bien trop dangereuse... Comme ta mère... Je ne peux pas te confier nos Pokémon.
Il repart, calmement.
- Attendez ! Maman, où est-elle? Et … Mais... Ce sont mes Pokémon ! Ne partez pas ! NON ! PERE ! PITIE !
Sa voix me transperce le cœur. Mais je suis bien trop effrayé pour pouvoir dire quelque chose.
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L'hélicoptère a atteri. Je peux à nouveau bouger. J'aide Pikachu a transporter son sac.
Nous nous arrêtons soudain. Au loin, je perçois des vibrations. Des voitures. Plusieurs. Grosses. Lourdes. Blindées. Pikachu tend lui aussi les oreilles.
Mais nous n'avons pas une minute à perdre.
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Il y a certains moments où vous savez que tout se déroule très vite. Et pourtant, c'est comme si tout se jouait au ralenti devant vous, comme si le temps se moquait de vous.
C'est l'impression que j'ai, actuellement. Car chaque scène se déroulant autour de moi forme une immense pièce, dans laquelle j'aurais le rôle d'un spectateur impuissant, qui verrait chaque événement se dérouler lentement devant ses yeux.
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Tout s'est déroulé terriblement vite. Emilie (c'est ainsi que se nomme la mère de Kai) et moi nous trouvions dans la voiture la plus en avant.
Nous nous sommes arrêtés à distance respectable du camp que les éclaireurs Pokémon avaient repéré et avons commencé à crapahuter dans la forêt.
J'ai couru. Très vite. Je suis arrivée. Et j'ai tout vu.
Pikachu accompagné d'un Seviper est arrivé au niveau de Sacha et Kai. L'hélicoptère s'est mis en marche. Le gang nous a repérés. La police est intervenue. Les méchants ont tiré. Le chef a été chercher ses otages. Le Seviper est intervenu, s'interposant entre eux et l'homme. Un Galekid sortant d'une Pokéball près de Pikachu a libéré Chi, puis Kai et Sacha. Le chef et les autres membres du gang ont battu en retraite dans l'hélicoptère. J'ai juste eu le temps d'apercevoir un visage connu à l'intérieur de l'engin, d'entendre Kai crier le nom du professeur et ainsi d'empêcher les policiers de tirer sur le véhicule volant.
Tout était déjà fini. Ils se sont enfuis. Mais tout le monde est sain et sauf. Ou presque.
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* *
Ma mère me saute dans les bras. Avant même de regarder Sacha. Je me sens... Heureux?
- Kai... Mon chéri... Mon fils... Tu vas bien ? Oh … Tu es tout sale, tout blessé... J'ai... J'ai eu si peur pour toi...
Elle veut me lâcher. Mais j'accroche mes bras autour de son cou.
- Maman... Je … Je voulais te dire quelque chose...
- Oui...
- Je t'aime. Et... Et je suis heureux pour ton mariage...
Elle pleure sur mon épaule. Je me sépare d'elle et laisse Sacha la serrer à son tour dans ses bras. Quant à moi... Je me jette dans ceux de Kathy...
- J'ai eu si peur... de te perdre.
- Kai...
- Tu n'aurais jamais dû venir ici. Ca aurait pu être dangereux.
- Ne sois pas stupide...
Je lui souris.
- Kai?
- Oui
- Moi aussi j'ai eu peur de te perdre...
Malgré tout ce qui s'est passé, je me sens bien. Heureux. Il me reste des tonnes de chose à faire. Je profite donc de ces quelques secondes de bonheur, où la vie semble si parfaite.
Ensuite, viendra le temps des interrogatoires de la police.
Puis je partirai retrouver le professeur Tan.
Je crois que je n'aurai pas ma petite vie tranquille avant encore quelques temps...