La Cendre et l'Arachide de Domino

D'abord l'assiette.
Ensuite, le verre, soigneusement placé au-dessus. Juste au centre.
La fourchette à gauche, le couteau à droite.

Toujours. Comme un rituel immuable. Rachid se redressa. Il avait mûri. On ne pouvait pas dire qu'il avait grandi, il avait toujours eu la même taille. Le même port de tête parfait. Et que dire de son visage, toujours aussi froid dans l'exécution de sa passion mais toujours enjoué et heureux dans le don et le partage de son art.

Le jeune homme balaya son regard dans la salle à diner du restaurant. C'était une belle salle, vraiment. Lui, Armando et Noa faisaient de leur mieux pour bien tenir cet endroit. Tout était d'une propreté extrême grâce au talent d'homme de ménage de Noa. La température était idéale. Armando avait le chic pour bien régler la climatisation. Et Rachid, lui, se préoccupait de la décoration à laquelle il apportait un soin tout particulier. Il regarda les décorations de table qui étaient parfaites… pour l'œil non éduqué. Rachid, lui, y voyait toujours quelque chose à retoucher. Armando et Noa arrivèrent dans la Grande Salle à Manger.

- Tout est prêt, on peut ouvrir d'ici dix minutes ! sourit Armando.
- Oui… Oui, je suppose… marmonna Rachid.
- Tu vas pas chialer quand même ?! s'étonna Armando.

Noa donna un coup de coude à son impertinent de frère. Rachid le timide, le sensible, celui qui ne s'affirmait que par la cuisine, réajustait des fleurs déjà parfaitement agencées. Armando plissa les yeux.

- D'accord j'crois avoir pigé…
- Tout va bien, Rachid, tout est parfait ! assura Noa, compréhensif.
- Que tu dis…
- C'est trop bien ! Génial ! T'assures grave, Rachid, j'te surkiffe !!

Nouveau coup de coude de Noa, décidément bien embarrassé.

- Me cherche pas mec !
- N'en fais pas trop, enfin !

On frappa à la vitre. Armando plissa les yeux.

- C'est fermé ! cria Rachid d'un ton sec et direct.

Armando alla vers la porte. L'on continua à frapper. Armando allait ouvrir mais Rachid s'y pressa, crispé.

Il ouvrit la porte brusquement, quelque peu excédé.

- Puisqu'on vous dit que…

Rachid regarda l'homme sur leur seuil. Sacha Ketchum, en personne. Il avait le même regard fier, le même sourire charmeur. Sauf qu'il avait désormais dix-huit ans, et Rachid vingt.

- Hey, salut Rachid…
- …
- Sacha ! s'étonna Armando.
- Hey, tu vas bien ? sourit Noa.
- Je vais bien, oui. Et vous ?

Son regard, qui s'était affectueusement porté sur les deux frères de Rachid qui étaient devenus ses amis, se dirigea maintenant sur Rachid.

Rachid qui semblait très perturbé.

- Je… je…
- Tu n'es pas content de me voir ? J'aurais pensé que…
- … C… Comment peux-tu… Pourquoi… Mais…

Sacha plissa les yeux. Armando et Noa semblaient intrigués. Rachid serra les dents. Il y avait de quoi.

- BON SANG ! T… TU ES TOUT CRASSEUX ! REGARDE-TOI !

Sacha baissa la tête, le regard toujours pointé sur Rachid. Lequel semblait au bord des larmes.

- C… Ca fait presque deux ans qu'on ne s'est pas vus et toi… Toi, tu reviens, tout sale, et tout en sueur, mais… Mais…

Sacha regarda Rachid, à moitié coupable. Rachid tendit le bras vers une porte.

- M… Monte te laver, la salle de bains est toujours au même endroit !!
- … D'accord.
- Ensuite… Ensuite…

Rachid pleurait franchement, cette fois-ci.

- Ensuite nous aurons à parler, je crois.

Sacha regarda Rachid, quelque peu embarrassé. Il se dirigea vers la porte s'ouvrant sur l'escalier menant aux chambres, dans ce restaurant qu'il connaissait bien.

Et pour cause.

*****************************

LA CENDRE ET L'ARACHIDE

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Tout a commencé à la fin du voyage de Sacha. La ligue Unys s'était achevée. Iris était rentrée chez elle à Janusia. Et Rachid devait rentrer à Ogoesse. Sacha l'y accompagnait donc, Pikachu toujours accroché à son épaule.

- Maman doit m'attendre… J'ai toujours pensé qu'elle avait une aventure avec le professeur Chen…
- T'as pas honte de penser ce genre de choses ! ricana Rachid.
- J'ai presque quinze ans, je pense ce que je veux !

Rachid sourit.

- Quoi qu'il en soit… Tu es à côté, alors n'hésite pas à passer…
- Oh, bien sûr. Iris a passé tout le voyage à me faire chier, mais toi tu es une compagnie agréable !
- … j'ignore si je dois m'en réjouir… Iris est une chic fille quand même, c'est une amie !
- Mouais. Quand elle ne me traite pas de bébé à tout bout de champ. On pourrait se faire un dîner par semaine ! Par exemple en début de week-end…
- Ouais ! Ça me ferait plaisir de te faire à manger, comme au bon vieux temps…
- Au moins pour garder le contact, on est à deux pas l'un de l'autre, ce serait bête...

Ogoesse était en vue. Rachid regarda Sacha. Le jeune homme aux cheveux verts baissa la tête.

- Tu devrais prendre le chemin qui fait le tour de la ville, tu irais plus vite chez toi.
- Le soleil va se coucher, ça t'embête si…

Rachid s'étonna, croyant presque comprendre autre chose, mais il vit où Sacha voulait en venir, et ce qu'il était embarrassé de demander. Rachid secoua la tête en souriant, dissipant les doutes de Sacha et lui donnant sa totale approbation.

- Nous faisons aussi auberge de jeunesse !
- Je sais ça ! ricana Sacha.
- Tu es le bienvenu, évidemment !

Sacha sourit tout comme Pikachu sur son épaule, et ils marchèrent ensemble vers l'arène d'Ogoesse. Rachid regardait sa ville avec nostalgie.

- Ca fait longtemps… J'espère qu'Armando et Noa ont réussi à s'en sortir…
- Mais oui. Fais confiance à tes frères, Rachid !
- Je leur fais confiance, c'est juste qu'entre Armando qui est très dissipé et Noa qui est très discipliné...
- Et toi qui est un peu entre les deux, presque bipolaire...
- N'importe quoi, Sacha ! Retire ça !
- Je suis Rachid, un coup je suis sérieux et professionnel, un coup je pars dans des délires...
- Sacha Ketchum, ce sera répété à votre maman ! Vous êtes méchant ! s'esclaffa Rachid.

***

Arrivés à l'arène, Rachid ouvre et le restaurant est vide, fermé. Les tables n'ont pas été débarrassées.

- Il y a du laisser-aller… marmonna Rachid.
- T'es pas un peu sévère ? sourit Sacha.
- ARMANDO ? NOA ?
- Évite de les taper pendant que je suis là... sourit Sacha, sarcastique.

Il y eut une latence irritante pour Rachid. Un moment où il y eut comme une sorte d'agitation en cuisine, une agitation anormale, il n'y avait aucun travail à faire, les clients étaient partis, et visiblement pas de vaisselle à faire. Rachid n'y vit rien de louche sur le moment mais s'il y avait réfléchi, il aurait vu anguille sous roche, clairement. Armando sortit le premier des cuisines.

- Rachid ? Ouah… Déjà ?! La vache…
- On a voyagé pendant deux bons jours pour revenir, oui, déjà ! sourit Rachid. Vous nous faites un petit quelque chose ?
- Tout de suite, ouais ! s'enjoua Armando.

Noa sortit des cuisines, embarrassé et en sueur.

- Salut Rachid !
- Hey, Noa… Tu as l'air exténué !
- Oui… Hm ! Le ménage, tout ça…
- Sacha va rester pour la nuit !
- Oh, très bien ! Tu as des préférences en matière de chambre, Sacha ?
- Pas spécialement, héhé ! Une qui est prête, quoi !
- Très bien, je t'en prépare une tout de suite !

Rachid posa ses affaires.

- Fais comme chez toi, Sacha !
- Merci… C'est gentil à toi et à tes frères, vous vous mettez en quatre…
- En trois, voyons !
- Oui c'est vrai ! Haha !
- Pikachu peut vaquer à sa guise, le restaurant est permis pour les Pokémon…

Le Pokémon jaune gambada à travers les allées. Rachid sourit et alla rejoindre Armando en cuisine.

- Alors ?
- Alors quoi ?
- J'sais pas, t'es tout guilleret, tu souris quand son Pokémon marche sur le sol tout frais nettoyé… Où est passé le nazi de l'ordre et de la propreté ?
- Oh, je t'en prie…
- Vous sortez ensemble ?
- Non, Armando, et je te prierais de ne pas parler ainsi de mon cher ami Sacha...

Armando haussa les sourcils. Rachid le regarda innocemment. Armando pointa un doigt vers Rachid qui grimaça, puis qui détourna les yeux, gêné, laissant la victoire à son frère le rouge.

- Putain !
- Armando !!
- Pardon, mais… La vache ça fait un an que vous cavalez ensemble sur les routes et RIEN ?

Rachid baissa la tête.

- Il y avait Iris avec nous et… Sacha est un très bon ami, je ne voulais pas prendre de risque, je n'ai aucune idée de la réciprocité de ses sentiments…
- Il a déjà eu des vues sur une fille ?!
- … Je ne crois pas.
- Alors t'as encore tes chances ! Montre-lui tes sentiments ! Fais-lui la totale !
- …
- Pointe-toi à poil dans sa chambre ce soir !
- Ne sois pas si grivois, Armando ! Ce n'est pas le genre de chose que je veux avec Sacha. Avec Sacha, ce sera pour toujours ou rien.
- J'oubliais ton exigence…
- Je ne veux pas d'une relation qui soit brève, ce serait une insulte à tout le temps que nous avons passé ensemble. Sacha mérite d'être aimé et je veux être digne de cet amour.

Armando haussa les sourcils.

- C'est du sérieux, mec !
- Oui, c'est du sérieux.
- Bah écoute, t'auras pas beaucoup d'occasions… Essaie de le choper ce soir !
- Armando…
- Moi j'dis ça, j'dis rien !

Rachid plissa les yeux. Devait-il suivre les conseils de son irresponsable tête brûlée de frangin ?

***

- Tout va bien ?
- Mais oui, Rachid, tout va bien !

Sacha était en train de s'installer dans sa chambre, déposant ses Pokéballs sur la table de nuit.

- Tu n'es pas obligé de t'inquiéter en permanence pour moi, tu sais !

Pikachu s'était installé dans un petit lit suspendu au-dessus du sol. Rachid regarda Sacha qui déballait quelques vêtements en prévision du lendemain.

- Eh bien… Si, si, je pense devoir m'inquiéter pour toi.
- J'ai déjà ma mère pour ça, Rachid. Tu es gentil mais… Tout va très bien ! Votre auberge est très bien tenue, tu sais comment toi et tes frères vous travaillez… j'ai l'impression d'avoir trois super mamans, dont une qui s'est très bien occupé de moi pendant un voyage entier… Tu vois de qui je parle ? sourit le brun.
- …
- Ne t'inquiète pas, vraiment ! sourit Sacha.

Rachid ferma la porte de la chambre, dans un mouvement résolu et réfléchi, lentement, en reculant avec elle. Sacha le regarda, intrigué.

- Rachid ?
- … Je… je dois m'inquiéter pour toi, Sacha, c'est mon rôle.
- …
- C'est mon rôle en tant qu'ami et… c'est également mon devoir.

Rachid se tenait face à Sacha, l'air de vouloir lui faire comprendre quelque chose. Sacha plissa les yeux, embarrassé.

- C'est-à-dire ?
- Sacha… c'est… c'est difficile pour moi de te dire ce que j'ai à te dire…
- … euh…

***

- SACHA ! N... Sacha, je t'en prie !!

Lequel trainait ses valises, suivi par un Pikachu dubitatif.

- Oh… Oh mon Dieu, je ne voulais pas ça, Sacha, je t'en supplie, arrête !!

Sacha posa ses valises, énervé.

- Pourquoi tu me dis ça maintenant ? J'ai l'impression d'avoir été piégé !
- Quoi mais…
- Tu attends le moment où je m'installe chez toi pour m'avouer… tes sentiments ?!
- J… Je n'avais pas d'autre occasion… Iris était avec nous tout le temps !

Les autres clients de l'auberge regardaient les deux amis en plein argument. Armando et Noa, dans la même chambre, observaient également.

- Si tu avais eu un peu de respect pour notre amitié, tu aurais attendu, au moins demain matin au moment où je serais parti !

Rachid avait les larmes aux yeux.

- P… Pardonne-moi !
- … Il n'y a rien que je ne doive te pardonner… Disons que, venant de toi qui fait toujours tout… de façon parfaite… ça me surprend plus que ça ne me blesse.

Sacha partit. Rachid se mordilla les lèvres, fou de chagrin.

- Non… non, non, non !

Armando et Noa tentèrent de parler à Sacha mais ils ne surent quoi lui dire. Les deux frères regardèrent leur jumeau.

- Il va passer la semaine à chialer…
- C'est tout ce qui t'inquiète ?! soupira Noa.

C'est ainsi que Rachid passa toute la nuit à pleurer, entouré par ses frères, bien obligés de le soutenir dans cette épreuve. Pour la première fois depuis leur enfance, ils avaient dormi tous les trois dans le même lit.

***

- Armando, tu devrais avoir honte !
- C'est pas la mort ! J'lui ai juste dit de foncer !
- Et regarde où ça l'a mené !

Rachid essuyait ses larmes, perdu, le coeur arraché.

- Je… je… je ne sais même plus où j'en suis ! Je me sens…
- Rachid, tout va bien, Sacha ne te déteste pas ! assura Noa. Tu as été trop brusque, trop direct et surtout… Tu as fermé la porte avant de lui parler ! Tu lui aurais mis un révolver sur la tempe, ça aurait été pareil ! Il s'est senti piégé, obligé... Tu n'as pas été correct, venant d'un obsédé de la politesse comme toi, c'est étonnant !

Rachid regarda Noa, étonné. Armando plissa les yeux.

- Tu abuses, là, non ?!
- Non ! Rachid, Sacha va revenir et à ce moment-là, tu devras être prêt à appréhender les sentiments qui t'animent et à les transformer en énergie pour les communiquer à Sacha !

Rachid regarda Noa, interloqué. Armando soupira.

- C'qu'il veut te dire c'est que le moment venu, tu dois te lâcher sur Sacha et lui dire « Allez mec, sors avec moi, j'suis cool, laisse-moi une chance ! »

Rachid sourit et sécha ses larmes.

- Vous êtes gentils…
- Allez, Rachid, une bonne nuit de sommeil et tu aviseras demain !
- Hm… j'espère pouvoir...

***

Le lendemain matin, il arriva aux aurores. Armando lui ouvrit.

- Sacha…
- Armando, il faut que je parle à Rachid !
- Ouais, mais pour quelle raison ? Si c'est pour le faire pleurer encore plus, c'est mort mec, sérieux, lâche l'affaire parce que…
- Je veux juste qu'on passe la journée ensemble pour en discuter…
- … RACHIIIIIIIIID C'EST SACHA !

On dévala les marches et le jeune homme aux cheveux verts arriva comme un fou dans la grande salle.

- Si tu veux bien… marmonna simplement Sacha.
- … o… oui bien sûr… laisse-moi prendre mes affaires.
- Cool.

***
***
***

- C'est intolérable, INTOLERABLE !!

Armando et Noa plissèrent les yeux, sentant le remake arriver.

- Il me laisse et il revient deux ans plus tard… Comme si de rien n'était mais pour qui il se prend !! Je l'ai aimé, je lui ai tout donné… Ce n'est pas tolérable, ce n'est pas…

Noa attrapa le bras de son frère.

- Du calme, Rachid.
- …
- Tu n'as pas à te mettre en colère ! Tu en as bavé mais tu en es arrivé à un point où toutes ces petites choses n'ont plus à t'atteindre.
- T… Tu as raison, Noa…
- Sacha n'est plus le même homme, mais toi non plus !

Rachid hocha la tête, confiant.

- Tu… tu as sûrement raison.
- J'ai raison. En deux ans, les gens changent. Crois-moi.

***
***
***

- T'as si mal dormi que ça ?

Noa essuyait les tables. Il regarda vers le bas alors qu'Armando le regardait, intrigué.

- … Armando, je continue à penser que… nous ferions mieux d'arrêter de… dormir ensemble.

Le cuisinier aux cheveux rouges regarda son frère aux cheveux bleus.

- C'est toi qui a commencé j'te signale. C'est toi qui est rentré dans mon lit, qui t'es serré contre moi, j'ai suivi le mouvement, moi, tu sais…
- Je n'en suis plus là, Armando ! Toi et moi c'est… impossible. C'est bien, c'est sympa sur plusieurs aspects, mais…
- Mais ?

Noa grimaça.

- … je suis comme Rachid, je veux vivre les choses au grand jour et avec toi, ça n'est pas possible. Les gens se poseraient trop de questions, le restaurant, Rachid… on ne peut pas risquer tout ça.

Armando plissa les yeux.

- Tu… te rends compte que pour moi c'est plus qu'un simple jeu pervers.
- Je sais, je… je sais ce que tu ressens à mon égard, mais… c'est trop risqué. Et ça ne pourra jamais être totalement la relation que je souhaite.
- Et moi alors ?!
- … Armando, allons, tu ne veux pas ça. Tu ne veux pas faire ta vie amoureuse avec ton frère, ne raconte pas de salades.
- Tu sais ce que je préfère ? Toi. Toi, la petite chose toute lisse, toute pleine de conventions, et moi le soir venu qui te transforme en véritable bête assoiffée…
- Arrête…

Armando se retrouva collé à son frère, la bouche près de l'oreille.

- Dis-le, Noa, dis-le que ça te fait kiffer… que tu peux pas résister, que c'est trop bon…
- … salaud...
- Je sais.

***

- Je suis désolé…

Sacha regarda Rachid, peiné.

- C'est moi qui devrais m'excuser, Rachid, je… j'ai été blessant.
- Et moi j'ai été maladroit.
- Toi et moi ça a toujours été particulier, je l'ai toujours ressenti… le courant est vite passé, on a eu beaucoup de grandes conversations, j'adore ton humour et ton attitude, tu m'as toujours soutenu et encouragé…

Rachid se mordilla les lèvres. Sacha haussa les épaules.

- Alors… admettons que je veux bien essayer. Pour ton truc de relation, là.
- Oh, alors tu acceptes qu'on… sorte ensemble !
- Oui voilà.
- Bien… Très bien. Ça veut dire qu'on… va…
- Je sais pas trop, on peut aller dans un restaurant… pas le tien !
- Oui, avec Armando et Noa autour…
- C'est pas que je les aime pas, hein…
- Non, non, je comprends… marmonna Rachid.

Il voulait un geste d'affection de la part de Sacha, plus comme un baiser. Au lieu de ça, Sacha lui saisit la main. Un geste inattendu qui toucha profondément le cœur du cuisinier.

- Il y a… un salon de thé très agréable à Renouet.

***
***
***

Rachid toqua à la porte de la salle de bain.

- Tu as tout ce qu'il te faut ?
- Tout va bien, merci.

Rachid entra néanmoins dans la salle de bains. Sacha prenait son bain. Le sommelier s'efforça de garder son flegme.

- Je vais te frotter le dos.
- Tu pourrais aussi me rejoindre.

Rachid posa brutalement les serviettes qu'il portait.

- N'abuse pas !

Il se saisit d'une fleur de douche qu'il trempa. Il en profita pour voir que Sacha était toujours le même Homme qu'avant.

Il s'assied sur le bord de la baignoire, derrière Sacha qui se pencha légèrement. Rachid commença à frotter avec attention le dos de son ancien compagnon.

- Qu'as-tu fait pendant ces deux ans ?
- Ce que je t'ai dit. J'ai voyagé.
- … Tu as rencontré quelqu'un ?
- J'ai pas envie d'en parler.
- Tu n'as même pas appelé.
- On s'est quittés de façon un peu houleuse.
- La faute à qui ?

Sacha ferma les yeux. Il ne lâchait décidément rien.

- J'ai… Rachid, il faut que je te dise…
- Pas d'excuses, s'il te plait.
- Non, je…
- Tu n'as pas besoin de t'excuser, je suis content que tu sois là maintenant.

Rachid caressa affectueusement l'épaule de Sacha qui lui saisit la main. Sacha tourna la tête.

- J'ai… renoué avec Régis.

Rachid resta stoïque. Ne rien laisser paraître. "Il m'en a parlé. Ce grand beau gosse, son ami d'enfance, celui que je jalousais pour sa proximité avec Sacha..."

- Oh.
- Je te demande pardon pour ça… c'était… dans la chaleur du moment comme on dit.
- Renoué… sérieusement ?
- Je ne veux pas entrer dans les détails.
- Je dois savoir.

Sacha regarda son ancien petit-ami. Le jeune homme né pour porter l'émeraude était très calme. Sacha semblait plus affecté.

- … c'est plutôt sérieux. On…

Rachid se mordilla les lèvres. Ce « On » était de trop.

- J'ai voyagé avec lui. Et… ce qui…
- J'ai compris.
- Ca n'est absolument pas contre toi.
- J'ai un petit-ami moi aussi, Sacha.

Sacha écarquilla les yeux.

- Ah…
- Artie, le champion de Volucité. Nous… nous sortons ensemble depuis un an. J'ai réussi à te mettre de côté.
- D'accord…
- Je sens un peu de déception dans ta voix, crois-moi, ça n'est pas de mise.
- … Oui, je comprends.
- Merci de comprendre, c'est tout à ton honneur, marmonna froidement Rachid.

***
***
***

- A force d'être rivaux, on a fini par être amis… en fait ça s'est passé comme ça avec mes deux exs. Avec Régis c'était incroyable, pétaradant, c'était très chimique… avec Paul c'était plus brut, plus âpre… moins tendre. Et ça a toujours été très court, aussi…

Rachid haussa les sourcils.

- Je… je suppose que ta vie romantique est moins passionnante…
- En… en fait tu es le premier pour qui j'ai… des sentiments…
- Ah... Je suppose que… comme tu n'es ni Régis, ni Paul… ça va être très différent avec toi.
- Cela coule de source.

Sacha sourit.

- Disons qu'au moins ça nous changera tous les deux.
- Oui, voilà…

Rachid n'avait d'yeux que pour Sacha. Il le sentait acquis, tout à lui et c'était un sentiment divin. Sacha était dans un élément connu, celui de ce doux moment où ses relations avec les gens passaient d'amicales à amoureuses. Le genre de moment unique où tout passe par les regards et les sourires, qui d'un coup, comme par magie, changent complètement de signification.

Ce soir-là, Sacha emmena Rachid chez lui. Une fois dans sa chambre, chacun prit les mains de l'autre, et le premier baiser fut donné, le premier d'une longue liste…

***
***
***

- Ne ralentis pas !

Rachid sortit de sa rêverie. Sacha le regarda, étonné. Il s'était presque appuyé sur lui. Rachid secoua la tête et recommença à frotter le dos de Sacha.

- Je pensais à notre premier rendez-vous.
- Ne reste pas dans les souvenirs, Rachid… C'est fini, tant pour moi que pour toi. Suffit… d'accepter et de faire avec et de…

Rachid caressait le dos de Sacha, nostalgique. Sacha se retourna vers Rachid.

- Ne rend pas les choses plus difficiles, je t'en prie…
- On n'a jamais vraiment rompu, Sacha, tu t'es contenté de me dire au revoir et à la prochaine.

Sacha regarda la mousse dans le bain.

- Je… je voulais pas que tu te remettes à pleurer si je te disais au revoir pour toujours.

Rachid baissa les yeux.

- La dernière fois, c'était insupportable.
- Arrête…
- Je ne pourrais pas supporter à nouveau l'idée de…

Rachid fit taire Sacha en posant sa main sur sa bouche. Il commença à desserrer son nœud papillon.

- Chut, Sacha, ne dis plus un mot.

Le serveur se leva et commença à se dévêtir devant un Sacha éberlué.

- Mais… mais…
- Il faut bien qu'on se dise au revoir, tu me dois bien ça, et… je te dois bien ça également, après tout ce qu'on a partagé.
- Et… et Artie ?
- Artie comprendrait. Artie n'est pas dans ma tête ni dans mon corps, du moins pas en ce moment.
- …

***
***
***

- Je t'aime. C'était la meilleure nuit qui puisse être… sourit Rachid.

Sacha sourit et caressa la joue de Rachid.

- De tous ceux qu'il y a eu dans ma vie, tu es celui que je pourrais bien garder jusqu'au bout.
- Tu crois ? sourit Rachid.
- Je crois, oui. Tu penses qu'on pourrait vivre chez toi ?
- … avec mes frères et… les clients…
- Je pourrais vous aider, et puis bon, tes frères, c'est pas des anges, non plus, ils ramènent bien des gens…
- … rarement, maintenant que tu en parles !

Sacha et Rachid rirent ensemble. Les mains caressaient les corps et les deux entités nues n'avaient de cesse de se coller, de se frôler, de se frotter.

- Je crois qu'on n'a pas réveillé ma mère… marmonna Sacha.
- On peut recommencer alors ?
- Autant de fois que tu veux… sourit Sacha.

***
***
***

C'était mal. Très mal. Ils en étaient profondément conscients, mais à cet instant, Rachid et Sacha pensaient uniquement au bonheur charnel et personnel qu'ils se procuraient l'un à l'autre.

Les baisers pleuvaient, l'eau du bain n'avait jamais autant moussé, et nos deux amants n'avaient pas eu aussi chaud depuis au moins… leur séparation.

La conversation était dès lors des plus incongrues.

- Tu as toujours ton Limonde, au fait ?
- Ou… Oui… Il se porte bien… Même si… Hn… Mes frères le mettent parfois en casserole pour essayer de le faire cuire…
- C'est tentant parfois…
- Je suis obligé de… de… hhh… de leur expliquer que sa viande serait très mauvaise… Et si Pikachu nous surprend ?
- Il comprendra. Il comprend toujours. Je peux en dire autant de ton petit singe chéri.

Rachid haletait tout comme Sacha qui se concentrait sur le cou et les épaules de son bel hôte.

- … Il n'est plus… plus si petit…
- Je te félicite, ça n'a pas dû être une décision… facile à prendre…
- Parfois il faut s'ouvrir… au changement… ouvrir son esprit…
- La pression est forte, c'est vrai… Oh, Rachid, mon Dieu…
- Sacha…

Les yeux émeraude se plongèrent dans les grands yeux noisette.

- … fais comme tu l'as toujours fait, à savoir… comme tu veux, au rythme que tu veux… je te suivrais… sourit Rachid, énamouré.

Sacha appuya sa domination. Rachid avait maintenant le dos collé au torse du dresseur.

- Je le sens…
- Oui ?
- Je le sens, ce moment où tu vas partir et où tu vas me dire au revoir… Ce moment où je rejoindrais mon monde et où tu retourneras au tien.
- En attendant, là… je suis à peine arrivé… je suis chez toi, tu le vois bien, tu le sens bien, je suis là, bien présent…

Le visage de Rachid oscillait entre l'extase de la présence de Sacha et l'appréhension très douloureuse de son départ à venir.

- Je… je ne veux pas que tu partes…
- Crie-le…
- Je refuse que tu t'en ailles à nouveau !!
- Hurle, crie, que tout le monde entende…
- Pourquoi a-t-il fallu que tu partes ?!!
- J'avais besoin de m'évader, je ne voulais pas que tu me suives, je voulais être sûr… Han…
- Hmph… Mmmm… Tu… Tu sais combien tu m'as fait souffrir ?!
- Mais maintenant tout va bien, hm ?
- … Oui… Oui, oui… Ca va… C'est… Ca va, au point que je ne sais pas si je tiendrais plus longtemps… sans toi !
- Reste fort, Rachid. Je suis derrière toi, tu le sais.
- Oui, je te sens derrière moi et ça me rend plus fort…
- D'être derrière toi à te soutenir… me rend plus fort aussi… Et de te savoir toujours à veiller à mon bien-être…
- Oui…
- C'est…
- Dis-le…
- C'est pour moi…
- A ton tour de crier, je veux t'entendre Sacha, DIS-LE !
- C'est pour moi la plus belle preuve d'amour qui puisse être !

Tout cessa. Le mouvement, tout masculin et régulier qu'il était, s'est suspendu au-dessus de la baignoire. Rachid, courbé, se releva et fit face à Sacha qui semblait dépité.

- J'aurais jamais dû partir.
- Tu le devais, il en allait de ton rêve.
- Maintenant je m'aperçois que c'était de toi dont j'avais besoin, pas d'un accomplissement aussi futile que… d'être maître Pokémon.
- C'est ton rêve…

Rachid se serra contre Sacha, tous nus qu'ils étaient, debout dans la baignoire où ils venaient de s'ébattre.

- … et tout ce qui émane de toi ne peut qu'être respectable.
- Même l'envie d'être loin de toi un moment ?
- … tu avais tes raisons…
- Aucune bonne raison. Je le sais maintenant.

Leur nouveau baiser scellait un amour retrouvé, renouvelé, au-delà de tout ce qu'ils avaient essayé de reconstruire à côté. Seule leur romance importait.

***

Plus dure serait la chute. Au lendemain d'une nuit peu amène, Rachid et Sacha étaient chacun face à leurs téléphones respectifs.

- Ca va être compliqué…
- Plus pour moi que pour toi. Je suppose que ça n'était pas aussi sérieux que ça avec Régis… marmonna Rachid.
- Assez pour qu'il soit déçu au final… marmonna Sacha. Toi, avec Artie…
- Ce sera dur pour lui mais il ira pleurer chez Aloé qui me passera un savon… La vie quoi.
- Dur. Je serais là pour te défendre.
- Je sais. Jusqu'au jour où tu repartiras…
- Ce jour là, je saurais quoi emmener en plus de mes bagages.

Rachid regarda Sacha, souriant, heureux, confiant. C'est le jeune homme aux cheveux verts qui saisit le premier son téléphone et qui passa l'appel en premier. Sacha saisit son épaule, compatissant et soutien indéfectible.