Chapitre 5 : Roigada VII (Conspiration)
Kadabra jouait distraitement aux fléchettes, les jambes croisées sur son bureau, confortablement installé dans un siège abimé quant quelqu'un frappa à la porte. Cela brisa sa concentration et il manqua la cible. Frustré d'être ainsi dérangé, il rangea le reste de ses projectiles et attendit que la porte s'ouvre. Un Ramoloss au regard dénué d'émotions entra dans le bureau.
-Retire ton camouflage, espion. Tu sais bien que leur vue me dégoute.
Docile, l'intéressé changea de forme et revêtit la masse bleue et flasque du Métamorph qu'il a toujours été.
-Maintenant, au rapport ! Sous-fifre !
Métamorph se racla sa gorge et entama son discours.
-Le plan se passe comme prévu. Adoun, le chef du village des Ramoloss ne se doute de rien. Il croit même que nous les protégerons en cas d'attaque de bandit !
Kadabra ricana du haut de son siège. Les Tic et les Clic de son plan se mettaient en place. Dans trois jours, au prochain lever de la pleine lune, cette misérable niche à Ramoloss sera réduite en cendre. Et lui, seigneur Kadabra, régnera sur un territoire toujours plus vaste et riche ! Il se félicita d'avoir embauché ce Métamorph, qui est parvenu à s'infiltrer au sein de leur communauté et entretenir d'excellents rapports entre eux et le clan des Machocs ! Désormais, ces stupides pêcheurs roses seront sans défense, et il n'aura cas se baisser pour récupérer les lauriers de sa victoire !
Des étoiles dans les yeux, il prit l'une de ses flèches et l'envoya violemment en direction de sa cible. Le projectile se planta profondément dans le nez du Roigada représenté sur le mur du fond.
-Tu verras Septième du nom ! cria-t-il. Chaque jour qui passe je gagne en puissance et en pouvoir. Et bientôt, je marcherais vers ton château, fort de milliers d'hommes et j'aurais ta tête au bout d'une lance ! Plus rien ne pourras plus m'arrêter ! Je deviendrais le plus puissant Seigneur de tous les temps ! Mwa ha ha ha ha ha ! Ha ha ha ha ha !
Métamorph fut rapidement congédié et retrouvé seul sur le palier du bureau. A peine était-il sorti du repaire de Kadabra qu'une intense tristesse s'empara de lui. Que suis-je en train de faire ? se dit-il. Les choses vont-elles se dérouler ainsi ? Ce village si paisible allait-il disparaître ? Il ne voulait pas y penser, car si les choses se passeraient de cette façon, cela reviendrait à dire qu'il aurait tué de ses propres mains une colonie entière de Ramoloss innocents.
Mais il ne pouvait pas en permanence occulter sa conscience. Il avait envie de tout stopper, il avait envie d'arrêter ce massacre tant qu'il en était encore temps. Et il savait qu'il le pouvait. Mais il savait que personne ne le croirait, il savait enfin qu'il serait incapable d'accomplir quelque chose de ce genre. Les mots de son père s'écoulèrent dans son esprit comme un venin de Seviper, le rongeant petit à petit, sapant toutes ses forces. « Tu n'est qu'un bon à rien ! », « Regarde-toi ! Ton seul talent et de cacher ta pitoyable apparence derrière celle des autres ! », « Tu passeras ta vie à faire semblant d'être ce que tu ne seras jamais ! ».
Peut être ne suis-je bon qu'à ça ? Suis-je donc impuissant face ma nature ? Les Métamorph auraient donc pour unique talent l'imitation ou la duperie ? Oui. Le quotidien me le prouve chaque jour...
Il délaissa donc encore une fois ce corps qu'il méprisait tant au profit de sa couverture qu'il portait depuis déjà plusieurs semaines. Ce fut donc sous la forme d'un Ramoloss qu'il alla retourner faire ce qu'il savait le mieux...
***
Horn était fou de rage. Mais aussi grande fusse sa colère, il ne pouvait décemment pas entrer dans la salle du conseil et hurler que le village allait être attaqué et qu'il tenait cette information du rêve de sa fille. Ainsi donc il se lança dans une intense réflexion alors qu'il marchait à vive allure. Après tout, ce n'était pas la première fois que sa petite Ecorcia avait une vision de l'avenir. Elle avait déjà prédit certaines choses qui se sont bel et bien produites. Horn ignorait totalement d'où pouvait lui venir un tel don, mais en tous les cas, celui-ci a rendu plus d'une fois service au village.
Mais évidemment, à chaque fois que le conseil avait été mis en garde, celui-ci riait au nez de la pauvre famille de Psykokwaks. Et quand la prédiction se réalisait, chaque habitant redoublait de mauvaise foi, allant même jusqu'à nier avoir été un jour prévenu. Souvent, comme ce jour-là, Horn se demandait ce qui lui avait pris de construire sa maison dans un tel endroit. Même après avoir adopté les us et coutumes de ce village, lui et sa famille étaient les mêmes étrangers qu'il y a dix ans de cela. Et tout cela pourquoi ? Parce qu'il était un Psykokwak dans un village peuplé de Ramoloss.
Mais le pire n'était pas là, car Horn conservait l'espoir qu'un jour peut être ils finiraient par être acceptés. La graine de la haine germa dans son cœur le jour où les Machocs étaient arrivés pour la première fois. Il s'en souvenait comme si c'était hier. Ces athlètes aux grands airs étaient venus avec des sacs remplis de pépites d'or qu'ils avaient soi-disant extrait eux même de la terre. Ils prétendaient posséder une mine non loin du village et avaient l'intention d'acheter du poisson à notre village contre ces cailloux brillants. Horn avait vu le regard cupide du chef Flagadoss qu'il adressait à ces pépites maudites.
Les Machocs lui en avaient offert une et depuis ce jour, tout changea. A chaque fois que l'un de ces mineurs arrogants rendait visite au village, il était traité comme un Seigneur. Même Roigada VII n'aurait pu recevoir un meilleur traitement, tant cette ordure de Flagadoss était obnubilée par cet or. Mais Horn, lui n'était pas idiot, il a de suite comprit la manœuvre des Machocs. Il savait qu'ils n'offraient pas leurs précieuses pierres par simple courtoisie ou générosité.
Leur but était d'acheter la confiance du village pour pouvoir le trahir un jour. N'importe quel pêcheur avait pu apprendre aux Machocs que la baie sur laquelle était construit le village abondait de nourriture. De quoi suffire à éveiller la convoitise. Pour un Psykokwak aguerri comme Horn, la situation ne faisait aucun doute. Un jour où l'autre cette colonie de Machocs allait prendre cette baie aux Ramoloss, de gré ou de force.
Cela faisait longtemps qu'il nourrissait cette certitude, et sa fille n'avait fait que confirmer ses craintes. Mais le plus gros problème était que le conseil des Flagadoss. Il ne portait pas la famille des Psykokwaks dans son cœur, et il risquerait de ne pas accepter le fait qu'elle remette en question l'honnêteté des Machocs. Mais Horn ne pouvait pas reculer. D'une façon ou d'une autre, il était de son devoir de protéger sa famille. Si cela devait se faire sans le soutien du village, ce sera l'épée au poing et au péril de sa vie qu'il empêchera quiconque faire du mal aux deux femmes de sa vie !
Ma chère fille, pensa-t-il. Je te promets que je ne te décevrais pas.