Chapitre unique : Kiss me Goodbye. - Pour la version 0S -
A Léa
Les nuages déversaient leurs pleurs depuis les cieux.
Teilaste, à l'abri dans une petite chaumière, contemplait silencieusement la pluie tomber avec fracas sur le sol. Un éclair serpenta entre les montagnes qu'il voyait depuis sa fenêtre. La langue de flamme frappa un des pics des gigantesques rochers tandis que l'humidité imprégnait la petite pièce ayant pour seul meuble un matelas de toile. Une goutte d'eau traversa le plafond et tomba sur son crâne. Il semblait surpris, comme s'il découvrait cette sensation pour la première fois. Pendant ce temps, le ciel ne s'apaisait pas, sa colère se faisait plus forte encore.
Teilaste paraissait désorienté. Il quitta la fenêtre des yeux et regarda ses deux pattes. Les deux pics d'aciers qui en émergeaient lui semblaient inconnus. Il toucha son visage, suivit le contour de son museau, caressa la pointe de ses oreilles. Ce contact le fit frissonner. Il reporta son regard vers la vitre. Le contraste entre la lumière de sa chambrée et les ténèbres momentanément dispersées par la foudre faisait que le verre lui renvoyait l'image d'un Lucario qui le regardait fixement.
***
Je ne me reconnais plus.
Depuis ma récente évolution, c'est comme si mon corps avait perdu ses habitudes et ses réflexes. Je me sens plus puissant, mais je n'ai pas l'impression que ce soit mon propre sang qui traverse mes veines. Mon regard est différent. Mes pensées sont différentes.
J'ai grandi. Mais je ne suis pas vieux pour autant. Demain sera mon dernier jour en école préparatoire. Dix générations. Dix générations que j'y suis, depuis que j'en ai cinq. Cinq rotations autour de l'Astre de lumière et me voilà déjà en train de tracer mon avenir. Dix plus tard, je dois déjà choisir ce que je ferai pour le reste de mon existence. Alors que je suis totalement perdu par tous ces changements. J'espère juste que je choisirai bien... que dois-je faire ? Qui dois-je être ? Moi-même ? Mais alors qui suis-je ?
***
Teilaste vivait dans un Monde différent du nôtre, où les années étaient appelées « générations », les jours caractérisés par le « coucher » et le « lever », référant aux mouvements du Soleil, et où les saisons, semblables aux nôtres, devaient leur nom à une sorte de cycle de vie. Tout comme nous n'imaginons pas réellement leur existence, les Pokémon de cet Univers ne soupçonnaient même pas la nôtre. Cependant, ils vivaient de la même manière que nous, et de nombreuses similitudes nous auraient rapprochés si nous nous étions connus. Leur technologie n'était que peu différente de la nôtre, tout comme leur mode de vie et leurs pensées. Toutefois, ils restaient des Pokémons, et évoluaient, sans pour autant se battre, même s'ils conservaient toujours leurs instincts guerriers. Ils naissaient, se forgeaient une existence, et mouraient. Quelque soit le nombre de Mondes, le cycle de la vie s'applique à tous.
***
Il faisait grand jour. Les Pokémon oiseaux chantaient au milieu des fleurs en pleine éclosion en cette fin de Saison Rejaillissante. Faivore traversa gaiement ce petit sentier en pleine résurrection après la terrible colère du ciel de la veille. Elle n'avait pas su trouver le sommeil, et pourtant n'était pas effrayée par l'orage. Quand on a quinze générations, on sait faire la différence entre ce qui est vraiment terrifiant et une simple expression de la nature. Non, elle se demandait ce qu'elle allait dire, ce qu'elle allait faire aujourd'hui. Après une nuit de recherches, elle hésitait entre plusieurs professions qui dicteront son avenir jusqu'à sa mort. Mais elle avait finalement choisi lorsque l'étoile du jour pointait à l'horizon.
Faivore savait qu'elle serait en avance, aussi prenait-elle son temps pour se diriger vers l'école. Elle cueillit quelques fleurs qu'elle mit dans sa longue chevelure. Les légers boutons blancs émergeaient de la cascade émeraude dans une douce harmonie qui laissait croire qu'ils y avaient toujours vécu tant l'union semblait parfaite. Faivore releva lentement la tête et regarda le timide fleuve qui suintait entre le chemin de terre et les rochers abritant délicatement quelques herbes fraîches. Puis elle reprit sa marche. Elle avançait doucement, admirant les beautés que lui offrait la nature à l'apogée de sa vitalité. Fermant les yeux, elle huma le doux parfum du pollen en suspension, tandis qu'un vent léger flottant sur sa peau soulevait doucement sa robe blanche. Un Nirondelle la salua gaiement à son passage en poussant une mélodie qui s'envola vers les cieux. En bon Kirlia, Faivore ne peut s'empêcher de lui faire une petite courbette et de faire un tour sur elle-même avant de le fixer longuement avec admiration.
Soudain, l'oiseau s'envola et la nature se tut, le vent s'essouffla et les senteurs s'évaporèrent. Surprise, Faivore décida de reprendre sa route comme si de rien était, sentant que quelque chose n'allait pas. Elle tenta d'élargir son esprit, essayant de percevoir une quelconque présence, mais sa faible expérience l'en empêcha.
***
Je me sens observée. Qu'est-ce que c'est ? Je ne sens aucune présence...
Je devrai me dépêcher, je pressens quelque chose. Ah, voilà l'école !
***
Faivore s'engouffra dans le bâtiment, et jeta un rapide coup d'œil derrière elle. Il n'y avait rien. Elle n'aurait pas dû s'en faire, c'était sans doute le stress de cette journée capitale qui lui montait à la tête.
Elle entra dans le bâtiment.
Peu de temps après, Teilaste franchissait ces mêmes grilles derrière lesquelles la Kirlia s'était arrêtée. Sans savoir pourquoi, il se retourna, ne vit rien d'anormal, puis rentra.
***
- Jeunes gens...
La voix du Pharamp semblait émue. Le professeur l'était assurément.
- Après tout ces moments passés dans cette école préparatoire, il est temps pour vous de tracer votre route. Vous allez devoir choisir officiellement ce à quoi vous vous destinez. Sachez que ma pensée vous accompagne, et je vous souhaite bon courage.
Une cinquantaine de voix firent écho dans un « merci professeur ! » plein d'espoir. Bien que Teilaste fût plutôt réservé d'habitude, il se joignit tout de même au groupe. Puis tous s'alignèrent face aux représentants des écoles secondaires qui se tenaient derrière eux. C'était tous des Pokémon d'espèces différentes. Le premier d'entre eux, un Capidextre qui avait pourtant l'air sérieux, s'avança d'un pas.
- Je représente Tilnove, dit-il d'une voix monocorde, qui montrait que ce n'était pas sa première cérémonie. Nous sommes spécialisés dans le travail d'artisanat. Lesquels d'entre vous désirent se plonger dans ce type de carrière ?
Quelques-uns des élèves firent un pas en avant.
- Bien. Personne d'autre ?... Bon, suivez-moi.
Dociles, ils lui emboîtèrent le pas alors qu'il se rendait dans la pièce suivante, où ils régleraient les derniers papiers.
Puis, un à un, chacun des représentants fit son discours, qui semblait être toujours le même que le précédent. Personne ne donna de précision sur son métier, puisque tout le monde savait à quoi cela correspondait.
Teilaste écouta d'une oreille distraite ce que disaient ses aînés, réfléchissant toujours à ce qu'il devait faire. Il suivit des yeux sans réellement les regarder les contours de cette salle qu'il connaissait plus que par cœur. C'est là qu'il avait étudié depuis tous ce temps. Les tables et les chaises avaient été enlevées pour avoir plus d'espace pour la cérémonie. Les murs aux teintes ternes étaient les mêmes que d'habitude. Pourquoi auraient-ils changés ? Tout semblait uniforme dans la classe. Teilaste ne savait pas s'il était triste de quitter cet endroit familier ou heureux de prendre un nouveau départ. Quel nouveau départ, d'ailleurs ? Il reporta son attention à l'estrade où se trouvait habituellement le Pharamp, aujourd'hui remplacé par de parfais inconnus. Et il allait devoir suivre l'un d'entre eux. Il devait faire son choix entre trois métiers encore. Etrangement, bien que de nombreux représentants fussent déjà partis, il restait bon nombre d'élèves. Il faut dire que deux des professions restantes avaient pour habitude d'attirer du monde.
L'une était la « technique et technologie », qui consistait, par exemple, à trouver des moyens d'améliorer le quotidien de chacun par des processus ultrasophistiqués et des outils pour la pluparts invisibles au publique. Soit c'était la curiosité, soit le réel désir scientifique ou la passion de la mécanique qui poussait beaucoup de gens vers cette voie. Mais cela restait réservé à une élite. On pensait devenir le futur inventeur d'une énergie révolutionnaire (alors que l'énergie actuelle était presque parfaite sur tous les points), et on se retrouvait technicien de maintenance pour réparer le fournisseur de biotonium d'une simple habitation perdue dans la campagne.
L'autre possibilité à fort potentiel risquait d'avoir encore plus d'élèves. Elle était plutôt portée sur le domaine artistique, que ce soit la musique, le dessin, l'écriture, la sculpture... Ce n'était pas une profession avec un attrait particulier, mais la plupart des camarades de classe de Teilaste étaient d'une espèce qui était le plus souvent intéressé par ces moyens d'expression.
Enfin, le dernier représentant, à moitié dans l'ombre et tellement discret qu'on l'en oublierai presque, symbolisait les Combattants. Par ce mot, on n'entendait pas des soldats prêts à massacrer n'importe qui au moindre faux-pas, mais plutôt des « protecteurs ». En effet, si le continent était en paix, les énergies, illimitées et sans danger, ne suscitaient pas de conflit, et la petitesse de ce monde interdisait à elle seule quelconque guerre, tout le territoire étant uni. Mais personne n'était à l'abri d'un voleur sanguinaire ou d'un fou en soif de vengeance inexpliquée. Bien qu'ils restaient assez peu nombreux, le risque existait toujours. Et sait-on jamais, dans le cadre d'une éventuelle invasion d'un ennemi insoupçonné, des guerriers expérimentés ne seraient pas de trop. Le rôle des Combattants est donc de protéger, dans l'ombre, la population d'une éventuelle menace, et ils sont donc très appréciés. Mais la formation est épuisante, dangereuse et difficile, aussi peu de monde s'y risquait.
Le Lucario regarda tour à tour les trois Pokémon. Où aller ?
***
Le Combattant sorti des ténèbres. C'était un Cizayox dans la force de l'âge, et ses écailles de fer brillaient d'un rouge ardent. Il s'éclairci la gorge :
- Je suis spécialiste dans la pratique des armes. Sachez déjà que peu d'entre vous seront acceptés, et que ceux qui le seront le regretteront sans doute. Qui veut me rejoindre ?
Sa voix semblait empreinte de dédain. Teilaste le fixa droit dans les yeux, et vit que cet air était simulé. Ce n'était pas une proposition qu'il faisait, mais un défi qu'il lançait.
Personne ne bougea. Devant le champ de statue, l'insecte ne se débina pas. Il remit une autre couche :
- Pas de volontaire ? Bah, ici ou ailleurs... De toute façon, vous n'auriez pas fait long feu.
Teilaste riait intérieurement. Ce gars était un véritable comédien. Mais il est vrai que ses propos n'étaient pas sans fondement. Chaque génération, plus de la moitié des étudiant Combattants étaient considérés comme inaptes ou s'estropiaient avec leurs armes avant d'avoir passé deux Saisons d'entraînement, à ce que l'on disait. Il regarda les deux autres adultes sur l'estrade. Ils semblaient choqués.
Mais les propos du Cizayox lui faisaient aussi bouillir le sang. Ce mépris, qu'il savait faux, le révoltait en même temps, et ses bras inactifs ne demandaient qu'à se défouler. Il essaya de porter son attention sur les autres représentants, mais ils lui semblaient désormais inintéressants, si bien que, sans qu'il le veuille, son regard se reporta vers l'insecte rouge. Sans y prêter attention, il avança la première jambe, puis la deuxième.
- Ah, enfin, vous deux, j'ai failli attendre !, acheva le Pokémon, comme s'il savait déjà qui le rejoindrait.
Deux ?
Le Lucario tourna son regard à droite, puis à gauche. Là, il aperçu un Kirlia qui le regardait également, surpris. Ils ne s'étaient jamais remarqués auparavant.
***
Bon, ça y est, je ne peux plus reculer maintenant. Je vais donc devoir donner ma vie pour protéger celle des autres, et ayant pour seul lien avec mon passé un Kirlia que je ne connaissais même pas jusqu'à aujourd'hui. Il me regarde bizarrement, en plus... J'espère que ça va bien se passer.
***
Un Lucario comme futur camarade de classe... dire que c'en était déjà un et que je ne l'avais jamais vu. On verra comment ça se passera. En tout cas, je pense que j'ai fait le bon choix. Ce Cizayox a vraiment surpris tout le monde. Il va falloir se montrer à la hauteur maintenant.
***
Le Cizayox les tira de leur rêverie :
- Bon, suivez-moi !
Son ton avait complètement changé. Il semblait plus amical, mais autoritaire. Il se dirigea vers la porte du fond. Sans hésiter, Teilaste le suivit, précédé par Faivore.
***
Peu de temps après, Teilaste sortait silencieusement de son école. Il lui jeta un dernier regard et commença à s'éloigner. La nuit commençait à tomber, et le crépuscule s'étendait entre les arbres et les rochers.
Il venait de passer des tests qui l'avaient vidé. Sa nuit blanche et son évolution l'ayant déjà épuisé, il était surpris que le représentant l'ait considéré comme apte au combat. Mais maintenant, il avait sa route à tracer.
- Hé !
Il s'arrêta et se retourna. Le Kirlia... la Kirlia, plutôt, puisqu'apparemment il s'agissait d'une femelle, courrait pour le rattraper. Le Lucario fut surpris de voir qui lui restait de l'énergie. Elle reprit la parole une fois à sa hauteur :
- Alors comme ça, fit-elle d'une voix essoufflée, on va se retrouver dans la même école ?
- J'ai bien l'impression, oui, répondit-il, troublé par ce premier contact avec cette personne qui allait l'accompagner tant bien que mal vers son destin. Dommage qu'on ne se soit pas parlé avant...
- Ce n'est pas grave, reprit-elle, enjouée, on aura tout le temps là-bas. Et puis, on a toute la vie !
-Oui, c'est vrai, glissa-t-il dans un sourire.
Il y eu un blanc. Ils continuèrent de marcher en silence au milieu du sentier en fleurs, entourés du chant des oiseaux. Puis, elle lança :
- Bon, ben c'est ici que je te laisse. On se revoit là-bas ?
- Ok. A la prochaine... euh...
- Faivore.
- Faivore, d'accord. Moi c'est Teilaste.
- Enchantée. Elle sourit. Salut Teilaste !
- Salut...
Elle s'éclipsa rapidement, le laissant seul avec ses pensées.
***
Bon, déjà, elle est sympa, je ne serai pas tout seul. Ca aura l'air tout de suite plus plaisant, à l'école de combat. Dire que je m'inquiétais...
***
Il est gentil, ce... comment déjà ? Ah oui, Teilaste. Moi qui me méfiais de lui... J'espère qu'on s'entendra bien... Mais il faut d'abord que je réussisse là-bas. Allez, on y croit !
***
Quelques temps étaient passés. Devant l'école de combat, Teilaste attendait, adossé au mur, les yeux au ciel, dans le vague. Bientôt, il devra franchir l'arche de pierre qui le mènera jusqu'au bâtiment, attestant ainsi qu'il était sûr de sa décision. Mais celle-ci était déjà prise, et il ne changerait pas d'avis. Son espèce elle-même était spécialisée dans le combat, il ne pouvait renier ses origines. Il se demandait pourquoi il avait tant hésité à devenir Combattant. Son évolution trop récente, peut-être. Quoiqu'il en soit, il était maintenant habitué à son apparence et avait gagné en confiance. Il regardait le monde d'un autre œil, et percevait mieux les sons et les odeurs. Il était prêt à affronter son destin.
Son regard paraissait déterminé. Son allure était fière. Son pelage bleu éclatait, signe de son jeune âge, et contrastait élégamment avec les quelques bandes noires qui striaient son visage altier et ses poings d'acier, à l'image des sombres anneaux qui séparaient ses bras de son pâle torse bombé, d'où seule émergeait une fière pointe de fer qui semblait vouloir prouver son existence à travers la toison couleur de lumière. Tout paraissait vivre en lui, et il semblait totalement différents de lors de son départ de l'école.
Le Lucario releva doucement la tête et aperçu la Kirlia qui l'observait de loin, qui tressaillit alors. Il fit un léger signe de la main à Faivore, l'invitant à le rejoindre, et elle s'avança avec grâce et légèreté. Sa longue chevelure émeraude se soulevait et retombait sur ses frêles épaules, comme si une onde la traversait perpétuellement. Sa courte robe flottait et dessinait des cercles inégaux autour de sa maigre taille, et ses fines jambes s'élançaient avec élégance au-devant du jeune Pokémon, dont le déplacement évoquait une plume blanche et céladon emportée par un vent angélique et placide. Mais cette fragilité apparente n'était que pure impression. Son regard vermeille semblait sonder quiconque le croissait jusqu'au plus profond de l'âme et les deux cornes de rubis arrondies qui émergaient de sa tempête de cheveux se dressaient sans faiblir vers les cieux.
Elle arriva au niveau de Teilaste. Ils discutèrent un peu et entrèrent ensembles dans l'école où ils devraient rester trois générations. Peu de temps après, les lourdes portes de chêne se refermèrent dans un raclement sourd.
***
Tous les nouveaux venus furent rassemblés dans un grand hall, à l'entrée. Une visite des lieux fut faite, présentant les différentes pièces aux jeunes arrivants, au milieu desquels Faivore et Teilaste ne se séparaient pas, éblouis par la beauté de l'endroit et décontenancés par les inconnus. Il semblait qu'il s'agissait d'une ancienne abbaye à moitié en ruine, sans doute utilisée pour une religion oubliée. Les seules pièces isolées du vent froid des montagnes étaient les dortoirs. Le hall d'entrée, qui était en réalité la nef de l'établissement à l'époque de ses occupations religieuses, se scindait en deux couloirs, l'un se dirigeant vers les huit salles d'entraînement, l'autre vers les bains, le réfectoire et les chambrées.
Les lieux de combat étaient divisés en deux catégories le long de l'allée : ceux de gauche étaient consacrés aux techniques dites « énergiques », et étaient tapissés de tapis en paille de riz qui portaient d'innombrables traces de brûlures et autres désagréments dus aux attaques de certains membres incontrôlables ; celles de droites, conçues pour l'apprentissage des armes et autres capacités « physiques » avaient des murs d'acier et un sol de bois, striés des multiples griffure.
Déambulant dans les corridors, ils arrivèrent aux dortoirs, composés d'une vingtaine de chambres d'un style très spartiate, pour la plupart déjà occupées, et divisées entre les mâles et les femelles. Chacune comptait environ quatre lits de paille et une petite armoire à côté de chacun d'entre eux. Une fois arrivés aux bains, les nouveaux-venus eurent le soulagement de voir qu'il y aurait un léger confort dans ces sortes de grandes cuvettes de roches où tombait une eau chaude et fumante, mais la plupart ne dissimulèrent pas leur surprise en apprenant qu'elles étaient communes. Enfin, le réfectoire était composé de quelques longues et lourdes tables de bois, et il semblait flotter en permanence une odeur délicate qui en faisait déjà saliver plus d'un. Au fond du couloir, ils virent une porte d'acier sur laquelle il était écrit « Interdiction formelle d'entrer à quiconque, sauf particuliers ». Il en émergeait des bruits inquiétants et des raclements à faire hérisser le poil, tel du fer grattant sur de la pierre. Tout le monde fit immédiatement demi-tour sans chercher à comprendre de quoi il s'agissait.
Autour du cœur, le déambulatoire, qu'ils avaient déjà traversé une fois pour se rendre d'un couloir à l'autre, menait vers plusieurs salles telles que bibliothèque et autres endroits de l'élévation d'esprit, qui semblaient avoir été ajoutés à la bâtisse d'origine. « La force se fait d'abord par la tête et pas avec les muscles », était-il inscrit dans un style pourtant brutal et sans intense réflexion, sur une plaque de marbre près d'une des portes du lieu. Derrière le bâtiment se trouvait une grande cour où l'herbe, en cette fin de Saison Auréolée, était partiellement brûlée par la boule incandescente du ciel. D'ici, on voyait que l'école était placée sur un plateau en plein milieu des montagnes, qui formaient un champ infini de pics s'élançant vers le ciel. D'ailleurs, il n'était pas rare de trouver un terrain qui soit en hauteur dans la région, et ce paysage spirituel faisait déjà parti du décor de bon nombre des élèves. Ils apprirent qu'ils pourraient s'entraîner aux armes de jet ici, ayant aperçus quelques cibles constellées de trous.
Dans l'ensemble, le lieu était composé de granite et autres roches dures, et chaque salle était séparée d'une autre par une voûte de pierres habilement placées. Les fenêtres, pour la plupart brisées, étaient incrustées entre de fins barreaux de fer qui ondulaient afin de former des motifs du plus pur style baroque, à l'image des barres de métal qui maintenaient les planches des portes de bois massif entre elles.
Devant ce lieu à la fois hostile et confortable, repoussant et accueillant, Teilaste et Faivore ne surent quoi en penser. Ils s'y sentaient bien, tout simplement.
Après une journée d'explication du mode de vie, des horaires et autres habitudes, deux classes furent formées entre les 14 arrivants de toutes les écoles du territoire en fonction des aptitudes de chacun. Faivore fut déçue de se retrouver dans une autre que Teilaste pour aller dans celle plus centrée sur les techniques énergiques, mais son maître, un Cacturne aux épines qui commençaient à noircir à cause de son âge avancé, lui dit qu'il était mauvais de trop s'attacher à quelqu'un, celui-ci pouvant trépasser à n'importe quel moment et ainsi la déstabiliser moralement et physiquement. Un Cizayox, en réalité celui qui les avaient dénichés à l'école, et qui avait ensuite prit Teilaste sous sa tutelle, ne manqua pas de lui faire la même remarque. Le Lucario emmena la Kirlia à l'écart des autres :
- Ce n'est pas grave, on se reverra après les cours, nous avons un petit peu de temps de libre chaque soir avant d'aller manger.
- Oui... Un soupir. D'ailleurs, c'est l'heure d'y aller, reprit-elle en pointant les autres qui se dirigeaient vers la cantine.
Ils rattrapèrent ensemble le groupe, et ne se séparèrent qu'à l'heure du coucher.
Une nouvelle vie commençait.
***
Nous sommes à la Saison Déchue. Depuis la rentrée, Faivore et Teilaste se sont paisiblement habitué au dur rythme de vie de leur école de combat, malgré des premiers jours difficiles.
Après un réveil aux aurores, les classes avaient pour habitude de faire un peu d'étirements et d'échauffements dans les différentes salles de combat. Puis s'ensuivait un rapide petit-déjeuner composé d'un verre de jus de baie plutôt acide et d'un petit pain aux céréales ingurgités à toute vitesse, afin de ne pas se « refroidir ». Ensuite, les élèves tentaient d'accroître leurs capacités physiques, tel que l'agilité, la force ou l'endurance, par le biais de multiples exercices éprouvant : course, esquive de projectiles (des pierres au début, petit à petit remplacées par des objets plus dangereux, ce qui semblait plus motivant), lancer de poids... le tout en fonction des classes, et fonctionnant par roulement d'un jour à l'autre, durant toute la matinée.
Le déjeuner était rapide également, la plupart du temps composé de viande, à l'exception de certaines espèces qui ne supportaient pas d'en manger. Après le repas, les activités était principalement dédiées à l'entraînement sur la pratique des techniques « spéciales » et des armes... bien qu'ils n'en aient pas encore. Néanmoins, ils apprenaient les gestes de base, et principalement les différentes manières de se protéger contre tout type d'attaque. Suite de quoi ils avaient différents cours dans les matières de leur choix, ceux-ci ayant plus pour objectif de ne pas leur faire oublier tout ce qu'ils ont appris jusque là que de leur enseigner de nouvelles connaissances.
Le soir enfin, ils avaient quartiers libre jusqu'à l'heure du dîner, c'est-à-dire pendant environ deux heures dans notre monde. C'est principalement durant ce temps que Faivore et Teilaste se retrouvaient pour discuter de leur passé et probable avenir. Déjà, après si peu de temps, ils semblaient être de bons amis, ce qui n'était pas sans inquiéter leurs maîtres. Néanmoins, concernant les autres élèves de leur classe, ils suivirent les conseils prodigués par les « adultes », et même s'ils s'entendaient relativement bien avec tout le monde, ils ne se liaient particulièrement d'amitié avec personne.
Il y avait au total huit tuteurs pour une trentaine d'apprentis, soit autant que de salles de combat. Quatre étaient d'ailleurs spécialistes dans la pratique des armes, les autres préféraient utiliser leurs pouvoirs. Ceux du Kirlia et du Lucario étaient un Cacturne, Lighon, reconnu pour sa persévérance, même avec ceux qui avaient plus de difficulté, une Mangriff, Grofen, surnommé « L'intraitable », un Alakazam, Derale, un philosophe plutôt sympathique, sauf avec ceux qui baissaient les bras, et enfin le Cizayox, Mulgio, qui se faisait surtout connaître pour sa dureté involontaire, vu que les mots dépassaient souvent sa pensée, ce qui fait que, bien qu'il entraîne plutôt « les jeunes », comme il les appelle, au corps à corps, le fait de passer entre ses mains était perpétuellement un test de mental. Mais cela avait aussi pour conséquences que les élèves en ressortaient majoritairement plus grandis par rapport aux cours avec les autres maîtres.
Les apprentis n'étaient pas groupés en fonction de leur âge, mais de leur niveau : le but de l'école est de s'entraîner pour avoir des bases solides et éventuellement être prêt à combattre en cas de besoin, alors autant que cela soit dans un cadre équilibré. La plupart du temps, ils restaient trois ans environ, jamais moins, mais certains étaient là depuis plus de cinq ans. Néanmoins, ils n'étaient pas forcément mauvais pour autant, et aspiraient finalement à devenir professeur d'arme à leur tour. « Distribuer le savoir est plus difficile que de l'acquérir, mais la satisfaction en est d'autant grandie » disait souvent Derale, l'Alakazam, au Lucario, avec ce brin de philosophie qui lui était particulier. Ceux qui se décidaient à partir se rendaient ensuite dans une « université » de combat, qui ressemblait plus à une guilde qu'à un lieu de travail acharné. D'autres préféraient également arrêter les études et continuer leur chemin en solitaire, s'entraînant seuls, et vivant en tant que mercenaires, souvent comme gardes du corps. Mais aucun Monde n'est parfait, et la corruption et l'appât du gain existaient. Ainsi, certains acceptaient des travaux tels que vols ou assassinats pour de fortes sommes. Et des Combattants devaient donc combattre d'autres Combattants, dans ce cas.
Mais ni Teilaste, ni Faivore ne désiraient être des mercenaires. Ils désiraient se perfectionner autant que possible et assurer le travail pour lequel ils s'étaient engagés dans cette voie. Il ne leur manquait qu'une arme et le réel entraînement pourrait vraiment commencer.
***
La Saison Morte était déjà bien entamée. Après une matinée ordinaire, les classes comportant les élèves « nouveaux », terme qui leur collait à la peau depuis leur arrivée, bien qu'ils fussent là depuis presque une demi-génération, furent convoquées dans le grand hall. Ici les attendaient leurs maîtres, derrière une table sur laquelle brillaient quelques objets d'acier et de bois, que Teilaste n'eut pas bien le temps d'observer tout de suite. Une fois que tout le monde fut là, Grofen, la Mangriff, s'avança en frappant dans ses mains:
- Jeunes gens ! Silence, s'il vous plaît... Merci.
Elle reprit d'une voix plus douce.
- Si l'on vous a convoqué ici aujourd'hui, c'est parce qu'il est temps pour vous de faire un choix important...
Une clameur passa dans les rangs.
- Silence ! Vous allez donc faire un choix, disais-je. Après les quelques temps passés ici, vous allez devoir vous diriger vers quelque chose de plus concret...
Tout le monde retint son souffle tandis qu'elle prenait un air grave.
- Il est temps pour vous de choisir vos armes...
Elle ferma les yeux en attendant que passe le raffut qu'allaient faire les apprentis en apprenant cette nouvelle. Mais il n'en fut rien, et personne n'osait dire un mot. Elle demanda alors s'il y avait des questions. La première ne se fit pas attendre :
- Comment se fait-il que l'on doive choisir avec quoi combattre alors que l'on n'a jamais essayé d'arme ?
La Mangriff sourit. Elle s'attendait à cette question. La même que chaque année, en sorte...
- De nombreuses personnes n'auront qu'un choix limité dans les armes, compte tenu de leur espèce. Mais grâce à cette restriction, vous aurez une meilleure idée de ce que vous pourrez faire, et vous choisirez l'arme qui s'adapte le plus au style de combat que vous avez commencé à développer durant cette demi-génération. Je vous préviens au passage que votre choix est définitif, car l'arme sera taillée pour vous et vous seul, selon la morphologie de votre corps. D'ailleurs, si vous ne vous sentez pas encore prêts à prendre les armes, vous pouvez toujours continuer à vous entraîner quelques temps et ensuite venir voir l'un d'entre nous, afin de vous décider. D'autres questions ?
- Oui, fit une voix timide. Quand les aurons-nous ?
- Notre forgeron se chargera de modifier les armatures qu'il y a dans son atelier afin qu'elles correspondent bien à chaque personne. Elles seront toutes prêtes d'ici trois couchers et levers pour les plus complexes.
La foule la regardait avec scepticisme.
- Oui, nous avons un forgeron. Il est dans la salle à l'accès défendu.
Un « Mmmh » approbateur traversa la salle. Effectivement, c'était plausible. Une dernière question surgit alors, juste à côté de Teilaste :
- Mais si nous n'avons jamais essayé ces armes, n'est-ce pas trop dangereux de nous confier quelques chose que nous ne maîtrisons pas et avec laquelle nous pourrions blesser grièvement voire tuer quelqu'un involontairement ?
Faivore se tut alors, son problème étant posé.
- Ne vous inquiétez pas. Tant qu'il subsistera un risque, toutes les parties dangereuses, telles lames, piques et autres, seront en bois au lieu de l'acier. Quelques estafilades bénignes sont à craindre, mais vous devriez rapidement maîtriser ces armes, malgré les apparences. Je vous signale par ailleurs que ces armes n'ont pas pour but de tuer, mais plutôt de blesser et de rendre à l'impuissance un ennemi potentiel. Ne l'oubliez jamais ! Ne tuez que si vous n'avez pas d'autre choix !
Tout le monde acquiesça. La discussion était terminée.
Ils avancèrent pas à pas vers la table. Une douzaine de modèles différents les attendaient. Teilaste avait une palette relativement large, principalement basée sur les attaques silencieuses et rapides, telles qu'une sarbacane et des produit anesthésiants, un arc complexe aux bords tranchants, ou alors totalement l'opposé, comme par exemple une épée fine avec une poignée lançant un petit projectile. Il jeta un rapide coup d'œil à ce qu'il ne pourrait pas manier, à l'exemple une espèce de canon qui lançait à une vitesse foudroyante une bille énergétique sensée paralyser l'ennemi. Mais ses pattes n'avaient pas la forme pour appuyer sur la détente, et il n'était de toute façon pas emballé par ce type de moyen.
Son regard se reporta vers ses choix, et sous le conseil d'un de ses maîtres, il choisit des gants de cuir prolongés de deux griffes chacun, qui ne couvrait que le dos de sa patte et encerclaient ses poignets. Celui de gauche était astucieusement combiné à un lanceur de petites lames plates dont la forme évoquait un typhon, mais celles-ci pouvait être remplacées par une sorte de grappin, et projetait donc un embout griffu auquel l'utilisateur était relié par une corde. Malheureusement, le système de ré-enroulage n'était pas assez puissant pour hisser l'usager à cause de la miniaturisation, et l'on devait donc grimper le long de la corde. Le lanceur remontait jusqu'au coude, sans pour autant gêner l'articulation, et avait donc une recharge de cinq projectiles de la taille de deux doigts de créature humanoïde. Une barre de fer bloquait l'organe avec le haut du gant, et lorsque que l'on tournait l'anneau au niveau du poignet, les griffes se rétractaient. Il y avait deux crans dans celui de gauche, le premier sortant les griffes, le deuxième modifiait le mécanisme, afin que la poignée, par une simple traction, permette de tirer, et le troisième était la « position passive », c'est-à-dire celle où toutes les armes étaient rangés.
Teilaste se demandait juste comment cela fonctionnerait quand il faudrait faire un trou pour les pics de ses poignets.
Pendant ce temps, Mulgio, le Cizayox, prenait note des vœux des élèves. Le Lucario le prévint qu'il avait choisi. Il prit les mesures nécessaires pour qu'elles soient à sa taille, et les inscrivit sur son carnet. Puis il annonça fièrement :
- Et une paire de Tornade Occulte pour Teilaste. Suivant ?
Tornade Occulte... beau nom. Un nom qui allait désormais le suivre jusqu'à la fin de sa vie de Combattant. La plus grosse partie de l'entraînement venait seulement de débuter...
***
Un peu plus d'une génération plus tard.
Après tout ce temps passé à s'entraîner et sans cesse progresser, la majorité des élèves étaient déjà autorisée à remplacer les parties de bois de leurs armes par de véritables lames. Aujourd'hui, spécialement et pour la première fois depuis leur arrivée, c'était un jour de repos. Du moins, pendant la matinée, il ne fallait pas exagérer non plus. Les apprentis, terme qui ne leur allait plus si bien car ils étaient déjà relativement expérimentés, seraient convoqués après le repas pour avoir des explications sur un évènement déterminant qui aurait lieu le lendemain. Les vieux élèves étaient tenus au secret, et tout le monde, à l'exception des maîtres, se demandait bien ce qui pouvait se passer. Teilaste décida donc de passer sa matinée tranquillement et de se reposer, mais il voulu d'abord s'entraîner un peu au tir.
Il se dirigea vers la cour extérieure depuis la salle de lecture où il était précédemment, plongé dans un livre traitant de possibles autres Mondes extérieurs au sien, et croisa quelques « nouveaux » en route. Cette génération-ci, ils étaient relativement peu nombreux, la région était encore plus tranquille que d'habitude. Il les salua selon la tradition de l'école, c'est-à-dire en posant le poing rapidement sur sa poitrine, les fixant dans les yeux. Les jeunes, eux, devaient mettre un genou à terre, en effleurant le sol mais sans le toucher pour autant, et effectuer le même geste que leur ainé, ce qu'ils firent assez maladroitement pour la plupart, bien qu'ils fussent là depuis plus de deux saisons. Le Lucario songea aux premiers moments passé dans l'école et se sentit déstabilisé également par ce changement de position. Mais il comptait toujours parmi les moins âgés, et ses habitudes n'étaient que peu souvent bouleversées. Il continua son chemin, un léger sourire aux lèvres.
Arrivé dans la cour extérieure, il vit qu'il n'y avait personne, tout le monde étant rentré se protéger du froid. Il se jeta alors dans l'herbe partiellement enneigée, fit pivoter l'anneau autour de son poignet gauche, roula dans les touffes et bondit, tout en tirant trois fois sur la poignée de sa Tornade Occulte. Puis il atterrit en posant un genou au sol, et tourna la tête. Il avait touché les trois cibles, dont une fois en plein centre. Il était plutôt fier de sa performance et alla récupérer ses projectiles, qu'il réinséra dans son lanceur. Il se prépara à tirer de façon stable, cette fois, à une quinzaine de mètres de la cible, soit la distance maximale de l'arme pour que la lame puisse se planter, quand il entendit un léger sifflement accompagné d'un cliquetis métallique à sa gauche, suivit d'un grand « TCHAC ». Il se tourna vers l'autre support et vit Faivore retirant son arme du centre.
Elle portait une sorte de plastron de fer fin qui comportait deux anneaux épais au niveau des épaules ; celui de droite comportait un enrouleur relié à l'extrémité d'une interminable mais solide chaîne d'acier, au bout de laquelle se trouvait un manche de bois, prolongé d'une lame aiguisée et arrondie. La Kirlia glissa celle-ci dans l'autre anneau de l'armure, autour de son bras gauche, et seul dépassait la poignée, de manière horizontale, afin de rendre l'accès à l'arme plus rapide. Cet objet terrifiant avait pourtant le doux nom de « Comète d'argent », et pouvait s'avérer aussi dangereux pour l'utilisateur incompétent que pour la victime, c'est pourquoi il avait toujours admiré la Kirlia d'avoir fait ce choix.
Faivore s'avança vers le Lucario :
- Bah alors, tu m'as pas entendue arriver ? fit-elle avec un petit air moqueur dans la voix, mais empli de douceur à la fois. Salut Teilaste, continua-t-elle en l'embrassant sur les joues.
- Comment veux-tu que je t'entende, répondit-il en guise de salut. Personne ne percevra jamais le bruit de tes pas, même quand tu courras.
- Oui, mais avec ça (elle frappa deux fois sur son plastron), c'est déjà plus difficile. Et pour toi, c'est différent ; tu n'avais pas senti ma présence ?
Le Pokémon secoua la tête en signe de négation.
- Pourtant, tu maîtrises bien le pouvoir de l'aura, non ?
- Oui, c'est vrai, souffla-t-il, gêné, mais je suis obligé de l'apprendre par moi-même, il n'y a aucun Lucario comme maître ici, et forcément, c'est plus long. Je ne suis pas encore capable de faire cela inconsciemment, ni de capter les émotions, mais quand je me concentre, j'arrive à sentir les êtres vivants dans un périmètre trois fois plus large que la taille de l'école.
- Mmmh, conclu-t-elle, à moitié convaincue.
Ils rentrèrent dans le bâtiment et continuèrent à parler durant toute la matinée. C'était formidable : à chaque fois qu'ils étaient ensembles, ils devenaient chacun une source intarissable de paroles et de réflexion. Ils se parlaient de leurs vies passées, bien qu'ils connaissaient désormais aussi bien celle de l'autre que si c'était la leur, des rêves qu'ils avaient fait la nuit, de leur entraînement... et ils avaient une façon de le raconter très différente l'une de l'autre, mais qui arrivait toujours à capter intensément l'attention de celui ou celle qui l'écoutait. S'ensuivaient alors de longs dialogues sur ce même sujet, chacun donnant son interprétation ou son avis, faisant parfois appel à d'autres histoires racontées plus tôt, et ainsi ils tissaient inconsciemment ces liens qui forment l'amitié profonde et sincère. De toute façon, ils savaient qu'ils pouvaient toujours compter l'un sur l'autre, quelque soit leur état et leurs pensées, car il brillait dans leurs yeux cet éclat qui montre que celui qui nous écoute peut avoir notre totale confiance.
Après le repas, tous furent regroupés dans le hall, ce qui ne s'était pas fait depuis la fois où ils avaient prit pleine possession de leurs armes. Les élèves apprirent qu'ils allaient subir un test d'une importance capitale concernant leur avenir. Cela consistait à...
- Survivre trois levers et couchers dans les bois et le froid dans la forêt derrière l'école ?
Personne n'en revenait. Ils allaient quitter ce lieu d'entraînement pour la première fois pour affronter la rigueur de la nature pendant la saison la plus rude.
- Cela servira à voir si vous avez acquis de bonnes bases d'endurance et de combat durant cette génération passée à travailler.
Une voix répondit à Derale :
- L'endurance, je veux bien, mais comment ça, de combat ?
L'Alakazam s'assit, sachant qu'il allait devoir faire un long discours.
- Je vais tout vous expliquer en détail... par contre je vous demanderais de ne faire de commentaires qu'à la fin.
- Le but est effectivement de survivre, mais nous garderons de toute façon un œil sur vous. Ce n'est pas très grave si vous ne pouvez pas aller jusqu'au bout, nous ne voulons pas courir le risque d'avoir des pertes, de plus que certaines personnes seront désavantagées, ou le contraire, par les conditions climatiques. Non, en réalité, j'ai caché une clé dans le petit bois derrière l'école, et vous allez devoir la trouver et nous la rapporter avant trois couchers. Tout le monde sera en groupe de deux personnes tirées au sort. « Quel est l'intérêt de cette épreuve ? », me direz-vous.
Premièrement, nous pourrons voir à quel point vous avez progressé depuis votre arrivée.
Deuxièmement, il sera possible d'évaluer vos capacités à faire équipe avec quelqu'un, ce qui n'est pas forcément évident pour tout le monde mais qui ne sera pas négligeable lorsque vous nous quitterez.
Troisièmement, cela aura un impact très important sur votre future orientation, car quand vous devrez choisir votre université de combat, vu la difficulté du test, quelqu'un ayant de bons résultats sera difficilement refusé. Vous vous ouvrez donc plus de portes et offrez plus de chance d'aller où vous le désirerez. Les gagnants seront sûrs d'être acceptés, sauf un réel empêchement.
Cela engendre donc un quatrièmement : il est évident que ceux qui trouveront la clé ne reviendront pas tranquillement en la brandissant sous le nez de tout le monde en disant « on est les meilleurs ! ». Non, ceux-ci se feront attaquer par les autres élèves, et mériteraient bien de perdre. C'est ici que nous verrons vos capacités de combat. Un groupe n'a pas le droit de refuser un défi, sauf s'il n'a pas la clé. S'il l'a et qu'il refuse, il est obligé de la donner. Il est également interdit de dissimuler la clé ou de la voler sans passer par un combat. Ceux qui tueront leur adversaire seront bannis et ne seront plus jamais acceptés comme Combattants, bien que ce cas ne soit jamais encore arrivé. Il est même possible que vous soyez jugés et encouriez une peine très importante, selon nos lois. Je vous rappelle que vos armes n'ont pas pour fonction de tuer, mais de neutraliser. De toute façon, nous vous surveillerons.
Des questions ?
Il n'y eut plus un mot dans l'assemblée. Le vieux Pokémon s'était montré très clair et persuasif. Fier de sa performance, il annonça qu'il était temps de procéder au tirage au sort des équipes. Un papier au nom de chaque personne était plongé dans une sorte de bol opaque, et, tous les deux papiers, un des maîtres annonçait les équipes :
- Ngh'snark et Drixo
- Olgoi et Neriva...
La liste était courte, et bientôt on arriva aux deux derniers :
- Faivore et...
Lighon, le Cacturne, hésita, et vérifia s'il n'y avait pas d'autres papiers. Non, tout avait été prit.
-... Teilaste, lâcha-t-il, finalement, n'ayant pas d'autre solution.
Faivore rouvrit alors les yeux qu'elle tenait fermés depuis le début du jeu de « hasard ». Elle se tourna vers Teilaste et lui fit un petit sourire. Celui-ci la regarda avec scepticisme, et elle haussa les épaules, avec un regard qui signifiait « ben quoi ? ».
Puis les élèves furent dispersés et allèrent se coucher. Ils devraient se lever encore plus tôt que d'habitude le jour suivant.
***
Elle l'a fait exprès ? Où est-ce simplement le hasard ? Je n'y crois pas trop... On se connaît déjà très bien, et les maîtres le savent. D'ailleurs, vu leur réaction, il semblerait que cela se transforme en malus concernant nos capacités à s'accorder avec un équipier... et il n'y a pas de réel avantage, vu que l'on n'a jamais combattu ensemble... J'espère qu'elle sait ce qu'elle fait...
***
A peine réveillés, les apprentis furent immédiatement emmenés à la lisière de la forêt après un frugal petit déjeuner, qui serait le seul qu'ils auraient avant 3 levers. Ils devraient ensuite se contenter de petites provisions qu'ils se rationneraient. Encore endormis, ils rejoignirent leur co-équipier et se placèrent en groupe, tout en écoutant les consignes de Derale, semblables à la veille. Puis ils furent lâchés deux par deux dans les bois, sans autre équipement que leurs armes et leur léger paquetage de nourriture.
Faivore et Teilaste partirent en troisièmes. Ils étaient constamment sur leurs gardes, et cherchèrent la clé pendant toute la journée, croisant de temps à autres d'autres groupes dissimulés dans les broussailles avant de les tenir en joue et les interroger pour savoir s'ils avaient trouvé l'objet convoité. Malheureusement, personne n'était en possession du précieux sésame, ce qui évita tout de même bon nombre d'affrontements alors inutiles. De temps en temps, Teilaste s'arrêtait et sondait les environs par le biais de l'aura. La forêt était relativement petite, et certains groupes manquaient de se rencontrer à quelques mètres près, sans pour autant remarquer leur présence. Cependant, la clé n'émettait aucune onde qu'il puisse détecter, comme tout ce qui n'était pas vivant, et les recherches furent reprises. Pendant ce temps, ils parlaient peu, afin de rester concentrés et d'économiser leur énergie en cas d'une éventuelle attaque. Ils ne mangèrent presque pas, n'en ressentant pas vraiment le besoin tant ils étaient fixés sur leur objectif.
Le boule incandescente dans le ciel commençait à décliner et les deux Pokémon n'avaient rien trouvé. Le Lucario, qui marchait toujours en tête, fit signe à Faivore de s'arrêter. Il sonda de nouveau le lieu : la moitié des groupes étaient déjà arrêtés, les autres cherchaient un abri contre la tempête de neige qui était annoncée pour la nuit. Car, si les arbres bloquaient habituellement le vent, cette forêt-ci était située sur le versant d'une montagne, offrant donc un simple obstacle aux mouvements de l'air qui suivaient les contours de la roche sans pour autant ralentir. Ils décidèrent donc de se construire un endroit où ils pourraient dormir, avant qu'il ne fasse trop froid. Teilaste donna un coup de pied dans un arbre et recula rapidement, évitant les trombes d'eau solidifiée qui tombèrent. A l'aide de plusieurs Psyko, la Kirlia déplaça la neige afin de créer une grande bute, que le Lucario martela ensuite des ses poings d'acier pour creuser rapidement une entrée, avant d'évacuer le surplus à l'intérieur de l'habitation temporaire. Quand il eut terminé, l'astre du jour avait déjà disparu et les premiers frimas du soir les mordaient depuis quelques temps maintenant. Ils se précipitèrent donc à l'intérieur et refermèrent rapidement l'abri avec une grande pierre plate. Ils bouchèrent les trous restants afin de conserver la chaleur. Normalement, la bute devrait geler durant la nuit et résisterait mieux au vent. Après une maigre collation, ils s'endormirent rapidement, transis par le froid, serrés l'un contre l'autre afin de se tenir chaud.
***
L'aube pointait à l'horizon quand Teilaste souleva la pierre de l'entrée, non sans difficulté car elle était désormais bloquée par le gel.
Il sortit et regarda autour de lui. L'abri portait de nombreuses traces de coups, sans doute des branches ou des roches emportées par le vent, mais, bizarrement, le sol était intact. Etrange.
Faivore émergea à son tour et s'étira, offrant son corps aux premières lueurs de l'astre du jour qui montait dans le ciel. Elle suivit alors des yeux, et aperçu la cime de ces arbres centenaires qui tentaient d'attraper les étoiles qui déjà disparaissaient.
Soudain, elle vit quelque chose briller en haut de celui que Teilaste avait frappé la veille. Elle tenta d'apporter cet objet qui ravivait sa curiosité avec un Psyko, mais l'objet offrait une forte résistance. Elle demanda au Lucario, plus agile pour ce genre d'exercices, de grimper au tronc. Celui-ci s'exécuta et resta quelque temps en haut. Il semblait se débattre avec quelque chose, puis brusquement sorti ses griffes et le trancha. Il sauta et atterrit près d'elle, la chute étant amortie par la neige. Puis il lui sourit et tendit la main, dans laquelle se trouvait la clé et les quelques bouts de corde qu'il venait de couper.
Après une courte euphorie qu'ils peinèrent à réprimer, ils se tournèrent vers l'arbre. En effet, il semblait se différencier des autres par la couleur de son écorce, qui tirait plus vers le rouge-orangé, couleur de l'espoir dans ces contrées, alors que les autres, malgré les différences d'espèces, étaient tous d'un marron jaunâtre typique des bois d'hiver. Une différence subtile qui leur rappela que l'observation fait également parti du combat, et qui leur permis de comprendre à quel point ils avaient eu de la chance. Combien de groupes avaient dû passer par ici sans apercevoir la différence ! Le destin, sans doute. S'il existait, d'ailleurs. C'est donc gaiment, mais toujours sur leurs gardes, qu'ils prirent le chemin du retour, après avoir ingurgité quelques baies.
Très vite, ils arrivèrent dans une clairière qu'il avait traversée la veille, au milieu de laquelle se trouvait un Dardargnan. C'était Drixo, un compagnon de classe de Teilaste. Il portait une sorte de harnais de métal autour de son abdomen, qui se terminait par deux petits tuyaux, dont l'un laissait échapper une petite flamme. Ils s'approchèrent prudemment.
- Salut Drixo, lança le Lucario. Il y a un problème ?
- VRRRRalut Teilaste, répondit-il dans son langage d'insecte, à moitié couvert par le bruit des ses ailes qui battaient rapidement. VRRRRouiZZZ, V'RRRai peRRdu mVRRon co-équRRRRRipierZZZ.
- Ah ? Et c'était qui déjà ?, s'immisça Faivore
- Ngh'snark (il arriva à ne pas écorcher le nom), VRRRous saveZZZZ, le MRRRomaRRRRtiquZZZe (Vous savez, le Momartik)
- Ah, oui... et puis, dans la neige...
Soudain, le regard du Pokémon se porta au poignet droit du Kirlia, auquel était attachée la clé
- OooohZZZZ ! VRRRRous ZZZZZaveZZ tRRouvé laZZZZZ cléVVV ! BRRRavo ! ZZZZZe vRRRous défieZZZZZ ! (Drixo était un piètre orateur, mais très direct dans ses pensées).
- Oui, mais bon, tu es tout seul contre deux...
- ZZZZun contre ZZun alors ?
- Bon, OK, de toute façon, on ne peut pas refuser.
Teilaste prit la clé et laissa Faivore se battre, puisqu'elle le désirait. Cela l'embêtait un peu de ne pas le faire lui-même et ainsi la mettre en danger, mais c'était son choix, et il le respectait. En attendant, il sonda une fois encore les alentours. Il ferma les yeux et n'entendit plus que le bruit de l'acier qui frappe l'acier, le cliquetis de la chaîne de Faivore et le bruissement du lance-flamme de Drixo.
Sa vue était remplacée par l'équivalent d'un détecteur thermique dans notre monde, mais aux couleurs inversée et réagissant plus à la vie qu'à la chaleur. Devant lui bougeaient deux spectres bleus, représentant les Combattants qui s'affrontaient actuellement. Les arbres dégageaient une pâle lumière verte. Il entreprit d'élargir son champ de vision, par un mouvement nerveux que lui seul connaissait. A la manière d'une onde, sa vue dépassa les arbres circulairement, et s'étendit d'une centaine de mètres. Les vies qu'ils percevaient lors de cet « agrandissement » se déplaçaient à la manière des étoiles lors d'un voyage à haute vitesse dans l'espace, mais se rapprochèrent de lui au lieu de sembler s'en éloigner. Il perçut d'autres groupes, sans arriver à déterminer précisément de qui il s'agissait à cause de son expérience encore faible dans ce domaine. Il perçut quelques autres combats, sentant les attaques de certains de ses camarades, symbolisées par des formes ondulantes et de couleur ambre. Il s'étonna d'ailleurs de remarquer les attaques énergétiques alors qu'il n'arrivait pas à identifier les armes. Peut-être que ces premières étaient vivantes à leur manière... un nouveau problème pour les scientifiques, s'il en avait été un. Il tenta de se rapprocher de l'esprit de certains des Combattants qui ne s'affrontaient pas, afin de ne pas les déranger, mais il rebondit encore sur la barrière qu'ils créaient inconsciemment. Il réessaya plusieurs fois, et il sentit que le mur du subconscient commençait à faiblir. Cela suffirait pour aujourd'hui, et il décida de revenir progressivement vers le monde physique. Voilà des mois qu'il voulait pouvoir « lire » dans l'esprit des gens, et il était désormais sur le point de réussir. Il réduisit le globe mental qui était aussi sa vue et qui englobait toute la forêt jusqu'à n'être qu'à la hauteur de la clairière où son équipière se battait toujours. Le combat durait, mais les deux Combattants ne s'étaient pas infligés de coups sérieux et étaient toujours en forme. Il attendit.
Soudain, toujours dans le monde de l'aura, il perçut une vive lumière jaune derrière lui. Elle était près d'une âme violette qui annonçait de mauvaises intentions, cachée dans un arbre. Il fonça sur son esprit et parvint à traverser les pensées du premier coup de celui qui l'observait, qui fut alors décontenancé et dû préparer à nouveau son attaque. Teilaste était également perturbé par ce qu'il venait de voir : un Lucario, se tenant droit, les yeux fermés, et parcouru de légères flammes bleutés qui oscillaient et qui semblaient signaler son attitude propre à l'aura. Ses quatre « détecteurs », placés derrière sa tête, étaient à l'horizontale. Intérieurement, il trembla. Il venait de se voir. Il était une cible.
Teilaste rouvrit brutalement les yeux. Il se précipita vers Drixo en sortant ses griffes à droite et son lanceur à gauche. Le Dardargnan le remarqua immédiatement.
- ZZZZéh ! C'RRRest pZZZas dRRRRu VVVVeu !
Le Lucario n'y prêta pas attention, et vit exploser la neige à l'endroit où il se tenait trois secondes plus tôt. En guise de réponse, il tira un projectile avec précision, puis bondit vers la branche qui semblait abriter son ennemi. Avant d'avoir touché le sol, il avait déjà atteint l'arbre et trancha le bout de bois d'où provenait le Ball'Ombre. Quand il atterrit, il entendit derrière lui la chute de l'adversaire, et il lança un puissant Vibrobscur avant que celui-ci ne se relève. Il y eu un bruit mat et une giclée de neige. Puis il alla immédiatement le désarmer et l'immobiliser à l'aide de ses griffes. Mais cela était inutile, Ngh'snark, le Momartik, s'était fait balayer par l'attaque des Ténèbres. Teilaste récupéra sa lame qui lui avait légèrement égratigné le bras.
- ARRRRRRh VVVVut, décRRRRouveRRt ! s'indigna Drixo.
- Tu parles, fit Faivore, et sur ce, elle lança sa Comète d'argent sur le Dardargnan, qui se retrouva alors enroulé dans les chaînes.
- EuVVVh, tu VVVVa faiRRRRRe quoiZZZZZ là ?
- Rien, juste te faire dormir un peu...
Elle tira un coup sec sur la corde d'acier, ce qui compressa l'insecte dans son cocon métallique. Il perdit connaissance.
Le Lucario se rapprocha du Kirlia, Ngh'snark sur l'épaule :
- Et maintenant, on en fait quoi d'eux ? demanda-t-il.
- On les abandonne et on attend qu'ils meurent de froid, répondit-elle comme s'il s'agissait d'une évidence.
Teilaste était abasourdi par ce qu'il venait d'entendre. Faivore éclata de rire.
-Non, je plaisante, bien sûr ! Oh là là, la tête que tu tirais ! Non, sérieusement, je pense qu'on peut les ramener vers l'école jusqu'à ce qu'ils reprennent connaissance. S'ils se réveillent, on les laissera partir... de toute façon, c'est nous qui avons la clé.
Il acquiesça, rassuré. Ils se mirent alors en route, chacun avec un adversaire sur le dos, en plus du sac pour le Lucario.
***
Voilà presque toute la journée qu'ils marchaient, faisaient souvent de courtes haltes, afin de se soulager un peu du fardeau qu'ils transportaient, moments durant lesquels Teilaste continuait de scruter les alentours par le biais de l'aura. Il était encore plus sur ses gardes que d'habitude, maintenant qu'ils étaient en possession de l'objectif que tous les autres élèves tentaient d'atteindre désespérément. De plus, ils étaient ralentis par les deux Pokémon qu'ils transportaient et s'épuisaient beaucoup plus vite, c'est pourquoi il préférait éviter toute rencontre. Par deux fois, ils manquèrent tout de même de croiser un autre groupe : au premier cas, Teilaste avait détecté deux âmes qui s'approchaient, et ils se précipitèrent immédiatement dans les broussailles environnantes avec les deux corps qui les accompagnaient malgré eux. La Kirlia immobilisa immédiatement les mouvements des branches à l'aide de ses pouvoirs paranormaux, et ils ne furent pas remarqués. La seconde fois, ils furent pris aux dépourvu, mais quand leurs « agresseurs » les virent, portant Drixo et Ngh'snark, des camarades de classe qu'ils avaient déjà du mal à battre, ils préférèrent éviter le combat. Néanmoins, ils se proposèrent en escorte, et le Pokémon au pelage bleu refusa, pressentant une éventuelle trahison. Ils s'offusquèrent de sa méfiance, en lui assurant qu'ils étaient parfaitement honnêtes, ce à quoi il ne répondit que par un regard dur qui leur fit comprendre qu'il valait mieux pour eux passer leur chemin. Ce qu'ils firent sans hésiter, décontenancés.
En bref, tous ces incidents les ralentirent fortement, si bien qu'ils n'avaient pas encore rejoint l'école une fois le crépuscule venu. Il fut décidé de poursuivre la route durant la nuit, la tempête de neige étant terminée. Teilaste était tout de même embêtée pour son amie, car elle n'avait pas de pelage et luttait donc plus difficilement que lui contre le froid. Mais elle voulait continuer, et comme à son habitude, il n'insista pas. Ils reprirent la route.
***
Maintenant, la Lune était à son zénith. Les deux Pokémon continuaient d'avancer, toujours en silence et tentant de percevoir quelque chose au-delà du brouillard qui apparaissait souvent le soir dans les montagnes. Une fois encore, Teilaste s'arrêta, déposa Ngh'snark à côté de son équipière, ferma les yeux et quitta le monde matériel. Faivore le regardait attentivement, voyant les légères flammes bleues courir le long de son corps. Elles brillaient très faiblement. Le monde de l'aura restait bien obscur pour ceux qui ne le maîtrisaient pas, et elle restait en admiration à chaque fois que le Lucario scrutait l'espace grâce à cette sorte de troisième œil.
Soudain, elle perçut un faible sifflement. Comme celui de quelque chose qui tombait rapidement. Elle regarda vers le ciel et aperçu un point plus sombre que la veste noire de la nuit qui grossissait rapidement dans le ciel. Il semblait que quelque chose chutait, et approximativement dans leur direction. Inquiète, elle regarda Teilaste : il était toujours dans la même position et ne semblait pas sentir le danger, son esprit étant presque totalement fermé au monde extérieur. Elle reporta son attention sur l'objet tombant : c'était un tronc gigantesque qui arrivait à une vitesse vertigineuse et qui fonçait droit sur son équipier. Sans perdre de temps, elle utilisa un Psyko pour tenter de déplacer l'arbre. Mais la vitesse de celui-ci était telle qu'elle ne fit que le ralentir. Dans un geste d'ultime désespoir, elle hurla :
- TEIIIIILAAAASTE !
Les yeux du Lucario se rouvrirent brusquement à l'appel de la voix cristalline. Il leva la tête et vit l'énorme projectile foncer sur lui, à une vitesse décroissante. Puis la Kirlia émit un petit gémissement, et l'arbre accéléra de nouveau. Immédiatement, il bougea sur le côté, et manqua de se faire écraser. Le tronc frôla une de ses oreilles. Il frappa lourdement le sol et le Pokémon fut projeté en arrière par une vague de neige. Il atterrit tant bien que mal sur ses deux pattes postérieures, à côté de Faivore. Il s'était écoulé cinq secondes depuis que Faivore avait remarqué le tronc, et il s'en était fallu d'un cheveu.
- Qu'est-ce que c'était ? demanda-t-il
- Je ne sais pas, répondit-t-elle, haletante, mais j'ai senti qu'une force supérieur à la mienne l'a fait accélérer alors que je tentais de le dévier.
Il y eu un blanc, et ils se tournèrent vers le Momartik, seul Pokémon ayant pu commettre, il fallait bien se rendre à l'évidence, cette tentative de meurtre pour le moins osée. Mais celui-ci était toujours bien K.O., et même s'il était sorti de son coma, il n'aurait pas eu assez de force pour soulever ne serait-ce qu'une petite pierre par la force de son esprit.
C'est donc encore plus concentrés, prudents, discrets et perplexes qu'ils reprirent la route, alors que l'astre de la nuit descendait vers l'horizon enneigé.
***
C'est évident que quelqu'un a tenté de me tuer. Ce n'est forcément pas l'un des deux assommés, vu leur état, et je ne connais personne de l'école, à part Derale, qui aurait la puissance psychique pour porter un tel objet à une aussi haute altitude. Bien sûr, un arbre ne tombe pas du ciel, et en plus, une force a contré Faivore alors qu'elle essayait de me sauver. Cela prouve donc que le meurtre était volontaire. Il faudra que je demande à l'Alakazam s'il s'agissait aussi d'un test de sa part... ce qui m'étonnerais. Est-ce que cela à aussi un rapport avec les traces de coups sur notre abri, ce matin ?...
Il va falloir être encore plus vigilant. J'ai un mauvais pressentiment.
***
La nuit se passa sans autre incident. L'astre du jour pointait à l'horizon quand ils aperçurent l'orée de la forêt, et sentirent au même instant leurs « prisonniers » remuer sur leur dos. Ils les déposèrent doucement et attendirent qu'ils reprennent tous leurs esprits. Le Dardargnan et le Momarik se demandaient ce qui se passait, et après quelques explications, ils se proposèrent à leur tour d'escorter les deux vainqueurs. Ceux-ci refusèrent une fois encore, et Teilaste se permit même de leur rappeler que s'ils avaient tenté de gagner par la ruse lors de leur rencontre, la trahison, elle, était sévèrement réprimée, et il préférait ne prendre aucun risque. Ils laissèrent partir ces deux adversaires qui allaient devoir redevenir des camarades de classe le lendemain.
Teilaste et Faivore entrèrent fièrement dans l'école, se dirigeant immédiatement vers les salles où se trouvaient la plupart des maîtres, à qui ils rendirent la clé. Faivore ne put s'empêcher de leur dire « Vous aviez perdu ça, alors on vous l'a rapporté », ce pour quoi elle se fit gentiment sermonner par Grofen, la Mangriff et son maître d'arme, qui lui rappelait de ne pas oublier que la modestie est une des vertus du Combattant et qu'il faut la respecter, blablabla... Pendant ce temps, Derale félicitait Teilaste, et Mulgio, le Cizayox, balança un grand coup de pince sur son épaule. Mais l'Alakazam fut surpris d'apprendre qu'il avait manqué de mourir écrasé par un tronc. Il rappela immédiatement les élèves restants dans la forêt par le biais d'un rapide message mental, « au cas où... ». Enfin, Lighon, le Cacturne, les attira dans un coin, tenant la clé. Il la plaça dans la petite fente d'un coffret dissimulé là, et la fit tourner. Après un petit déclic, il l'ouvrit et en sorti deux anneaux bleu turquoise, qu'il leur tendit.
- Tenez, vous vous accrocherez cela quand vous pourrez !
- Euh... qu'est-ce que c'est ?, s'hasarda Teilaste.
- Rien, une simple boucle d'oreille... ou un anneau, au choix. Elles n'ont rien de particulier, mais elles vous rappelleront cette expérience. De toute façon, on en donne deux chaque année, de couleurs différentes, donc n'ayez pas peur de les prendre à cause de la valeur que vous pensez estimer. C'est un peu de la camelote, en fait (il ria), mais elles résistent assez bien au temps.
Faivore la fit tourner dans sa maigre main. La coloration était belle et elle semblait être une encre coulant dans le bijou. A ce moment, Lighon referma le coffre et leur demanda d'examiner la clé. Ils s'approchèrent et virent gravé dessus en caractères minuscules qu'ils eurent du mal à déchiffrer : « Unis pour l'éternité. » Ils remarquèrent alors que les mêmes mots étaient gravés sur les anneaux, mais étaient totalement illisibles tant ils étaient serrés, cela créant toutefois une belle arabesque.
- Félicitations, vous avez gagné sur tous les plans !
Tout le monde était enfin rentré pour le premier gros repas de la journée. Cependant, l'évènement resta plutôt discret. Il n'y eu aucune fête, cela pouvant s'expliquer par le fait que les tuteurs ne voulaient pas modifier le rythme de vie des autres élèves, et qu'ils reprendraient eux aussi l'entraînement le lendemain. Teilaste et Faivore, comme à leur habitude, passèrent la journée ensemble, évoquant rarement les faits des deux levers et couchers précédents. Cependant, la Kirlia semblait un peu triste et perdue dans ses pensées, et le Lucario fit semblant de ne pas le remarquer, car il savait qu'il ne fallait pas la brusquer quand elle était dans cet état. Puis ils décidèrent d'aller faire un dernier tour dehors, dans la cour de derrière, avant qu'il ne fasse totalement nuit. Ils s'adossèrent aux murs de pierre du bâtiment, les yeux dans le vague, regardant à peu près dans la direction des montagnes et de l'astre se couchant.
Les yeux de Teilaste se brouillèrent.
- Au fait, je ne t'ai pas encore remercié de m'avoir sauvé la vie... dit-il, presque honteux et bouleversé qu'une telle évidence ne lui ait pas encore traversé l'esprit.
Elle ne répondit pas. Il tourna son regard vers elle et vit qu'elle le fixait, avec un pâle sourire sur les lèvres. Et malgré cette impression de tristesse qu'elle dégageait depuis qu'ils étaient rentrés, elle paraissait irradier de lumière, nimbée d'une âme volatile, auréolée de mélancolie et encerclée d'un halo de pureté qui semblaient être mis en avant par le crépuscule qui se reflétait sur sa peau de la couleur de l'innocence. Elle était belle, tout simplement. Il ne l'avait jamais regardée de cette façon, et il fut le premier surpris. Elle continuait de sourire, posant doucement une main sur son épaule. Cette sensation lui fit celle d'une plume qui frôlait des flammes de glace. Puis elle remonta doucement vers son oreille droite, où elle accrocha délicatement sa boucle azur. Il leva alors sa patte, et fit glisser habilement les cheveux d'émeraude de son amie dans son propre anneau, qu'il scella lentement entre deux mèches. Puis sa main glissa lentement le long de la taille de Faivore, et s'arrêta sur ses anches. Elle ne bougea pas, lui non plus. Elle le fixait dans les yeux, lui aussi. Plus profond que l'on ne voyait dans les yeux de quiconque. Il lisait dans son âme comme dans un livre ouvert, et c'était sûrement le cas pour elle aussi. Puis il se pencha doucement vers elle, posant ses lèvres sur les siennes. Et ils plongèrent au fond du cœur de l'autre, ressentant chacun des battements, chacune des émotions, chacune des pensées qu'éprouvait leur ami, en rythme avec les siennes. Ils n'étaient qu'un. Il recommença à neiger. Un lac environnant les observait en silence. Les arbres et les pierres de l'ancienne abbaye restaient muets, ne voulant pas interrompre cette étreinte passionnée. Un oiseau glissa dans l'air sans un bruit, revenant de contrées plus chaudes. Autour d'eux, le vent et tous les autres éléments de la nature s'étaient tus, pourtant, ils étaient enveloppés dans un tourbillon de neige qui semblait les protéger du monde extérieur.
Lorsqu'ils s'isolèrent de l'esprit de l'autre, ils eurent juste le temps de voir les derniers rayons du jour disparaître entre les montagnes enneigées. Faivore reprit doucement la parole, tel un souffle de vent :
- Et toi, ne viens-tu pas de me sauver ? murmura-t-elle
Teilaste ne disait plus rien. Il ne voulait plus la quitter des yeux. Il repensait encore à cette sensation qui n'avait duré que très peu de temps, pourtant. Mais le tintement de la cloche les tira de leurs rêves et ils durent rentrer se coucher. Devant les portes des deux dortoirs, dans un couloir étrangement désert, Faivore embrassa rapidement Teilaste en lui disant au revoir. Elle fit quelques pas vers sa porte, se retourna, et murmura :
- Moi aussi, je t'aime.
Pendant ce temps, à l'endroit où ils s'embrassèrent pour la première fois, quelque chose émergea lentement de la neige. Elle était belle, timide, ne se différenciait presque pas sur le manteau blanc, restant discrète au milieu de cet environnement de cristal, ne voulant pas se faire remarquer. Ainsi, de cette fusion entre deux cœurs battants au même rythme naquit la première fleur de cette Saison Rejaillissante.
***
Une génération plus tard.
Teilaste, Faivore et tous les autres élèves ont énormément progressé. Leurs techniques se sont améliorées, leurs sens se sont affinés, leurs pouvoirs se sont décuplés. De temps en temps, ils se sont fait défier par d'autres membres de l'école afin de tester leur niveau, qu'ils soient nouveaux ou anciens. Teilaste en est souvent sorti victorieux, mais cela n'excluait pas quelques défaites cuisantes, auprès desquelles il apprit beaucoup. Malgré cela, il était globalement satisfait par deux combats dans tout son apprentissage. Le premier était un grand Arcanin au pelage argenté, qui le défia avec pour seul contrainte de n'utiliser que des attaques énergétiques. Il s'en était fallu d'un cheveu, mais Teilaste arriva à l'atteindre en pleine tête avec un Aurasphère à bout portant quelques secondes avant de subir un puissant Croc de Feu qui l'aurait sans doute mis au tapis. Le second était un Mackogneur armé d'une épée courte dans chaque main. Mais Teilaste ne se débina pas devant cette difficulté et réussi à combiner un Close-Combat et un Danse-Lame qui devint alors une capacité à la fois offensive et protectrice, grâce à l'usage de ses Tornades Occultes, parant les lames et frappant immédiatement après. Le Pokémon s'évanoui sur l'instant. Mais la fierté engendrée par ces combats était surtout due à la carrure des adversaires, car il apprit qu'il s'agissait de deux maîtres de l'école. Néanmoins il demeura modeste, comme on leur enseignait depuis trois générations maintenant, et continua à s'entraîner. Faivore, de son côté, le tenait aussi au courant de ses prouesses, et elle semblait représenter un des meilleurs éléments de l'école.
Leur relation progressait de jour en jour, mais leur comportement ne changeait pas beaucoup. Ils continuaient de se parler normalement, évoquant seulement quelques sujets encore plus intimes que ceux qu'ils évoquaient déjà. Le Lucario s'étonnait d'ailleurs qu'ils parlaient déjà de choses qu'on ne partage pas forcément, même entre amis proches, avant qu'il ne lui « déclare » sa flamme. Toujours est-il qu'ils s'aimaient plus que tout, ne pouvant être loin de l'autre plus d'une demi-journée sans en ressentir le terrible, l'oppressant manque de l'être cher. Durant la Saison Rejaillissante, ils s'allongeaient dans l'herbe, main dans la main, et pendant la Saison Déchue, ils allaient marcher au milieu des feuilles au crépuscule de leur vie et des arbres en deuil, et s'arrêtaient sous l'un d'entre eux où ces sortes de larmes végétales s'accrochaient encore au cycle infini. La Saison Auréolée, ils admiraient le coucher de l'astre de lumière au milieu des pétales tombées, laissant place aux premières graines, et lors de la Saison Morte, ils demeuraient au chaud contact l'un de l'autre, sous la neige tombante, si longtemps qu'ils semblaient transformés en seigneurs des glaces grâce à la robe que formait ces cristaux venus des cieux sur leurs corps immobiles, plongés dans cette éternelle et douce étreinte. Teilaste se découvrait une âme de poète, entretenue par les nombreux livres qu'il avait lu durant toute cette période, et était capable de créer un poème, sans prétention bien sûr, mais doux et profond, simplement inspiré par sa muse et les intempéries de la nature :
« Dans le reflet d'une larme, seul éclat dans l'ombre
Une âme blanche, dans l'aube aux émois
Telle une flamme, scindant vive l'onde
Jamais ne flanche, glissant sans cesse plus près de toi
Jusqu'au crépuscule, traversant les cieux
Je rejoins ton esprit et plonge dans ton cœur
Telle une goutte d'eau sur une lance de feu
Je t'aime plus que folie d'un amour qui jamais ne meurt.»
Et Faivore relançait, sur le même air :
« Mes yeux se posent au loin
Mais je ne vois plus que toi
Partout où j'irais, ce besoin
De t'avoir auprès de moi
Mais dans mon coeur, avec soin
Toujours je garderais
De toi, cette douce présence au moins
Car je t'aime et toujours je t'aimerais. »
Le bonheur, tout simplement.
***
Un jour cependant, on annonça à une bonne partie des élèves qu'ils devaient se préparer à choisir leur université de combat où ils œuvreraient désormais jusqu'à la fin de leurs jours. Chacun fut bouleversé par la nouvelle, n'ayant pas vu les trois années passer. Tout le monde examina les différents cas possibles parmi les 4 lieux disponibles. Cependant, un seul intéressait Teilaste : Pragése, où s'entraînent les plus puissants et les plus habiles Combattants de ce monde, légèrement devant Nésepe, un autre endroit prestigieux, qu'il se réserva comme plan B. Car si Pragése était à ce point privilégiée par rapport aux autres possibilités, elle n'en était pas moins la plus difficile d'accès : les sélections étaient rudes et sévères. Mais Teilaste comptait sur sa réussite au « test de survie », il y a un peu plus d'une génération, il savait que le chemin lui serait facilité.
A la fin de leur période de réflexion de deux couchers, il en avisa Mulgio, qui le félicita de son choix et lui assura qu'il avait ses chances, avant de s'en aller dans la pièce réservée aux maîtres pour leur demander leur avis. Teilaste attendit paisiblement dans le hall, et le Cizayox revint rapidement, la mine déconfite.
- Teilaste, soupira-t-il, tout le monde est d'accord avec ton choix, tu en as les capacités. Malheureusement, ils n'accueilleront qu'une seule personne cette année, et quelqu'un d'autre fait également un bon candidat. Comme nous ne savons pas vraiment lequel des deux choisir, vous allez devoir vous affronter et nous devrons déterminer qui est le plus habile pour Pragése. Tu sais que nous avons horreur de devoir vous mettre dans des cases et d'avoir à départager des élèves, mais nous n'avons pas le choix. »
Le Lucario acquiesça. Il était tout à fait d'accord et s'y attendait. Le combat aurait lieu demain, et il décida de se reposer, car son destin pouvait bien dépendre de sa réussite.
Le lever suivant, Derale vint le réveiller aux aurores afin d'éviter d'éventuels curieux. Il suivit l'Alakazam jusqu'à la salle de combat la plus proche, et on lui demanda d'attendre, lui affirmant que son adversaire y était déjà. Les lumières étaient éteintes, ils voulaient jouer sur le suspense. Jouant franc-jeu, le Lucario décida de ne pas sonder son adversaire par le biais de l'aura. Néanmoins, ses pouvoirs désormais plus puissants le faisait inconsciemment, et il sentait une présence à laquelle il était habitué. Un camarade de classe, sans doute. Il dégaina les lames de son poing droit et son lanceur à gauche, en mode grappin. La règle consistait à mettre l' « ennemi » dans une position où il était totalement à la merci de l'autre Combattant et ne pouvait plus faire le moindre mouvement sans risquer de perdre conscience... au moins. Il entendit un cliquetis métallique en face, lui indiquant que l'autre était également prêt à sa battre. Mais ce bruit le figea. Il le reconnaissait.
- Préparez-vous ! fit une voix.
Teilaste se mis en garde. Soudain, la lumière jaillit. Et sa pupille se rétracta. Il tressaillit.
En face de lui se tenait Faivore.
***
Teilaste !?!
Mais je ce n'est... non... je ne peux pas... merde ! Pourquoi a-t-il fallu que je tombe contre lui ? Je ne vais jamais pouvoir me battre à fond ! En même temps, s'il y en avait bien un autre qui pouvait prétendre à Pragése, ça ne pouvait être que lui...
Mmmh ? Il me fait signe. Ne pas retenir mes coups ? Il en est sûr ? Gnnnn... D'accord... mais que si tu en fais de même !
***
Vive comme l'éclair, Faivore se précipita en avant. Elle balança sa Comète d'Argent en direction du Lucario, qui eu juste le temps d'esquiver. Il bondit, fit une pirouette et atterrit juste derrière la Kirlia. Puis il tendit son bras gauche et projeta son grappin depuis son lanceur, en direction de l'épaule de l'autre Pokémon. Mais la femelle était sur ses gardes et dévia le projectile à l'aide de sa chaîne.
Deux secondes s'étaient écoulées.
Le combat se prolongea longtemps de cette manière, avec acharnement et volonté. Les deux protagonistes débordaient d'énergie et rivalisaient de techniques et d'habilité. Même s'ils ne s'infligeaient pas de coups sérieux, on sentait la détermination de chacun. C'était une sorte de danse brutale, saccadée, mais également souple et aérienne du jeune couple. On ne savait pas si une attaque était réellement menaçante ou s'il s'agissait plus d'un don au partenaire. Puis vint le moment où ils commencèrent à utiliser leurs attaques énergétiques. Ce fut Teilaste qui commença par lancer un Danse-Lame qu'il combina avec ses Tornades Occultes, et martela l'Abri que Faivore créa alors pour se protéger d'une attaque possiblement dévastatrice. Mais la barrière finit par se briser, et elle répliqua immédiatement avec une Puissance Cachée. Le Lucario fut alors projeté en arrière par quelques-unes de ces boules énergétiques, puis éloigna les autres avec un Close-Combat. Une fois en « sécurité », il fonça de nouveau sur elle, toutes griffes sorties. Voyant le danger, elle sauta au plafond. Profitant de sa vulnérabilité, Teilaste envoya une rafale de trois Vibrobscur à angles différents, dont l'un deux effleura une des jambes de la Kirlia et la fit trébucher dans les airs, lui faisant rater sa réception. Elle atterrit durement sur un de ses genoux. Et ils continuèrent ainsi durant toute la matinée.
Puis il y eut un temps. Chacun à un bout de la salle, ils se regardaient, le souffle court et haletant. Teilaste avait les épaules qui se soulevaient à intervalle régulier, rapidement. Son regard transperçait quiconque le croisait et les légères étincelles de l'aura couraient le long de ses bras. Il était tellement concentré que chaque respiration de Faivore faisait battre son cœur et chaque mouvement de celle qu'il aimait faisait écho dans ses os. Ne faire qu'un avec sa cible. Anticiper et contrer. En face, la Kirlia ne le quittait pas des yeux non plus. Une petite mèche de ses cheveux maintenant en bataille était coincée dans sa bouche, mais elle ne semblait y porter attention. Ses yeux de rubis scrutaient chaque battement de paupière de son adversaire et sa poitrine se soulevait chaque fois que le mâle inspirait. Observer, analyser et intercepter. S'isoler du monde extérieur sans pour autant l'oublier. Tout leur enseignement refaisait surface, et chaque phrase de leurs tuteurs résonnait dans leur tête. Ils comprenaient désormais le sens de ces mots, et la façon dont ils auraient du réellement les appréhender. Depuis le début du combat, quelques curieux avaient poussé la porte de la salle sans qu'ils y prêtent attention jusqu'à maintenant, et un attroupement de novices et quelques autres élèves plus expérimentés venaient voir ce qui pouvait être le premier véritable combat auquel ils assistaient.
Faivore se redressa. Tout le monde compris que l'assaut final approchait. Elle sortit un peu plus la chaîne de son enrouleur, tenant fermement la poignée reliée à la lame en arc de cercle. Puis elle fit lentement glisser sa main sur les maillons d'aciers. Teilaste attendait l'attaque. Puis sa compagne fit un mouvement sec du poignet, ce qui précipita de nouveau la courbe de fer dans sa direction telle une fusée. Il se prépara à la dévier, mais la Kirlia immobilisa finalement le projectile, leva une jambe, et se mit à tourner sur elle-même. La chaîne fut entraînée, et toute l'arme se mit à décrire un large cercle de métal aux bords tranchants. Le Pokémon au pelage bleuté n'osait plus bouger, le moindre de ses gestes l'exposant à la lame furieuse qui tourbillonnait dans la pièce, dirigée par une main experte qui avait dû passer des heures à affiner cette technique. Au lieu de tenter d'immobiliser l'attaque, il décida de lancer un puissant Aurasphère en direction du cœur de ce cône mortel. La boule d'aura frappa évidement la corde d'acier, qui répercuta une onde de choc dans toute l'arme qui dévia inexorablement. La Comète d'Argent se précipita alors, sans que Faivore ne l'eut désiré, en direction de Drixo, qui observait la scène dans un coin. Voyant qu'elle perdait le contrôle, elle mobilisa toute son énergie sur la lame, qui s'arrêta alors, entourée d'un halo violet-bleu, à la plus grande surprise du Cizayox qui s'était déjà préparé à esquiver. Teilaste vit alors qu'il tenait sa chance. Il se rua sur le Pokémon blanc et se prépara à lui assener un coup dangereux. Trop, selon lui. Il hésita un instant, ralenti son bras qui se préparait déjà à frapper cette créature qui était l'écho de son âme. Et c'est ce recul qui modifia son destin à jamais.
Voyant qu'elle était menacée, Faivore tenta un puissant Psyko sur son compagnon, qui lutta de toutes ses forces. Il avait toujours eu du mal à contrer les attaques mentales, et il devait se concentrer fortement pour ne pas perdre le contrôle de son corps. Profitant alors de son manque d'attention, elle jeta sa chaîne autour du corps robuste du Lucario. Celui-ci se retrouva alors empêtré dans les solides maillons, sans pouvoir faire un geste. Quand l'arme eut finit de l'encercler et de l'immobilier, il se retrouva avec la lame sous la gorge et blêmit légèrement. Les deux iris rouge de sa moitié se posèrent sur lui. Il déglutit. Délicatement, la Kirlia posa sa main sur le manche, passant le bras derrière son cou. Il sentit son souffle tiède et léger sur sa nuque, et la pupille du mâle se rétracta.
Elle l'embrassa sur la joue :
- Gagné, souffla le Pokémon aux cheveux émeraude.
Lentement, elle retira la lame et adressa un franc sourire à son aimé. Celui-ci tomba à terre une fois libéré, fébrile, haletant et encore sous le choc de la défaite si prompte et insoupçonnée. Rassemblant ses esprits, il se releva, se tourna vers elle et s'inclina en signe de respect. Alors tous les élèves laissèrent éclater leur joie, les professeurs ne purent se retenir d'applaudir modestement. On félicita le vainqueur, qui sorti bras dessus, bras dessous avec celui qu'elle avait affronté pendant plus de ce qui représentait 4 heures dans notre monde.
***
Merde ! Ce n'était pas loin !
Pourquoi mon bras s'est-il arrêté ? Mais avais-je vraiment à la blesser ?
Est-ce encore un tour du destin ?
Bon, tant pis, c'est comme ça. De toute façon, il semble qu'elle était bien plus douée que moi. Elle virevoltait, était là un instant, puis ailleurs celui d'après. Elle semblait danser avec sa chaîne, et je n'étais que le piètre acrobate qui lui tenait compagnie, celui que tente tant bien que mal de se faire remarquer alors qu'une étoile brille au milieu de la scène, et qu'elle qui dirige la valse. Bah, j'irai à Nésepe, c'est déjà pas si mal... J'aurai voulu la savoir ailleurs qu'à Pragése, tout de même, l'entraînement est réputé si difficile et je ne voudrais pas qu'elle en souffre. Enfin, si elle m'a battu, moi qui pensais m'en sortir là-bas, elle devrait très bien se débrouiller. C'est vraiment une fille forte.
Non, en réalité, ce qui risque d'être le plus dur...
...
... c'est notre séparation.
***
Une fois les quelques blessures superficielles soignées, la journée se passa sans autres incidents, mais ni Teilaste ni Faivore n'oublièrent leur duel. Néanmoins, ils n'en reparlèrent à aucun moment et continuèrent à rester ensemble jusqu'au renouveau de l'astre nocturne. Les trois jours suivant s'écoulèrent comme à leur habitude, dans le calme, la tranquillité et la paisible lenteur commune à cette ancienne abbaye qu'ils avaient fréquentée depuis trois générations.
Mais au quatrième lever, chaque élève ayant fini sa formation fut pris à l'écart. Les résultats des demandes aux écoles supérieures de combat fini par arriver (le territoire étant petit, les nouvelles et autres courriers circulaient vite), et les tuteurs s'étaient immédiatement disposés à leur indiquer leur orientation. Sans aucune surprise, la Kirlia et le Lucario furent acceptés où ils le désiraient. Chacun avait ensuite la journée pour récupérer leurs affaires, s'habituer à l'idée de quitter l'endroit et se reposer pour le voyage qu'ils devraient entreprendre au prochain lever, à l'aube, et en solitaire pour la plupart.
N'ayant pas beaucoup d'effets personnels, les deux amoureux avaient rapidement préparé leur paquetage, et ne se lâchèrent pas de tout le cycle de l'astre du jour, sachant que cette journée était la dernière qu'ils passeraient ensemble. Ils se promenèrent au milieu de ces murs amis et en profitèrent pour dire adieu à toutes leurs connaissances. Une ultime fois, ils goutèrent à quelques instants de solitude à l'ombre des vieux arbres perdant leurs feuilles à l'approche d'une nouvelle Saison Déchue, dans le petit jardin à l'arrière de l'école. C'est à ces moments que Faivore, la tête sur l'épaule de Teilaste, se laissait aller à la mélancolie de ces moments passés et qui constituaient sa joie de vivre. Ses larmes coulaient d'elle-même, et le Pokémon au pelage bleu voulu les lui essuyer quand il s'en rendit compte, presque immédiatement. Mais elle lui retint le bras.
- Laisse, murmura-t-elle. Ce sont les flots qui irriguent les souvenirs des instants partagés. Je ne veux pas déjà que tu les effaces.
Comprenant sa décision, il retira la main sans dire un mot, un pâle sourire sur les lèvres. Puis, sans qu'il le veuille, ses yeux s'embrumèrent à leur tour et les premières gouttes perlèrent sur son visage. Il ne bougea pas non plus.
Quelques instants plus tard, il vit à travers ses larmes que des petits points brillaient d'un halo bleu-violacé tout autour d'eux, puis s'envolaient pour se rassembler. Les dernières traces d'eau disparurent de son pelage et s'en allèrent rejoindre les autres gouttes qui provenaient toutes des yeux du jeune couple. Toujours conservant les larmes à l'aide d'un Psyko, Faivore se leva doucement et l'invita à le suivre. Lentement, main dans la main, ils s'approchèrent d'une magnifique fleur blanche qui tenait le coup malgré cette période de dépérissement des plantes. Goutte à goutte, elle l'arrosa, puis projeta l'eau restante dans toute la vallée.
- Comme ça, nous seront ici pour toujours, souffla Faivore, souriante
Lui rendant son sourire, Teilaste s'agenouilla alors devant le bouton blanc et étendit sa paume devant les pétales humides. Il ferma les yeux, puis sa patte et la fleur commencèrent à irradier d'une faible lumière bleue. Lentement, patiemment, de fines arabesques verte et saphir commencèrent à se dessiner sur la peau d'ivoire de la plante, qui semblait alors protégée à jamais contre l'usure du temps tant sa beauté ne pouvait penser à être détruite.
Cette fleur, qu'ils avaient déjà fait naître par leur amour, était maintenant une part de leur âme en plus d'être le reflet de leur cœur.
Le Lucario se releva sans un bruit, et se tourna vers le Pokémon à la chevelure d'émeraude. Il lui prit la main, et ils firent encore quelques pas dans l'herbe, sans quitter le regard de l'autre qui luisait éternellement d'une lueur ambre. Ils s'arrêtèrent, admirèrent une dernière fois l'immensité des montagnes, et Faivore se jeta au cou de Teilaste. Ils roulèrent dans l'herbe puis s'immobilisèrent, l'un dans les bras l'un de l'autre, les lèvres posées sur celle cette personne qu'ils aimaient plus que tout au monde, plus que l'astre du jour qui se lève et se couche, plus que la mer qui soupire jour après jour à chaque contact que le vent lui offre, plus que les champs d'or dont les épis de blé de la Saison Auréolée se dressent fièrement devant les immenses montagnes, plus que les nuages qui pleurent dès que la chaleur les oublie, ou qui grondent dès que le froid a tendance à les abandonner. Ces sons qu'ils entendent, ce sont le concert de deux vies qui ne sont pas faites pour se séparer. Les tambours de leurs cœurs indissociables, les vents de leur souffle infini et fusionné par les émotions, les cordes que leur étreinte et multiples contacts affectifs font jouer, mais surtout le chœur qui répète sans cesse ce même mot qu'ils n'ont pas besoin de se dire, car ce qu'ils ressentent lui est de loin supérieur et ne peut être exprimé avec la simple parole et pensée.
Ils restèrent ainsi pendant un temps interminable mais qui leur semblera toujours être un instant. Et quand ils se séparèrent à contrecœur, ils admirèrent à nouveau le coucher de la sphère de lumière, qui sera le dernier qu'ils purent apprécier ensemble. Ils touchèrent mutuellement les anneaux d'encre turquoise comme s'il s'agissait de précieuses bagues de fiançailles, et, main dans la main, ils retournèrent dans leurs quartiers en posant un dernier instant leur regard sur la fleur qui avait été l'éternel témoin de leur relation amoureuse.
***
Le dernier lever qu'ils purent apprécier en la présence de l'autre leur sembla être une véritable torture émotionnelle. Leur ultime étreinte, même si elle eut duré des siècles, leur sembla infiniment courte. Ils s'embrassèrent une dernière fois sous le porche qu'ils avaient franchi ensemble il y a trois générations et, après avoir serré la main une dernière fois à tous leurs camarades de classe (notamment à Drixo et Ngh'snark, à qui ils avaient pardonné depuis longtemps) et échangé une énième tape amical sur l'épaule avec leurs anciens maîtres (Grofen essuya même une larme), ils partirent chacun de leur côté. Teilaste et Faivore ne pouvaient arrêter de se retourner pour voir l'autre moitié de leur âme disparaître sur l'horizon, mais décidèrent finalement que ce n'était pas raisonnable et finirent par se faire un rapide signe de la main.
Après un moment d'inaction, le Lucario décida que c'en était trop pour lui et s'enfuit sur les routes afin de ne pas laisser ses sentiments le rattraper. Des larmes roulaient sur ses joues et s'envolaient dans l'herbe mourante en cette Saison Déchue tout autour de ce chemin poussiéreux qui représentait le sentier de son nouveau destin. Il avait quitté un embranchement de la vie et se dirigeait vers un avenir qui serait tellement différent, simplement à cause de l'absence d'une lumière pour éclairer ses pas.
L'image de Faivore agitant la main en signe d'adieu ressurgit brutalement dans son esprit. Il secoua la tête afin d'oublier rapidement cette pensée empoisonnée qui ne voulait que le forcer à faire demi-tour et renier sa prochaine existence. Puis il redoubla d'efforts pour accélérer sa course et se séparer d'une autre âme.
Loin dans la plaine, sans qu'on ne la distingue vraiment, une ombre flottait au-dessus du sol. Sur ce qui devait être sa bouche, on distingua un large sourire empli de satisfaction et de soulagement.
***
5 générations... 5 générations que je suis à Nésepe.
J'ai beau m'y sentir chez moi, je sens qu'il manque toujours quelque chose.
J'ai enfin été promu officiellement Expert Combattant. Il était temps. Les sages disaient que j'avais un grand potentiel, mais qu'une part d'ombre m'empêchait de progresser aussi vite que j'aurais dû. S'ils savaient comme c'est dur d'oublier ce genre de choses. En même temps, nous étions prévenus depuis le début, et ce qui nous arrive est normal. « Ne vous attachez à personne, il est possible que le lendemain vous ne la voyez plus jamais ». Je ne pensais pas que ça vaudrait aussi en ce sens, que cela m'aurait fait aussi mal. Par contre, je n'ai toujours pas été résolu à me séparer de l'anneau bleu-vert accroché à mon oreille.
Enfin bon, cela est fait. Je vais enfin avoir des missions un peu plus intéressantes que celles que j'ai eues précédemment. Si je récapitule bien, j'ai escorté cinq fois des gens quelque peu paranoïaques sur les bords, vu qu'aucun agresseur n'est jamais apparu. A moins que ce ne soit ma présence qui les en dissuadait, car j'avais quand même senti quelques sombre pensées par moments. A deux reprises, j'ai transporté des documents à des administrations où j'ai dû attendre plusieurs heures pour les rapporter avec quelques cachets supplémentaires, et bien d'autres du genre, alors que je voyais mes supérieurs se faire appeler pour arrêter des groupes entiers de fauteurs de troubles. La seule fois où mes talents de combat m'ont été utiles, c'est quand un Branette a tenté de m'agresser dans une ruelle obscure alors que j'effectuais une patrouille dans une petite ville.
Mais ce temps est révolu, je vais enfin pouvoir me rendre vraiment utile et laisser ces tâches, qui ont certes leur importance, mais qui ne me suffisent plus, aux nouveaux venus.
Par contre, un des nouveaux aspects de cet endroit que j'apprécie grandement sont les « prières d'élévation spirituel ». Nésepe n'est bien sûr pas une secte, mais les théories sur le repos de l'âme, l'autre monde et les énergies chaotiques et bienfaisantes qui empliraient le monde ne sont pas dépourvues d'intérêts. De plus, l'aura semble elle-même certifier quelques-unes de ces suppositions, et je commence à mieux comprendre cette force qui circule en moi. Et le directeur est également un Lucario, il n'est pas sans savoir quelques informations qu'il ne manque pas de me communiquer afin d'éclairer un peu plus ma voie.
C'est ça, la vie que je dois avoir.
***
La joie de Teilaste fut de courte durée. Alors qu'il n'avait toujours pas reçu sa première véritable mission, les quelques journaux qu'ils recevaient lui apprirent une nouvelle qui lui fit froid dans le dos :
« Le dirigeant de Pragése empoisonné : Nésepe, son concurrent, fortement soupçonné. »
Le Lucario fut particulièrement choqué par cette nouvelle, surtout qu'il ignorait cette rivalité entre les deux centres. Il n'y avait que trois « université » de combat sur tout le continent, et Pragése avait toujours été considérée comme supérieure à Nésepe, elle-même au-dessus de Tacambta, qui était celle qui recrutait le plus de personnel et où étaient partis la plupart des anciens compagnons de Teilaste (seulement deux autres étaient arrivé à Nésepe avec lui, et il n'en connaissait qu'un seul d'entre eux).
En continuant sa lecture, il apprit que les arguments principaux étaient que la méthode ressemblait fort aux techniques d'assassinats de son centre, et que le fait que celui-ci aie de plus en plus de réussites pouvait lui faire naître une soif de pouvoir et vouloir passer numéro un. La première raison ne le surpris pas plus que cela : il est vrai que, en cas de trop gros risques, les Nésepiens soient obligés de recourir au meurtre, de la manière la plus discrète possible, même si le poison n'était pas la plus utilisée. Le fait qu'aucune trace n'avait été laissée les classait donc comme principaux suspects. Mais l'histoire de la concurrence ne lui convenait pas : comment deux systèmes assurant la protection de toute une population pouvaient-ils être rivaux ? D'autant plus que sa « guilde » était réputée pour sa modestie et se contentait d'effectuer son travail sans aucun problème. Et d'ailleurs, comment pouvait-on définir que l'un était meilleur que l'autre ? A part le petit tournoi de combat qui avait lieu toutes les dix générations et qui opposait leurs meilleurs combattants, et encore, cela ne prouvait rien. Ils étaient de toute façon sensés combattre main dans la main... Alors pourquoi auraient-ils tué un de leurs plus grands alliés ? Non, c'était tout bonnement impossible.
Il lut en diagonale la fin de l'article. Seuls quelques mots retinrent son attention : « système de sécurité et garde expérimentée [...] réputée comme impénétrable [...] seul un véritable expert aurait pu réussir un tel coup [...] Un émissaire devrait bientôt se rendre à Nésepe afin d'entamer le dialogue et mettre au point une date de négociation. »
Cette dernière phrase fut la seule qu'il ait considérée comme importante, mais, alors qu'il se rendait vers le bureau du directeur pour lui annoncer la nouvelle, il remarqua un attroupement autour de l'entrée du bâtiment. Ainsi, il était déjà arrivé.
Il eut juste le temps de voir le vieux Lucario au pelage gris qui conclut le dialogue par un « je comprends, je ferrai le nécessaire ». Le Linéon qui venait d'apporter le message rabaissa alors la visière de son casque et repartit à toute vitesse à travers la plaine. Le vieux Pokémon fit alors signe à Teilaste de l'accompagner à l'écart.
- Oui, maître ? dit le renard au pelage bleu, masquant sa curiosité.
- Oh, cesse de m'appeler maître, je te l'ai dis cent fois. Dis-moi simplement Torm, comme tout le monde.
- Bien,... Torm.
- Voilà. J'ai besoin de toi. Tu tentes de me le cacher, mais je sens que tu voudrais savoir ce qui se passe. Tu es cultivé et tu as dû lire les nouvelles, tu connais donc la situation. Ce Linéon que tu as vu partir est bel et bien l'émissaire envoyé par Pragése, et il est venu m'exposer la situation : un archiviste de leur guilde va venir nous rejoindre, ayant étudié un cas similaire qui avait déjà eu lieu par le passé, et ainsi voir comment le conflit a été résolu. De part sa qualité de négociateur, il sera également possible d'élever un débat, voire même de prouver notre innocence.
- Certes, mais vous ne voulez tout de même pas que j'y participe ? le coupa presque Teilaste, troublé par cette perspective peu agréable car n'étant pas très assuré dans la matière de la rhétorique.
-Non, bien sûr que non, ne t'inquiète pas. Tu auras en charge l'équipe qui devra l'escorter de Pragése à Nésepe, à travers la Grande Plaine du Centre. Cette manœuvre a bien sûr pour but de protéger cet érudit, et qui par conséquent n'est pas très adroit pour se battre et se défendre, mais vous devrez essayer de gagner sa sympathie afin que son jugement soit le moins néfaste pour notre organisation.
- Bien. Combien seront-nous ?
Torm hésita à lui annoncer le nombre, et finalement lâcha...
- Dix...
- Dix ? Il commença à s'emporter. Mais, sauf votre respect, pourquoi un si grand effectif pour un seul homme ? Je sais la Plaine considérée comme dangereuse, mais...
- Ce ne sont pas mes conditions, le coupa sèchement le vieux Lucario. Les Praségistes nous ont toujours considérés comme des vantards et estiment qu'il valait mieux être trop que pas assez. Ils nous ont toujours sous-estimées.
- Mais vous savez que cela représente tout de même dix pour cent de nos membres.
- Je sais... Maintenant laisse-moi, je veux aller demander conseil aux sages et planifier notre rencontre.
La conversation était close.
Teilaste ne pouvait pas se plaindre de sa nouvelle mission. Même s'il s'agissait encore d'une escorte, elle était d'autant plus trépidante par son passage par la Grande Plaine du Centre. C'était un terrain gigantesque n'appartenant à personne en particulier, hors de l'influence des dirigeants et était le parfait repère pour brigands et autres malfaiteurs. Sans compter les Pokémon qui avaient renié la vie citadine et vivaient désormais de pêche et de chasse, aspirant à un retour aux origines afin de repartir sur de meilleures bases (ce qui était d'ailleurs sans aucun sens, car les énergies de ce monde étaient nullement néfaste pour l'environnement, et ils n'auraient jamais pu aussi bien progresser dans tous les domaines en suivant une autre voie que celle qui les guidait toujours), mais ils s'attaquaient surtout à quiconque semblait avoir trop profité du progrès (progrès qui ne quittait d'ailleurs jamais les grandes agglomérations, certains villages restaient encore bien en retard par rapport à la capitale). Seule les armures et quelques armes contenaient l'équivalent de ce qui serait des composants électroniques dans notre monde, aussi ils avaient peu de chances de se faire agresser par ces gens qui cherchaient juste un prétexte à leur misanthropie. Donc, en résumé, il aurait à traverser un territoire dangereux en compagnie de neuf autres Combattants moins expérimentés et sous ses ordres afin d'escorter un érudit. Enfin un objectif intéressant.
Mais finalement, il ne lui plaisait pas. Dans ce contexte de tensions, le fait qu'un si grand nombre de guerriers soit avec lui alors que trois auraient suffit le tourmentait. Néanmoins, il n'avait pas le choix, et il partirait au prochain lever.
***
Un cycle de l'astre du jour avait suffit aux dix Combattant à rejoindre Pragése. A leur arrivée, tous se détournèrent d'eux et leur lancèrent un regard noir. Mais ils ne s'aventurèrent pas dans la bâtisse, à laquelle ils ne jetèrent même pas un coup d'œil. Le négociateur devrait les rejoindre après le coucher de la sphère blanche, aux premières lueurs de l'aube. En attendant, ils furent placés à l'écart du bâtiment, dans des tentes miteuses au toit percé. Charmant.
Les Nésepiens décidèrent d'organiser des tours de garde pour la nuit. Le choix fut rapidement fait par Teilaste, qui décida d'être le cinquième, soit celui qui passerait la plus mauvaise nuit, coupée exactement en deux afin de surveiller leur campement.
Rien n'eut été à signaler, sinon quelques Praségistes curieux qui les approchèrent un peu trop à leur goût, et à qui ils firent rapidement comprendre, d'un regard froid, qu'à la même manière que le bâtiment n'avait pas accueilli les étrangers, ses habitants n'étaient pas les bienvenus chez eux.
Aux premiers rayons du jour, tous se levèrent et se rééquipèrent sans bruit, puis allèrent chercher le Drascore qu'ils devraient donc accompagner. Celui-ci portant une grande toge blanche qui ne laissait émerger que ses bras et sa tête. Il avait un air suffisant et dédaigneux que Teilaste réprouvât immédiatement. Il le sonda sans attendre, et sentit que ce Pokémon de lettre n'allait pas être un agréable compagnon. Après un contact bref et déplaisant, « Monsieur », puisque c'est ainsi qu'il voulait être appelé, suivit les Combattants sans un bruit. Il était évident qu'aucun contact amical ne serait à espérer.
Le retour fut épouvantable. Le groupe fut tout d'abord agressé par des bandits de grand chemin qui voulurent les détrousser de leur équipement qui semblait de grande valeur. Une courte bataille s'ensuivit, et les voleurs abandonnèrent rapidement ce combat trop inégal, leurs adversaires étant trop expérimentés. A un moment seulement, « Monsieur » s'exposa un peu trop, et Fglot, un Chapignon, essuya dans le bras le carreau d'arbalète qui était destiné à leur protégé. Le muscle était perforé et il n'avait aucun moyen de le soigner tant qu'ils ne seraient pas rentrés.
Puis l'érudit, alors qu'ils n'avaient parcouru qu'un huitième du chemin, se dit fatigué et leur demanda s'il n'existait pas un coin agréable afin de se reposer. Jugeant qu'il valait mieux ne pas le froisser, ils découvrirent qu'un petit lac se trouvait plus ou moins sur leur trajet, et s'y dirigèrent, accompagné du Drascore qui se plaignait qu'ils n'y aient pas pensé avant.
Au moment de repartir, ils aperçurent un nuage de fumée un peu plus loin. Mais, retardés par le blessé et le négociateur qui trouvait n'importe quel prétexte pour ralentir la cadence, ils ne purent pas savoir de quoi il s'agissait. Même par le biais de l'aura, Teilaste ne réussit pas à distinguer quelque chose de précis, si ce n'était qu'il s'agissait d'un groupe d'une grosse centaine de personne ou animaux.
- C'est encore loin ?
- Si vous passez votre temps à nous ralentir, il est évident que le temps va vous paraître long... lâcha un Vigoroth, excédé.
- Pug'la, l'interpella sèchement Teilaste. Ne manque pas de respect à notre protégé !
- Pardon... Monsieur.
Fglot laissa échapper un petit rire sec, puis la douleur de son bras lui tordit le visage.
Mais il était vrai que le Drascore leur tapait sérieusement sur les nerfs à tous. Voilà maintenant plus de deux levers et couchers qu'ils marchaient lentement pour qu'il aille à son rythme, et il y avait des chances que cela en prenne trois au total. Même s'ils avaient mené quelques combats, et que personne d'autre n'avait été touché, ils s'ennuyaient ferme en compagnie de ce casse-moral.
Soudain, le Lucario fit un mouvement du bras pour interrompre la troupe devant un buisson.
- Qu'est-ce qui se passe ? glissa l'érudit, vaguement inquiet
- ...
- S'il vous plaît ?
- ... Rien, rassurez vous, on y va.
Ils reprirent la route comme si de rien n'était, mais Teilaste scruta le bosquet tout en marchant. Il sentait une présence, deux Pokémon qui les observaient. Il était désormais trop loin pour connaître leurs intentions, mais ils ne semblaient pas leur vouloir du mal. Il avait même eu l'impression de sentir de la crainte quand il s'était arrêté, comme s'ils avaient eu peur d'être découverts. Mais il décida que cela n'avait plus d'importance, et oublia vite l'incident.
Trois arrêts plus tard, ils reconnurent les sentiers proches de Nésepe. Ils accélérèrent le pas et demandèrent à leur protégé de faire un dernier effort. Celui-ci n'arrêtait pas de se comporter bizarrement depuis le dernier arrêt devant les fourrés, faisant des gestes brusques de temps à autres lorsque quelqu'un lui tournait le dos, si bien qu'il fut discrètement décidé d'encadrer ce personnage qui semblait bien devenir dangereux. Et enfin...
- Vous avez vu ?, fit l'un d'eux de manière anodine, il va y avoir de l'orage, on peut voir de gros nuages là-bas.
Mais quelque chose clochait avec ces volutes. Elles étaient beaucoup trop sombres pour qu'il s'agisse de simples nuages. Soudain, Teilaste eut un nœud dans la gorge. Il se précipita vers son objectif.
- Dépêchez-vous, hurla-t-il à ses coéquipiers.
Ils passèrent la petite butte juste avant le bâtiment et s'arrêtèrent net.
En face d'eux, il ne restait que les ruines de Nésepe. Quelques charpentes étaient encore en feu çà et là, et les corps de leurs compagnons gisaient au sol, calcinés ou portant les traces d'une lutte sanglante. Une bourrasque de vent les enveloppa.
- Ce n'est pas un orage...
Teilaste se tourna vers le Drascore qui tentait de les rattraper en courant comme il le pouvait.
... c'est une tempête !
***
L'insecte arriva enfin au niveau du renard bleuté. Celui-ci était à genoux et contemplait le désastre. Ses compagnons étaient partis, sous ses ordres, rechercher d'éventuels survivants. Doucement, le Drascore se plaça dans son dos, profitant que l'autre soit abasourdi. Il releva lentement un pan de sa toge, et fit glisser l'épée qu'il dissimulait. Il posa sa main sur la poignée.
- Tu crois que je ne sens pas tes intentions ? murmura Teilaste.
Le bruit feutré de la lame d'acier glissant hors de l'étui fut sa seule réponse.
- Tu penses que je me sens perdu ? Que je n'ai plus de raison de me battre ?
Le Drascore posa sa lame contre son cou.
- Je m'en fous, rétorqua-t-il.
Il leva le bras, et l'abattit violement... dans le vide.
-Que... ?
Immédiatement, il sentit un bras autour de sa taille, deux lames sous son cou et un poids dans le dos.
- Parle, lui souffla doucement le Pokémon bleu.
- Comment as-tu...
- PARLE !
Il appuya sa Tornade Occulte sur son cou. La carapace se brisa légèrement et quelques gouttes de sang perlèrent sur la veste blanche.
- Je te tranche la tête tout de suite ou j'attends un peu ?
Les yeux de Teilaste brillaient d'un éclat meurtrier, enflammés par la haine et l'esprit de vengeance. Il fit jaillir les griffes de son autre gant et commença à racler son abdomen.
- Ok ok ok ok ! Je ne suis pas un érudit. Je suis un Combattant de Pragése ! Un maître, même. J'étais sensé vous éliminer dès que je savais que mes compagnons avaient réussi...
-... à détruire Nésepe.
- Oui ! Voilà, c'est ça !
Son regard commençait à s'emballer. Son adversaire accentuait la pression, et le liquide rouge affluait de plus en plus.
- Continue !
- Je devais *kof*... je devais vous retarder un maximum, voire même vous affaiblir durant le trajet, le temps que les autres fassent leur travail.
- Donc le nuage de poussière et ceux que j'ai senti dans le buisson...
- C'était eux ! Au retour, ils devaient envoyer deux espions afin de voir où nous en étions, et éventuellement me prévenir qu'ils avaient réussi.
- Pourquoi avez-vous fait cela ?
- Mais c'est l'esprit même de la vengeance ! Vous avez tué notre dirigeant !
- Et comment en es-tu sûr ?
- Mais c'est son conseiller qui nous l'a affirmé ! Il est médium, devin... C'est même lui qui le remplace maintenant !
- Je vois. Merci, Monsieur.
Il le jeta brutalement au sol. Le Drascore roula jusqu'au pied de la bâtisse qui avait désormais presque fini de brûler. Teilaste marcha lentement vers lui.
- Et maintenant, tu vas me tuer ?
- Nous autres, Combattants, n'ont l'autorisation de tuer qu'en cas de nécessité. Tu sembles l'avoir oublié. Vous n'êtes que des renégats, à Pragése ! Vous avez abandonné ce qui était la loi la plus importante de notre ordre ! Je vais donc te laisser vivre, débrouille-toi comme tu le peux, mais n'attends pas mon aide.
- Pfu...
Il cracha à terre
- Et qu'est-ce que tu crois pouvoir faire après ? Ce n'est plus la peine d'essayer de nous attaquer, vous êtes trop peu nombreux ! Et visiblement, vos compagnons se sont fait massacrer, je ne vois que très peu de corps des Praségistes. Vous allez vivre dans le désarroi et la honte de n'avoir rien fait ! Hahaha !
Il avait un rire caverneux. Depuis le début de leur conversation, Teilaste n'avait pas cessé de le sonder.
- Je vois que ta tâche était également de nous démoraliser si jamais tu échouais... Tes amis avaient sans doute peur des représailles ? Ont-ils réellement combattu, d'ailleurs, ou ont-ils juste incendié notre domaine, assassinant ceux qui s'échappaient ? De toute façon, ce que je vais faire ne te regarde en rien...
Sur ce, il commença à s'aventurer dans les ruines à la recherche d'autre survivants, laissant son ennemi abasourdit ramper le plus loin possible. Puis un craquement sourd se fit entendre, et un mur entier s'effondra. Un esprit disparu. Seul un bras violet inerte dépassa des débris de roche. Le Pokémon bleu n'en fut en rien émotionné, le destin châtiait ceux qui avaient tenté de modifier son cours un jour ou l'autre.
Le Lucario sonda les ruines entières, et dénombra une vingtaine de survivants, en comptant ses compagnons de voyage. Par endroits, un produit noir et gluant s'accrochait à ses pieds, qu'il détachait alors rageusement avant de le lancer dans les dernières braises. La sombre glue nourrit alors les flammes qui grandirent brutalement. Sans doute le produit utilisé pour brûler Nésepe. Soudain, un râle à sa droite détourna son attention. Il vit Torm, le corps à moitié brûlé et couvert de balafres qui lui tendait la patte. Il s'approcha du vieux Pokémon et s'agenouilla dans la poussière, à son chevet.
- Teilaste, fit-il faiblement
- Oui, c'est moi.
- Les Praségistes, ils...
- Je sais.
Il était calme. Il savait déjà ce qu'il allait se passer et était déjà résigné au pire.
- Venge-nous ! Tu savais que nous étions innocents. Ils ont violé la loi principale, les traîtres doivent être châtiés.
- Je ne peux pas tuer...
- Mais tu DOIS libérer nos consciences ! Et quand tu seras là-bas, que crois tu qu'ils feront ? Des rescapés ? La belle affaire ! Tu n'auras pas d'autres choix, ou ils auront ta peau, et celle de tous tes camarades. Je... *krofr*
Il cracha un caillot de sang.
- Je te fais confiance ! Tu es notre seul espoir ! Attaquez de nuit, et discrètement, puisque apparemment, nos méthodes sont ainsi faites. Adieu, Teilaste. Tu portes l'esprit des Nésepiens avec toi.
Il expira, mais sa poitrine ne se souleva plus. Le Lucario lui ferma les yeux sans afficher aucune émotion, même s'il était bouleversé par la brutale séparation de la seule personne qui lui avait appris à maîtriser parfaitement les mystères de l'aura. Fidel à son éducation spirituelle, il posa le poing sur la poitrine du défunt, la porta à ses lèvres, puis le colla sur son cœur.
Il se releva et rassembla ses compagnons.
Le crépuscule arriva et emporta le souvenir de nombreuses âmes qui n'eurent pas la chance de le voir une dernière fois.
***
Après avoir rendu les hommages mortuaires à leurs anciens compagnons, les Combattants restant se rééquipèrent pour la dernière fois au lever du point lumineux dans le ciel pour leur ultime mission. Teilaste observa un moment ses Tornades Occultes. Il ne les enlevait que pour dormir et se laver, et encore... Il glissa ses pattes dans les gants de cuir et vérifia que rien ne clochait. Les griffes sortaient normalement et restaient bien en place, et il tira contre une poutre à moitié calciné une fine lame d'acier et son grappin, et tous deux se plantèrent sans aucun problème et avec précision. Satisfait, il repassa en position « passive ». Puis il enfila les protections pour ses avant-bras et ses jambes, sera bien les lanières. Enfin, il ajusta son plastron qui laissait juste émerger la pointe d'acier de son poitrail. A sa demande, il demanda à un Magmar de cracher une faible flamme sur lui. Celle-ci fut alors déviée par le petit champ de force créé par la gemme incrustée dans ses protections, et qui avait pour but de le protéger légèrement d'éventuelles attaques « énergétiques ». Tout était en ordre, l'assaut final pourrait bientôt être donné.
Le trajet leur pris un peu plus de temps que la dernière fois, à cause des blessés principalement. Ils arrivèrent à une heure avancée de la nuit et n'attendirent que peu de temps avant que Teilaste ne les rassemble pour planifier l'attaque. Il avisa d'abord la bâtisse : une sorte d'ancien château de pierre, aux murs polis pour éviter toute tentative d'escalade. Personne ne semblait surveiller le domaine, les Praségistes étaient sans doute occupés à soigner les quelques blessures qu'ils avaient probablement subies, et avaient dus ripailler longtemps suite à leur victoire facile sur leur principal concurrent.
- Mes frères !
Teilaste était encore plus sérieux que d'habitude. Néanmoins, il n'aimait ni la position qu'il avait, ni le rôle qui devait jouer ici.
- Nos compagnons nous ont chargés de laver l'affront qui nous a été fait, et de libérer leurs consciences prisonnières des tourments de ceux qui ne sont pas mort en paix. Ce soir, nous vengerons nos amis ! Qui est avec moi ?
Tous les bras se levèrent.
- Je n'en doutais pas un instant. Bien. Leur garde semble inactive ce soir, nous allons donc pénétrer par l'entrée principale. Je vais m'infiltrer et vous ouvrir les portes. Suite de quoi, nous pénétrerons dans chaque salle et...
Il hésita.
- ... ferrons ce que nous sommes sensés faire. Aucun d'entre vous n'ignore que nous ne verrons pas tous au prochain lever. Même si nous échouons, nos frères ne seront pas morts en vain. Je vous souhaite donc bonne chance et vous dis adieu.
Les choses sérieuses allaient commencer. Le dernier chapitre de toute une vie allait-il se régler ici. Ou s'agissait-il juste d'un nouveau chapitre ?
***
Il fit un pas vers le mur. Il se retourna.
- Ah, j'oubliais, si jamais vous croisez un Kirlia, essayez de l'épargner et faites-le prisonnier.
Puis il tendit le bras gauche vers deux créneaux.
D'un geste sec du poignet, il fit jaillir son grappin du dessous de son gant. Celui-ci s'élança dans les airs, frôla une des pierres en haut du mur totalement lisse et s'y accrocha. Il tira un coup sur la corde. Le crochet sauta de l'endroit où il était attaché. Raté. Il recommença l'opération, mais cette fois-ci, tout semblait bien tenir. Il commença alors son escalade, remontant le fin fil de fibres qui émergeait de sa Tornade Occulte et qui s'y ré-enroulait au fur et à mesure qu'il progressait, prenant parfois appui sur la paroi. Durant toute la montée, il médita sur ce qui allait se passer...
***
Est-ce que c'est bien ce que je dois faire ? Laver un génocide dans un bain de sang ? Ne suis-je pas en train de perpétuer le massacre inutilement ? Et pourtant, je m'y sens obligé... Est-ce vraiment ça, le devoir de vengeance ? Est-ce simplement un devoir ? Pourquoi ?... Pourquoi toutes ces questions demeurent-elles sans réponses ? Les êtres pensants n'existent-ils que pour s'entre-tuer ?
Et Faivore ? Est-elle toujours ici ? Qu'est-elle devenue ? Mais, plus important encore... a-t-elle participé à la destruction de Nésepe ?
Trop tard. Je ne peux plus faire demi-tour, je suis en haut.
***
Après avoir détaché son grappin, Teilaste se laissa glisser le long de l'échelle posée de l'autre côté du mur. Puis il se dirigea vers les deux battants de l'entrée et enleva les barres de fer servant à les bloquer. Ses camarades s'infiltrèrent à leur tour, après avoir très doucement repoussé les portes afin que les craquements ne réveillent pas les occupants.
Ils se trouvaient désormais dans l'enceinte. Actuellement, ils étaient dans une grande place totalement vide, à l'exception de quelques mannequins d'entraînement totalement inertes et portant de nombreuses traces de coups.
Ils avaient désormais quatre chemins différents qui se proposèrent à eux. Deux tours, qui devaient abriter les dortoirs et quelques autres salles, une sorte de cave à l'arrière et un autre petit bâtiment qu'ils n'arrivèrent pas à identifier. Ils se divisèrent en quatre groupes de cinq et choisirent chacun un lieu-cible. Dernière instruction : retour des survivants à l'entrée à l'aube.
Teilaste se rendit en compagnie notamment de Flogt, le Chapignon, et du Vigoroth Pug'la, dans la première tour. Le premier étage était désert, et ils empruntèrent directement l'escalier en colimaçon. Une fois au deuxième niveau, ils trouvèrent une porte où était inscrit « Première Classe ». Les Combattants les plus expérimentés de Pragése devaient donc dormir ici. Ils se faufilèrent dans l'obscurité de la pièce, Pug'la le premier. Il fit trois pas en avant et trébucha sur quelque chose... un corps. Celui-ci émit un petit gémissement, visiblement mécontent d'avoir été réveillé alors qu'il cuvait son saoul, et le Pokémon blanc, pris de panique, le déchiqueta avant qu'il ait le temps de se relever. Ils retournèrent tous à l'extérieur de la chambre et le laissèrent là, les bras couverts de sang et visiblement traumatisé par ce qu'il venait de se passer. Ils se distribuèrent les lunettes infrarouges que l'un d'eux avait transportées, habitué à servir en soutien plutôt que de combattre, à l'exception de Teilaste qui comptait sur l'aura. Ils pénétrèrent à nouveau dans le dortoir, toutes lames sorties.
La pièce semblait vaste, et une quinzaine de lits la composait. Une erreur et ils réveillaient tout le monde, puis c'en était fini d'eux. Le Lucario se plaça au chevet d'un Charmina à l'allure austère. Il regarda un instant ses griffes, puis le visage paisible qu'il devinait dans la pénombre, et de nouveau son arme. Puis, d'un coup, sans qu'il sache vraiment si c'était lui ou la colère qui dictait son bras, il trancha l'artère principale du cou de son ennemi. Celui-ci ne se réveillera plus, et était mort sans bruit, simplement dans un giclée de sang qui avait tâché les draps blancs. Enfin, fidèle à son éducation « religieuse », il répéta le même geste qu'il avait fait la veille sur feu son maître, recueillant l'âme du défunt en son corps. Puis il passa au lit suivant, et répéta l'opération dans la peur, la répulsion et un dégoût de lui-même qui le faisait trembler. Une fois leur œuvre de cauchemar achevée, tous s'échappèrent une dernière fois de la salle. Les Combattants s'observèrent, regardèrent leurs pattes et leurs armes ensanglantée, et vomirent dans l'allée.
Ils avaient accompli leurs méfaits pour presque toutes les Secondes Classes (plus nombreux, bien sûrs) quand une alarme stridente retentit dans tout Pragése. Des globes lumineux surgirent des murs et éclairèrent toute la bâtisse afin que les attaqués puissent se repérer et contrer leurs assaillants. Certains Combattants n'avaient pas dû être assez discrets et l'alerte avait été lancée. Leurs cibles bondirent de leurs sommiers et empoignèrent leurs armes afin de se battre contre le groupe de Teilaste. Flogt réussit à trancher la gorge d'un de ses ennemis, mais bougeait mal dans la salle exigüe et à cause de son bras bandé. Il évita un coup, para un second, puis eut finalement l'estomac transpercé par une lance au bout de laquelle brillait une étincelle. Il hoqueta, et son corps fut parcourut des soubresauts infligés par l'électricité qui parcourait la pointe. Enfin, il expira.
- Merde ! cracha Teilaste.
Ils étaient maintenant désavantagés et se battaient à un contre trois. Après quelques courtes minutes de combat, entre esquive, parade, attaque et blessures, ils sortirent malgré tout victorieux de la confrontation, l'effet de surprise et l'expérience ayant étés plus efficaces que le surnombre. Mais ils n'eurent pas le temps de se reposer, car quelques élèves qui n'avaient pas fini leur formation les submergèrent immédiatement. Ils étaient désordonnés et donnaient des coups maladroits en comparaison aux Nésepiens, mais ils demeuraient dangereux. Les Combattants ne se voyaient pas ajouter des débutants à leur tableaux de chasse, et tentèrent tout d'abord de les repousser afin de se créer un chemin vers la sortie. Mais les autres arrivaient sans cesse, si bien qu'ils furent, encore plus à contrecœur, obligés de les envoyer rejoindre leurs supérieurs. Ils eurent ensuite un court répit durant lequel Teilaste inspecta l'état du reste de ses troupes. Leur nombre d'ennemi avait chuté de plus de moitié, mais ses camarades qui s'étaient dirigés vers l'autre tour ne donnaient plus aucun signe de vie. Ils avaient dû tomber sur les maîtres. Ceux du bâtiment étrange semblaient seuls... à moins que... non, il n'était pas sûr. Eventuellement, ils pouvaient être en compagnie de deux autres personnes, qui semblaient protégés par une barrière invisible qui les dissimulait de l'aura. Ici, ils étaient trois à avoir survécu. Quant à ceux dans la cave, personne n'était avec eux. Que pouvait-elle bien contenir. Il s'en dégageait une étrange chaleur. Il sentit une sorte de réaction chimique et se figea.
- A terre ! hurla-t-il en reprenant soudain conscience.
Il roula sur le sol, et ses compagnons en firent de même.
La cave explosa.
***
Les deux tours s'effondrèrent. Teilaste sentit de nombreux esprits disparaître. Il frappa durement le sol en chutant. Ils atterrirent au milieu de la grande place. Ici, quelques survivants continuaient la lutte sanglante. A la place de la cave, un trou béant se trouvait dans le sol, et l'explosion avait répandu le même produit noirâtre qu'il avait vu à Nésepe quand le bâtiment avait été brûlé. Ce produit inflammable avait la propriété de se coller à tout ce qu'il touchait, et il voyait plusieurs Pokémon courir dans tous les sens après que la matière qui était sur leur peau aie pris feu. Les flammes encerclèrent bientôt toute la place. Reprenant ses esprits, il vit que seul le Vigoroth était encore à côté de lui. D'un commun accord, ils fondirent sur la mêlée.
Le Lucario bondit au-dessus de la lutte et tira deux lames dans deux fronts qui dépassaient. Les cibles s'écroulèrent immédiatement, avant même qu'il n'ait le temps de rejoindre ses hommes alors encerclés qui le remercièrent pour ce coup de main. Il trancha à gauche, planta à droite, lança un Aurasphère, joua du Danse-Lame afin de gagner en puissance et utilisa plusieurs Close-Combat pour se débarrasser de nombreux adversaires qui avaient tendance à s'approcher trop de lui. Le liquide de vie se répandait dans toutes les directions dans des bonds guidés par ses lames, comme si elles le libéraient d'un corps qu'il voulait absolument quitter pour partir bras-dessus, bras-dessous avec la mort. Ils n'étaient plus que cinq dans son camp, et leur nombre diminuait sans cesse, lentement mais trop vite pour lui donner une réelle impression de victoire. Il ne réfléchissait plus autrement que pour le combat, pour sa survie. Il y avait plus de quatre Praségistes pour un Nésepien encore, mais ils tinrent bon. Il en poussa un ou deux dans les flammes, et ceux-ci se consumèrent en hurlant. Il commençait à fatiguer. Ce n'est que quand Pug'la fut tranché en deux par un sabre visiblement empoisonné après avoir été immobilisé par un Cage-éclair qu'il prit conscience qu'il était le dernier de son camp. Il fit tomber l'Elektek et l'Insécateur qui lui faisaient face avec un Vibrobscur, bondit, lança son ultime petite lame circulaire dans la tempe du premier et abattit ses griffes sur la gorge du second, dont la nuque se brisa dans un craquement sinistre sous la violence du choc. Il se releva et regarda tout autour de lui.
Il était seul désormais.
Autour de lui, encerclé par les flammes, un grand vide oppressant, couvert des pensées des nombreux morts et contenant seulement leurs âmes entachées par la violence de la lutte.
***
Voilà.
Tout est terminé. Pragése a expié ses crimes, Nésepe est vengée, mais les deux castes ont disparu à jamais. Je ne pourrai jamais me présenter à la dernière guilde, j'ai également trahit la loi principale. Et de quoi aurais-je l'air ? Avec mes bras maculés de sang jusqu'au coudes, mes yeux et mon esprit détruits par tout ce que je viens de voir, mon âme maudite pour tout ce que j'ai fais. Je suis condamné à finir seul pour toujours.
Enfin bon, mes compagnons sont vengés. Je porte en mon cœur les pensées de plus de deux cents morts, seul rescapé d'une véritable boucherie. Mais était-ce vraiment nécessaire ? Tout cela à cause d'une histoire d'assassinat. Et d'ailleurs, celui-ci étant la cause même, pourquoi a a-t-il été provoqué ? Et ici encore, les coupables ont-ils été châtiés, ou sommes-nous dans l'erreur depuis le début ?
Et je n'ai vu aucun signe de Faivore. Qu'a-t-elle bien pu devenir ? J'ai toujours cet anneau à mon oreille. Que dois-je en faire ? Bah, je vais déjà essayer de trouver un endroit paisible depuis lequel je pourrai me retirer du monde et méditer sur tout cela. Peut-être que la vérité sera un jour dévoilée...
***
Teilaste fit les premiers pas vers la sortie, mais il se heurta contre une sorte de barrière violette qui apparut comme par magie. Il fit volte-face, sortant de nouveau ses griffes pour une ultime bataille. A travers les ombres, il vit la porte de la bâtisse qu'il n'avait pas réussie à identifier à son entrée s'ouvrir. Un Magirêve en surgit lentement, traînant le corps d'un de ses camarades à l'abdomen explosé qu'il balança au milieu de la place. Le meurtrier était suivit d'une autre personne qu'il ne voyait pas dans l'obscurité, malgré les flammes qui éclairaient la scène.
Il se prépara à se battre quand le Pokémon violet lui fit un signe.
- Tut tut tut... Pas si vite ! Tu es quelqu'un d'important, et si tu es en vie, c'est un signe... Teilaste !
Il fut surpris que l'autre connaisse son nom et par le contact si brutal.
- Le nouveau dirigeant clairvoyant, le devin médium, je présume ? rétorqua-t-il sans se débiner.
- Tout juste !
Un sourire malsain étira ses lèvres, tandis que sa voix rauque et éraillée reprit.
- Tu es perspicace, mon garçon. Alors autant faut-il que je t'apprenne quelques choses avant que ne soit venue pour toi l'heure... du trépas !
Le Lucario n'en fut pas émut le moins du monde. L'autre parlait lentement, comme s'il voulait donner de l'importance à chacun de ses mots, et semblait enthousiasmé par ce qu'il allait lui révéler.
- Je t'écoute.
- Très bien...
- Pour commencer, mon tout petit, être un être pensant n'est pas toujours évident. On a des besoins à satisfaire. Chez moi, c'est la soif de pouvoir qui dicte mes actes.
Vois-tu, j'occupais déjà ma place de conseiller chez Pragése bien avant ta naissance, et je servais également de devin à toute ma guilde. Un jour, je me suis vu, resplendissant, au faîte de ma puissance avec une influence quasi-divine sur mon peuple. Tout ce monde m'appartenait, et mes loyaux sujets exécutaient le moindre de mes désirs. Cette vision du futur si jouissive était tellement claire que je ne pouvais avoir que la certitude qu'elle se réaliserait. J'ai donc mis en place mon plan de conquête, et tout semblait un ordre avant qu'une nouvelle vision tout aussi certaine vint m'interrompre. Un Lucario et un Gardevoir venaient, main dans la main, m'interrompre sur ma prise de pouvoir et me destituait afin de conserver l'ancienne démocratie. Je me suis donc mis à entreprendre les recherches et il s'avérait qu'il s'agissait de toi et de ton amie Faivore. Je vous ai souvent suivi sur vos derniers jours à l'école préparatoire, et ma couverture a même failli être éventée la fois où vous vous êtes destinés à devenir Combattants, peu après ton évolution. Puis j'ai laissé le destin suivre son cours pour voir comment ces deux enfants pouvaient éradiquer mes projets. Le fait que vous vous destiniez à la même carrière m'avait un peu effrayé, je ne te le cache pas, mais vous sembliez si inoffensifs... jusqu'à ce fameux test dans la forêt. Quand je vous ai vu battre sans aucun problème vos deux camarades, j'ai décidé qu'il était temps de vous détruire. Déjà, la veille au soir, j'avais des doutes et avais entrepris de détruire votre abri, faisant croire à un accident suite à la tempête. Mais le toit gelé a malheureusement résisté à mes assauts, et je voulais que cela ait l'air d'un accident. Le lendemain, j'ai opté pour une solution plus radicale...
- Le tronc d'arbre...
- Exact ! Mais cette petite peste avait tout vu ! Et après, ton histoire d'aura m'a toujours tenu en retrait, de peur d'être démasqué. Je me suis donc arrangé pour vous séparer, quand j'ai appris que vous vouliez tous deux venir à Pragése. Je me suis dit qu'une fois l'un loin de l'autre, je n'avais plus rien à craindre, et que je pouvais même transformer un probable ennemi en un puissant allié ! J'ai assisté à votre séparation, devant l'école de combat, vous ne pouviez pas imaginer à quel point j'étais soulagé.
Une fois ce problème résolu, j'entamais la suite du programme. Tout d'abord, il fallait que j'étende l'influence de ma guilde afin que les autres Combattants tombent en désuétude et soient rejetés. Et quelle meilleure idée que celle du meurtre pour que tout le monde se détourne de vous ?
- C'était vous ?
- Oui, c'était moi. J'ai empoisonné mon unique supérieur en accusant Nésepe, une soi-disant rivale ! Puis j'ai entrepris de vous détruire sous le prétexte de l'escorte des négociations, afin de diminuer vos effectifs, et j'ai fait exploser votre bâtiment. Mais mon bon ami a échoué pour votre assassinat, et je ne pensais pas qu'il y aurait autant de survivants... Vous êtes culotés d'être revenus en si petit nombre pour faire de si grands dégâts ! Dorénavant, il faudra que je change un peu mes plans... Enfin bon, le problème restait vous deux, et il est désormais résolu depuis longtemps. Ton amie manquait de potentiel, en fait...
Teilaste eu le souffle coupé.
- Vous... vous l'avez tuée ?
- Hahahaha ! Non... c'était envisageable, mais non... J'ai fais mieux...
A ce moment, la personne demeurée dans l'ombre s'avança. Une robe blanche surgit soudain, et une splendide Gardevoir se plaça à côté du Magirêve. Elle portait un plastron, et sur chacune de ses épaules était ajusté un cercle de fer, l'un contenant un lame reliée à l'autre par un chaîne en acier qui s'y enroulait. Mais ces yeux étaient sombres comme la nuit. Quelque chose d'étrange émanait de cette créature. Néanmoins, elle semblait embarrassée elle aussi par la situation.
- La voilà, ton amie !, s'esclaffa l'autre
Teilaste n'en était pas si sûr. Il avait posément sondé cette personne, et même si elle avait en effet une aura qui ressemblait à celle de Faivore, une part sombre de l'âme prenait pleinement part sur le reste. Il l'examina lentement, et le Magirêve attendit patiemment, savourant son petit effet. Si c'était réellement celle qu'il avait aimée, son évolution rendait plus difficile la reconnaissance physique. Et l'esprit était souillé par cette chose qu'il venait de sentir. Soudain, il se figea quand il remonta au niveau de ses cheveux. Là brillait le petit anneau turquoise qu'il y avait lui-même glissé. Le spectre s'en rendit compte et éclat de rire.
- Alors ? C'est bien elle, non ? Mouahaha !
- Comment se fait-il que son aura ait tellement changé ? Que lui as-tu fait, monstre ?
- Hahaha ! Je t'ai dis qu'elle manquait de puissance. Grâce à une puissance occulte des temps oubliés, j'ai réussi à décupler sa puissance en échange d'un esprit torturé à jamais !
Le Lucario n'en revenait pas. Il était paralysé par ce qu'il entendait. Elle, en proie à une existence de souffrance infinie !...
***
Merde ! Pourquoi elle ? Pourquoi nous ? J'aurais autant préféré qu'elle soit tuée avant, au moins pour sauver son âme !
Pourquoi... Dans un tel charnier, en proie aux flammes, comment se fait-il que cela soit ici que je la retrouve ! Après tout ce temps ! Pourquoi ce vent de ténèbres plane-t-il ici ? Pourquoi ce regard sombre et profond planté sur moi, totalement opaque ? Où est passé ce cœur qui battait à la même mesure que le mien ? Englouti par la nuit ?
Pourquoi ces ombres dansent-elles sur elle, lui donnant des allures de fantôme ? Ais-je réellement perdu Faivore.
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Pourquoi a-t-il détruit notre amour ?
***
Loin de ce tumulte, dans un petit jardin à l'arrière d'une vieille abbaye à moitié en ruine, une blanche fleur aux allures immortelles perdait soudain les arabesques couleur émeraude et saphir qui s'extirpaient avec grâce de son cœur pour prendre une teinte rouge d'encre, uniforme et sans vie...
***
- Et j'imagine que vous ne lui avez pas demandé son avis ? reprit Teilaste, offusqué par ce qu'il venait d'apprendre et fixant la personne concernée qui ne semblait pas vraiment écouter ce qui se disait, le regard dans le vide.
- Exact. Cette petite a le sommeil très profond, tu dois le savoir. On invoque et hop ! Le tour est joué.
Teilaste sentit quelqu'un qui tentait de percer les barrières mentales qu'il dressait en permanence autour de son esprit. Il reconnu celui du Gardevoir, hésita un instant, puis le laissa passer en tentant de jouer la diversion.
- Et que va-t-il se passer maintenant ? Elle va me tuer ?
- Hahaha, oui !! Cruel destin que le tiens, non ? Etre déchiqueté par un proche, qu'y a-t-il de plus désespérant ? Et ensuite, je vais m'enfuir avec elle, et je mettrai en place la seconde phase de mon plan.
- Qui consiste en... ?
- Bah, je peux bien te le dire. Alors tout d'abord...
C'est bon, il était parti pour un long monologue. Le Lucario n'écoutait plus et se concentrait sur cette pensée qu'il venait de faire pénétrer dans son cerveau. Elle semblait faible et déséquilibrée.
- Tei... Teilaste ?
Le son de la voix de Faivore le fit tressaillir. Depuis tant de temps qu'il espérait en secret l'entendre de nouveau.
- Oui, c'est bien moi...
- Mon maître, il veut que je...
- Il me l'a dit à l'instant.
- Oui, c'est vrai, pardon.
Même lors de ce contact simplement mental, elle semblait bouleversée.
- Il ne faut pas qu'il y arrive ! Je l'ai longtemps côtoyé, il n'a de soif que de combats et de puissance. Il réduira le monde à feu et à sang s'il en prend le contrôle.
- Mais que veux-tu que je fasse ? Et toi ?
- C'est vrai qu'il contrôle une bonne partie de mes agissements, et toi tu es déjà en difficulté... Il faut que tu gagnes contre moi. Tu me donneras un coup en direction d'une zone sensible, en haut du cou par exemple.
- Mais je ne peux pas te frapper !
- J'éviterai ! Tu ne connais pas mes nouveaux pouvoirs, Teilaste. Je me laisserai ensuite tomber, comme si j'étais morte ou simplement inconsciente. Après, il y a des chances qu'il soit affolé si jamais tu es capable de me battre en un seul coup. Et je pense que si tu as survécu jusqu'ici, tu devrais être capable de le battre.
- ... D'accord. Mais toi, tu es déjà perdue.
- Pas totalement. Si tu arrive à l'annihiler, il emportera le mal dans sa tombe.
- Mmh. Une dernière question. Elle est cruciale.
- Oui ? Vite, j'ai mal. Ce pouvoir sombre me torture d'heures en heures.
- As-tu participé à la destruction de Nésepe ?
- Nésepe a été détruit ?!? Comment cela est-il possible ?
Si ce n'était pas de la véritable surprise, c'était très bien simulé.
- Tu n'étais pas au courant ? C'est pour venger mes frères que je suis venu ici !
- Mais mon maître m'a assuré que vous vouliez juste nous détruire car vous ne pouviez plus supporter la domination de Pragése dans le domaine du combat !
- Il t'a encore manipulé. Même quand tu étais encore consciente. Je t'explique tout dès qu'on en a fini avec ce salaud. Il a dit que notre union était la cause de sa défaite.
- Si tu le dis. Au revoir.
- Au revoir...
Il se prépara à couper le contact quand il entendit son cri désespéré.
- Je t'aime !!!
***
- Voilà, maintenant tu sais tout ! Machiavélique, non ?
Teilaste n'avait rien écouté.
- Très. Bon, finissons-en, trancha-t-il.
Le Magirêve fut surpris.
- Qu'est-ce qui se passe ? Tu es pressé de mourir ?
- Si c'est sans issue, autant en finir tout de suite...
- Comme tu voudras. Faivore, vas-y. Tue-le !
Elle ne bougea pas. Des larmes coulaient sur ses joues.
- Allez !
- Non...
Sa voix était toujours très faible. L'autre reprit lentement.
- J'ai dit : TUE-LE !!
- J'ai dit NON ! Je ne peux pas !
Elle haussait le ton tant bien que mal.
- Ah, c'est comme ça ? Très bien.
Il étendit les bras. La Gardevoir fut parcourue de frissons et lança un hurlement qui déchira les ténèbres. Un éclair ambré passa dans ses yeux.
- Bien maître ! fit-elle comme un robot.
Puis l'emprise se relâcha. Elle trébucha, se releva et fit quelques pas vers Teilaste. Celui-sortit ses griffes et s'avança à son tour. Ils demeurèrent face à face un instant, se regardant droit dans les yeux.
- Vas-y, n'aie pas peur.
Immédiatement, il fit un rapide mouvement vers sa gorge. Et, plus vive que la foudre, elle se décala très légèrement vers la gauche, si bien qu'il faillit la toucher au menton. Du sang glissa et se détacha d'une des lames, ajoutant encore plus de réalisme à la scène. Dissimulant son déplacement, elle fit mine de chuter pour ne plus se relever. Le Magirêve était abasourdi.
- Comment ? Comment as-tu pus la battre en un seul coup ? Comment peux-tu tuer de sang-froid tes proches ?
- Il faut croire que je suis encore plus détestable que toi, et que ce n'est pas pour rien que j'ai survécu jusqu'ici.
Il rassembla toutes les forces qui lui restaient.
- VOICI VENU LE MOMENT D'EXPIER TES CRIMES !!!
***
Le Lucario s'était jeté en avant. Mais il passa à travers son ennemi.
- Tsst tsst, tu es puissant mais trop sûr de toi !
- Merci, ça ne se reproduira plus...
La lutte fit rage. Aucune des attaques, principalement physique, du Lucario n'atteignirent leur cible. Celle-ci évitait en se dématérialisant sans cesse pour réapparaître dans son dos et lui porter un coup surpuissant. Néanmoins, le Pokémon bleu arriva à repousser toutes les attaques mentales et balaya quelques Ball'Ombre qui manquèrent alors de toucher leur lanceur. La partie semblait presque équilibrée.
Une fois de plus, Teilaste s'était lancé contre son ennemi, qui se téléporta dans son dos. A ce moment, le Combattant envoya la vague noir du Vibrobscur sur le médium, qui fut alors projeté dans les flammes.
- Tu vas me le payer ! hurla-t-il en surgissant tel un démon du feu
Il prépara un Rafale Psy qui se promettait dévastateur. Concentrant toutes ses forces, le Lucario chargea un Aurasphère qui se voulait surpuissant. Il évita d'un bond le rayon multicolore que lui envoya son adversaire et qui rasa une partie du sol, et lança sa boule d'énergie. Celle-ci fit mouche le temps que le Magirêve arrive à localiser où il était, et le spectre fut balayé par la puissance de l'attaque. Avant qu'il ne touche le sol, Teilaste l'attrapa et l'immobilisa en le maintenant fermement entre ses deux bras, dans le dos du Pokémon violet qui en fut ébranlé.
- Mais ? Je n'arrive plus à me dématérialiser !
- Oui, une petite idée de Torm comme quoi une puissante charge d'aura serait capable de solidifier un esprit. Tu es mal barré, maintenant.
Une goutte de sueur perla sur le front du fantôme. L'autre poursuivit.
- Tu connais le principe du Vibrobscur ? Une charge tirant sa force d'idées noires. De sombres pensées. On va rappeler tous les morts que tu as sur la conscience !! Notre dirigeant !
Il lança un Vibrobscur d'une puissance supérieur à ceux qu'il avait l'habitude de faire, à bout portant.
- Mes amis ! Tous les Nésepiens ! Et les Praségistes ! Et tous ceux que tu pensais éradiquer après !
Un autre. Il ponctuait chacune de ses phrases par une attaque supplémentaire. Il était dans un état de fureur qui ne lui était pas coutumier et contrôlait plus sa force. Le maître perdit connaissance suite à la violence des chocs répétés et trop forts pour que son organisme ne puisse les supporter.
Le Lucario relâcha son emprise et le laissa s'effondrer. Il était totalement à plat et était exténué par ce combat qu'il venait de mener.
Il regarda le corps au sol. Etait-il mort ?
Il se dirigea pas à pas vers Faivore et l'aida lentement à se relever.
- Merci. Je... je...
Elle ne se sentait visiblement pas bien. Elle bascula, ses longues jambes vacillantes ne semblaient plus pouvoir la porter. Ses bras tremblaient. Soudain, elle hurla de douleur sans que son ami ne sache quoi faire pour la soulager.
- HAAAAAAAAAAAAAAAAA !
Son cri se perdit dans les cieux. Quand elle se tut enfin, elle ne bougeait plus, semblant fixer le sol. Brutalement, elle releva la tête. Ses yeux étaient désormais couleur jaunâtre, comme ceux du Magirêve, et une sorte d'aura noire et rouge l'enveloppait.
- Nous y voilà enfin... murmurèrent deux voix sortant du même corps.
Teilaste trembla.
***
Parfois, la vie ne tient qu'à un fil. Une facétie du destin, et c'est toute une existence qui est détruite en un instant.
Après avoir expliqué qu'il avait constaté une énorme différence de puissance entre le court combat avec Faivore et le sien, le Magirêve, par le biais du Gardevoir, expliqua qu'il avait eut en tête de prendre possession du corps de la jeune Pokémon afin de pouvoir profiter de l'épuisement du Lucario pour le détruire à jamais, en cas de besoin. Il avait pu y penser car, si la force de Teilaste était de beaucoup diminuée entre les deux combats, c'est que le premier n'était que du vent, et que le Pokémon Psy s'en était sorti indemne. Sa déduction était juste et il pensait gagner le combat. Mais la présence de deux esprits dans la même enveloppe était un statut instable et diminuait leur avantage sur la fatigue de Teilaste, et ils furent en réalité au même niveau.
Le Lucario évitait bon nombres d'attaques, déviant parfois la lame ennemie au dernier moment, mais il n'arrivait pas à se persuader de frapper Faivore quand il en avait l'occasion. Pourtant, elle était totalement possédée, et on voyait que son âme était pervertie rien qu'aux capacités qu'elle utilisait : par deux fois, il avait failli sombrer dans un Trou Noir, et trois Revenant avaient manqué de le frapper par surprise. Un quatrième l'avait même atteint en pleine poitrine avant de le projeter dans une mare de poison créée par un Toxic, et dont il ressortit complètement intoxiqué, ayant absorbé une bonne dose d'acide en y plongeant.
Il n'en pouvait plus. Il s'était battu toute la nuit, et aussi endurant soit-il, il ne pourrait plus tenir. Il était résolu à empêcher son adversaire de bouger plutôt que de la tuer, et enfin en finir avec le Magirêve. Il était haletant et chancelant, n'ayant presque plus d'énergie pour ses capacités énergiques. Soudain, la Comète d'Argent lui frôla l'oreille droite et alla se planter entre deux pierres du mur derrière lui. Il sauta sur l'occasion. Il passa sa Tornade Occulte gauche en mode lanceur de projectile, et visa patiemment le bras de Faivore qui s'évertuait à tirer sur la chaîne d'acier afin de décoincer la lame. De sa précision dépendait sans doute l'issue du combat. Il posa la patte sur la poignée sensée lancer la lame dès qu'il la tirerait et empêcher que le Gardevoir puisse continuer d'utiliser son membre, et donc son arme, s'il l'atteignait. L'alignement était parfait, il donna un coup sec de poignet, un léger déclic se fit entendre et... rien. L'engin était vide, il avait déjà tout lancé. Il se rappela de l'Insecateur dans la tempe duquel était fiché ce dernier bout de métal. Dans un mouvement circulaire, la femelle dégagea la lame et envoya ses chaînes vers le mâle qui n'eut pas le temps d'esquiver.
5 générations s'étaient écoulées depuis leur dernier combat. Mais cette fois-ci, le danger était réel. Les témoins n'étaient pas des tuteurs bienveillants et des élèves hystériques, mais des murs de pierre sombre et des flammes qui léchaient sans cesse leur peau et pelage. Les deux Combattants ne se frappaient plus avec harmonie, mais avec technique et un désir de blesser, sinon de tuer. Ce n'était plus leur avenir qu'ils mettaient en jeu, mais leur survie. Et pourtant, suite à cette erreur de tactique, Teilaste trouva qu'il y avait une sensation de déjà-vu dans cette situation critique.
Dès que les chaînes l'eurent atteint, il se retrouva alors empêtré dans les solides maillons sans pouvoir faire un geste. Quand l'arme eut finit de l'encercler et de l'immobilier, il se retrouva avec la lame sous la gorge et blêmit légèrement. Les deux iris ambre de son ancienne compagne, mélangés à la teinte de ceux de l'assassin qui la possédait, se posèrent sur lui. Il déglutit. Délicatement, la Gardevoir posa sa main sur le manche, passant le bras derrière son cou. Il sentit son souffle tiède et léger sur sa nuque, et la pupille de Teilaste se rétracta.
Tout était fini...
Faivore approcha lentement la tête de son oreille, comme si le Magirêve qui siégeait en son corps voulait lui communique un dernier message avant son acte final. Ses cheveux effleurèrent l'anneau turquoise qui y était accroché. Brutalement, les yeux du Gardevoir redevinrent couleur rubis, le temps qu'elle l'embrasse une ultime fois sur la joue. Tout allait lentement, le temps n'avait plus d'importance. Même le feu semblait danser au ralenti, et les flammes s'élevaient avec grâce et agressivité.
- Gagné... souffla-t-elle en signe d'adieu.
Violemment, l'éclair jaune reprit possession de son regard et la força à tirer sur son bras qui tenait le manche.
Un hurlement de douleur, de tristesse, d'incompréhension et de désespoir emplit les cieux alors qu'une vie s'éteignait et que l'âme de Teilaste s'envolait à tout jamais, détruit par la main impuissante de Faivore.
***
Au même instant, devant l'aurore, une fleur déjà noircie par une âme détruite se fana totalement alors que l'amour qui l'avait fait naître était maintenant anéanti.
***
Faivore était à genoux au sol. Elle avait les épaules qui se soulevaient brutalement chaque fois qu'elle étouffait un sanglot. Elle regardait fixement la lame entre ses mains, tâchée du sang de Teilaste, dont elle tournait le dos à la dépouille. Elle avait perdu la seule personne qui lui restait au monde. Celle qu'elle aimait. Et c'était elle qui l'avait tuée... Elle ne pouvait pas se faire à cette idée. Ce mot... tuer. Elle en comprenait enfin le sens. Et il faisait mal. Très mal.
Face à cette âme en peine, le Magirêve, toujours à terre, lâcha un râle.
- Allez, fit sa voix éraillée, c'est fini, va ! Plus rien ne te retiens dans ce monde, tu pourras me seconder à merveille sans te soucier du lendemain et des autres. Arrête de pleurer...
Elle ravala un sanglot.
- Viens m'aider à me relever, continua le spectre.
Faivore se releva comme elle put, trébucha, retomba à genoux, se releva. Elle arriva devant lui, et quelques larmes perlaient toujours sous ses yeux.
- C'est bon, on s'en va. Aide-moi et tout sera terminé.
Elle cessa de pleurer, petit à petit.
- Donne-moi ta main, fit-il en tendant le sienne.
Elle ne bougea pas. Un temps. Puis elle reprit la parole pour la première fois depuis le meurtre :
- Teilaste avait oublié trois morts tout à l'heure, quand il a failli te tuer, lâcha-t-elle d'une voix neutre, malgré son bras tremblant qui tenait toujours sa Comète d'Argent.
- Oui, c'est vrai, il ne s'était pas compté, ricana l'autre, toujours cloué au sol par ses forces qu'il tentait de rassembler pour se relever. Mais qui sont les deux autres ? reprit-il.
- Toi...
- Comment... ?
Il ne finit jamais sa phrase. Dans un mouvement rageur, la Gardevoir fit un mouvement du bras, qui entraîna la chaîne et qui projeta alors la lame dans le cœur impie de son maître qui l'avait manipulée. Celui-ci émit un gargouillis immonde en trépassant, de l'écume s'accumulait au niveau de sa bouche et ses deux yeux perdirent leur éclat perfide. Tout se passa très vite, et Faivore ne fut pas plus perturbée par son acte que si elle avait fait quelque chose de tout simplement naturel.
- ...et moi, acheva-t-elle.
Puis elle le laissa dans cette position, fit quelques pas vers la sortie sans lui jeter ne serais-ce qu'un regard. Elle disparut dans le néant, emportant le souvenir du Lucario dans son cœur, seul endroit où il demeurerait à jamais vivant.
***
Toute la région fut ébranlée par la nouvelle. Le fait d'apprendre que ses deux plus prestigieuses guildes de Combattants se soient entre-tuées bouleversa la populace, qui devait désormais s'en remettre à Tacambta, la seule restante et qui comptait un effectif tout de même très élevé. La paix revint peu à peu, sans que les habitants ne constatent rien de très différent par rapport à avant, en fait. Seule une âme perdue ne savait plus où était sa place et errait là où la menait ses pas.
Il ne se passera plus rien d'étrange dans ce monde avant plusieurs centenaires.
Rien que la population aurait pu voir, en tout cas.
Car, dans une petite abbaye fréquentée par bon nombre d'apprentis Combattants, on vit un jour passer un esprit en peine pourtant rayonnant de pureté. Une femelle se glissait sans bruit dans les corridors comme si elle les avait arpentés pendant des années, et alla dans le petit jardin à l'arrière. De là, elle admira un instant les montagnes, avant de regarder à ses pieds la fleur noircie et fanée qui demeurait ici après avoir passé toute une Saison Morte dans la neige. Elle se pencha doucement, et la caressa délicatement. Au fur et à mesure que sa main glissait sur ses pétales, ceux-ci commencèrent à éclore une seconde fois, et la couleur de l'ombre se dissipa peu à peu pour laisser place à un éclat ivoire, lui rendant la vie. La nostalgie, la tristesse et la mélancolie emplirent l'âme immaculée, qui laissa alors tomber une larme au cœur de la plante. Sur sa surface se dessinèrent alors de longues arabesques saphir et céladon. Emue, sa main cueilli ce bijou de la nature et glissa lentement sa tige dans la vague émeraude de sa chevelure, près d'un bel anneau bleuté. Dessus étaient gravés ces mots que l'ombre blanche se remémora en disparaissant avec le crépuscule pour ne plus jamais réapparaître.
« Unis...
... pour l'éternité. »