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Le souvenir d'Evelynn [One-Shot] de S3phiroth



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» Auteur : S3phiroth - Voir le profil
» Créé le 15/03/2011 à 02:00
» Dernière mise à jour le 07/11/2012 à 11:53

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Le souvenir d'Evelynn
Aujourd'hui encore, je me réveille en me demandant si mon histoire est bien la mienne, s'il ne s'agit pas d'une chimère inventée de toutes pièces par mon esprit déboussolé. Cependant, le foisonnement de détails que mes souvenirs me renvoient de ce lieu, de cette époque, de cette vie, ne peut être issu de mon imagination. Je ne me rappelle que trop bien du noir veiné d'argent des pierres de l'imposant château de Rive-Mer, juché sur le bord de la falaise qui surplombait la baie.

Derrière le château, du côté des terres, s'étendaient de vastes plaines herbues jusqu'aux collines qui vallonnaient l'horizon ; serpentait dans ces plaines une route mal pavée jusqu'à la plage par un chemin moins escarpé que les abruptes falaises. Je n'ai presque aucun souvenir de l'époque où je vécus dans le bourg côtier de pêcheurs et d'artisans, si ce n'est de vagues odeurs de magicarpes grillés, d'iode et d'algue.

Les réminiscences ataviques s'achèvent brusquement ce soir-là, où mes souvenirs sont, depuis, d'une précision qui me laisse presque songeuse quant à leur authenticité. C'est lors de cette nuit où il pleuvait à verse qu'un homme barbu, grisonnant, à la poigne inexorable, m'emmena, de force ou de gré, je ne sais plus, jusqu'au château de Rive-Mer. Je me souviens parfaitement des grandes et lourdes portes de bois sur lesquelles il frappa violemment le heurtoir en criant : « Ouvrez-moi ! J'apporte la bâtarde du Prince ! »

La violente averse s'était réduite à une légère bruine qui me fit soudain prendre conscience de combien mes vêtements trempés pesaient lourdement sur mes frêles épaules d'enfant. Je grelottais et n'osais pas me plaindre alors que le garde méfiant qui venait d'ouvrir les portes demandait à l'homme qui m'avait amenée jusqu'ici l'objet de sa venue.

« Ça fait sept ans que je la nourris ! Sept ans que je risque ma vie en mer pour remplir son auge. Entre sa mère et le reste de ma famille, je ne peux plus m'occuper d'elle. Alors que son père s'en occupe, lui ! » Il me lâcha enfin la main et je m'effondrai sur les pavés glissants, transie de froid et de peur que j'étais ; il tourna les talons et s'en alla sans plus de cérémonies.

« Mais elle est de qui, c'te môme ? » demanda le garde sans véritable intérêt ; peut-être devait-il penser au rapport qu'il adresserait à ses supérieurs.

Sans se retourner ni s'arrêter, le vieil homme répondit narquoisement : « Du Prince Marcus, bien sûr ! De quel autre descendant royal sans morale voulez-vous qu'elle soit ? Avant de songer à écarter les envahisseurs de nos côtes, il devrait plutôt faire montre de plus de discernement quant aux paires de jambes qu'il y écarte ! »

Et il fut avalé par la nuit et la pluie qui se remit à tomber drue. Je cru entendre le garde soupirer derrière moi. Il me souleva d'une seule main sans effort et me poussa derrière les portes qu'il referma et verrouilla. Malgré les quelques torches qui brûlaient sur les murs du couloir qui se prolongeait devant moi, je n'arrivais pas à me réchauffer. Mes pieds nus souffraient de leur contact avec les pavés glacés, et l'impression de chaleur que procure la pluie lorsqu'elle cingle la peau s'était estompée pour ne plus laisser que le froid mordant de mes vêtements détrempés sur ma peau.

Le garde m'attrapa fermement le menton et me dévisagea comme s'il examinait la dentition d'un caninos.

« Sacrebleu ! C'est vrai que tu tiens du Prince Marcus ! T'as l'même nez et l'mêmes yeux que lui. Y va pas être content quand il va voir ça ; j'ferais mieux de t'amener directement voir le roi. » Je ne donnai aucune réponse ; de fait, il n'en demandait pas.

Bien qu'aujourd'hui je connaisse les dédales et méandres du château par cœur, je n'arrive toujours pas, même après moult efforts de mémoires, à me rappeler le chemin que le garde nous a fait emprunter ce soir-là pour nous conduire jusqu'aux appartements du roi. Sans doute le froid et l'incompréhension ont-ils occulté le trajet de mon esprit.

Alors qu'il s'apprêtait à heurter l'huis, le garde retint son geste et me regarda d'un œil critique ; une moue se dessina sur ses lèvres à la vue de mes vêtements grossiers et en mauvais état. Il essaya néanmoins d'arranger mes cheveux mouillés en les coiffant en arrière afin de me dégager le visage et de me rendre, dans la mesure du possible, plus présentable.

Il frappa enfin le pan. J'attendis un long moment avant que le garde ne se décide à frapper une seconde fois. Cette fois, la réponse fusa ; une voix forte et souveraine porta jusqu'à nous d'un ton peu amène : « Venez. »

Le garde se redressa, ouvrit la porte et me fit entrer en me poussant. Après avoir refermé derrière lui, il se redressa et salua d'un respectueux hochement de tête un homme grisonnant, dans la force de l'âge, assis dans un cossu fauteuil : « Votre Majesté ».

Je dus cligner plusieurs fois des yeux avant qu'ils ne s'habituent à la lumière des innombrables torches, bougies et candélabres qui éclairaient la pièce. La chaleur qui y régnait n'avait d'égale que les frimas du couloir. Mes pieds foulaient désormais un épais tapis de laine et, dans un coin de la pièce, une grosse flambée brûlait dans un âtre de cheminée et dégageait une odeur de résine. Je ressentis des picotements dans mes orteils et mes doigts, et tous les muscles de mon corps se détendirent.

« Qu'y a-t-il, Simon ? » demanda l'homme aux cheveux gris en me regardant.

Me sentant l'objet de toutes les attentions, je m'extirpai de ma confortable léthargie pour embrasser la scène du regard. En plus du garde et moi, trois personnes étaient dans la pièce. L'homme qu'à l'époque je qualifiais de vieux mais qui, je le sais aujourd'hui, n'avait que quarante-cinq ans ce soir-là, avait une longue crinière de cheveux gris et blanc et une barbe en pointe au menton, toutes deux soigneusement taillées. Il portait une lourde cape ornée d'un Luxray stylisé par-dessus son pourpoint incrusté de joyaux et aux boutons de nacre ; ses bottes de cuir étaient propres et lustrées du jour. Toute sa mise inspirait l'élégance, la force et le pouvoir.

Cependant, l'homme grisonnant semblait fatigué, tout le contraire du jeune homme brun au teint halé par le grand air qui se tenait à ses côtés. Lui aussi avait une cape, mais bien plus courte et de facture plus sommaire que celle de son ainé. Il était vêtu d'une armure de cuir frappée d'un Luxray en relief et richement décorée, mais ses bottes du même matériau étaient toutes crottées. Une épée dans un fourreau ceignait son flanc. Son regard agressif aux yeux verts irradiait de méchanceté.

En face des hommes se tenait, sereine, son visage pâle aux traits tranquilles, ses yeux verts émeraude au regard vif mais bienveillant, ses longs cheveux noir de jais tombant, lisses comme la soie, sur ses fines et indéfectibles épaules couvertes d'une simple robe de laine blanche piquée d'un Luxray sur son épaule droite, mon amie, ma sœur, ma Reine, Sophia, du haut de ses tout juste treize printemps.

L'intensité du souvenir m'émeut toujours autant. Les doutes que je nourris quant à son authenticité me semblent infondés aussitôt que je me la rappelle. Peut-être espérais-je inconsciemment que tout cela n'ait jamais existé, ainsi n'aurai-je pas à regretter cette vie.

« Messire, un vieil homme vient de m'apporter cette petite à l'instant. C'est la bâtarde du Prince Marcus, qu'il a dit », annonça le garde avec déférence.

« - Comment osez-vous corroborer pareille calomnie, Simon ! » Le jeune homme brun criait, outré, et prêt à se jeter sur le pauvre soldat déconfit. « Je pourrais vous faire tuer pour pareille lèse-majesté ! »

« - Calme-toi, Marcus », souffla l'homme grisonnant en se pinçant l'arête du nez.

« - Mais enfin, père ! Vous n'allez tout de même pas le croire !? Êtes-vous donc si aveugle que... »

L'homme épuisé se leva subitement de son fauteuil et, en un éclair, toute impression d'épuisement ou de fatigue disparut de sa physionomie. Marcus recula d'un pas.

« - N'oublie pas à qui tu t'adresses, Marcus ! En plus d'être ton père, je suis ton Roi ! Ne commets pas à mon égard les mêmes erreurs de jugement que tu t'es permises aujourd'hui contre les envahisseurs. » Une aura de pouvoir absolu émanait du roi et fit baisser la tête à l'impétueux Prince Marcus. Sophia, sereine en toute situation, continuait de me dévisager avec la même curiosité enfantine.

« Elle a nos yeux, père ». Ce fût la première fois que j'entendis sa voix. Grave et mélodieuse, son intonation était ferme, son élocution limpide.

Le roi s'approcha de moi à grandes enjambées furieuses et me regarda du haut de son imposante stature. Malgré la colère contenue qui emplissait son regard vert-de-gris, je ne pus m'en détourner tout comme je n'arrivais à m'y soustraire ; j'étais comme hypnotisée par cet homme.

Il ferma douloureusement les yeux à l'issue de son examen.

« Laisse-nous, Simon, et sois discret », ordonna-t-il. Le soldat répondit à l'injonction par « votre Majesté », salua son roi et s'en fut silencieusement.

« Aucun doute possible, elle est bien de notre sang », dit le roi. A cette affirmation, mon regard passa de Sophia à Marcus, puis revint se poser sur Sophia qui me regardait avec un petit sourire sur les lèvres.

« - Impossible, père ! Je n'aurais jamais fait cela à la couronne, et vous le savez. »

« - Non, Marcus, je ne le sais pas », fit le roi d'une voix grondante en se tournant vers son fils. « En revanche, je sais qu'il ne s'agit pas de la première fois que ta virilité connait des égarements ! »

« - Enfin, père ! Comment pouvez-vous... »

« - Silence, Marcus ! Ne me prends pas en plus pour un imbécile ! Crois-tu que je ne t'ai pas vu emmener une jeune fille du peuple dans ta couche lors de la fête du Printemps de ta vingt-et-unième année ? Pourquoi crois-tu qu'elle ne soit jamais venue se plaindre de son ventre rond apparu quelques mois à peine après ce soir-là ? J'ai dû payer, Marcus ! Soudoyer sa famille, corrompre mon peuple afin d'éviter les rumeurs. Combien d'autres femmes du peuple as-tu encore été engrosser ? S'il y a une personne dans cette pièce qui puisse être accusé de faute envers la couronne, c'est bien toi, Marcus. »

A mesure que le roi parlait, il se rapprochait inexorablement du Prince Marcus ; à mesure que sa voix tonnait crescendo, je rentrais davantage ma tête dans mes épaules, effrayée par les cris. Sophia posa sa main délicate sur mon épaule trempée et me conduisit auprès de l'âtre de cheminée sur les pierres chaudes duquel je m'assis. Elle resta debout à mes côtés, et je posai ma tête contre sa cuisse sans qu'elle ne me reproche de mouiller sa robe. La connaissant, je pense même qu'elle n'y fit pas attention.

« Maintenant, sors de cette pièce, Marcus. Va chercher Simon et amène-le ici. »

« - C'est de ma fille dont il s'agit, père ! Et je suis le prince. Que diraient les gens du château s'ils me voyaient jouer les hérauts ? »

La brusquerie du bruit cinglant me fit sursauter. J'ouvrai les yeux en m'éveillant de ma torpeur pour voir le roi, la main figée en l'air, Marcus se tenant la joue, ébahi.

« - Tout le peuple de Rive-Mer aura bien plus matière à ragoter sur le massacre que tu as perpétré aujourd'hui que sur la teneur des messages que tu délivres au château ! Et ne feins pas aussi lamentablement de te préoccuper du sort de cette petite. Obéis, Marcus ! »

Le prince ôta sa main de sa joue meurtrie et quitta la pièce d'une démarche boudeuse, la mâchoire crispée, les yeux embués de larmes. L'agréable chaleur du feu dans mon dos avait presque fini de sécher mes vêtements, et lutter contre le sommeil devenait de plus en plus difficile. Les caresses maternelles que me prodiguaient Sophia ne faisait que m'assoupir davantage.

« Qu'allez-vous faire d'elle, père ? Vous n'allez tout de même pas l'abandonner ? Ou pire encore... » le ton inquiet de Sophia me fit rouvrir les yeux et, pour la première fois ce soir-là, je pris conscience de l'incertitude de mon sort.

« - Non, bien sûr que non, Sophia. Tu sais bien que je ne suis pas homme à agir de la sorte ; cela m'amène à me demander de qui Marcus tient ce comportement barbare. » Le roi se tut et réfléchit en tortillant sa barbe. « Je pense que la meilleure solution, pour nous comme pour elle, est que nous ne soufflions mot à personne de son lien de parenté avec notre lignée. J'enverrai quelqu'un verser un généreux tribut à sa mère pour son silence dès demain. Quant à Simon, il est un soldat des plus dévoués ; je sais qui si je lui dis de n'en souffler mot à personne, il saura garder sa langue. »

« - Mais qu'allez-vous faire d'elle ? »

« - Le moyen le plus sûr de garder notre assise sur ses faits et gestes est de la faire travailler ici-même, au château. Nous l'éduquerons et prendrons soin d'elle en la faisant devenir servante, commise, ou encore intendante. J'ai encore besoin de temps pour réfléchir à la meilleure position sociale à lui faire adopter. »

« - Et pourquoi ne deviendrai-t-elle pas ma proche-servante, ma femme-lige ? L'éducation de pareil serviteur, voire même confident, commence dès leur plus jeune âge. De plus, l'avoir en permanence à mes côtés permettrait une bien plus étroite surveillance de ses activités. »

« - Sans compter que tu as toujours voulu avoir une sœur, Sophia », signifia le roi à sa fille.

Sophia répondit en affichant un large sourire sur ses fines lèvres roses. La chaleur de sa compagnie me réconfortait encore plus que celle du feu de cheminée et, dans mes rêveries naissantes, je me réjouissais déjà à l'idée de savoir que je resterai à ses côtés.

« Comment t'appelles-tu, petite fille ? » me demanda-t-elle chaudement.

Je lui répondis d'une voix ensommeillée et bien moins audible que ce à quoi je ne m'attendais : « Evelynn ». Mais elle me comprit, et me sourit comme seules d'ordinaire les mères sont capables de sourire à leur enfant bien-aimé.

« - Très bien, Evelynn. A partir d'aujourd'hui, je promets que je prendrai le plus grand soin de toi, que tu ne manqueras de rien, et que je ne laisserai personne te faire de mal. »

Et elle tint parole, au-delà de toute espérance.

*
* *

Quand je me réveillai le lendemain, j'étais dans un grand lit moelleux aux épaisses couvertures. Après ce matin-là, les évènements s'enchainèrent rapidement, avec juste ce qu'il fallait de brusquerie à une enfant de sept ans pour adopter un nouveau quotidien avec naturel et désinvolture.

Les adorables robes de servantes à la dentelle bouffante et aux tissus raffinés devinrent mes tenues de tous les jours, et partout où la Princesse Sophia allait, j'allais aussi, sauf lors des leçons d'écritures et de calculs, de maintien et d'étiquette que les professeurs du château me prodiguaient avec patience et pédagogie. D'ailleurs étais-je une élève douée et attentionnée, selon mes instituteurs ; sans doute mon enfance sans éducation avait-elle suffisamment affamé ma curiosité pour m'amener à dévorer toute connaissance susceptible de la sustenter.

Ainsi s'acheva mon enfance : dans l'enseignement, les livres et les bonnes manières, dernières matières que Sophia était bien la seule à pouvoir m'inculquer sans rigueur ni discipline exacerbées. Ses manières étaient toujours impeccables, et elle ne me reprochait jamais mes écarts de conduite ni d'étiquette lorsque j'en commettais ; elle se contentait de me regarder, amusée, et me montrait simplement, sans dire mot, la façon dont il fallait s'y prendre. L'exemple est le meilleur des enseignements.

Un jour de ma douzième année, alors que nous étions en tête à tête, je demandai à ma princesse la raison pour laquelle le peuple, et même les soldats, en voulaient au Prince Marcus. Elle m'expliqua que, le jour de mon arrivée au château, son frère avait livré bataille sur nos côtes nord afin de repousser les Uniques, envahisseurs acharnés qui, de tous temps, n'avaient jamais eu de cesse de tourmenter les rives de Sillon, et tout particulièrement celles du duché de Rive-Mer. Lorsque le prince alla à la rencontre des barbares qui venaient de mouiller sur nos côtes, il n'annonça ni sommation, ni pourparlers. Il ordonna qu'on donne l'assaut contre ces ennemis dits implacables.

Le Roi Lyam – j'appris rapidement le nom de l'homme grisonnant qui avait décidé de mon sort – avait toujours souhaité proposer une trêve à ces assaillants de la mer afin de leur soumettre des alliances commerciales qui, il le savait, auraient très certainement pu les intéresser. Mais le Prince Marcus préféra la manière forte, brutale, barbare même, et envoya ses hommes à peine supérieurs en nombre au massacre, d'où le nom attribué à cette bataille par le peuple et les soldats du roi.

Peu de nos hommes survécurent à ce combat, mais heureusement, les mauvaises conditions d'hygiène et d'alimentation de la longue traversée des Uniques avaient épuisé ces derniers, sans quoi il ne fait aucun doute qu'ils marcheraient aujourd'hui dans l'enceinte du château au sommet duquel battrait au vent le polagriffe de leur étendard sur fond rouge et blanc.

Mais le Prince Marcus arguait que cela leur avait servi de leçon, que plus jamais les ennemis n'oseraient envahir nos côtes ; de fait, nous ne les avions pas revus depuis le massacre.

C'est aussi en cette même année, un bien triste jour, que le Roi Lyam décéda d'une violente maladie. Tout Rive-Mer s'endeuilla sincèrement pour son souverain bien-aimé. Je ne connus jamais la reine qui fut la mère de Marcus et Sophia pour la bonne raison qu'elle était déjà morte lorsque j'arrivai au château. Le peuple pleurait son roi, mais pas Sophia.

La nuit qui suivit l'incinération du corps de son père, Sophia m'avoua être heureuse pour lui, car il allait enfin pouvoir rejoindre sa reine qu'il aimait tant. Je trouvai une touchante philosophie en ces mots, comme dans toutes les leçons de vie, de cœur et d'esprit que m'énonçait la Princesse Sophia.

C'est ainsi que Marcus se vit subitement propulsé sur le trône à devoir saisir les rênes du pouvoir de ses mains malhabiles.

Le peuple ne le portait guère dans son cœur, et les décrets drastiques ainsi que la hausse des impôts n'arrangèrent en rien cet état de fait. A ses débuts, le Roi Marcus investissait la grande majorité des recettes et du trésor dans la défense de notre duché : tours de guets et sentinelles se multiplièrent tout au long des frontières terrestres ainsi que du littoral ; les patrouilles de soldats s'intensifièrent dans nos rues et sur nos routes, et bientôt plus aucun commerçant n'eut à se plaindre de vol à l'étalage, ni d'ennuis causés par les voleurs de grands chemins.

Mais au fil de son règne, le Roi Marcus en vint à s'entourer d'une cour de plus en plus intéressée par ses richesses et son esprit festif. Lors de ma quinzième année, la Princesse-servante Sophia me confia que plus de la moitié des dépenses du roi se faisait en l'achat de bonnes chairs, de vins coûteux, ou encore de drogues à fumer. Le roi ne s'occupait plus de son royaume mais semblait s'évertuer à organiser les fêtes les plus amorales et débauchées de tout Sillon. Et malgré le nombre croissant de femmes qui partageaient sa couche, jamais il ne jeta son dévolu sur aucune d'elles plus d'un soir, tant et si bien que, lorsqu'il mourut d'un coup de sang lors de ma seizième année, il n'y avait nul héritier à asseoir sur le trône pour lui succéder.

Ce fut donc à Sophia, la Reine Sophia, de faire valoir sa prétention sur la ligne de succession du trône du duché de Rive-Mer.

Prévoyante et réfléchie, Sophia s'était, elle, déjà mariée à un aimable et charmant duc d'un fief de Vert-Champs, le seigneur Dante.

A la mort du Roi Marcus, Dante devint donc Roi-servant de la reine en attendant que la progéniture que lui et la Reine Sophia allait engendrer soit en âge de gouverner. Mais après toute une année de conception infructueuse, le ventre de Sophia ne grossît pas. Inquiète pour sa fertilité, elle décida de demander son avis à la sage-femme du château. La reine ne me cacha pas la teneur des observations de la vieille femme :

« Evelynn, je suis inféconde », m'annonça-t-elle en sanglots.

*
* *

Cette nuit est la nuit qui marqua le plus ma mémoire après celle de mon arrivée au château. Le seigneur Dante se tenait au-dessus de moi, nu, et pratiquait des va-et-vient entêtants en mon sein en essayant, du mieux qu'il pouvait en la situation, d'éviter tout contact avec ma peau nue. Il était bel homme, doué et expérimenté dans les plaisirs de la chair, et je me complaisais à apprécier la position dans laquelle je me trouvais en enviant la chance qu'avait la Reine Sophia de partager sa couche avec pareil partenaire.

A l'époque, j'eus honte lorsque cette pensée effleura mon esprit, et aujourd'hui encore je me sens sale rien que de n'avoir songé à prendre du plaisir en compagnie de l'époux de ma reine. Je reconcentrai mon attention sur mes devoirs et me mit à bouger mes hanches au rythme de celle du seigneur Dante afin d'accélérer la venue de l'issue de cet échange.

Deux mois avant cela, la Reine Sophia m'avait confié son infertilité et, par conséquent, son incapacité à offrir au peuple de Rive-Mer un héritier de sang royal. La sage-femme de la reine lui fit prendre moult décoctions et infusions afin d'améliorer son état, mais rien n'y fît ; la graine de la fécondité ne prit jamais en son sein.

C'est alors qu'elle demanda à me voir un soir, en compagnie de son époux. Tous trois calfeutrés dans la chambre nuptiale royale, le Reine Sophia m'annonça à voix basse, la gorge serrée :

« Evelynn, ma femme-lige, depuis que tu es entrée dans ma vie, je n'ai jamais rencontré personne en qui ma confiance puisse être mieux placée. Bien plus que de confiance, je devrais parler de dévotion en ton endroit. Mais aujourd'hui, c'est un sacrifice que je souhaiterais te demander. »

Ses yeux étaient embués de larmes, et sa voix éraillée. Le seigneur Dante ne disait rien et gardait la tête basse, le regard rivé sur ses genoux, gêné.

« Je ne t'oblige nullement à faire ce sacrifice, mais sache que de ton accord ou de ton refus dépend peut-être l'avenir du trône de Rive-Mer. »

« - Qu'importe la pénibilité de la tâche que vous me confierez, ma reine, ni même l'humiliation encourue, je vous promets que quelle qu'elle soit, je l'accomplirai pour vous. » Sophia avait toujours était bonne envers moi ; elle m'avait élevée au rang d'amie et de confidente bien plus que de servante. Si nos rôles avaient été échangés en cette nuit-là, je sais qu'elle aurait accepté avec la même abnégation dont je fis preuve ce qu'elle s'apprêtait à m'annoncer.

« - Evelynn, je souhaite que tu portes l'héritier du trône de Rive-Mer et l'enfant de Dante. »

Je me figeai. Avais-je mal entendu ? J'avais peur et même honte d'accepter cette union qui impliquait un rapport charnel avec l'époux d'une autre, celui de Sophia qui plus est. Mais lorsque j'y repense aujourd'hui, que j'y réfléchis avec ma seule raison sans y mêler la moindre émotion, je comprends parfaitement le cheminement de sa pensée. J'étais la personne qui lui était la plus dévouée, mais aussi qui avait le plus de ressemblance physique avec elle, car je partageais une partie de son sang ; personne ne pourrait donc faire la différence entre le enfant qu'elle aurait pu avoir et celui que je lui donnerai.

A son nom, Dante releva la tête et je croisai son regard hésitant, presque honteux. Mais c'est avec noblesse et rigueur qu'il se leva et me dit en me regardant droit dans les yeux :

« - J'accomplirai mon devoir envers la couronne en vous causant le moins de déshonneur possible, à vous comme à mon épouse. » Son regard n'exprimait nullement le désir ni l'envie, seulement un sens froid du devoir.

« - Comme je vous l'ai déjà dit, ma reine, j'accepte ce sacrifice. Je porterai votre enfant à tous les deux et vous restituerai l'héritier du trône dès sa naissance » dis-je solennellement, un genou en terre, la tête baissée en signe de respect et d'assentiment. En vérité, j'éprouvai à ce moment-là un honneur indicible que jamais je n'avouai à ma reine. Je n'étais pas fière de partager ma couche avec son époux le roi-servant, mais l'honneur que porter l'enfant de ma Reine Sophia en mon sein me procurait, valait le petit sacrifice qu'était l'offrande de ma virginité sur l'autel de la perpétuité de lignée royale.

Alors, à ce moment-là – je crois que ce fut ce soir-là que le comble du bonheur me submergea, aucunement ces deux autres nuits que je vous ai contées – la Reine Sophia s'agenouilla devant moi et me serra dans ses bras. Elle pleura, de bonheur ou de dépit, je ne saurais le dire, dans mon giron et chuchota : « Merci, Evelynn. Merci beaucoup. » Je pleurai moi aussi sur son épaule.

Mais le soir où je dus m'unir avec l'époux de ma reine, je restai impassible, attelée à consommer le plus neutralement possible la promesse que je lui avait fait. Pas une seule fois le seigneur Dante et moi n'échangeâmes un regard, et je me félicite de ne pas avoir pris plaisir avec l'homme de ma reine car, de fait, c'est le sentiment du devoir accompli et du service rendu à une amie qui me réjouit le plus cette nuit-là.

Le seigneur Dante et moi ne dûmes nous unir qu'une seule fois avant que mon ventre ne commence à s'arrondir. A ce moment-là, lorsque ma grossesse ne put plus être cachée aux yeux de la cour, Sophia prétexta auprès des gens du château qu'elle allait voir une femme capable de rendre la fécondité à n'importe quelle femme aux abords des pics du frimas, et qu'elle n'en reviendrait que lorsque elle aurait enfanté un héritier. En vérité, elle me conduisit jusqu'à une adorable chaumière de campagne loin de tout et me tint compagnie pendant les neuf mois qui suivirent.

Ce furent neuf mois merveilleux. Elle s'occupa de moi avec la même bienveillance que moi lorsque je prenais soin d'elle au château ; je ressentis de la honte à la voir dans pareil rôle de servante, bien entendu, mais elle m'interdit de ressentir la moindre culpabilité car, après tout ce que j'avais fait pour elle, c'était le moins qu'elle puisse faire, m'avait-elle dit.

« Et puis, c'est ma façon à moi de m'occuper de mon bébé », m'avoua-t-elle un soir au coin de la cheminée en souriant chaleureusement, alors que nous partagions une tasse de thé. Elle ne s'adressait plus à moi comme si j'étais sa femme-lige ni comme si elle était une reine ; elle me voyait comme une inséparable amie, comme une sœur même. Parfois, elle me faisait part des regrets qu'elle avait lorsqu'elle repensait à la distance que sa position avait dû mettre entre nous. Mais elle finissait toujours par sourire en concluant qu'aujourd'hui le destin nous avait réunies.

« Tu es l'émissaire du destin », me confia-t-elle le jour où je mis au monde l'enfant qui allait être le sien.

L'accouchement se déroula sans difficulté, et le petit garçon était en pleine forme. Après l'avoir couvert de langes brodées de l'écusson royal au luxray, Sophia m'obligea à le prendre dans mes bras alors que je me remettais à peine des efforts de sa naissance. Je refusai, lui rappelant que ce devait être elle sa mère, et que plus tôt elle s'y habituerait, mieux cela vaudrait ; mais elle me le posa sur la poitrine en me disant qu'il allait bien falloir qu'il mange quelque chose. Je me sens sotte en le racontant de ne pas y avoir pensé à l'époque.

« Quel nom désires-tu lui donner, Evelynn ? »

« - Mais enfin Sophia, c'est votre enfant, votre prince ! Je ne me permettrais pas d'influencer votre choix en lui choisissant un nom peu seyant pour un roi », avais-je répliqué, apeurée que j'étais à l'idée de nommer le futur roi.

« - C'est toi qui lui a donné la vie, Evelynn. Il est dans ton droit, et même de ton devoir, de lui donner un nom. Quel qu'il soit, je suis sûr qu'il le portera bien et qu'il lui fera honneur en devenant un bon souverain. Et puis, je suis ta reine après tout. Je ne te laisse pas le choix », s'amusa-t-elle de sa position, comme une jeune fille s'amuse des attentions d'un jeune homme au bal du Printemps.

« - En ce cas, je le baptise Erik. »

Même aujourd'hui, je ne sais d'où me vint ce prénom. J'ai beau me repasser en mémoire toutes les personnes que j'ai pu rencontrer dans le château comme en dehors, je n'ai nul souvenir d'avoir jamais rencontré d'Erik. Peut-être est-ce une personne que j'ai connu lors de ma petite enfance mais que mon trop jeune âge ne m'a pas permis de me rappeler.

Quand nous rentrâmes au château, le bébé avait presque deux mois, et le seigneur Dante avait dirigé le duché de Rive-Mer de main de maître. Nul grain de sable ne s'était immiscé dans les rouages de sa politique, ce qui permit à Sophia de repousser ses devoirs de reine à plus tard afin de passer du temps avec Erik. Elle m'invitait souvent à leur tenir compagnie, et nous commérions ensemble comme deux vieilles amies.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes... jusqu'à leur arrivée.

*
* *

Ils débarquèrent à l'aube. Erik avait six mois.

Malgré les nombreuses tours de guets qui étaient postées le long des côtes, les Uniques ne mirent pas longtemps avant de mettre à sac le village de pêcheurs qu'il y avait au pied du château.

Depuis leurs bateaux, les Uniques tiraient de meurtrières et destructrices pluies de roches sur le château grâce à des catapultes installées sur les ponts. Même les tours les plus solides ne résistèrent pas à pareil traitement et s'effondrèrent pierre par pierre sur le sable humide au pied des coteaux. Ce n'était plus qu'une question de minutes avant qu'ils ne soient à nos portes.

« Ma reine, monseigneur, je vous en conjure, fuyez tant qu'il en est encore temps ! Prenez la monture la plus rapide de l'écurie et fuyez vers les terres. N'y a-t-il pas moyen de trouver refuge au sein de votre contrée natale, seigneur Dante ? » bombardai-je ma reine de questions. « Prenez le petit Erik et partez ! C'est le seul moyen de préserver le seul héritier de Rive-Mer. Ne le perdez pas pour un vulgaire château de pierre et de bois » les suppliai-je.

« - Tu as raison Evelynn ! Partons le plus vite possible, Dante ! »

« - Ma reine ! Les ennemis ont percé l'enceinte du château. Ils ne vont pas tarder à se répandre dans vos appartements alors fuyez, ma reine ! » annonça un garde qui repartit aussitôt, l'épée au clair.

« - Il n'y a plus de temps à perdre, mon épouse. »

« -Je vous accompagne ! » décidai-je impétueusement. Je pris le fourreau d'une petite épée qui était accrochée au mur de la chambre de Sophia et la tirai au clair, prête à m'en servir ; les leçons d'escrimes me seront donc utile, me dis-je.

Je précédai Dante et Sophia dans le dédale de couloir que nous empruntâmes en courant jusqu'à la sortie Est du fort. Nous passâmes sous une arche de pierres et firent irruption juste à côté de l'écurie. Mais trois Uniques nous attendaient en dehors des boxes ; sans doute s'apprêtaient-ils à décimer tous les galopas et les zeblitzs afin que personne n'en réchappe.

Soudain le sang battit fort contre mes tempes, et ma poigne s'affermit autour de mon épée. J'adoptai une posture défensive comme un premier assaillant se jeta sur moi en vociférant. Il m'asséna un violent coup de son épée longue mais je parvins à enrouler ma lame autour de la sienne afin de la dévier et je passai sous sa garde pour l'embrocher. Alors qu'il succombait à sa blessure mortelle dans un immonde gargouillis de sang, les deux autres me firent face pour venger leur frère sans tenir compte de Sophia ni de Dante.

« - Foncez ! Prenez des montures et fuyez aussi loin que possible ! Je vous rejoindrai dès que possible ! » assurai-je à mes protégés en pensant aussi fort à ma reine qu'à son enfant.

« - Non ! Pas sans toi, Evelynn ! » supplia Sophia.

« - Partez ! Maintenant ! D'autres arrivent ! » leur lançai-je avec une autorité que je ne me connaissais pas. Puis, les deux Uniques chargèrent. Je parvins à endiguer la menace en parant habilement leurs coups grossiers, mais ils étaient plus forts et plus endurants que moi ; si je ne les tuais pas rapidement, ils m'auraient à l'usure.

« - Nous attendrons ton retour ! » crièrent Sophia et Dante alors qu'ils partaient tous deux sur le même zeblitz.

Je me souviens encore du regard éperdu que m'adressa Sophia avant que la distance ne me permit plus de distinguer son visage. Ce bref instant de confiance me ragaillardit et je recentrai mon attention sur le combat.

Mon adversaire m'attaqua de front d'un puissant coup de taille ; je le parai, déviai la lame et lui entailla mortellement l'aine alors que le second tenta de m'avoir de côté d'un coup d'estoc ; il en fut mal inspiré car j'enroulai sans difficulté mon épée plus légère autour de la sienne et l'acheva en enfonçant ma pointe dans sa gorge. Un copieux flot de sang se déversa de la plaie et il s'effondra, tout comme moi...

Mes forces me quittaient et le côté droit de mon corps était tout engourdi. En regardant mon flanc, je vis que toute ma hanche avait été entaillée ; mais quand ? Sans doute que le coup de taille précédent avait-été plus fort que prévu.

Je perdais beaucoup de sang et ne sentais déjà presque plus mes jambes. Je m'efforçai de ramper vers les écuries, mais je dus m'arrêter sous le chambranle de l'arche pour reprendre mon souffle.

« Ma reine. Ma Sophia. J'espère que votre vie sera longue et heureuse, tout comme celle d'Erik », soliloquai-je dans un faible soupir. Mon esprit s'échappait de mon corps au même rythme que mon sang de mes artères. Je glissai peu à peu dans l'inconscience lorsque soudain, je fus réveillée et assourdie par un choc sourd qui ébranla le mur contre lequel je m'appuyais.

Le projectile d'une catapulte avait frappé de plein fouet le sommet de l'arche sous laquelle je m'abritais. Je n'eus le temps de rien ; tout se passa très vite. Les pierres noires veinées d'argent de l'arche cédèrent sous l'impact et s'éboulèrent sur moi dans un fracas sans douleur tant la peur me coupa de toute sensation physique.

Quand je rouvris les yeux, j'étais sur le dos, meurtrie et contusionnée par les éboulis. Je n'avais presque rien reçu sur le crâne, mais tout mon corps en dessous de ma taille était piégé sous les gravats. De ma prison de roche, je ne pouvais qu'observer le ciel bleu, les oreilles sifflantes ; ce n'était sans doute pas un mal, cela m'aura au moins évité de partir au milieu des bruits du combat.

Cette fois-ci, j'allais bel et bien mourir. Mais l'amour que je portais à Sophia allait perdurer même après ma mort, me dis-je.

« Sophia... » Alors que je m'éteignais, mes dernières pensées furent pour ma reine.


* * *

« - Wouah ! J'avais déjà entendu parler des ruines de ce château, mais jamais je ne les avais vues. C'est vraiment impressionnant. Mais pourquoi tout est en ruine comme ça ? »

« - Ah, ça, personne ne le sait exactement. Néanmoins, il ne faut pas trop s'étonner de son délabrement vu qu'il a tout de même plus de 1500 ans d'après certains écrits ! »

« - Wouah ! Quand même ! Je peux aller voir à l'intérieur, professeur ? »

« - Oui mais fais bien attention. Attends-moi, Cynthia ! Je t'accompagne. »

Les bruits de pas se rapprochèrent de moi jusqu'à me sembler provenir d'au-dessus ; juste au-dessus de moi, quelqu'un me... marchait dessus ? J'essayais de crier mais n'émit aucun son. J'essayai de bouger, mais ne parvint pas à faire le moindre geste.

« - Vous avez entendu, professeur ? » demanda la voix de ce qui semblait être une jeune fille.

« - Oui, j'ai entendu. Cela semble venir de sous ses pierres. Que cela peut-il bien être ? » se demanda un homme dont je n'aurait su donner l'âge.

« - Attendez, bougez pas ! Je vais déblayer tout ça et... oh ! Regardez ce caillou ! Il est tellement propre comparé aux autres qu'on dirait qu'il brille », commenta la jeune fille en me soulevant. Le caillou dont elle parlait, était-ce moi ?

« - Et il vient à nouveau d'émettre un son ; le même son strident que nous avons entendu à l'instant. Quel est donc ce minerai si spécial ? »

Je rassemblai toutes mes forces et fournis d'incommensurables efforts pour ouvrir les yeux. Une fois fait, la lumière, pourtant intense en cette après-midi ensoleillée, ne m'éblouit pas. La jeune fille me lâcha et je chus au sol sans heurt. Je pus voir qu'elle n'avait pas même vingt ans et que ses longs cheveux blonds étaient agrémentés d'adorables rubans noirs. Le vieil homme à ses côtés portait d'étranges vêtements qui ne m'étaient pas familiers et arborait une épaisse barbe aussi blanche que ses rares cheveux.

« - Oh Saint Arceus, Cynthia ! C'est un spiritomb ! »

Je n'avais jusqu'alors jamais mesuré le pouvoir que pouvait avoir le nom d'une personne sur son esprit. Aussitôt qu'il prononça ce nom, qui jusque-là m'était inconnue, j'en étais certaine, mon esprit s'y accrocha et se l'appropria à un point tel que j'en oubliai mon propre nom durant quelques instants. Je dus me le répéter mentalement plusieurs fois avant que je ne sois complètement sûre que ce fut bien le mien. Evelynn.

« - Oh mon dieu ! Il me le faut absolument ! Attendez que j'attrape une Pokéball et... voilà ! Allez, je t'en prie, ô rareté Pokémon, soit mien ! » annonça la jeune fille blonde avec emphase avec de lancer vers moi une étrange sphère. Sans comprendre, je me retrouvai de nouveau aveugle et le sommeil s'empara de moi aussi sûrement que j'aimais ma reine, ma Sophia. Je résistai, mais épuisée et paniquée comme je l'étais, je dus me résoudre à m'endormir. Pour combien de temps encore ?

*
* *

Voici la façon dont je me retrouve aujourd'hui en ta compagnie, jeune Cynthia. J'espère que tu me croiras, et que tu ne mettras pas en doute l'histoire que je viens de te conter, bien que moi-même je l'ai fait au commencement de mon récit. Mon royaume existe-t-il toujours ? Le petit Erik se porte-t-il bien ? Et Sophia... Sophia... J'espère qu'à ton réveil, Cynthia, tu pourras apporter des réponses à mes questions. Je serais patiente.





Endormie, couchée dans son lit, Cynthia n'avait pas prêté attention au spiritomb qui était sorti de sa Pokéball et qui avait passé la majeure partie de la nuit à son chevet. Elle n'avait fait que rêver d'une étrange jeune femme, Evelynn, au destin bien particulier et... d'un spiritomb ?

Elle ne se réveilla pas, mais garda bien ce rêve en mémoire jusqu'au petit matin, à la grande joie de son spiritomb. Car, après tout, si nous ne pouvons-nous identifier au travers de nos souvenirs, qui sommes-nous alors ?

Evelynn, elle, ne le saurait jamais, car ses souvenirs, elle y faisait très attention ; presque autant qu'à sa Sophia.