03 - Bicyclette bleue
En route pour Bourg-Palette, Peter et Sandra pédalaient gaiement sur le pont cyclable qui leur avait fait quitter Parmanie. La température était clémente, le soleil au beau fixe, et les embruns de la baie qu'ils surplombaient donnaient un goût iodé à l'air vivifiant qui…
- J'ai mal aux jambes ! C'est encore loin ?
Cette image idyllique était sans compter l'humeur massacrante de Sandra.
- Tu savais très bien qu'il allait falloir faire quelques efforts pour parcourir la région à pieds, joue pas les surprises.
- Je fais pas ma surprise : dès le début j'étais contre cette idée débile de traverser un pont de dix kilomètres à vélo ! Fait un tel cagnard que j'en ai la peau brûlée ! Et l'air est tellement salé que ça me pique les yeux !
- Oooooh la pauvre mamotte, se moqua Peter. Si t'es pas contente, t'avais qu'à rester chez toi !
Sandra le pris très mal et s'empourpra.
- Mais tu crois que je suis partie de chez moi parce que j'étais contente de la vie que j'y menais, connard !?! NON !! Je me suis barré de chez mon con de père pour essayer de trouver un endroit où je pourrais faire ce que je veux et me sentir BIEN ! Tu comprends ça ?! BIEN !! Sans me faire chier à obéir à ses ordres ni à …
- Fais gaffe Sandra !!
- Hein ?...
Trop tard. Pendant qu'elle s'emportait, son vélo s'était dangereusement rapproché de la rambarde du pont jusqu'à finalement la percuter. La roue avant se coinça entre deux barreaux et Sandra fit un grand soleil avant de passer par-dessus bord.
- OH PUTAIN ! SANDRA !
- AAAAAAaaaaaaah !!!
PLAF ! Elle était tombée dans l'eau une dizaine de mètres plus bas, sur le dos.
- Oh non, oh non OH NON !! s'emporta Peter, paniqué. Quelqu'un ! S'il-vous-plait, quelqu'un ! Aidez-là !!
Pas un chat. Il était dans les environs de midi, et personne n'a idée de faire du vélo à cette heure ! De plus, le bus qui faisait la navette d'une rive à l'autre les avaient doublés quelques instant plus tôt et ne repasserait pas avant une bonne vingtaine de minutes.
Heureusement, Sandra ressortit la tête de l'eau en vociférant, signe qui, chez elle, indiquait qu'elle se portait bien.
- AAAHH PUTAIN !! J'ME SUIS ARRACHE LE CUL !! AOUCH !
- La classe… dire que je m'apprêtais presque à te regretter… presque.
- Va te faire foutre et aide moi à remonter !
- Mais bien sûr Mary Jane. Attends ! Juste le temps que je te tisse une échelle en toile d'araignée…
- Arrête tes conneries ! Demande de l'aide à quelqu'un, j'sais pas moi…
- Dinde à la mer ! Dinde à la mer !... Non, personne alentour. Je crois que t'es bonne pour nager jusqu'à l'autre rive. Ça va aller ? demanda-t-il finalement, sincèrement inquiet.
- Pff, il commence super bien ce voyage… Bah oui, faudra bien.
Elle ouvrit une Pokéball et en fit sortir une Hypocéan.
- Continue à vélo, moi je vais nager jusque là-bas, dit-elle tristement, la gorge serrée.
Malgré ses moqueries, Peter compris aussitôt que Sandra était très déçue de la tournure que les évènements avaient pris : elle avait fui le domicile parental pour échapper à un quotidien oppressant, mais aucun des plans qu'elle s'était fait n'avait concrétisé ses désirs d'aventure pour l'instant. Brusquement, il comprit qu'elle était exactement dans la même situation que lui.
De là où il était, Peter se demanda en compatissant si les yeux brillants de sa cousine étaient dus au sel de l'eau de mer ou des larmes qu'elle tentait de réprimer.
« Boh, après tout, je risque quoi à part la noyade ou une épaule luxée ?… »
Il appuya son vélo contre le garde-fou et fit de même avec celui de Sandra.
- Mais qu'est-ce que tu fous ?! On se rejoint là-bas je t'ai dit ! T'es con ou t'es sourd ?!
- Plus que l'un que l'autre je pense… fit Peter en montant sur la balustrade. Si je meurs, tout ce que je possède est à toi.
- Hein ?!
- GERONIMOOOOOOO !
Re PLAF ! Peter avait lui aussi sauté à l'eau, toujours dix mètres plus bas ; sauf qu'au lieu de s'étaler sur le dos, lui s'était carrément pris un face-plant ! Il ressortit aussitôt la tête en se frictionnant le torse.
- AAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHH !!
- Ta gueule !
Il remit sa tête sous l'eau et le cri fut de suite plus étouffé. Sandra nagea jusqu'à lui et lui frotta gentiment le dos. « Merci… » sourit-elle. Peter sortit finalement la tête de l'eau. Il avait arrêté de crier mais persistait dans son massage pectoral.
- Je souffre atrocement, commentât-il inutilement en expriment sa douleur par une affreuse grimace.
- Je sais, je sais, le consola Sandra avant de sortir de son état de mièvrerie compatissante. Mais t'es pas bien ?! Pourquoi t'as sauté pauvre con !?! T'aurais pu te tuer !!
- J'avais envie de sensation forte. Aïe ! Mes tétons…
- Ça t'apprendra à vouloir faire le cake !
Peter ne répliqua pas, fit sortir Magicarpe de sa Pokéball et s'y agrippa.
- Bon, on fait la course ? Le premier arrivé sur la terre ferme paye un coup à l'autre !
- Pff, ce môme…
Peter n'écoutait plus, il était déjà parti.
- Hé mais c'est d'la triche ! J'suis sûre que j'te grille !!
*
* *
Les deux jeunes gens étaient allongés, les bras en croix et haletant, sur la berge en pente aux pieds du pont.
Leur Pokémon les avaient lâchés moins d'un kilomètre avant la rive, ne pouvant plus supporter leur poids ; les cousins avaient donc dû finir à la nage, d'où leur état d'épuisement avancé.
- Je… Je… J'ai gagné, souffla Peter entre deux inspirations saccadées.
- Pf… ff… C'était… une course… de Pokémon… à la base… C'compte pas… lui répondit Sandra tout aussi difficilement.
- Tu chipotes…
Peter se redressa et s'assit. Ils étaient tous les deux trempés et fourbus ; néanmoins, un grand sourire leur barrait le visage.
- Ca fait du bien un peu de sport, dit Peter. Ca dérouille et ça vivifie !
- Ah ça, pour vivifier… ! L'eau doit être à 15°, à tout péter.
- Ca raffermi les chairs.
- Tu dis pas ça pour moi j'espère ?!
- Non non, tu es parfaite comme tu es ! s'empressa-t-il de préciser.
- Mouais j'préfère… N'empêche que t'es trop con d'avoir sauté. Maintenant nos deux sacs sont trempés et on n'a plus rien de sec à se mettre, se plaignit Sandra.
- C'est pas trop grave, il fait grand soleil. On aura tout le temps de sécher jusqu'à Bourg-Palette, prédit Peter en se levant et en ramassant ses affaires. On y va ?
Sandra regardait fixement le haut d'un des pilonnes de bétons qui soutenaient le pont.
- Sandra ?
- Cchhhhtt ! intima-t-elle. Regarde là-haut.
Elle pointa du doigt en direction d'un petit interstice qu'il y avait entre le sommet d'une colonne de ciment et le pont au-dessus. De petites formes bleues s'agitaient.
- Viens ! On va voir ce que c'est !
Peter n'eut pas son mot à dire et du suivre sa cousine. Arrivés aux pieds des piliers, ils purent enfin voir de quoi il s'agissait.
- Un Altaria ! s'extasia Sandra.
- Une Altaria plutôt. Regarde autour d'elle : il y a des Tylton. Ce doit être une mère qui vient d'avoir une couvée.
Comme Peter expliquait, un des Tylton tomba du nid et heurta le sol plusieurs mètres plus bas ; heureusement, il put ralentir sa chute de quelques battements d'aile avant de rencontrer le sol.
- Oh le pauvre ! Il faut l'aider à remonter ! décida Sandra, investie.
Mais comme le petit Tylton tentait péniblement de voleter jusqu'à son nid, l'Altaria prit un air menaçant et l'intimant de s'éloigner avec force cris.
- Mais elle est conne ou quoi cette mère !?! Elle rejette son gamin !
- En fait, je crois qu'elle n'a pas de quoi tous les nourrir, ou un truc comme ça, alors elle doit se débarrasser d'un d'entre eux pour assurer la survie du reste de sa progéniture.
- C'est dégueulasse ! Si elle veut pas s'en occuper, alors moi je le ferais ! Pokéball, GO !
Sandra lança une Pokéball sur le Tylton rejeté pour le capturer, mais le Pokémon ressortit aussitôt. Il fit face à la dresseuse aux cheveux bleus, prêt à se battre.
- Il est petit mais costaud, signifia Peter.
- M'en fous, il est à MOI ! ragea Sandra, furieuse de voir son aide ainsi repoussée. A toi Rapion ! Montre lui qui c'est le patron !
Un petit Rapion super nerveux apparut et toisa son adversaire sans jamais arrêter de bouger.
- On sent bien que c'est ton Pokémon celui-là. Il tient pas en place.
- Va chier ! Rapion, attaque Dard-Venin ! Go !
Le petit Insecte cracha une volée de piques mauves qui infligèrent des dégâts modérés au Tylton sauvage. Ce dernière lui fit bien comprendre en prenant un air supérieur, voire méprisant.
- Mais c'est qu'il se fout de ma gueule en plus, ce p'tit con ! Rapion,...
Trop tard. Le Tylton était sur le Pokémon Scorpion et lui picorait sauvagement le crâne ; Rapion courrait en tous sens, incapable de se défaire de son assaillant.
- Mais qu'est-ce que tu fous Rapion !? Arrête de courir et Acupression !
Rapion obéit à Sandra sans s'arrêter de courir pour autant. Il retourna ses pinces contre lui et se piqua le dos, sauf qu'une d'entre elles piqua son adversaire, toujours juché sur son dos. Cette fois, le Tylton ne fit pas le fier et s'éloigna vivement du Pokémon Insecte.
- Tu l'as senti passer sur ce coup, hein ?! Rapion ! Le laisse pas partir, Morsure !
Rapion courut aussi vite que ses courtes pattes le lui permirent et bondit en direction de l'Oiseaucoton qui tentait de s'enfuir. Il parvint à lui mordre l'arrière train, ce qui fit retomber l'infortuné mâchouillé au sol, incapable de voler lesté de pareille charge. Mais quand Rapion lâcha sa prie, le Tylton l'assailli d'une Furie vengeresse, lui lacérant le dos de coups de griffes, de bec et d'aile.
- J'aime ce petit, c'est un battant qui se laisse pas faire, jubila Sandra. Mais fini de jouer ! Rapion, Finish Him ! Dard-Venin !
Le Pokémon fit un petit saut de côté pour se défaire de l'assaut du Tylton et lui assena une nuée de dards empoisonnés à bout portant. Aussi enragé qu'ait pu être le Tylton, il s'effondra d'épuisement ; avec la docilité qu'induit la fatigue, il se plia au désir de Sandra et se laissa capturer.
- Yiiiha !! J'ai capturé un Tylton !
- N'empêche, ton Rapion à bien failli se faire battre par un nouveau-né, railla Peter.
- Rapion ! Défonce mon cousin !
Rapion pencha la tête sur le côté, pas sûr d'avoir bien saisi.
- Bah, laisse tomber. Je te pardonne pour cette fois cousin, c'est jour de fête ! J'ai capturé un Tylton ! J'ai capturé un Tylton !
Sandra chantonnait en sautillant comme une gamine qui a reçu le cadeau qu'elle voulait pour Noël. Elle s'arrêta enfin et fit sortir Tylton de sa Pokéball.
- Salut mon petit, lui dit-elle gentiment. Moi c'est Sandra, et à partir de maintenant, c'est moi qui vais m'occuper de toi. Ça te va ?
Tylton, épuisé par le précédent combat, se retourna pour regarder le nid en haut du pilier ; l'Altaria souffla méchamment comme le font souvent les oies en présence d'intrus sur leur territoire. Dépité, le bébé baissa la tête et se mit à sangloter.
- Oh non, mon bébé, s'apitoya Sandra en le prenant dans ses bras. Pleure pas, ça va aller, je vais m'occuper de toi et tu seras heureux et en bonne santé. Si tu veux, on pourra même revenir ici plus tard pour mettre une branlée à ta mère, dac' ?
La petit Tylton retrouva un peu de sa contenance et acquiesça, amusé par la dernière remarque de sa nouvelle dresseuse. Rapion était à côté de lui et souriait niaisement tout en agitant ses pinces pour se faire remarquer du nouvel arrivant.
- Reviens, toi ! le réprimanda Sandra. Espèce d'hyperactif.
- Si on y va maintenant, on pourra arriver à Bourg-Palette avant la tombée de la nuit et passer voir le Professeur Pokémon du coin. Comme ça, il te dira ce qu'il faut faire pour t'occuper au mieux du bébé, conseilla Peter, heureux pour le Tylton autant que pour sa cousine.
- Ouais bonne idée ! Hein mon bébé ? C'est qui le gentil bébé à sa maman, hein ? s'amusait la jeune fille en babillant au nez du Tylton, enjoué.
En remontant la berge, Peter eu soudain l'impression que quelque chose s'était accompli malgré lui ; ou grâce à lui, il n'arrivait pas à trouver les mots. Il se retourna, laissant Sandra continuer de distraire son nouveau Pokémon, et regarda en direction du nid de Tylton.
Juché au bord, l'Altaria regardait tristement son petit s'éloigner d'elle. Peter décela une pointe de culpabilité dans son regard et comprit que la mère, incapable de choisir de quel petit se défaire pour assurer la survie des autres, avait attendu le dernier moment pour prendre une décision ; l'arrivée salvatrice de Peter et Sandra l'avait donc décidé à le leur « donner », car elle préférait savoir son enfant en compagnie des deux dresseurs que le voir se faire dévorer par les prédateurs ou mourir de faim à ses pieds.
Il adressa un signe de tête complice à l'Altaria qui lui répondit de la même façon, reconnaissante, avant de retourner s'occuper de sa petite famille.
- Bon, Peter, tu fous quoi ?! C'est pas toi qui voulais arriver avant la nuit ?
- J'arrive, j'arrive…
Sans savoir pourquoi, Peter préféra ne rien dire à Sandra. Encore trempé, il remonta la bute pour lui aussi s'occuper de son petit bout de famille.