Chapitre 3 : Il y en aurait d'autres !?
- Excusez moi, est-ce que le professeur Kastler a cours actuellement ?
Nous étions essoufflées. Nous avions fait le trajet entièrement en courant car j'avais décidé que nous n'avions pas le temps pour attendre le prochain bus. J'avais demandé au bureau de la vie scolaire à voir monsieur Kastler. Lorsqu'elle m'entendit prononcer le nom de notre professeur de physique, Emilie écarquilla de grands yeux. Ses cheveux se redressèrent eux-mêmes sur sa tête. Elle me fit, avec une pointe d'exaspération :
- Quoi !? Tu nous as fait venir pour lui ? Tu sais, je ne suis pas concernée par tes punissions !
- Cela n'a rien à voir avec les heures de colle qu'il m'a si gentiment offertes, rétorquai-je ironiquement, je veux lui montrer tu-sais-quoi.
- Je-sais-quoi quoi ? La petite créat... ... ?
Je mis ma main devant la bouche d'Emilie pour la faire taire et la fixai d'un air franchement agacé. Je me retournai légèrement vers la surveillante à qui j'avais posé la question.
- Oui... oui, c'est pour... pour lui montrer... qu'il s'est trompé dans la correction de mon devoir...
J'affichais un petit sourire hypocrite sur mon visage. Je voyais bien qu'elle se doutait de la supercherie, c'était louche, ma petite histoire de devoir mal corrigé. Néanmoins, elle fit son travail de surveillante, c'est-à-dire répondre aimablement aux questions des étudiants. Enfin, le côté "aimable" restait à confirmer...
- Ecoutez Mademoiselle, le professeur Kastler termine à dix-huit heures aujourd'hui. Il est hors de question que vous alliez le déranger pendant son dernier cours de la journée. Faîtes moi le plaisir d'attendre la fin de l'heure en silence.
Silence : le mot favori des surveillants. Pire que les profs. Je tirai Emilie par la manche et lui fit signe de s'avancer un peu vers le fond du grand hall d'entrée. Nous n'avions pas l'habitude de le voir aussi désert. Il paraissait encore plus grand. Je m'assis sur le seul et unique banc qui se trouvait à l'intérieur de l'établissement. Les autres étaient tous à l'extérieur, dans le grand froid hivernal. Emilie s'assit à son tour. De petits bruits venant de dehors commencèrent à se faire entendre.
- Il commence à pleuvoir, s'enthousiasma Emilie.
- Génial... répondis-je dans un grand soupir.
- Pourquoi tu m'as empêché de parler tout à l'heure ?
- Idiote, à ton avis comment elle allait réagir, la surveillante ? Elle nous aurait prises pour des folles !
- ...
- Excuse moi de t'avoir parlée sur ce ton...
Je l'avais blessé. Comme d'habitude, je jouait le rôle de la rabat-joie psychorigide à côté de la belle innocente. Dieu avait vraiment foiré la répartition des points de compétence... Anaïs ou amabilité zéro.
Le temps passa lentement, le silence était pesant. Emilie me regarda. Après dix bonnes minutes passées sans un mot, elle me demanda :
- Le petit dort toujours ?
J'entre-ouvris la poche principale de mon sac et constatai que la petite chose était toujours plongée dans ses rêves...
- Oui... Il dort toujours, le petit, répondis-je pleine de remords.
- Ne t'en fais pas, c'est moi qui suis idiote dans l'histoire...
- Non, c'est moi qui suis agressive...
- Peu importe. Je me demandais si il fallait lui donner un nom ?
Lui donner un nom ? Je n'y avais pas pensé. Mais lorsqu'on commence à donner un nom à une chose, on finit par s'y attacher. Était-ce bien raisonnable ?
- Tu te souviens du cri qu'il a poussé tout à l'heure avant de s'endormir ? me demanda Emilie. Il prononçait "Raichu". Je ne sais pas du tout ce que ça veut dire dans sa langue, mais je pense qu'on devrait l'appeler "Chu' ". C'est mignon, non ?
- Oui... Tu as raison.
Après tous, lui donner un nom n'allait tuer personne...
La sonnerie annonçant la fin définitive des cours de la journée retentit. On commença à entendre des hordes d'élèves dévaler les escaliers de tous les côtés.
- Allons-y, il doit être au troisième étage, comme d'habitude.
Emilie se leva sans entrain et me suivis en traînant les pieds. Je dois bien avouer que moi non plus, je n'avais vraiment pas envie d'y aller. Alors que tous les élèves descendaient joyeusement, voire même sauvagement, nous montions les marches, presque une par une, posant les deux pieds sur la même marche à chaque fois, pour nous ralentir.
- J'ai les pieds lourds, tout à coup, Anaïs.
- C'est bizarre, moi aussi Emilie.
Nous nous regardâmes un moment avant d'éclater de rire.
- Vas-y, à toi l'honneur, frappe ! m'encouragea Emilie.
Je savais qu'en refusant, nous allions rester bloquées devant la porte, parce qu'Emilie ne prendrait jamais le plis de frapper d'elle-même à la porte de physique alors qu'elle n'y était pas obligée. Je frappa trois petits coups. Une voix grave cria du fond de la salle :
- Entrez !
J'ouvris la porte le plus lentement possible, si bien que ça en devint complètement ridicule.
- Ah ! Je vois que vous n'êtes pas pressées de venir me voir, les filles. Que me voulez-vous à cette heure tardive alors que vous finissiez à trois heures ?
- Nous voudrions vous montrer quelque chose monsieur...
- Aaaaaaaah !
C'est à ce moment qu'Emilie poussa un énorme cri d'effroi. Elle s'était immobilisée, les mains en l'air, devant un sorte de plaque de fer en lévitation... Une plaque de fer en lévitation !? Non, impossible !?
- Que... que... professeur !? Qu'est-ce que c'est que cette chose aux yeux jaunes !? bégaya Emilie, toute tremblante.
- N'ai pas peur, Emilie, il ne te fera rien.
Ce n'était pas le professeur qui avait répondu. J'aurais reconnu cette voix de jeune garçon entre milles. Théo s'avançait vers nous, complètement décontracté devant la scène, plutôt comique je dois l'avouer, d'Emilie tétanisée devant cette nouvelle créature.
- Théo, je t'avais pourtant dit de retenir Archeomire et de le cacher avec toi ! Imagine si ça aurait été le chef d'établissement ? Qu'aurais-je dit, moi ? gronda monsieur Kastler.
- Désolé, mais Archeomire voulait se dégourdir un peu les... pattes ? Enfin, il avait envie de s'amuser.
Je n'y comprenais plus rien. Théo et... Archeomire ?
- Mais qu'est-ce que tout cela signifie ? s'interrogea Emilie, en reprenant une couleur normale.
- Théo et moi, un soir où nous rangions tranquillement le laboratoire, avions trouvé cette bestiole cachée dans l'armoire à récipients. J'ai tout de suite pris contacte avec mes confrères Japonais. Ils sembleraient qu'il y en ai aussi là-bas.
Nan mais, qu'il ait pris contacte avec un collègue aussi fou que lui, je voulais bien. Mais j'avais l'impression que le fait qu'il y ai pleins de créatures étranges ne l'étonnait pas du tout, comme si c'était normal que des bestioles surgissent des armoires !
- Les scientifiques Chinois, qui travaillent en collaboration avec nous les Français et les Japonais, ont étudié leurs cris. Il semblerait que chaque espèce ait son propre cri.
Je n'en revenais pas. Voilà maintenant qu'il se mettait à nous parler de leur cri ! Mais une chose me tracassait encore plus :
- Il peut y en avoir plusieurs identiques !? m'étonnai-je.
- Oui, comme pour les animaux.
Le professeur fit un long discours dans lequel il nous expliqua qu'ils avaient trouvé un nom pour quelques espèces découvertes récemment, comme Archeomire ou encore Evoli, une espèce localisée au Japon. Il nous dit que ces créatures ne savaient dire qu'une seule chose : leur nom, et que par conséquent, il n'était pas difficile de les nommer. Cependant, une étude prouvait qu'ils étaient capable de retenir des surnoms propres à eux et qu'ils savaient s'identifier lors de l'utilisation de ces surnoms. Il nous expliqua également qu'une famille bien particulière de scientifiques Chinois avaient découvert en eux des pouvoirs extraordinaires et très variés. Ainsi, ces bestioles étaient capables de manipuler l'eau, le feu, la terre, l'air, l'électricité, la glace et encore, peut-être, d'autres attaques encore non-découvertes. De plus, on pouvait même séparer certains éléments comme la Terre en différentes attaques, respectivement Sol, Plante, Poison... Parce qu'elles n'avaient apparemment pas les mêmes effets et utilisaient des méthodes très différentes.
- Nous sommes tous tombés d'accord pour les garder secrets, reprit-il, certains esprits mal intentionnés pourraient vouloir s'en emparer. Vous êtes donc tenus à ne rien dévoiler ! Ah oui, une dernière chose, il est convenu que nous appelions ces créatures, les "Pokémon". Cela permet de savoir tout de suite de quoi on parle.
C'est vrai que l'utilisation des mots "choses, créatures, monstres et bestioles" n'était premièrement pas très valorisante, et deuxièmement trop vague à mon goût. Mais pourquoi "Pokémon" ? Je m'empressai de le lui demander. Ce fut au tour de Théo de me répondre, et au fond de moi, je ne disait pas non...
- Les scientifiques du comité "Pocket Monster" l'ont décidé ainsi. Parce que "Poketto Monsutaa" était trop dur à prononcer pour certains, ils ont décidé de prendre son équivalent Anglais et de le réduire sous forme de "Pokémon". En Français, ça donne "Monstre de poche".
Ah... Ils se sont vachement compliqués la vie. Ils aiment bien tout compliquer, les scientifiques. Bah au moins on sait maintenant comment les nommer, ces petites bestioles. Je ne cessais de fixer Théo, mes yeux étaient comme deux aimants que je ne pouvais plus décrocher de cette magnifique vue.
- C'est notre brave Théo qui s'occupe d'Archeomire, je pense que ça vaut mieux ainsi. Mon ami Japonais a remarqué que chaque Pokémon avait un caractère différent. Archeomire semble préféré la compagnie des jeunes, c'est pour ça que je le laisse à Théo. Je ne compte pas non plus l'accabler d'expériences, j'évalue simplement son comportement.
"Brave Théo"... Quel bel adjectif pour le qualifié... Mais j'en avais des meilleurs...
- Anaïs ?
Emilie tentait de me sortir de mes pensées.
- Hmmm ?
- Tu n'aurais pas oublié Chu' par hasard ?
- Oh mince ! Je l'avais presque oublié !
Ou totalement oublié plutôt... Je me dirigeai vers un bureau pour y poser mon sac. Je l'ouvris prudemment, au cas où Chu' prendrait peur. Il somnolait.
- Il vient tout juste de se réveiller, vous avez de la chance ! fis-je, en regardant surtout Théo.
- Comme il est mignon ! s'exclama-t-il.
Je ne l'avais jamais autant entendu parler. Le professeur s'avança vers Chu', le prit dans ses bras délicatement.
- Alors bonhomme, comment tu t'appelles toi ?
- Raichu ! Chu chu ! Raiii Chu !
- Raichu n'est-ce pas ? Eh bien, tu m'as l'air bien bavard !
- On peut dire qu'entre lui et Anaïs ça a été le coup de foudre !
Et voilà. Emilie avait sorti la chose qu'il ne fallait pas sortir en présence de Théo. J'avais été électrocutée, d'accord, mais était-ce vraiment la peine d'en informer tout le monde ? Théo eu un petit sourire en coin. J'étais cuite. Ma réputation de fille psychorigide s'empirait. Même les Pokémon ne m'appréciaient guère !
- Un Pokémon aux capacités électriques ? Voilà qui est plutôt intéressant... Il n'y en avait qu'un seul découvert jusqu'alors, un Dynavolt, en Chine, nous informa le professeur.
- Mais... Comment sont-ils arrivés jusqu'ici ? Pensez-vous que ce soit lié à la météorite tombée en août ? demanda Emilie.
- C'est une des hypothèses que nous avons retenues, en effet. Nous verrons ça plus tard. En attendant, veillez à bien protéger et à cacher nos nouveaux petits amis. J'ai du travail à terminer et il est bientôt dix-neuf heures trente. Vous ne voudriez pas louper un si bon contrôle sur les moles et les masses molaires moléculaires tout de même ?
Nous laissâmes échapper un long soupir de découragement. Nous avions cours de physique jeudi, et nous étions mardi, avec un contrôle à la clé. Théo cacha Archeomire dans son sac, je fis de même avec Chu'. J'attendis qu'Emilie et Théo sortent les premiers afin de poser une dernière question :
- Monsieur ... ?
- Non, je sais ce que tu vas me demander, Anaïs, me coupa-t-il avec un sourire sadique, je n'oublierais pas tes deux heures de colle. Tu n'avais pas à bavarder, et tu le sais.
- Mais je parlais justement de...
- Les Pokémon ne sont pas une excuse pour tous, se contenta-t-il de répondre poliment.
Je quittai la pièce, très énervée et à la fois enchantée d'avoir passé une si bonne soirée en si bonne compagnie. Je parle de Théo bien évidemment.
- A jeudi Anaïs ! Profite bien de ton mercredi après-midi pour réviser !
Sur ces mots de monsieur Kastler, je refermai la porte. Emilie m'attendait devant l'entrée. Théo aussi. La pluie s'était arrêtée, comme par magie, pour laisser place à quelques éclaircies.
Quelques heures plus tard, allongée sur mon lit avec Chu' à mes côtés, qui était en train de grignoter un biscuit, je repensais à tous les évènements qui venaient de se passer. Les Pokémon, Théo qui en cachait un depuis quelques jours et qui commençait à me parler de sa douce voix, etc. ... Toutes ces choses étaient-elles réelles ? Ou n'était-ce qu'un simple rêve ? Je fermai alors les yeux et me laissai emporter dans le doux monde des rêves...