(Chapitre I) Contre-temps.
Une explosion. Encore une. Ça doit être la cinquantième depuis le début de la journée. Mais depuis quand la journée a commencé. Le ciel est noir, dépourvu d'une quelconque lumière pour rayonner sur ces parcelles de terre. Le chant des oiseaux me manque cruellement. Depuis combien de temps n'ai-je pas entendu un son aussi mélodieux, me réveillant dans de l'herbe verte et humide avec la rosée de la matinée ? Cinq ans, dix ans ? Je ne m'en souviens plus, comme si le temps m'avait fait grâce en me libérant de sa notion et de la vieillesse. Par contre je peux vous dire où je suis. Ou du moins, le décrire…
Un homme alluma une pipe dans la pénombre la plus totale. Il commença à marcher, en boitant légèrement. Il n'avait plus eu de soin depuis fort longtemps. Le pire pour, lui, c'est qu'il n'arrivait pas à mourir. Nombreuses furent les fois où les tentations étaient grandes. Mais pas aujourd'hui. Car c'était un jour pas très ordinaire, malgré les apparences. Depuis quelques jours, il sentait un vent d'espoir, comme un air nouveau, avec une certaine renaissance. Et ça lui faisait du bien.
Il s'appelait Douglas, vivait son quarantième printemps dans une ville-poubelle. Il portait un long manteau en cuir, bouffé par les termites, copines de tous les jours des habitants, une barbe de quelques jours. Ses cheveux gris et longs lui arrivaient jusqu'aux épaules. Ici, se raser était un luxe, et trouver un vêtement propre était impossible. Il continuait son chemin dans la boue, avec des chaussures trouées, les semelles tenant qu'à une ou deux fils de couture. Il se dirigeait vers une mine, comme tous les jours. De toute manière, il devait y aller. Pas le choix. Mais il ne pouvait pas se plaindre, d'en parler, et surtout moins de critiquer les décisions des chefs. Ceux d'en haut, qui peuvent encore voir, si le ciel est bleu ou gris. Pour Douglas, fumer était le seul loisir qu'il pouvait s'offrir.
La méthode de cette mine se situait proche de l'inhumain. Ici, on devait prendre un chariot, rempli d'Electrode, donner un coup de poing dans l'un des Pokémon et de courir aussi vite que possible. Pour certains, c'était perdu d'avance. De nombreux corps étaient ramassés par des collègues. Douglas, lui, avait une chance inouïe : il courait rapidement et savait plonger pour éviter des déflagrations. Il en avait perdu des copains, Douglas. Phil, Justin, Drago, Dita, Serg… Tous étaient morts de fatigue, de soif, de faim, ou dans les explosions.
Les manières sont tellement insupportables. Et pourtant, personne ne fait rien. A part quelques courageux qui tentent de faire passer le message à la population, pour convaincre les personnes. Mais les convaincre de quoi ? Et pourquoi ne sont-ils pas au courant ? Pourquoi ne font-ils rien, même s'ils savent ?
L'histoire est à peine croyable, et pourtant, il n'y point de mensonge. Les esclaves, travaillant nuit et jour pour la population, sont les membres de la Relève. Comme Douglas. Sauf que Douglas n'est pas comme les autres : quelques années auparavant, il était le chef incontestable de la Relève. Puis, il a été capturé, comme des centaines d'autres par l'Armée. Et depuis douze ans, il travaille dans ces mines. Les gens ne savent pas ce qu'ils se passent ici. Les gens pensent que les rebelles de la Relève assassinent, torturent, agressent les citadins, les policiers, les fermiers, les femmes, les enfants. Il n'en est rien de tout cela.
Douglas toussa et cracha par terre. C'était du sang. Cela faisait quelques semaines que les mollards avaient laissés la place au liquide rouge. Douglas essuya sa bouche, prit un chariot et s'enfonça dans la mine. Encore une détonation. Puis une seconde, une troisième. Cela faisait un bruit tellement fort que la plupart des martyrs étaient devenus sourds. Et comme la plupart étaient des musiciens engagés, ils mourraient dans leurs chagrins de ne plus pouvoir entendre le moindre son. Douglas avait encore eu de la chance, en trouvant, par le plus grand des hasards, une sorte de casque qui isolait le bruit. Les premières explosions qu'il entendit dans la caverne l'avertirent que le casque n'était pas correctement mis sur ses oreilles. Il rajusta ses protèges-oreilles. Plus un bruit, un calme plat, si ce n'est que des légers bruits sourds au moment des crépitations.
Arrivé au fond de la mine, les choses devenaient plus ardues. Douglas frappa dans un Electrode à moitié endormi et commença à se fâcher. Il était temps de courir pour l'homme au manteau sale. Il sprinta une trentaine de mettre, se jeta à terre et se protégea la figure pour éviter que les morceaux de roches le blessent. C'était encore réussi pour aujourd'hui. Il n'avait rien eu, juste une écorchure au genou droit. Mais rien de méchant. Il était temps pour lui de quitter la grotte.
Quand Douglas fut à « l'air pur », il fit la queue pour recevoir une sorte de sandwich au poulet et une petite bouteille d'eau. La queue interminable. Quelques personnes tiraient la langue, en manque de boisson. Mais tous avaient une lueur d'espoir dans les yeux. La même que celle de Douglas. Sans broncher un mot, Douglas récupéra son pichet et son morceau de pain. Ca n'avait l'air de rien, mais cette collation était un véritable soulagement pour les rebelles de la Relève, synonyme de survie quotidienne. Mais demain, ce sera terminé. Plus de mine, plus d'explosion, plus de surdité, plus d'ordure, plus de chariot.
Ce soir, ou cet après-midi, ils ne le savent pas vraiment, ces centaines de prisonniers deviendront de véritables insurgés. Tout le monde, grâce à quelques Pokémon clandestins, notamment des Pokémon psy, ont fait passer le message par télépathie ou par la téléportation. Par chance, ce message n'était pas passé entre les mains de l'Armée de la Marine. Fait capital.
Douglas reprit le même sentier boueux pour rentrer dans ce qu'il appelle « son endroit », une petite colline d'ordures ménagères, de nourriture et de matériel de montagne. Ce n'était pas le grand luxe, mais l'homme chanceux avait réussi à réparer quelques machines pour se réchauffer ou cuire un peu de nourriture trouvée ici et là. Les ordures, ce n'est pas ce qu'il manque dans cette zone. Il y en avait des dizaines de collines, de plusieurs mètres de hauteur. A croire que tous les déchets de toutes les régions étaient stockés dans cette ville, autrefois chaleureuse et pleine de vie. Mais maintenant, cette commune est devenue un immense bidonville minier. Dans ces mines, on trouvait une quantité incroyable de pierres précieuses et de fossiles. Ces derniers étaient transportés dans les laboratoires, à une vingtaine de kilomètres, dans des camions très sécurisés. Aucune information ne circulait. Les membres de la Relève étaient dans l'obligation de rester vivre dans cette immonde ville à ordures. Certains ont essayé de s'évader, en creusant un tunnel ou en coupant les barbelés et les grillages. Quelques uns ont réussi leur évasion, d'autres, échouaient et subissaient d'énormes sanctions physiques. Depuis plusieurs années, la sécurité, ou plutôt, le flicage, de cet endroit était renforcée à son maximum.
Mais le message était clair : pour réussir à s'échapper, il ne devait plus y avoir de tentative de cavale, quelle soit collective ou individuelle. La rébellion se ferait en masse, avec tous les révolutionnaires. La dizaine de Pokémon à leurs services seront d'un précieuse aide, concernant les téléportation en masse et les hypnoses des soldats de l'Armée. Quelques Electrodes avaient été volés pour attaquer. Les Tadmorv, qui vivaient désormais depuis quelques ans, avaient acceptés l'aide pour le Jour-J.
Normalement, tout devrait bien se passer. Très peu de personnes, voire aucune, devraient périr dans cette attaque. Mais il n'y aura pas de pitié contre leurs maîtres. Aucun d'entre nous savions pourquoi nous avions été capturés, enfermés, maltraités, voire tués. Nous voulions juste un monde meilleur. Un monde où la cohésion entre Pokémon et humains serait parfaite. Sans besoin de Loi, de dirigeants haut placés pour dicter ce que doit faire ou non le Peuple. Mais les seules idées que retiennent cette populace ne sont que l'intolérance, le terrorisme et la terreur. Et ce sont ces mêmes gens qui lavent les cerveaux du Peuple.
Douglas, calmement, ralluma sa pipe, qui s'était éteinte au moment de l'explosion dans la mine de fossiles. Dans quelques heures, il sera libre. Du moins, c'est le plus grand espoir qu'il a depuis des années. Un espoir de revoir le ciel bleu, une femme, voire même son fils…