HS4 - Réalités [Malcolm]
"Je suis vieille et je vous encule
Avec mon look de libellule
Je suis vieille et je vais crever
Un petit détail oublié."
(Brigitte Fontaine, Prohibition)
- Signez ici.
Malcolm restait raide comme un piquet. Il avait la trentaine à présent. Claire était à ses côtés. Elle avait laissé pousser ses cheveux. Il la regarda.
- C'est à toi seul de prendre la décision, chéri.
- Tu sais que je n'aime pas que tu m'appelles chéri.
- Tu chipotes pour éviter de signer en ce moment même, alors je t'appelle chéri si je veux.
- … J… je peux pas faire ça.
Claire souffla. L'homme face à Malcolm acquiesça.
- Bien, monsieur Heine, si vous ne le souhaitez pas, nous annulons la procédure immédiatement.
- J… je ne sais même pas si c'est bien ou mal, je…
- Malcolm, tu sais très bien qu'elle est malade. On ne peut pas la garder plus longtemps avec Nell qui…
- Je sais, je saiiiiiiiiiiiiiis !!! Grogna sèchement Malcolm.
Claire hocha la tête et la garda basse. Malcolm la regarda.
- Ex… Excuse-moi, Claire.
- Ca va, ça va…
- C'est juste que…
- C'est ta mère, je comprends que ça soit difficile…
- C'est d'autant plus difficile qu'elle m'a recueilli quand je n'avais plus de parents !
- Je comprends ça…
- Si je l'abandonne à mon tour, c'est… C'est comme si je mordais la main qui me nourrit !
- Malcolm, fais ce qui te semble le plus juste pour tout le monde.
Malcolm se mordilla les lèvres et regarda la décharge. Il soupira.
- Je… je signe le papier disant que j'accepte mais je refuse de signer la décharge.
- Comment ça ? S'étonna le directeur de l'établissement psychiatrique.
- C'est juste que… Je veux être le seul et unique responsable.
- Malcolm… marmonna Claire.
- Quoi ?
- C'est inutile ! Désolée de parler aussi rudement mais… Laisse-là ici, ils s'occuperont bien d'elle, tu viendras la voir…
- Mais enfin Claire…
- Prends une VRAIE décision, Malcolm !
Malcolm regarda les papiers et soupira.
- Fais chier…
- Je sais. Mais pour le coup tu devais le faire.
Ils sortirent du bureau. Malcolm prit une grande inspiration et Claire prit sa main.
- J'appelle Théodore, il prendra les petits.
- Ok…
- Garde ton calme.
- Ils vont venir la prendre.
- Dans la journée, c'est fort possible.
- Claire, je…
- J'hésite, dois-tu aller avec Théodore toi aussi ?
- Non, non, je veux être là !
- Evidemment, je plaisantais… soupira Claire.
***
- Acheter des glaces ?
- Oui ! C'est… la journée des glaces ! Sourit Théodore.
Malcolm le regarda, dubitatif. Theodore haussa les épaules. Nell était accompagnée d'une fillette aux cheveux châtains tandis qu'un petit rouquin gazouillait dans sa poussette.
- Nell, tu surveilles bien Léa et Alex !
- Oui papa… ça va aller ?
- Pourquoi tu demandes ça ?
- … Pour rien, papa…
Les enfants partirent avec Théodore. Malcolm souffla. Claire de même.
- Nell est décidément très, très perspicace… marmonna Malcolm.
- Tu plaisantes ? Des fois je me demande si elle ne tient pas tout de toi.
- Comment ça ?
- Cette même inquiétude permanente, cette insécurité, cette volonté de toujours jouer les seconds couteaux, d'être dans l'ombre…
- Vraiment ?
- Quand j'ai été la chercher à l'école, elle était avec une copine qui ne lui a même pas dit au revoir. Et Nell me dit « C'est ma meilleure amie, Shanice » !
- Shanice ? C'est un pseudonyme de strip-teaseuse, ça !
- C'est exactement ce que le professeur principal a dit…
Judith sortit de sa chambre.
- Où sont les enfants ?
Claire et Malcolm se retournèrent vers elle.
- T… Théodore est passé les prendre. Une petite sortie au parc.
- … Inopinément ?
- Inopinément ! Répéta Claire.
- Ah… C'est inhabituel…
Malcolm regarda Claire, inquiet, alors que Judith se dirigeait vers la cuisine, agitée de frissons.
- La baie vitrée, Malcolm.
- Oh, oui, pardon !!
Judith ne supportait plus que quelque issue soit ouverte trop longtemps en sa présence. Malcolm se rappelait encore du diagnostic du médecin suite au premier check-up.
« Paranoïa. Violent traumatisme. Insécurité permanente. Je préconise l'internement immédiat ».
Malcolm se souvint aussi qu'il s'était jeté sur le docteur, fou de rage, quand il avait osé prononcer le mot internement.
Mais là il devait bien s'y résoudre.
- Tout va bien, Malcolm ?
- Oui, oui absolument, maman…
- Tu es bizarre…
- Non, non pas du tout…
Il ne savait pas mentir, il n'avait jamais su. Roland le lui avait dit des dizaines de fois.
On frappa à la porte. Judith se terra dans la cuisine, apeurée. Claire ouvrit à deux hommes venant de l'hôpital.
- Madame Heine…
- Bonjour…
- Nous venons chercher.. Judith Heine.
Claire s'écarta de la porte. Les hommes entrèrent sous les yeux figés de Malcolm qui leur désigna la cuisine.
- NON ! NOOOON ! AU SEC… AU SECOURS MALCOLM ! AAAAAAH ! ILS VONT… ILS VONT…
Malcolm baissa la tête, secoué par les sanglots. Claire resta silencieuse et s'éloigna de la porte.
- CE SONT EUX QUI ONT TUE TON PÈRE MALCOLM !!!! AIDE-MOI !
Malcolm se mordit l'index de son poing serré, rongé par le remord.
- MALCOLM JE T'EN SUPPLIIIIIIIIIIE….
- Venez madame.
- Ne rendez pas ça plus difficile.
Ils la sortirent de la cuisine.
- AAAAAAAAAAAAAH ! AAAAH MALCOLM !!!
Lequel tournait le dos à la scène.
- Je viendrais te rendre visite maman !
- MALCOLM ! MON MALCOLM MAIS QU'EST-CE QUE JE T'AI FAIT !
- Rien, rien…
- MALCOLM !!!
Claire ferma la porte, ne pouvant en supporter plus. Malcolm s'effondra sur un fauteuil.
- Bon sang… Bon sang… BON SANG !!!
- Ca va aller, Mac, c'est fini…
- C'était pas un monstre ou un évènement néfaste, c'était ma mère !
- Je sais mais elle avait besoin d'aide !
Malcolm regarda Claire.
- Le pire c'est que je n'ai personne à qui… reprocher tout ça !
- Et personne ne va te le reprocher.
***
- Elle est où, Grand-mère ?!
Malcolm et Claire, à table, regardèrent Nell.
- Grand-mère est à l'hôpital, résuma Malcolm.
- Pourquoi ?
- Elle… elle était malade.
- Pourtant tu n'as pas l'air soulagé… quand quelqu'un est soigné on devrait être soulagé, non ?
Malcolm haussa les sourcils et regarda Claire qui acquiesça nettement. Malcolm se tourna de nouveau vers Nell.
- C'est… vrai mais… je suis inquiet parce que grand-mère n'est pas dans un hôpital normal, elle est…
Claire regarda Malcolm de sorte qu'il n'aille pas trop loin dans son raisonnement.
- Elle est dans un hôpital spécial. Parce qu'elle a une maladie spéciale. Que les médecins normaux ne peuvent pas traiter.
- Papa j'ai treize ans, pas huit ans. C'est Léa qui a huit ans.
- Maman, Nell se moque encore de moi !
- Elle ne se moque pas de toi, ma chérie, elle fait remarquer que tu es plus jeune qu'elle.
- J'suis pas la plus petite !
- Non, c'est vrai, mais…
- Alors tu dis pas ça, tu dis pas ça, tu dis pas ça ! Grogna Léa envers Nell.
- Du calme, Léa… On aurait dû t'appeler Rolande… soupira Malcolm.
- Je t'avais dit que ça lui irait bien, vu ses coups de pied…
- Vous… parlez encore de quand on était dans le ventre de maman ?! Geignit Nell.
- Nell, évite de te mêler des conversations des adultes, combien de fois…
- Je suis une grande aussi, arrête de me traiter comme un bébé !
Malcolm regarda sa fille et acquiesça doucement.
- Exact. Désolé.
- Malcolm ! Nell, ne hausse pas le ton envers ton père !
- Pardon maman, mais…
- Pardon maman et c'est tout, pas de mais ! Cette manie de répondre…
- Désolée…
Nell se repencha vers son plat alors que le bébé Alex balançait de la purée autour de son assiette. Claire leva les yeux au ciel.
- Alexander Heine, tu vas très, très mal finir… grommela-t-elle en se dirigeant vers la chaise du bébé pour tout nettoyer.
Malcolm sourit faiblement.
***
Le soir venu, Malcolm s'arrêta dans la chambre de sa fille.
- Papa ?
- Je… peux parler un peu avec toi ?
- Si tu veux.
- Mon père faisait souvent ça et ça me déplaisait, c'est pour ça que je te demande.
- Ca va, je suis moins douillette que toi, je suppose.
Malcolm s'assied sur le lit de Nell, à ses côtés.
- Ma puce… Ta grand-mère est dans un hôpital psychiatrique.
Nell hocha la tête en se mordillant les lèvres.
- Je m'en doutais. Tu avais l'air trop étrange quand Oncle Théo est passé nous prendre.
- Hm. On… y a été obligés.
- Grand-mère va vraiment mal, hein ?
- Oui… oui très mal, ma chérie. C'était… difficile de la voir partir.
Nell tapota l'épaule de son père. Malcolm sourit.
- Arrête de faire ça. Je vais commencer à penser que tu es plus mature que moi, sentimentalement.
- Je… tends à le penser aussi…
- Je suis un papa bizarre, hein ?
- Le seul fait que je dise à l'école que tu es mathématicien suffit à faire de moi une fille très étrange.
- Hm… oui, c'est… C'est vrai. Dis-moi chérie…
- Non, je ne flirte pas avec le fils de Lily Meadow…
- Tant mieux. Ce petit Erwan n'est définitivement pas un garçon pour toi… En fait je me demandais ce qui se passait avec… Shanice.
- … Papa je suis un tout petit peu trop jeune pour qu'on ait ce genre de conversation…
- Non, non… je veux dire… vous êtes amies, elle… c'est la chef ?!
- Pas du tout, on est pas amis, c'est elle qui me parle ! Je m'en fiche d'elle…
- Ma grande, ne… ne traite jamais quelqu'un mieux ou moins bien que tu ne le ferais pour toi.
Nell plissa les yeux.
- Tu vas mourir, papa ?!
- Mais noooooon ! Rhan !
- Pourquoi tu es toujours aussi attentionné avec moi alors ?
- Parce que tu es ma fille ! Je suis ton père, c'est… normal de…
- Les autres petites filles ont des parents moins stressés que toi, j'ai l'impression que tu fais attention à chacun de tes mots…
Malcolm regarda silencieusement sa fille.
- J'ai… quelque chose à te dire, je pense qu'il est grand temps.
- … ?
- Nell, je… Je n'ai pas toujours été un très bon père pour toi…
- Comment ça ?
- Nell, quand tu étais un bébé… Je… j'ai… fait une crise de nerfs. Je ne voulais pas vraiment de toi dans ma vie, j'avais à peine vingt-trois ans, j'étais jeune, j'avais envie de liberté, j'étais avec ta mère depuis moins d'un an, j'avais eu des soucis, et… J'ai été jusqu'à te jeter sur un canapé alors que tu avais à peine quatre mois.
Nell hocha la tête.
- C'est pour ça que j'ai ce petit creux derrière la tête.
- QUOI ?
- Je plaisante papa ! T… Tu es un peu ridicule, là, quand même.
- Je tenais juste à te dire que… J'ai… pu être un mauvais père.
Nell éclata de rire. Malcolm grimaça. Nell regarda son père, les larmes aux yeux.
- Papa c'est… C'est n'importe quoi hihihihihi !
- M… mais non !
- Papa j'étais un bébé, je ne m'en rappelle pas du tout ! Mon plus lointain souvenir de l'enfance c'est dans le parc de la ville, une balade avec toi et maman.
Malcolm hocha la tête.
- Ce qui s'est passé dans ta… tumultueuse enfance… ne me regarde pas !
- Tu es sûre ?
- Tu veux que je rie encore ?
- Non, non, c'est… très humiliant.
- Voilà. C'est tout ce que tu avais à dire ?
- Je te laisse, ma chérie, excuse moi.
Malcolm se leva. Nell lui prit la main.
- Papa… on ira voir grand-mère, hein ?
Malcolm regarda Nell, plus grave. Il hocha la tête.
- On… on ira la voir. T'inquiète pas. Moi d'abord parce qu'elle sera forcément… un peu en colère… Mais tu la reverras, je te le promets, ma grande.
Nell hocha la tête.
- Désolé de ne t'avoir rien dit.
- Ca va, je comprends. Mais arrête de tout le temps avoir l'air d'avoir envie de pleurer !
Malcolm sourit.
- Ca, ma grande, je n'y peux rien.
***
Malcolm sortit de la chambre de sa fille. Il regarda le sombre couloir. Une silhouette passa à ses côtés.
- Salut, Malcolm.
Malcolm hocha la tête.
- Salut, Roland.
Le jeune homme était adossé au mur dans toute sa fantomatique non-existence générée uniquement par l'esprit malade de Malcolm.
- Encore un délicieux moment père-fille, hm ?
- Hm. Dommage que tu n'aies jamais l'occasion de savoir ce que c'est.
- En effet, non.
Malcolm hocha la tête et descendit les marches. Il s'assied sur la quatrième marche, comme toujours, et il regarda le salon, plongé dans l'obscurité. Rachel, lui, sa mère et son père étaient à table, avec Claire, Nell, Léa et Alex. Et puis il y avait Léopold qui servait des petits plats. Le tout s'agençant dans l'esprit de Malcolm sans qu'il ne puisse y faire grand-chose. C'était devenu une étrange habitude, récurrente pourtant, impossible à laisser de côté ou à réprimer. Il n'en avait pas parlé à Claire qui pensait qu'il passait ces soirées précises à fumer. Parce que certains soirs, Malcolm arrivait à ne pas descendre les marches. Comme à chaque fois, quand les ombres partaient en fumée, Malcolm sanglotait à moitié, les yeux embués de fatigue, la tête entre les genoux, perdu dans des images du passé qui n'arrivaient pas à s'effacer…
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Une petite note finale, pardon.
Juste pour expliquer (Afin que ça ne soit pas demandé) que les noms des enfants de Malcolm et Claire n'ont pas été choisis au hasard :
- Léa, en plus du parallèle avec Léo-pold, est dans la Bible la soeur de Rachel.
- Alex vient du héros d'Orange Mécanique Alex DeLarge, joué par Malcolm McDowell.