HS3 - Pansement [Charlie]
Tout bas, tout dit : Mais la vie m'effraie.
Elle a bon dos.
(Mylène Farmer, Oui mais... non.)
Ah ça, pour sûr, il avait bronzé, le Charlie. Il avait passé trois mois à se chercher, et trois autres aux côtés de Dawn Rutherford, sa vieille amie qui avait élu domicile en Tunisie. Mais ce périple n'avait rien changé à ce qui l'attendait au retour.
- C'est pas possible… C'est pas possible, c'est pas possible…
- C'est amusant, l'appartement ressemble à un hôpital maintenant… marmonna Norbert.
- Mon père va mourir, Norbert, ça n'a rien d'amusant…
Norbert acquiesça. Lionel regarda Charlie qui semblait redevenir complètement dingue.
- Pourquoi je me suis barré, pourquoi…
- Parce que tu en avais besoin, rappela Lionel.
- Taisez-vous…
Lionel acquiesça mollement. Charlie alla en cuisine, stressé. Norbert regarda Lionel.
- Ca ne va pas mieux, hein ?
- Oh que non… Ca va cesser quand Linus sera mort, ça, c'est certain… Mais il ne s'y fait résolument pas… marmonna Lionel. Tout comme toi, je suppose.
Norbert haussa les épaules.
- Lindbergh a eu une belle vie, je pense qu'il peut partir tranquille, maintenant. Même si l'état de Charlie…
- PUTAIN DE SHAKER DE MERDE !!!
- … a de quoi inquiéter. Quant à pleurer Lindbergh, j'ai déjà tout pleuré pour Léopold…
Lionel accusa le coup d'un hochement de tête. On frappa à la porte.
- Charlie, tu peux aller ouvrir ? Demanda Lionel.
- Je me dépatouille avec ce shaker de merde !
- Bon, bon…
Lionel alla ouvrir à l'infirmier à domicile qui devait venir s'occuper de Linus. Petit, très classe, veston noir, chemise blanche, lunettes, cheveux en bataille.
- Monsieur Finsbury ?
- Non, Maloney.
- Il y a trois noms sur la boîte aux lettres…
- Oui parce que nous sommes trois fringants vieux schnocks ! Entrez…
- Will. Will Preston.
- Britannique ?
- Bien sûr…
- C'est un job pour vous, alors. Le client est un vieux british pur jus.
- Sympa…
Will et Lionel passèrent devant la cuisine où Charlie tapait le shaker contre le buffet. Will rehaussa ses lunettes.
- Monsieur…
- J'suis occupé !
- … Bon…
Lionel amena Will à la chambre de Linus où ce dernier était à moitié endormi. Il se releva et regarda le jeune infirmier.
- L… Lucy ?
- Monsieur Winchester, je suis Will Preston, de la grande famille Preston, mon arrière-grand-père est l'auteur du référentiel Preston's Anatomy…
Will se reprit et regarda Linus, très affaibli.
- Que… que lui est-il arrivé ?
- En fait ça a commencé par une simple fièvre, mais ça s'est un peu aggravé…
- Mais comment ça ?!
- Ca s'est enchaîné avec d'autres choses et ça l'a laissé très affaibli, puis il a enchaîné sur une autre fièvre…
- Je vois, un cercle vicieux, que prend t-il ?
- Une dose de chaque boîte matin et soir, là, sur sa table de nuit.
Will haussa les sourcils, étonné.
- Je vois, on va plutôt vous faire une cure de vitamines, pour vous redonner des couleurs, vous ressemblez à un légume décrépi…
- Je vais bien… grommela Linus.
- Exact, et moi ma grand-mère de 102 ans fait du vélo sans les mains. A d'autres, monsieur Winchester.
Will alla s'asseoir près de Linus et le prépara pour une piqure. Charlie entra dans la pièce et s'étonna.
- C'est quoi, ça ?
- Un… infirmier, je suppose ! Admit Lionel.
- M… On n'en a pas besoin !! Je m'occupe de papa !
- C'est inutile… souffla Lionel.
- Vous en savez quoi ?
- Tu es un jeune homme, tu ne devrais pas t'occuper de ton père mourant !
- C'est gentil, Lionel, je n'en suis jamais assez conscient… marmonna Linus.
- De rien, Linus.
- Lionel, dites à ce pignouf de lâcher mon père !
- Charlie, parle-moi sur un autre ton.
- …
Charlie sortit de la pièce. Will s'étonna.
- Relations complexes, hm ?
- C'était le mari de notre fils décédé, il est quelque peu perturbé.
- Je vois.
- Arrêtez de dire je vois, c'est irritant… grommela Lionel.
Will continua son travail, quelque peu décontenancé par des gens pareils.
***
- C'est très gentil de votre part de m'inviter à votre table…
- Vous vous occupez de Lindbergh, c'est la moindre des choses ! Assura Norbert.
Charlie tirait une tête pas possible. Lionel le regarda.
- Je pensais que ça t'avait fait du bien de voyager !
- Non, pas du tout. Si j'avais su, je serais resté ici pour m'occuper de papa.
- Ce qui à coup sûr t'aurait fait avancer dans la vie ! Acquiesça Norbert.
Charlie se retourna vers lui.
- Mais qu'est-ce qui ne va pas chez vous ?! J'vous ai fait quoi ?!
- C'est l'hôpital qui se fout de la charité, qui tire sur l'ambulance et qui viole l'infirmière ! Ricana Norbert.
Lionel, Will et Charlie regardèrent Norbert qui se rattrapa.
- C'est rien.
- Si j'avais su je serais allé voir tonton John…
Lionel lâcha ses couverts et Norbert se figea.
- Quoi ?!
***
Charlie observa la tombe, silencieux et ému. De la voiture, Norbert et Lionel le regardaient, Will sur la banquette arrière.
- Excusez-moi de poser la question, mais… vous avez d'autres cadavres dans le placard au cas où il repique une crise ?!
Lionel soupira.
- Malheureusement, non. Et heureusement, sinon il en faudrait des caisses avec lui.
- Je vois. Il est revêche, hm ?
- C'est un sale petit con. Mais un adorable sale petit con, on va dire… marmonna Norbert.
- Je vois ça, je vois ça.
Charlie revint en voiture. Norbert se retourna vers lui. Charlie le regarda.
- Ne me regardez pas comme ça…
- Je sais que c'est dur. Ca, et le reste.
- Comment vous faites pour être aussi… calme ? Monsieur Finsbury, votre fils, votre meilleur ami, Jonathan…
- C'est la vie, qu'est-ce que tu veux ! Nous avons eu des vies bien remplies. Avec Lionel, on va peut-être voyager un peu en attendant que ce soit notre tour. Toi tu es jeune, tu peux continuer à regarder devant toi. C'est inutile de te mettre en colère…
- Mais comment voulez-vous que je ne sois pas en colère ! C'est comme si… Tous les malheurs du monde s'abattaient d'un seul coup !
- Tu n'y peux absolument rien, alors laisse les choses se faire.
- Vous ne pouvez pas comprendre que je me sente laissé pour compte ?
- Pour éviter cela, mon grand, il aurait fallu que tu surmontes ce qui te tombe dessus.
- Mais comment voulez…
-OH ASSEZ DE JEREMIADES, SALE PETIT CON !
Will resta relativement calme, regardant Charlie. Norbert était vraiment furieux. Lionel n'intervenait pas.
- Mais bon sang, tu crois que c'est facile ? Léopold était mon fils ! Evidemment que ça m'a abattu qu'il meure mais je suis allé de l'avant parce que je ne pouvais RIEN faire d'autre ! Je me suis rattaché à la réalité et avec Lionel nous avons fait front ! Pour ton père je relativise comme je peux mais… C'est… tout aussi…
- Monsieur Finsbury…
- C'est intenable, Charlie, et si tu n'y mets pas un peu du tien…
- Mais…
- J'en ai assez, Charlie, qu'on doive te porter à bout de bras sans arrêt. C'est pour toi que j'ai le plus peur en ce moment. Pas pour ton père ou pour moi-même ou même pour Lionel, mais pour TOI ! Parce que tu as beau avoir trente ans, tu es toujours un sale gamin furieux contre la terre entière et incapable de prendre de vraies décisions !
Norbert se retourna, essoufflé.
- Ce qui explique sûrement que tu te sois si bien entendu avec Feu Roland.
Charlie grimaça.
***
Charlie avait passé un petit moment en hôpital psychiatrique après la mort de Léopold. Quand il avait dit à son père vouloir entrer en thérapie, son état avait été jugé trop sérieux, trop enfoncé dans le deuil et le déni.
- Il n'est pas mort ! Il n'est pas mort ! FAITES-MOI SORTIR ! LEOPOLD ! LEOPOLD OU EST MON LEOPOLD !
Claire, derrière la porte avec une infirmière, semblait terrifiée.
- Le pauvre…
- On évite d'augmenter les doses de médicaments, il est à la limite de l'overdose, il a failli violer un patient…
- Un blond ?
- Exactement… Pareil, il criait Léopold, Léopold… Il parle tout seul, la nuit il embrasse son oreiller en l'appelant chéri…
- Ca va, ça va…
Claire prit une grande inspiration.
- Il a morflé, madame, vous savez…
- Je sais, je sais… Je prends sur moi, mon mari a perdu sa sœur, j'ai une fille…
- Si vous voulez ne plus venir c'est votre choix…
- … hors de question.
***
Will observait Charlie qui buvait un thé vert. Charlie regarda le jeune homme en face qui lui portait un regard neutre.
- Vous êtes énervant dans votre genre.
- On me le dit souvent.
- Vous êtes infirmier de profession ?
- Aide-soignant. Ca fait quelques années que j'accompagne les gens dans leurs derniers jours. Votre père avait fait appel à moi pour m'occuper de monsieur Ludges alors me voilà.
Charlie plissa les yeux.
- Ne tombez pas dans cet excès de mélancolie qui touche l'entourage d'un mourant. Messieurs Finsbury et Maloney supportent très bien ce qui se passe.
- … ils sont plus forts que moi.
- Ca n'est pas une question de force, monsieur Winchester.
- Monsieur Winchester, c'est mon père. Appelez-moi Charlie, tout simplement.
- Si vous cessez de me vouvoyer.
- J'aime vouvoyer les gens.
- Ca te rend inférieur à eux. Tu ne tutoies même pas tes beaux-parents.
Charlie serra la tasse.
- Ce… ne sont plus… mes beaux-parents…
- La mort de Léopold ne défait en rien tes liens avec les gens.
- … Tu m'énerves.
- Comme je l'ai déjà dit, on me le dit souvent. Aide-toi, Charlie. Je ne vais pas te faire la totale « et le ciel t'aidera » mais… Tu dois avancer par toi-même. Ca fait un an et demi.
- C'est encore trop peu…
- Et à partir de quand tu pourras aller de l'avant ? Charlie…
- De quoi je me mêle ? Tu es l'infirmier de mon père, c'est tout !! J… J'ai même pas à t'écouter !
- En effet.
- Et tes expressions toutes faites tu te les gardes !
Charlie partit de la cuisine devant un Will pas étonné pour deux sous.
***
- La cure de vitamines a fait son effet, vous êtes un peu moins fatigué.
- En effet, merci pour ça… souffla Linus.
- Vous respirez un peu mieux. Bon. Pour ce qui est d'avoir la force de manger…
- Oh c'est agréable quand Norbert me donne la becquée.
Norbert sourit puis regarda Lionel qui le regardait, étonné.
- … avec une cuiller ! Je lui donne à la cuiller !! Grommela Norbert.
- Oui, je… j'espère… marmonna Lionel.
Linus regarda son fils qui était médusé. Linus plissa les yeux.
- C'était comme ça pour ta mère, au début.
- Han papa…
- J'étais… médusé, inerte. Mais je m'y suis fait. Et ensuite pour John…
- Papa, enfin…
- Mais quoi, enfin, Charlie ? Il faut bien faire face !
Charlie plissa tristement les yeux. Linus soupira.
- Je pensais pourtant t'avoir bien éduqué…
- Papa…
- En fait je constate que non. Norbert, tu te rappelles ce film japonais qu'on a vu ensemble…
- … « Le secret des poignards volants » ?! Linus, c'est un film chinois !
- C'est pareil…
- Oh que non !
- Je suis mourant, j'ai raison, point !
Will haussa les sourcils. Charlie de même mais pour une toute autre raison.
- C… Comment tu peux plaisanter avec ça ?!
Linus sourit.
- L'humour. On peut tout vaincre avec l'humour. Si avant de râler d'agonie je peux regarder cette salope de mort et lui rire au nez… J'aurais réussi ma vie.
- Papa, ça va pas être drôle pour moi…
- Je te laisse un jour pour me pleurer.
Charlie grimaça. Norbert et Lionel regardèrent le jeune homme. Non, l'homme en fait.
- Si passé les vingt-quatre heures suivant ma mort, tu pleures toujours, je considèrerais que tu m'as déshonoré à jamais
- Mais…
- Pas de mais.
- … C… C'est pas vrai…
- C'est tout et pas autrement. Je suis ton père et c'est ainsi. Sors maintenant.
Charlie sortit, s'assit sur le canapé et sanglota, la tête entre ses mains.
***
- Tout va bien ?
Charlie était allongé sur le canapé du grand salon. Will était venu le voir après les soins sur son père.
- … C'est quel genre de soins que tu lui donnes à mon père ?
- Les soins palliatifs, du confort quoi. Je l'aide à ce que ça se passe mieux. Mais pas plus vite. Plus confortablement.
Charlie hocha la tête.
- Pourquoi… Pourquoi j'ai pas le droit de ressentir des choses…
- Tu prends les choses trop personnellement. Trop à cœur.
- C'est ma façon de faire…
- Tu te prends beaucoup la tête aussi.
Charlie acquiesça.
- Hm. C'est… c'est la façon dont j'ai toujours fait. Dans ma relation avec Léopold, avec mes parents… Tout doit être… vécu pleinement, le bon comme le mauvais.
- Je crois que tu fais une fixette sur le mauvais.
- … parce que c'est le plus grave.
- C'est avec des raisonnements comme ça que des gens comme moi s'occupent de gens dépressifs. Ton père c'est une bouffée d'air frais dans tous les gens pathétiques dont je m'occupe.
Charlie regarda Will d'un autre œil.
- Tu t'occupes de beaucoup de gens pathétiques à ce point ?
- Franchement ? Avant de mourir, les gens n'ont aucune dignité. Plus rien. Ton père reste très serein, je trouve. Très digne, et très clean. En tant que fils unique, il en attend forcément beaucoup de ta part.
Charlie se releva.
- Je suis pas fils unique !
- Pardon ?
- J'ai deux sœurs ! Je suis loin d'être fils unique…
Charlie réalisa quelque chose et se dirigea vers la chambre de son père. Will le suivit.
- COMMENT TU OSES ME DEMANDER D'ETRE SOLIDE…
Linus se réveilla en sursaut. Will se précipita à ses côtés pour lui éponger le front.
- ALORS QUE TU NE PREVIENS MEME PAS MARINE ET CHRISTINE ?!
Linus grommela et remit ses lunettes.
- Tes sœurs ont des vies, elles sont déjà bien assez préoccupées…
- ALORS MOI C'EST PAS GRAVE C'EST CA ?
- Baisse d'une octave, fiston.
- NAN !
Linus regarda son fils qui était au bord des larmes.
- J… J'EN AI MARRE DE DEVOIR TOUJOURS ETRE CELUI QUI MORFLE DANS L'HISTOIRE ! D'ABORD QUAND TOI ET MAMAN VOUS AVEZ DIVORCE, ENSUITE QUAND MAMAN A EU SON CANCER ET QUE JE NE POUVAIS LE DIRE A PERSONNE PARCE QUE SINON JE ME SERAIS RETROUVE DANS UNE SITUATION AFFREUSEMENT GENANTE MAINTENANT TOI QUI MEURT ET JE DEVRAIS FAIRE COMME SI… COMME SI DE RIEN N'ÉTAIT ET SUPPORTER CA TOUT SEUL ?… J… J'ai l'impression que toute ma vie j'ai porté le fardeau des autres.
Linus hocha la tête.
- Ah bah ça fait au moins quelque chose que je ne perdrais pas mon temps à t'inculquer. Reste à savoir ce que je vais faire du temps gagné grâce à tes premières pertes de sang. Vous avez des tampons, William ?
- Non, monsieur… marmonna Will en se retenant de rire.
Charlie regarda son père qui soupira.
- Je n'ai pas fait prévenir tes sœurs parce que si tu n'étais pas revenu ici je ne t'aurais pas prévenu non plus. D'ailleurs j'avais espéré que tu restes là-bas.
- Eh bah nan. Pour moi cette famille a un sens.
- Mais enfin Charlie, pour moi aussi voyons…
- Visiblement non, tu écartes tes filles de ton lit de mort !
- J'ai un testament, hein !
- Mais ta mort n'est pas amusante ! Ni superficielle !
- C'est ma faute si je n'ai pas envie que ma mort soit comme celle de ta mère ?
Charlie plissa les yeux. Linus haussa les épaules.
- Je ne veux pas que tout le monde pleure alors je suis le premier à en rire. J'ai réussi à faire passer la pilule à Norbert, ce qui… ma foi n'était pas gagné. Et puis bon je ne veux pas m'ajouter à ta douleur d'avoir perdu Léopold.
Charlie plissa les yeux.
- Papa…
- Mais je te remercie de t'être enfin énervé. J'espère que ce sera la dernière fois que tu devras te fouetter les fesses tout seul.
- … pardon d'avoir crié.
- Je sais bien que tu t'en veux. Arrête de t'en vouloir !
- Oui papa.
- Allez, va. Papa aimerait dormir avec les bons somnifères du gentil docteur Will.
Charlie sortit de la chambre et s'effondra à nouveau.
***
Charlie sortit enfin de l'hôpital psychiatrique après quatre mois. Il n'y avait que Claire qui l'attendait.
- Claire… merci… Où sont…
- Ton père ne pouvait pas se déplacer…
- Ah…
- On y va ?
Elle s'en retourna vers la voiture.
- Claire…
Elle resta immobile, faisant dos à Charlie.
- Merci d'avoir fait tout ça pour moi, de… m'avoir soutenu.
Elle ne se retourna pas.
- Je… n'ai pas fait ça pour toi, j'ai fait ça pour le souvenir de Léopold.
Charlie plissa les yeux.
- Parce que… Parce qu'en déprimant comme tu le fais, tu ne lui rends pas un bel hommage.
Charlie grimaça.
- P… Pourquoi tu me dis ça ?
Elle se retourna.
- Charlie, les infirmières m'ont tout raconté ! Tes… tes délires, ton obsession… Tu as failli violer un type…
- Trois, en fait…
- Tu avais des hallucinations… Tu as interpellé Roland dans la cantine de l'hôpital ! Tu as hurlé son nom…
- Très réaliste les hallus, ouais…
- Tu te rends compte d'à quel… d'à quel point tu es tombé bas ?
Charlie baissa la tête, dépité. Claire la lui releva.
- Léopold n'aurait jamais voulu que tu t'écroules comme ça. Il doit avoir honte de toi, là, maintenant.
Charlie regarda Claire, dépité. Claire secoua la tête.
- J… je dis des bêtises…
- Claire, non…
- Je suis désolée, c'est juste que… Moi aussi ça m'a atteint, j'aurais aimé pouvoir en discuter avec toi, mais… Tu es une boule de souffrance, quand tu souffres, on ne peut pas s'appuyer sur toi. J'avais espéré qu'en en parlant tous les deux, on aurait atténué les choses. Mais… tu prends trop sur toi.
Charlie hocha la tête. Claire sourit.
- Ca va aller. Malcolm est aux fourneaux, on devrait se dépêcher avant que la cuisine ne prenne feu.
Charlie acquiesça en souriant et monta avec Claire.
***
- Voilà. Je suis désolé de t'avoir appelé pour ça… Voilà. Merci… Je sais. Hm. Je comprends. On en parlera, t'en fais pas. A plus.
Charlie lâcha le téléphone. Will vint s'asseoir à côté de lui.
- Qui c'était ? Une de tes sœurs ?
- Non, une amie. Une bonne amie.
- Ah.
Charlie regarda Will.
- Toi aussi tu… portes des fardeaux. Que t'es même pas obligé de porter.
Will haussa les épaules.
- Faut bien gagner sa croûte. Et avec la guerre - sauf ton respect - je me suis fait du pognon.
- …
- A ma décharge, j'ai morflé aussi pendant cette guerre.
- Ah bon ?
- Tu me ramènes chez moi ? Je suis venu à pied il y a trois jours, je dois aller chercher deux trois trucs.
Charlie hocha la tête.
***
Sur le chemin, Charlie ne parla pas. Will ne put s'empêcher de remarquer la photo de lui et Léopold accrochée au rétroviseur.
- C'est mignon. Et glauque. Mais mignon.
- Il est avec moi, comme ça. Un peu.
- Tu as le droit, n'aie pas l'air de devoir te justifier.
Charlie s'étonna.
- Alors pourquoi tu trouves ça glauque ?
- Si tu as un accident, la photo va dérouiller.
- … pas faux.
- Il avait l'air d'aimer la vie en tout cas. Ca se voit.
Charlie acquiesça, les larmes aux yeux.
- C'était un vrai petit trésor.
- Je parie que c'est toi qui a fait le premier pas. C'est pour ça que c'est aussi dur.
- En quelque sorte, ouais.
- Ca fait un an et demi tout de même.
- Ca change rien. Y'a toujours cette… foutue culpabilité…
- C'est toi qui l'a tué ?!
Charlie freina brusquement, ce qui secoua bien la voiture. Ils étaient en plein milieu d'une route de campagne.
- Quoi ? Nan !
- Tu es malade de freiner comme ça !
- J… Je l'ai pas tué pourquoi tu dis ça ?
- Tu te sens coupable !
- Oui, parce que je lui disais que tout irait bien pour lui ! Tu imagines le truc ?! « Léopold, tu vas aller super bien, t'inquiète pas ! » Et qu'est-ce que j'apprends ? Frappé, forcé à travailler comme un chien, abusé sexuellement par un surveillant, insulté… Lui, lui qui… qui avait toujours ce regard innocent quand on était enfants…
- Ca va trop loin…
- Tu ne sais rien de nous deux, ne te sens pas capable de juger.
- Alors pourquoi tu me racontes ta vie, pour que j'écrive un bouquin ?!
Charlie regarda Will.
- P… parce que tu me demandes…
- Je ne t'ai rien demandé, je t'ai demandé pourquoi tu te sentais coupable - parce que tu lui as dit que tout irait bien ! Point ! Je comprends ça. Moi je passe mon temps à dire à mes patients que ça ira, mais… ils meurent tous. J'ai l'impression d'être un docteur raté d'une série télé du câble. Ce serait un concept amusant. « Docteur Génocide ».
Charlie sourit.
- Tu es… hallucinant comme gars.
- Le côté britannique, sûrement.
- Je sais même pas quel âge tu as.
- Vingt cinq.
- V… Vingt cinq ?!! J'ai presque cinq ans de plus que toi ! Dire que je t'ai vouvoyé !
- C'est la vie, que veux-tu.
- Quand même…
***
Une fois chez Will, Charlie s'étonna du manque de clarté.
- Y'a une panne de courant ?…
- Y'a jamais personne ici en fait. Presque jamais, vu que je suis jamais à court de travail.
Will alluma une lumière. C'était grand et plutôt joli comme maison.
- C'est… pas mal.
- Sympa, hein ?
Charlie observa les meubles et notamment les photos avec toute une famille, dont Will. Charlie haussa les sourcils. En visitant, il trouva un repas pourrissant sur une table. Et des impacts de balles sur certains murs. Cette maison lui donnait maintenant la chair de poule.
- J'ai ma sacoche, on y va.
Charlie rejoignit Will qui le regarda.
- Tu as vu, hein.
- … J… je suis… désolé…
- Je fais avec. C'est ma vie désormais.
- T… Tu aurais dû me coller une gifle la première fois que j'ai joué les capricieux…
- J'aime pas abimer les belles choses.
Charlie grimaça. Will haussa les épaules.
- Désolé. C'était inconvenant.
- Surtout ici, cette maison est glauque. Vraiment ! Plus que ma photo !
- Ta photo est cent fois plus glauque.
- Tu plaisantes ? Y'a les restes de votre dernier repas qui pourrit dans le salon !
- Et encore j'ai éteint la télé… avant c'était pire.
Charlie plissa les yeux. Will haussa les épaules.
- Je fais avec. Comment je ferais autrement ? Je me tue, moi aussi ? Ca servirait à quoi ? Continuer à vivre ça me permet au moins d'avoir l'illusion d'être éveillé, de servir à quelque chose…
Charlie hocha la tête. Will soupira.
- J'aurais pas dû t'amener ici.
- Ca va, ça va…
- Désolé. J'ai tendance à… tout éloigner.
C'est Charlie qui se pencha pour l'embrasser.
***
- Tout va bien ?
Linus hocha la tête. Norbert et Lionel observaient également. Will allait faire la dernière piqure à Linus qui commençait à partir. Charlie tenait la main de son père.
- … Monsieur Winchester…
Linus regarda Will.
- … Ce que je vais vous dire dépasse… absolument le cadre de la déontologie médicale mais… Je couche avec votre fils.
Norbert et Lionel regardèrent Charlie qui regarda Will puis regarda les deux autres.
- Quoi ?
- Rien, rien…
- Je te l'avais dit, on était trop vieux… marmonna Lionel.
Charlie plissa les yeux. Il regarda son père qui lui souriait.
- Eh bah voilà. Tu as retrouvé quelqu'un de bien.
- Papa, c'est… Tu fais quoi putain, je voulais pas lui dire !
- Moi, si.
- Hmph ! Fais-lui sa piqure !
- De suite, de suite…
Le décontractant calma Linus qui prit une grande inspiration.
- Norbert, tu sais où sont les papiers.
- Ok…
- Lionel… tu matais quand je faisais pipi !
- Comment ne pas le faire ?!
Will regarda Charlie.
- Je comprends que tu sois aussi perturbé.
- Merci d'avoir compris ça.
- Fiston…
- Papa ?
- Pleure autant que tu veux.
- Non, papa, on avait dit vingt-quatre heures !
- Peu importe. Will…
- Monsieur…
- Si tu as le malheur de le faire souffrir…
- Malédiction sur ma tête pour trente générations, compris !
- Voilà.
Linus regarda le plafond. Il soupira.
- Pas de lumière…
- Tu veux que j'allume ? Demanda Norbert.
- Il n'y a… pas… de… lum…
Charlie regarda son père qui avait desserré son étreinte sur sa main. Will baissa tristement la tête.
- Heure du décès… 18 heures 22. Je suis désolé.
Charlie soupira, mais ne pleura pas. Il se contenta de caresser longuement le front de son père qui venait de s'éteindre.
- C'est fini, papa. Tu n'as plus à t'inquiéter pour moi…
C'est Norbert qui partit dans un long sanglot aigu, qu'il lâcha comme s'il avait été contenu. Will, Charlie et Lionel le regardèrent, surpris.
- Pardon Lindbeeeeeeeeeeergh…
Il partit s'isoler, suivi par Lionel. Charlie hocha la tête.
- Je lui laisse mes vingt-quatre heures, hein, papa. Tu ne lui as rien demandé, je suppose…
Will n'osait pas le dire, mais sur le moment il trouva Charlie très noble.
***
« Je ne suis pas un Roland, alors je ferais court. Je vous aimais tous, vous le savez. Je ne le disais pas souvent mais je le montrais par mes actes et par mes attentions. Je n'ai ni été un mari ou un père exceptionnel, mais j'estime avoir fait ce qui me semblait juste.
Charlie, Norbert, Malcolm, Lionel, Will, Claire et ses enfants, Christine, Marine et leurs familles assistaient à l'enterrement, dans le caveau familial où Lucy était elle aussi enterrée.
« Je lègue tout ce que j'ai à celui ou celle qui en aura le plus besoin. Si ce n'est personne de la famille, donnez tout à une bonne œuvre de charité tant qu'elle n'est pas religieuse. »
Estelle était venue elle aussi, accompagnée de Colin et Kate.
- Deux enterrements en trois mois, c'est trop difficile… soupira Kate.
David, Kyle, les petites ainsi que Lily, Finn et leur garçon, étaient présents.
- J'ai l'impression qu'on va à plus d'enterrements qu'à des fêtes entre amis…
- Chut, Kyyyyyle… grommela David.
- Il a raison.
- Finn ! Geignit David à nouveau.
« Pour le reste, je dirais juste… Continuez à vivre. Ne vous arrêtez pas là où je me suis arrêté moi. Avancez. Lucy, Christine, Marine, Charlie. Avancez et ne reculez pas. Le passé est le passé, le futur vous appartient. »
Charlie baissa la tête alors que le type des pompes funèbres déblatérait. Will le regarda. Charlie lui chuchota quelque chose.
- Il va peut-être me falloir du temps…
- Je comprends.
***
- Vous… êtes sérieux ?
- Oui. Tu vires ! Souffla Norbert.
- Ton père est mort, Léopold aussi, tu n'as plus aucune raison de rester ici, ajouta Lionel.
Charlie plissa les yeux.
- Je sais ce que vous faites…
- A ton niveau c'est de l'humanitaire qu'on fait, là ! Soupira Norbert.
- Vous me forcez à m'installer avec Will !
- Tout à fait ! Admit Lionel.
Charlie portait ses valises jusqu'à la porte. Il regarda Norbert et Lionel, menaçants. Charlie se mordilla les lèvres et commença à pleurer. Lionel et Norbert haussèrent les sourcils. Charlie réprima ses sanglots.
- V… Vous… Vous avez toujours été comme une seconde famille pour moi ! J…. J… J'ai pas envie de vous quitter !
- …
- …
- E… Etre avec vous c'était un peu comme être encore un peu avec Léopold… Les photos, les… les souvenirs… J… J'avais l'impression qu'il était encore là.
Norbert acquiesça.
- Pareil avec toi.
- Vous allez me manquer !
- Il faut que tu parles, Charlie. Il faut qu'on fasse notre deuil. Tous. Et en restant ici, tu ne peux pas faire le tien, et on ne peut pas faire le notre.
Charlie acquiesça.
- Je peux vous prendre dans mes bras ?
Norbert hocha la tête.
***
Will ouvrit la porte à Charlie et ses valises.
- Déjà ? Je pensais que tu prendrais au moins deux jours !
- Ca t'embête ?
- Non, mais… tu as bien réfléchi ? J'veux dire… notre relation est… bizarre, pas super solide, basée sur nos mélancolies respectives et surtout… il y a Léopold.
Charlie se mordilla les lèvres.
- Je gagnerais rien à le pleurer, et… il ne serait pas heureux de me savoir seul comme un chien. Et avec toi je suis… modérément heureux.
- Je suis bien avec toi également, mais… Il faut que je nettoie le salon !
- En effet.
- Tu me forces la main, là, je comptais pas le faire !
- Oui, eh bah… Fais comme tu le sens.
Will sourit.
- Merci d'être là.
- Toi de même, sourit Charlie.