Chapitre 2 : La fugue
Quand je rentre chez moi, la mine abattue, ma mère me regarde avec inquiétude. Mon père est rentré de son travail. Il entraîne les jeunes Evoli qui viennent d'évoluer, comme les trois frères que je viens de croiser, sans doute. Il s'approche de moi et pose sa queue sur mon épaule.
« Qu'est-ce qui ne va pas, fiston ?
- Rien, lui répondis-je...
- Bon très bien, si tu ne veux pas en parler c'est ton droit... »
Mes parents ne me quittent pas des yeux alors que je rentre dans ma tanière. Une fois bien au fond, je donne un coup de tête rageur contre le ''mur'', comme pour faire du mal à la pierre sur mon front qui me cause tant d'ennuis. J'ai déjà été voir des spécialistes pour me la faire enlever, mais pas moyen. Et en plus elle est plus dure que du diamant, sinon ça ne serait pas drôle ! Je m'allonge sur mon lit de mousse et enfouis ma tête dedans, comme pour oublier juste une seconde mon mal-être. Mais les rires mauvais des autres, les regards lourds, les murmures dans mon dos disant du mal de moi, tout ça reste ancré en moi. Tout ça coule autant dans mes veines que mon sang. Tout ça me comprime le coeur au point d'être à deux doigts de le faire exploser.
Finalement, j'éclate en sanglots. J'essaie de déverser dans mes larmes un maximum de ce mal qui me colle au poil plus que de la sève de pin. Il m'arrive souvent de pleurer ainsi à chaudes larmes, et après, j'ai l'impression que mon coeur est quelque peu libéré... Pour une heure ou deux. Je reste donc là, sur mon lit, tremblant et sanglotant jusqu'à ce que mon corps tout entier soit vidé de chacune de mes larmes amères, chariots transportant tous une infime poussière de mon chagrin...
Quelques heures plus tard, malgré la pénombre, j'aperçois la silhouette élancée de ma mère qui s'approche. Elle s'assoit près de moi et lèche les poils de mes joues, collés par mes récentes larmes.
« Kalnim, me murmure-t-elle à l'oreille... Tu sais que tu peux tout me dire. Je suis ta confidente, je te l'ai déjà dit.
- Oui, soufflais-je, je sais maman... Mais... Je préfère ne pas en parler. Tu ne comprendrais pas.
- Te voir garder tous tes malheurs pour toi me déchire le coeur, soupire-t-elle... Mais c'est toi qui vois. Je ne te forcerai pas à me le dire si tu n'en as pas envie... Viens, le diner est prêt. »
Je hoche la tête et me lève avant de lécher ma crinière salie par mes larmes. Ma mère me regarde sans dire mot et une fois ma toilette terminée je la suis jusqu'à notre clairière. Mon père est déjà assis devant un gros Rattata entouré de baies de toutes formes et de toutes les couleurs.
« Aller, va, me dit-il avec un sourire apaisant. La chasse a été bonne, on va se régaler ce soir. Ca te changera les idées.
- Ouais, tu parles, marmonnais-je pour moi... »
Ce soir-là, le repas fut calme. Enfin d'un certain côté seulement, car les regards de mes parents me bombardent de questions silencieuses et c'était plus infernal qu'un brouhaha. Je crois rêver. Ma mère ose me dire qu'elle ne me forcera pas à dévoiler ce que j'ai sur le coeur, mais elle me met la pression en me regardant avec insistance ! Le Rattata aux baies prend un goût amer dans ma bouche et je me lève, me dirigeant vers ma tanière.
« Je vais dormir, me contentais-je de dire. »
Mes parents se regardent d'un air inquiet mais ne disent rien. Parfois, eux aussi m'exaspèrent...
Une fois dans ma petite chambre, je déniche un carré de soie de Chenipan et le trafique pour en faire une sorte de balluchon. J'y attache une ficelle en poil de Fouinar tressés et le passe autour de mon cou. Après quoi, je couche pour m'endormir.
Au millieu de la nuit, je me réveille avec la sensation désagréable que l'on ressent quand on essaie de chasser les bribes d'un cauchemar persistant. Je me lève et sors dans la clairière sans faire le moindre bruit. Je prends dans la réserve de nourriture plusieurs baies que je mets dans le balluchon et commence à m'éloigner de chez moi, vers l'ouest. J'en trouverai d'autres en route, et je sais quelque peu chasser, donc ce n'est pas la nourriture qu'il me manquera. Non, ce qui me fera vraiment l'effet d'un vide, ce ne sera pas au niveau de mon estomac mais de mon coeur. Je m'apprête à abandonner dans ce coin de forêt mes parents et l'Evoli la plus jolie du monde... Mais plus question de reculer. Plus question que je reste ici.
Je ne sais pas où j'irai, mais j'irai jusqu'au bout !