Dresseur de révolution de Lafant

Lorsque Lucas sortit du centre pokémon, son regard se tourna vers l'entrée de la ville. Il se demanda si Olivier avait attendu toute la nuit, où s'il avait finalement abandonné. Dans le deuxième cas, il le croiserait peut-être à l'arène. Quoique... il ne savait même pas si il collectait les badges.
-Tant pis, dit-il en faisant sortir Aran. Ca va, toi ?
Le pokémon hocha la tête.
-Après la raclée qu'on s'est pris face à Rita, je crois qu'on ferais mieux de s'entraîner avant de combattre Albert.
Le jeune homme se dirigea vers la route par où il était arrivé la veille, espérant tomber sur un ou deux dresseurs. La chance fut avec lui, car un petit groupe de personnes s'était rassemblé devant un combat entre deux types, l'un avec un Doduo, l'autre un Caninos.
L'oiseau attaquait cruellement son adversaire, sans doute avec une attaque Furie. Le chiot ne fit pas long feu face aux coups rapides et précis des deux têtes du Doduo. Le perdant paya le vainqueur, rappela son pokémon et, rouge de honte, repartit vers Mauville. Lucas le suivit du coin de l'oeil, priant pour qu'il ait l'intelligence et la bonté d'emmener son Caninos bien amoché au centre pokémon.
-Quelqu'un d'autre veut essayer ? demanda le dresseur du Doduo en se tournant vers la foule. Personne ?
-Moi ! annonça le bourg-geonais en s'avançant.
L'autre le jaugea du regard et sourit en voyant Aran.
-Si tu y tiens... mais tu ne feras pas long feu !
-On verra.
-Combien tu mises ?
Le jeune homme réfléchit une seconde. Il lui restait près de cent pokédollars sur lui, et vu qu'il n'avait pas des masses de chance de gagner...
-15, ça irait ? demanda-t-il.
-Sans problèmes, répondit le dresseur. Doduo, continue.
-Vas-y, Aran.
Les deux pokémon se firent face. L'oiseau était beaucoup plus grand que le quadrupède, et aussi plus impressionnant.
-Doduo, Pic-Pic !
-Rugissement !
L'attaque d'Aran affaiblit celle du pokémon vol, qui l'envoya néanmoins dans les roses. Lucas grimaça et se mit à cogiter de toutes ses forces. Il lui fallait une attaque pour battre ce truc... mais laquelle ? Doduo était grand et rapide, trop difficile à atteindre. Sauf si...
-Aran, Fouet Liane, vise la tête !
Le pokémon plante fit jaillir deux lianes des bourgeons de son cou et enserra une des deux têtes de son adversaires, l'empêchant d'ouvrir le bec, sous le regard étonné des spectateurs.
-Libère-toi, Doduo, Pic-Pic !
-Coup D'Boule sur lui-même !
Lucas se mordit les lèvres. Il n'avait pas été assez clair... Pourtant, Aran comprit très bien son ordre et, dirigeant la première tête de l'oiseau à l'aide de ses lianes, la fit se cogner à la deuxième, assommant la bête sur ce double-coup. Le jeune homme en resta lui-même bouche bée, étonné par la perspicacité de son pokémon – et la sienne, par la même occasion – ainsi que par sa propre inventivité. Où avait-il été chercher tout ça ? Il n'avait jamais vraiment brillé niveau stratégie, mais une fois au coeur du combat... ouah !
Dégoûté, le dresseur du Doduo rappela ce dernier et sortit quelques billets.
-Bien joué, marmonna-t-il.
-Merci, sourit Lucas. Vous devriez faire soigner votre Doduo, le choc a été rude...
-J'y penserais, bougonna le type en s'éloignant.
Le bourg-geonais fit la moue, ennuyé. Evidemment, les gens qu'il battait n'allaient pas écouter ses conseils de bonne grâce... A la base, c'était surtout ça, son but : inciter les autres à prendre soin de leurs pokémon et à ne pas blesser ceux qui vivent en liberté.

Plus tard, attablé à la terrasse d'un café, Lucas réfléchissait à la façon dont il pourrait battre Albert. Il utilisait des pokémon vol sûrement plus puissants que le Doduo de son ancien adversaire, et Aran serait de toute manière désavantagé par son type.
-J'ai peut-être une idée, avoua-t-il à son pokémon. Ca risque de ne pas marcher, mais je pense que tu es assez fort pour la mettre en oeuvre, tu ne crois pas ?
Aran n'eut aucune réaction particulière, se contentant de manger ce que son dresseur avait commandé pour lui. Ce dernier se demanda une seconde si le quadrupède n'était pas légèrement débile.
-Lucas...
L'intéressé leva la tête.
-Olivier !
Le blond sourit et s'installa en face de lui en soupirant. Rendel se posa sur la table et regarda le bourg-geonais avec intérêt, le mettant mal à l'aise.
-J'ai attendu longtemps, mais il n'est pas ressorti...
-Désolé...
Olivier balaya ses excuses d'un geste.
-Ne t'inquiète pas ! Peu après que tu sois parti, plusieurs personnes sont sorties de la grotte ; monsieur Garden les a aidé à s'extirper de sous les décombres... ils étaient bloqués derrière un véritable mur de pierres éboulées et son Gallame l'a détruit en une seule attaque !
-Et lui ?
-Il a continué vers Ebenelle... Par contre, les gens m'ont dit que l'explosion était tout sauf naturelle ! En plus, ils avaient vu des types bizarres entrer dans l'Antre Noire.
-Tu penses à un... attentat ? s'étonna Lucas.
-J'en sais rien, mais je vois pas pourquoi on voudrait faire ça... Il n'y a rien dans ces grottes, juste des tunnels menant un peu partout à Jotho. Et puis, j'imagine qu'il y aura une enquête, et là on saura ce qui s'est passé.
Le brun acquiesça et termina sa boisson.
-Au fait, tu ne m'as pas dit pourquoi est-ce que tu voyageais.
Olivier haussa les épaules.
-Pour l'instant, je sais pas trop... Je voulais juste voyager, voir le monde. Et toi ?
-Objectif Plateau Indigo, sourit Lucas. Mais bon, faudrait déjà que je batte Albert.
-Avec juste un Germignon ? Ca va être chaud.
-J'ai une petite idée de ce que je vais faire.
-Mais quand même... les champions utilisent trois pokémon, tu crois pouvoir les battre tous les trois juste avec lui ?
-Euh... peut-être pas.
Le blond hocha la tête avec un air entendu.
-Tu devrais en capturer un, tu ne crois pas ? Il paraît qu'on trouve des Wattouat dans le coin.
Lucas ferma les yeux un moment, plus qu'ennuyé. Et voilà qu'il était confronté à la première de ses inquiétudes : la capture. Il n'y était pas opposé, conscient que c'était devenu presque culturel, et que de nombreuses études montraient qu'elle avait des bons côtés, mais le fait d'acculer une pauvre bête et de la tirer de son environnement naturel le rebutait.
-Je ne suis pas vraiment fan, marmonna-t-il en jouant avec son verre vide. Je trouve ça un peu cruel, en fait.
-Cruel ? répéta Olivier. Je vois pas en quoi.
-Pour moi, combattre un pokémon sauvage, c'est comme agresser quelqu'un, expliqua le brun. L'attaquer sans véritable raison et l'arracher à son milieu, c'est ce que je trouve cruel.
-Tu exagère un peu, non ? Après tout, c'est le principe du dressage... et tu as un Germignon !
Lucas soupira, à la fois agacé et un peu gêné. Il se tourna vers Aran, qui avait fini de manger. Dans un sens... non, ce n'était pas pareil.
-Aran est né en captivité, se défendit-il. Il n'a jamais vécu dans la nature et était de toute manière destiné à un dresseur. Ce n'est pas comparable à un pokémon ayant grandi parmi ses proches et qui doit les quitter...
...Non, c'était pire. Le bourg-geonais se figea, horrifié. Comment n'avait-il pu jamais y penser ? Tous ces pokémon qu'on confiait à de jeunes dresseurs n'avaient pas de vie et n'en avait jamais eu. Ils étaient comme les lots d'une gigantesque loterie...
-Tu es terriblement négatif ! s'exclama Olivier en riant. Essaie de voir les choses du bon côté.
-Plus j'y pense, et moins je vois de bonne choses dans ces pratiques, répliqua Lucas.
-Tu veux réellement devenir dresseur ? S'étonna le blond.
-...Oui.
-Tu parles comme si tu étais un de ces gars anti-dressage, c'est un peu paradoxal, non ?
-Je ne suis pas « anti-dressage » ! Je suis contre le combat contre des pokémon sauvages pour le plaisir ou l'entraînement, c'est tout. Je comprends que la capture soit nécessaire, mais ça m'ennuie un peu...
Olivier fronça les sourcils et sembla réfléchir. Le bourg-geonais, de son côté, était certain qu'il le considérait à présent comme un véritable dingue et soupira intérieurement en évitant le regard toujours aussi insistant de Rendel. Mais qu'est-ce qu'il lui voulait, ce piaf ?
-Tu pars du principe que capturer, c'est mal, dit finalement le blondinet. Si les pokémon n'aimaient pas du tout être capturés et combattre, tu crois qu'ils ne se seraient pas déjà révoltés ? Ils sont pas débiles... certains sont bien plus intelligents que nous !
-T'as pas tort, concéda Lucas, mais y a capture et capture. La traque aux pokémon rares, par exemple, tu trouves ça juste ? Tu te rappelles du scandale des Shiney Hunters ?
-C'était un cas à part... tu n'es pas obligé de faire comme eux ! Aie ton propre style de capture.
-Mon propre...
Le brun plissa les yeux, désarçonné. Son propre style de capture... quelqu'un lui avait déjà dit ça, mais qui ? Il n'arrivait pas à s'en rappeler. C'était sorti dans une discussion, longtemps auparavant, avec... Chester, peut-être ? Ou un membre de son équipe ? Oui...

Lucas, treize ans, assis face à une grande vitre, regardait Libégon, couché à l'intérieur d'une grande pièce blanche. Il ne se remettait pas de sa confrontation avec le Kaimorse du touriste, deux ans plus tôt. Chester, qui passait dans le couloir, s'étonna de le voir comme ça.
-Tu ne veux pas aller lui tenir compagnie ?
Le jeune garçon se tourna vers lui, la mine sérieuse.
-J'ai réfléchi, et j'pense que ma présence lui ferait pas de bien ! Après ce qui est arrivé, il doit sûrement pas aimer les hommes... et les Kaimorse.
-Moi, je pense que ta présence l'aiderait.
-Moi pas. Regardez-le... comment on peut faire ça à une bête pareille ?
-Les dresseurs font cela lorsqu'ils entraînent leurs pokémon ou veulent en capturer un.
-Si c'est comme ça qu'on fait, je deviendrai jamais dresseur !
-Ne dis pas ça, je suis sûr que tu serais excellent. Et puis, tu n'es pas obligé d'être comme tout le monde, tu peux avoir ta propre façon d'entraîner tes pokémon, et surtout ton propre style de capture...
Lucas se tourna à nouveau vers Libégon, pensif. Cette discussion était une des nombreuses choses qui allaient lui redonner envie de devenir dresseur, mais un dresseur différent des autres.

-...Lucas ?
Le jeune homme sursauta et sortit de ses pensées.
-Hein, quoi ?
-Je te demandais ce que tu allais faire.
L'intéressé regarda longuement Aran, puis Rendel, puis finalement Olivier.
-Tu as raison, je peux avoir mon... propre style de capture.
Le blond sembla soulagé.
-On y va ?
-Oui !
Les deux dresseurs se levèrent et, accompagnés de leurs pokémon, se dirigèrent vers la sortie sud de Mauville. Ils y croisèrent quelques dresseurs, dont un, un garçon d'une quinzaine d'années en jogging et baskets, proposa un match à Olivier. Ce dernier, plutôt surpris, accepta en misant 20 pokédollars.
-Ca va être facile, fit le joggeur en sortant une ball, Piafabec, go !
-Euh... Rendel, vas-y !
Les deux oiseaux se firent face. Lucas s'installa sur un banc et regarda le match en se demandant à quel point Olivier savait se battre.
-Piafabec, Pic-Pic !
-Rendel, Jet de Sable !
Le premier fondit sur son adversaire et se prit un vrai nuage de sable dans la figure. Déconcentré, il battit frénétiquement des ailes mais ne put éviter l'attaque Tornade de Rendel. Le spectateur bourg-geonais s'étonna un peu de la bonne technique de son ami ; le Roucool, sur ordre de son maître, enchaîna avec une charge fatale qui lamina le Piafabec. Le combat n'avait pas duré une minute. Le joggeur n'en croyait pas ses yeux.
-...Ggh... lâcha-t-il avant de rappeler son pokémon. Tu es... fort.
Il paya Olivier et partit sans écouter les recommandations insistantes de Lucas sur le besoin de faire soigner son pokémon, ce qui eut le dont d'agacer le jeune homme.
-J'espère qu'il ira quand même au centre pokémon, grommela-t-il.
-C'était pas trop mal ? lui demanda le blond en caressant Rendel.
-Tu l'as carrément latté, répondit le bourg-geonais. Franchement, tu te débrouilles bien mieux que moi ! T'es sûr de pas vouloir collecter les badges ?
-Ca me tente pas trop, en fait... Je trouve ça trop stressant.
Lucas s'étonna légèrement mais ne répondit pas.

-Voilà, c'est ici, déclara Olivier sen mettant ses mains sur ses hanches. Normalement, on devrait croiser quelques Wattouatt sauvages.
-Je vois que dalle, fit le brun après un moment.
-Ils devraient être ici... J'ai pas pu me tromper !
-Bah...
il y eut une sorte de flash, un éclair s'abattit à moins d'un mètre devant lui, suivi d'un autre plus loin et d'un troisième à sa droite. Le jeune homme recula et se tourna vers leur origine, imité par son camarade. Téméraire, Rendel décolla de l'épaule de ce dernier et alla voir de plus près. Il fit à peine cinq mètres avant d'être électrocuté et de chuter dans l'herbe.
-Rendel ! s'écria Olivier en faisant mine d'aller le récupérer.
-Rappelle-le, lui conseilla Lucas. Je crois qu'on a trouvé les Wattouat...
Effectivement, une forme s'avançait. Complètement ronde, entourée d'une aura d'électricité, elle semblait avoir du mal à marcher et lançait des éclairs à tout va. Olivier fit rentrer Rendel dans sa ball et regarda, bouche bée, le Wattouat chargé à bloc se diriger vers eux. Lucas, qui en avait déjà vu plusieurs dans ce cas, s'avoua tout de même surpris. Il arrivait parfois qu'un de ces pokémon emmagasine trop d'électricité – après une attaque du même type portée par un ennemi, par exemple – mais dans la nature, ce n'était pas censé arriver... il aurait fallu qu'un énorme groupe de Wattouat électrocute l'un d'entre eux !
-J'ai déjà vu ça, confia-t-il à son camarade, mais le Wattouat était sous Vol Magnetik, et son électricité n'arrivait pas à se libérer assez vite... celui-ci marche, il devrait tout libérer dans le sol !
-On devrait pas partir ? geignit Olivier. Il vient vers nous !
-Il cherche de l'aide...
-Il a mis Rendel K.O. !
-Ce n'était pas intentionnel, je crois... je te dis que j'ai déjà vu ça, il n'arrive pas à contrôler toute son électricité. Mais ça ne devrait pas arriver... Aran, vas-y !
-Tu vas le combattre ?
-Tu vas voir. Aran, plante des lianes dans le sol et envoie en d'autres sur le Wattouat, mais sans le blesser !
-Tu comptes faire quoi ?
-Ramener toute cette énergie vers le sol. Aran est de type plante, il devrait pouvoir y résister.
Du moins, il l'espérait.
Le Germignon obéit aux ordres de son maître et établit un contact entre le mouton et le sol. Il sembla plutôt bien y résister, mais Lucas se sentit quand même mal pour lui. Petit à petit, le volume laineux du Wattouat diminua, jusqu'à revenir à une taille normale. En s'approchant du pokémon déboussolé. le jeune homme remarqua avec horreur qu'il portait...
-...du caoutchouc ! S'écria-t-il. Mais que...
Qui avait bien pu faire ça ? On enveloppant les pattes du mouton avec cette matière, on avait empêcher toute son électricité de se propager dans le sol... c'était cruel et inhumain. Olivier se rapprocha à son tour et écarquilla les yeux.
-C'est ce que je pense ? souffla-t-il.
-Quelqu'un a fait ça délibérément, confirma Lucas. C'est horrible...
-Y a vraiment des gens pas bien dans leur tête.
Le bourg-geonais ne put qu'acquiescer et, sortant une ball de sa poche, captura sans peine le pauvre Wattouat.
-Allons soigner Rendel et lui au centre de Mauville, lâcha-t-il en se retournant.
Olivier le suivit sans un mot, moins choqué mais néanmoins ébranlé.