Chapitre 1 : Changer les choses
-La vie d'un dresseur est semée d'embûches, mais je suis sûr que vous parviendrez à les surmonter.
Lucas regarda le professeur Orme, quelque peu affligé. Il aimait bien le personnage, passionné par son travail, toujours aimable et enclin à enseigner, mais ce genre de discours l'ennuyait plus qu'autre chose. Comme s'il l'avait remarqué, le scientifique interrompit son monologue et se posta derrière la table sur laquelle reposaient trois pokéball. Germignon, Héricendre et Kaiminus.
Un choix qui n'en était pas un.
Une fille, Rita, rousse prétentieuse, passa en première, galanterie oblige, et se jeta sur le Pokémon eau. Vint ensuite le tour de Liam, un garçon nerveux qui hésita avant de prendre le hérisson de feu. Germignon, le plus faible offensivement, avait évidemment été laissé pour le dernier des trois. Lucas soupira et, après avoir passé une main exaspérée dans ses cheveux bruns, saisit la ball du Pokémon plante.
-Bien, sourit le professeur Orme. Voici votre Pokédex et votre Carte Dresseur. Prenez-en soin, ils sont durs à se procurer et non-remboursables.
Lucas encaissa ces cadeaux et regarda la carte. Il avait une tête affreuse dessus, mais on le reconnaissait quand même. Par contre, il ne savait vraiment pas où et quand avait été prise cette photo. Le jeune homme rangea son bien dans son portefeuille et fourra son dex dans la poche de son jean. Il garda juste sa ball en main, examinant la feuille verte peinte dessus. Germignon, hein ?
Le dresseur, âgé à présent de dix-sept ans, sortit du laboratoire et se dirigea vers la sortie de Bourg Geon. Il avait déjà dit au-revoir à ses parents le matin même et avait son sac sur le dos. Plus rien ne le retenait véritablement ici, même si une partie de lui ne voulait pas partir.
Ce voyage était important pour lui, mais l'idée de devoir dormir dehors et de se nourrir de trucs séchés ne l'enchantait pas des masses. Il aimait son confort habituel.
-Et si on voyait ta tête ? dit-il à l'attention de sa pokéball.
Il appuya sur le bouton et regarda l'éclair d'énergie rouge prendre la forme d'un quadrupède vert pâle ayant une grande feuille sur la tête. Lucas ne résista pas et s'accroupit près de lui. Le Germignon se jeta directement dans ses bras, le faisant sourire malgré lui.
-...Trop mignon ! Lâcha-t-il en priant pour que personne ne l'entende.
La route 29 était longue et sinueuse, mais surtout infestée de Pokémon sauvages. Lucas resta sur le chemin, ne voulant vraiment pas les affronter. C'était son credo.
Il avait décidé, dès qu'il avait été tiré au sort pour partir en voyage, de ne combattre aucun Pokémon n'ayant pas de dresseur. Il répugnait à l'idée de blesser une bête qui n'avait rien demander juste pour montrer à quel point il était fort. Depuis qu'il avait vu ce Libégon se faire laminer par un affreux Kaimorse, il s'était juré de ne jamais faire souffrir aucun Pokémon sauvage juste pour le plaisir.
-J'espère que ça ne t'ennuie pas, dit-il à son Germignon, qui marchait à ses côtés. Avec moi, tu ne risques pas de devenir particulièrement fort.
La bestiole se frotta contre ses jambes et leva la tête vers lui.
-Je devrais te trouver un nom, tu crois pas ? sourit le dresseur. Tu n'es pas un simple Germignon, après tout. Mais comment t'appeler ? Flora ? Je sais même pas si t'es une fille.
Lucas fronça les sourcils et sortit son pokédex. Il y avait une fonction de scan, qui lui permit de connaître la taille, le poids et le sexe de son compagnon. Et c'était un garçon. Le jeune homme se mit à réfléchir tout en marchant. Un nom de mec, hein ?
-Aran ! s'écria-t-il au bout d'un moment. Tu es le plus défensif des trois, non ?
Germignon couina joyeusement, comme s'il acceptait. Lucas répéta plusieurs fois son nom ; il sonnait bien, et le Pokémon avait l'air d'apprécier.
Ville Griotte était un village calme. Ou un bled perdu, c'était comme on le sentait. Le dresseur se dirigea directement vers le centre pokémon de la pseudo-ville et s'approcha du visiophone. Vu qu'il était un dresseur, sa carte lui permettait d'appeler gratuitement pendant une heure chaque jour. Ensuite, il fallait payer. Le jeune homme composa un numéro qu'il connaissait par coeur et attendit. La tête d'un homme entre deux âges, mal rasé, avec une paire de lunettes mises de travers et relativement surpris, apparut rapidement.
-Lucas ? s'étonna-t-il. Tu as déjà commencé ton voyage ?
-Aujourd'hui ! confirma l'intéressé.
Il se pencha et saisi Aran sous ses pattes antérieures.
-Regardez, Chester, j'ai un Germignon. Il s'appelle Aran.
-C'est formidable, sourit son interlocuteur. Nous sommes tous avec toi, ici, alors montre à tout le monde ce qu'un dresseur comme toi peut faire !
-J'y compte bien.
-Au fait, merci pour ce que tu nous as envoyé la semaine dernière... tu n'aurais pas dû, c'était beaucoup trop.
-J'ai fait une collecte dans ma famille, c'est un cadeau, vous ne pouvez pas refuser.
Chester haussa les épaules et rajusta ses lunettes en écaille.
-J'imagine que tu veux de ses nouvelles ?
-S'il y en a, approuva Lucas.
-Aucun changement caractéristique, il progresse lentement, mais il progresse. Sa double faiblesse à la glace, la puissance de son adversaire et le temps qui s'est écoulé entre sa capture et le moment où tu l'as amené au centre a causé d'importants dommages internes, tu le sais bien. Il lui faudra sûrement plusieurs années pour qu'il puisse vivre normalement et peut-être retourner à l'état sauvage.
Lucas soupira. A chaque fois qu'il appelait, il espérait une guérison miraculeuse, mais ça n'arrivait évidemment jamais.
-Ne fais pas cette tête, sourit Chester. Sans toi, il ne serait probablement même pas en vie. Tu devrais être fier de ce que tu as fait.
-Je sais bien, marmonna le dresseur.
-Ne laisse pas tout ça te démoraliser. Un voyage initiatique, ce n'est pas rien ! Profite de cette aventure pour apprendre le plus possible et, surtout, amuse-toi.
-Vous avez raison, j'attends ça depuis tellement longtemps...
-Raison de plus ! D'ailleurs, toute l'équipe t'encourage, pas vrai les gars ?
Un concert de confirmation retentit en arrière-plan, faisant rire Chester et Lucas. Ce dernier salua son correspondant et coupa l'appareil. Ce dialogue l'avait étonnamment requinqué.
-Viens, Aran, dit-il en se dirigeant vers la sortie. On va s'entraîner.
-Chenipan, go !
-Aran, vas-y.
Le quadrupède fit face à l'insecte. Lucas étudia son adversaire, un gosse prépubère habillé en scout : foulard, short et sac à dos rempli à rebords. D'autres gamins de sa troupe regardaient le spectacle, intéressés, tout comme quelques badauds.
-Chenipan, Charge !
-Toi aussi, Aran.
Les deux Pokémon se foncèrent dessus. Naturellement avantagé par sa taille et sa force, Aran bazarda l'insecte qui alla s'écraser quelques mètres plus loin. Le scout grimaça et le rappela, penaud.
-A moi ! Lança un autre gosse, un peu plus assuré.
-D'accord, accepta Lucas. Mais avant... toi, là !
Le perdant se retourna de mauvaise grâce.
-Quoi ?
-Le centre pokémon est dans l'autre direction.
-...Et alors ?
Le jeune homme soupira.
-Ton Chenipan est affaibli. Autrement dit, il souffre... tu vas le laisser comme ça alors que tu peux y faire quelque chose ?
Le scout sembla soudain prendre conscience du fait que son pokémon vivait et ressentait des choses et se mordit la lèvre. Il jeta un bref regard à Lucas puis prit la direction du centre. Le jeune homme hocha la tête et se reconcentra sur le nouveau challenger.
-On peut y aller.
-Aspicot, à toi !
Le ver apparut face à Aran, étrangement menaçant pour son gabarit. Le jeune homme fronça les sourcils.
-Dard Venin !
-Rugissement !
L'attaque perturba légèrement Aspicot pendant son attaque, ce qui lui fit rater sa cible de deux bons mètres. Aran chargea ensuite l'insecte qui finit laminé, comme son prédécesseur. Imitant son camarade, le scout alla directement au centre pokémon, sous l'oeil satisfait du vainqueur. Le petite foule de spectateurs se dispersa rapidement, et la troupe alla récupérer ses deux membres au village.
-J'espère qu'ils auront retenu mon conseil, marmonna Lucas en se baissant. Tu t'es bien battu, Aran, je suis fier de toi !
L'intéressé couina joyeusement et secoua sa feuille.
-On arrivera peut-être à quelque chose, poursuivit le dresseur. Même si on risque d'avoir du mal avec Albert... bah, on verra bien.