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Éterna de Tyriak



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Informations

» Auteur : Tyriak - Voir le profil
» Créé le 24/05/2010 à 19:00
» Dernière mise à jour le 25/05/2010 à 19:18

» Mots-clés :   Aventure   Johto   Région inventée

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La croisée des regards
Une lumière faible pénétrait la boutique, filtrée par des vitres légèrement poussiéreuses, ajoutant à l'atmosphère humble que lui donnaient les murs de lambris et le vieux parquet, usé par les démarches plus ou moins joyeuses des clients allant et venant jusqu'au comptoir couvert de piles de feuillets soigneusement triés. De temps à autre, la clochette suspendue à la porte tintait faiblement, glas apaisant imité à merveille par les jeunes Korillons, qui le transformaient en véritable symphonie les rares fois où ils étaient autorisés à rester dans la boutique.
Allongée dans un coin, Éterna s'adonnait à une de ses activités favorites, qui consistait à déchiffrer les expressions faciales de toutes les personnes entrant dans la boutique. Sur la plupart des visages on devinait la joie, mais elle était présente sous toutes ses nuances: l'anxiété pour certains adolescents, l'empressement pour les adultes, la confiance pour les habitués... Et que dire de l'allégresse qui peignait littéralement les enfants! C'était un beau défilé qui se déroulait sous ses yeux, le défilé de ceux qui viennent chercher un nouveau compagnon de voyage. Mais, ce qui l'intriguait toujours parmi les émotions qu'elle décelait, c'était la surprise, sinon la peur, qu'elle lisait dans les yeux qui rencontraient ses iris violacés. Tous les clients, sans exception, avaient un jour sursauté en apercevant ces deux améthystes les dévisageant.
La clochette retentit pour la – sixième? Huitième? Non, septième – pour la septième fois dans la journée, s'ouvrant sur une femme d'environ trente ans, toute sa personne clamant sagesse et respect. Une queue-de-cheval stricte s'arrêtait à sa taille, nouée habilement par un flot rouge qui venait s'emmêler parmi les cheveux, descendant même un peu plus bas. Elle portait une robe tout aussi rouge qui épousait ses formes minces sans pour autant être provocante ou incorrecte, aussi incroyable que cela puisse paraître. Les seuls faux plis qui venaient tâcher un si beau tableau étaient ceux causés par deux petits poignets agrippant le vêtement. En effet, une fillette, brune, d'environ 5 ans, se serrait contre celle qui devait être sa mère.
Derlïo, le jeune propriétaire, sortit de l'arrière boutique et se pointa au comptoir. Sa voix douce s'éleva :
« Bonjour Mme Dyran, c'est un bien rare plaisir que de vous voir ici »
Ainsi, il la connaissait. Ce qui choqua le plus Éterna, c'était la formule employée; Derlïo était poli, mais pas cérémonieux, et les rares personnes qui venaient plusieurs fois ici étaient ses amis, qu'il aurait alors tutoyés.
« Bonjour Derlïo, je vois que vous vous en êtes plutôt bien sorti, malgré les faibles possibilités avec lesquelles vous êtes arrivé ici. Lyséa n'a jamais été aussi prospère.
- Je suis heureux de pouvoir apporter mon aide au village. Mais je suppose que vous n'êtes pas venue seulement pour me féliciter? »
Là, Éterna reconnaissait son maître. Au ton, c'était à la fois une question et une façon de couper court aux politesses, tout cela sans disgrâce. Avec son métier, il n'avait pas de temps pour les politesses. La femme reprit :
« Je suis venue chercher un compagnon de jeu pour ma fille, ici présente. Montrez-moi ce que vous proposez. »
À ces mots, Éterna bailla bruyamment. Toujours la même raison de venir. Et, en 5 ans d'existence, jamais personne ne s'était intéressé à elle. Elle s'en fichait. Elle était bien là où elle était. Son indiscrétion lui valut l'honneur d'être le point de convergence de tous les regards, alors qu'elle était passée inaperçue jusqu'à présent. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, la femme eut un mouvement de surprise. Mais Éterna ne le remarqua pas. Ce qu'elle vit, c'était une fillette aux yeux rougeoyants. Pour elle, ni surprise, ni peur. Seules étaient présentes l'admiration et... une sorte... d'envie. Pas de celles que l'on ressent lorsque l'on veut un nouveau jouet, mais celle que l'on peut lire dans les pupilles de ceux qui trouvent une amie, avec pour intention de ne jamais la perdre.

*
Lorsqu'Aéla posa les yeux sur la petite boule de poils lovée dans le coin de la cahutte, elle sut immédiatement qu'elle venait de trouver ce qu'elle était venue chercher. Elle venait, par un regard, de rencontrer l'être qui serait son amie, une amie qu'elle ne perdrait jamais.
« Maman, fit sa voix enfantine, c'est celui-là que je veux »
La boule de poils sembla sursauter.
« Je...vois..., dit la mère, quel est son prix?
-Euh...,commença l'éleveur, c'est-à-dire que...
-Comment s'appelle-t-il? coupa la fillette.
-Aéla, la réprimanda la femme, n'interrompt pas les gens comme ça!
-Ce n'est rien, reprit le gérant, elle s'appelle Éterna »
Ses oreilles remuèrent; elle avait compris qu'on parlait d'elle. Aéla n'était pas étonnée: elle avait vu l'intelligence qui brillait dans ces deux grandes améthystes.
« Quant à son prix, et bien... Lors d'une ponte d'Évoli, il est assez rare d'obtenir une femelle alors...
- Je suis au courant des spécificités génétiques de cette espèce, Derlïo, trancha la femme, je ne demande pas un cours de sciences mais un prix. Quel est-il?
- Je peux vous le baisser à 30000 pokédollars, annonça l'éleveur, quel est votre budget? »
Les yeux de la mère s'écarquillèrent, le prix était évidemment beaucoup trop élevé. Elle s'adressa à sa fille:
« Aéla? Je crois que tu devrais choisir un autre Pokémon.
-Non, rétorqua la fille d'un ton catégorique, que l'on n'aurait jamais pu prêter à son visage juvénile, c'est Éterna que je veux, et c'est Éterna que j'aurai ! »
Comme pour la soutenir, cette dernière vint se blottir entre ses jambes. La mère les engloba d'un regard furibond, puis lâcha:
« Et bien soit! Si tu la veux tant que ça, tu te la paieras toi-même! Le jour où tu possèderas au moins les trois quarts de son prix, alors j'accepterai. »
Sur ces mots, elle murmura un calme remerciement, un mot d'excuse puis un salut poli au gérant et le carillon de la porte retentit, laissant la fillette seule avec le Pokémon, le gérant s'effaçant pour les laisser, seule à seule. Une larme roula doucement sur la joue d'Aéla, ses yeux rouges ternis par des émotions contradictoires qui s'enchaînaient trop rapidement pour que ce tout petit corps prenne le temps de les reconnaître. Seule dominait la tristesse. Elle venait tout juste de rencontrer une amie, et c'était comme si elle la perdait déjà.

*
Éterna, blottie contre Aéla, la contemplait tristement. Elle savait que la fillette allait partir. Elle ne voulait pas qu'elle parte. L'enfant embrassa doucement le front d'Éterna, fixa dans son esprit ses deux grands iris violacés, puis un glas faible résonna, lointain. L'Évoli, n'ayant pas proféré un son, contempla la porte, comme si elle s'attendait à voir ressurgir la fillette, un sourire aux lèvres. Derlïo lui tendrait un de ses feuillets qui reposaient sur le comptoir, elle y poserait d'autres feuillets avec un sourire, puis prendrait sa nouvelle amie dans ses bras. Elles n'entendraient pas le salut du propriétaire, pas plus que le tintement des clochettes car, lorsqu'elles passeraient le perron, leurs rires couvriraient tout autre son. Éterna attendit ce moment. Ytila, le grand et majestueux Pyroli qui l'avait mise au monde, vint s'asseoir à côté de sa fille, sans un bruit, contemplant l'entrée.
Lorsque la nuit tomba, les seuls bruits dans la boutique étaient ceux de deux souffles, l'un régulier, l'autre entrecoupé par la chute des larmes qui venaient doucement frapper un sol qui n'en n'avait jamais vu d'autres que celles de joie.