Chapitre unique.
Mew, qui noue les liens.
Resserrent les siens.
Se sent abandonné.
Maltraité et emprisonné.
Ô impardonnable traîtrise
Sombre méprise.
Cœurs d'idolâtres.
Esprits folâtres.
Elevé dans le culte
D'un dieu sans vergognes.
A qui on a inventé un destin.
Entité du chagrin.
Libérez-le !
Détachez-le !
Sauvez-le !
Sacrifice d'un être pur.
Naïveté de bon augure.
Tragique fin.
Sauvez-le !
Détachez-le !
Libérez-le !
Dans sa sombre cellule, Mew pleure. Ses larmes luisantes s'écrasent sur le carrelage froid, dans un écho angoissant qui le fait frissonner. Va-t-il jamais s'en sortir ? Quel prix à payer pour si peu d'hospitalité ? Tant d'hostilité ?
Sa prison. Chaînes qui le retiennent.
Quel crime a-t-il commis ? Symbole d'innocence, que lui vaut cet acharnement vain ? Le froid le fait déjà souffrir, il n'a pas besoin de voir en plus ce qu'il n'a pas commis ! Pourquoi lui infliger ça ? Pourquoi tant de haine ?
Dans une flaque retentit une onde qui s'agrandit. D'horribles images harcèlent les pauvres yeux de Mew. Des gens meurent de faim. Ils crient à l'aide. Soupirent et meurent. Ainsi serait la vie ? Accablés de douleur, mourrait-on de la sorte, dans d'obscurs bicoques avec pour seul compagnie l'odeur de la gangrène ou des chairs putréfiées ? Finissions-nous, avec pour dernière réalité les voix suppliantes de nos proches qui consumaient nos cœurs de désespoir ? Avions-nous seulement une chance de respirer l'air frais avant de s'évanouir à jamais ? Disparaître… Le devions-nous seulement ?
Mew n'en est pas sûr. La vie et la mort lui ont toujours paru comme des notions abstraites, dénuées d'un quelconque sens pour ce qu'il était. Il ne pouvait pas mourir, car le monde perdrait de sa saveur. Les couleurs se terniraient, les fleurs se faneraient… Mew était l'unique. Enfermé dans une jeunesse ou un trop grand âge qu'on ne connaîtrait jamais.
Garant de la beauté, vérité incarnée.
A cet instant, il se demande d'ailleurs si le froid peut réellement pénétrer son cœur. Il attend, curieux, terrifié, apeuré. Les jours se profilent sans qu'il puisse détacher son regard des scènes écœurantes. Tout cela est trop brutal ! Trop…trop vrai.
Mew qui n'a jamais connu que les fleurs épanouies, les belles couleurs, les visages resplendissants, les vrombissements des Apireine les soirs de printemps… Les arcs-en-ciel fabuleux aux sommets dominés par leur maître, le puissant Ho-ho… Les regards joyeux et les minois enfantins…
Se retrouve face aux branches mortes, aux gris fades, aux visages enlaidis par l'horreur, aux râles des blessés… Confronté à la noirceur du monde.
Le monde n'a cependant pas toujours été comme ça. Les Etourmi ont chanté leur mélodie calme, les humains l'ont appréciée et se sont laissé bercer par les accents douçâtres et enivrants. La Nature s'est targuée d'être aimée, d'être choyée…
Aujourd'hui, les cris affamés ont remplacé la chansonnette, la Nature étouffe et ses habitants fuient un paysage désolé, anéanti.
La famine parcourt les foyers, tue femmes et enfants, noie dans son étreinte amère les espoirs abandonnés.
Et Mew qui apparaît, simple jouisseur venant admirer quelque énième ballet d'Aquali, dans le souci du bonheur de chacun sur cette terre qu'il aime.
Des flèches lui sont tirées de la terre. Automatiquement, son bouclier impénétrable s'active. Les armes ricochent. Les attaquants partent, sans demander leur reste.
Mew, dans un mélange de doute et de colère enfantine garde néanmoins son bouclier. Alors qu'il flotte sur quelques mètres, une fleur de toute beauté vint heurter sa protection. Elle la pénètre. Mew, émerveillé s'en empare… La fleur s'ouvre… Et explose.
Quoi de plus approprié que la beauté pour attirer ce pokémon enchanté ? Mew tombe, impuissant, soumis à la douleur pour la première fois. Les mercenaires débarquent, emportent le corps fragile qui gît sur le sol.
Pas de soins. Jeté dans les geôles, rien que ça. Enchaîné, persécuté. Qu'est-ce que le monde de bonheur est devenu ? Pourquoi tant de brutalité ?
« Pitié, soupire Mew de son timbre carillonnant et désespéré. Pourquoi tout cela ? Relâchez-moi, laissez-moi vous aider ! ».
Un bruit de porte qui grince, des pas lourds qui se répercutent dans toute la pièce.
« Divinité… Vous manquez d'acuité ? raille une voix cynique près de lui. Tant de massacres ! Savez-vous ce qu'il se passe ? ».
Un sanglot étouffé dans la voix, Mew répond :
« J'ai vu, et je vois encore… Je verrai toujours. Pourquoi les guerres ? Pourquoi la souffrance ? ».
Les accents angoissés de Mew raisonnent dans la tête du sombre visiteur. Les questions silencieuses du légendaire pokémon le font rire.
« Nous sommes dans la réalité ! gronde-t-il. Les guerres changent les gens. Les gens sont mauvais, la guerre est un aboutissement… Du malsain… La souffrance existe depuis la nuit des temps. Êtes-vous prêt, à présent ? ».
Mew hurle intérieurement de peur.
« Non ! suffoque-t-il. Ne me sacrifiez pas ! Je peux arranger cela ! Laissez-moi ! Laissez-moi les sauver ! ».
La silhouette sombre qui n'est pas encore sorti de son obscur coin tonne, d'une voix impériale :
« Il faut du sang pur, du sang nouveau et ancien à la fois, du sang qui n'a jamais été versé, du sang dont les mains n'ont jamais été salies ! Votre sang ! ».
Mew tremble. Il n'a jamais vu pareille cruauté. Il n'a plus de forces, plus aucuns moyens de se défendre… Peur ! Il a peur ! Il tremble, il souffre, il n'en peut plus… Ses coussinets brûlés par les dalles gelées… Ses pattes en sang… Son esprit malade… Son âme éprouvée !
Mew sanglote. Dans ses pensées, une seule, file comme une étoile, mais reste ancrée dans sa conscience… Il n'y a jamais ne serait-ce que songer ! Comment…Mourir ? Mourir ? Etait-il concevable ? Une présence à côté de lui. On le frappe, on maltraite son corps endolori…
Un fléau siffle dans l'air et s'abat sur son visage. Mew hurle, gémit. Une grosse larme coule encore sur les carreaux froids du sol. Elle s'éparpille en poussière brillante… Sur le carreau où est étalé la poussière argentée, un visage apparaît...Une jeune fille...Des yeux violets, de presque la même teinte que ceux de Mew le fixent avec intensité et compréhension...Celui-ci s'étonne, souffle un "A l'aide"...L'image s'efface...Etait-ce une illusion?
L'homme qui se tient à son côté frappe de son talon dans les côtes du pokémon…
D'autres hommes le traînent par ses chaînes. Il flotte un peu. A-t-il mérité telle sentence ? Pour une chose dont il n'est pas responsable !
« Que le sang coule ! Que la paix revienne ! Que les sillons rouges qui tracent nos frontières soient éternels ! Que la magie de cet être nous aide ! ».
Des hurlements et des acclamations saluent la phrase de l'être orgueilleux qui s'est avancé près de la potence. Ce n'est pas le sort que Mew va subir. Des morts pendent déjà des cordes… Âmes errantes…dans le tourment…
Mew est jeté sur une planche de bois creuse. On lui ordonne de poser sa tête à la place qui lui est réservée. Il s'exécute, tremblant, effrayé…
On apporte une longue hache… Le bourreau semble hésiter… Sa main tremble… Puis, il ferme les yeux, abat la hache. Seulement, elle ne tranche pas la peau fine. Mew résiste, une aura s'élève de lui. Autre chose n'aurait pas pu se produire. Mew n'a plus de forces, la lame finira par lui ôter la vie, il en est certain… Mourir! Mourir, lui! Non! Il ne faut pas! Cela ne se peut pas! Pas maintenant!
Mew prie, pour la première fois de sa longue vie.
Mew n'a jamais prier! Un dieu sans équités? Mieux vaut ne pas s'y essayer!
La situation est critique. Le pokémon rose sait que s'il disparaît, de grands malheurs s'abattront sur le sol rude de cette terre!
Même au moment où la Mort lui sourit, cruelle et avide, il ne pense pas à son âme, ni au salut, ou quelque chose s'y rapprochant. Il pense à ce que sa mort pourrait produire. Aux esprits torturés qui se rajouteront au chaudron des damnés...
Jamais!
Le fil se tend... Mew entend déjà son dernier souffle.
Il va périr. Piteusement.
La faute lui incombe. Il n'a su que voir le beau côté des choses, jamais l'ignominie qui rôdait de l'autre côté du miroir... C'est rendre justice. Châtier son ignorance, son aveuglement.
Il le mérite, se dit-il, c'est tout naturel.
Il pense aux enfants avec qui il a joué... Aux faces innocentes, aux nuages qui filent dans un ciel éthéré... Les rires cristallins, les regards ravageurs...
Ce visage, dernière magnificience qu'il aura vu dans la poussière reluisante d'une de ses larmes...Il l'emporte à jamais avec lui...
La lame fend l'air surchargé de tensions...
La fin...
Dénouement...
...
Silence insupportable...
Mew vit-il?
Cling
Clang
Il ouvre lentement les yeux...
Les morceaux épars de la hache gisent devant lui, comme d'innombrables miroirs où se reflètent le visage terrorisé du pokémon...et une silhouette, bien plus loin...
Une voix douce brise le silence angoissant. La voix cristalline d'une enfant. La silhouette bouge. Elle court pieds nus, vêtue d'une robe aussi légère que l'air. Ses cheveux comme coulés de soleil flottent dans son dos, ondulent au rythme de ses pas dansants. Elle est belle. Elle semble voler.
Elle arrive devant le bourreau. L'assistance semble patiente, attentive. La présence de l'enfant apaise chacun. Ses yeux mauves regardent l'infortuné Mew.
- Tuez-moi à sa place ! fait-elle, joyeuse.
Le bourreau écarquille les yeux.
- S'il faut sacrifier un être pur, sacrifiez-moi ! Mais ne sacrifiez pas un pokémon qui n'a rien fait, uniquement parce que vos lames ne cessent pas de trancher, et que vos âmes vous abandonne! Oui, rien à perdre, vous dites-vous. Tant de blessés. Pourquoi pas un de plus ? Telle est votre philosophie ? La philosophie du meurtre et de la douleur ?
Les gens sont gênés, ont mal. Soudain, ils se rendent compte de ceux qu'ils s'apprêtent à faire. Pourquoi tuer le pokémon ? Qu'a-t-il fait ? Verser un peu plus de sang, pour quoi faire ?
Des gens se lèvent, hurlent et jurent.
La petite fille
Petite idylle
En faisant entendre sa voix
A guider les choix
Lequel de ses pouvoirs
A fait renaître l'espoir ?
Sombre rancœur
D'où naît le malheur
Petite fille
Douce jonquille
Les hommes sont choqués, étonnés, leurs esprits martyrisés. Qu'ont-ils fait ? Les chaînes de Mew tombent et se liquéfient, sous le regard pourtant si tranquille de l'enfant. La voix de Mew pénètre les pensées de chacun.
« La maladie vous a assaillis, la soif de vengeance vous a aveuglés. Vous punir serait inutile. Vos âmes ne méritent pas d'être damnées. Je guérirai ceux qui souffrent encore. Je vous protégerai jusqu'à la fin des temps, pour les maux que vous avez subis. Libérez-moi, je serai l'ange gardien qui veillera sur vous ».
Mew pourrait s'enfuir. Rien ne le retient. Il pourrait partir et maudire ceux qui l'ont fait souffrir. Son grand cœur en est incapable. La petite fille lui tend la main. Il la prend dans la sienne. Tous deux se dirigent vers un nourrisson qui pleure dans les bras de sa mère. Il a mal. Il peut expirer à tout moment, sans avoir jamais rien connu que l'horrible géhenne.
Les mains entremêlées de l'enfant et de Mew se posent sur son front brûlant. Une sorte de grande sphère l'englobe. Tout se passe très rapidement. Le bébé en ressort.
Autour, tous sont émerveillés. Le petit hoquète. Il inspire pour la première fois l'air frais sans cet arrière goût âcre. Le monde crie sa jouissance.
Ainsi, Mew échappa à l'éternel Sommeil. La petite fille, descendante d'une Ancienne Déesse le suivit quand il quitta la terre qu'il avait délivrée. Cette petite s'appelait Mari : « la vérité ».
Mew, qui avait cette peine constante au cœur, s'y adapta... Il fit dès lors tout pour sauver les autres, conscient à présent de la laideur paradoxale du monde.
Les conflits cessèrent peu à peu, et avec l'aide de Mari, Mew guérit le monde.
Mari était née d'une rose blanche. Elle était destinée à communier son savoir avec Mew. Les légendaires, après qu'elle ait rétabli la paix dans bien des fratries, lui donnèrent la jeunesse éternelle, et éveillèrent les pouvoirs qu'elle détenait en elle.
Elle était fille du bonheur, ennemi du malheur...
Elle avait le don de communiquer avec les plantes, et les pokémons.
Toutes ces années, Mew fut son ami, et quand elle rejoignit les Anciens Dieux, des siècles plus tard, on la surnomma "Diane, la maîtresse des forêts".